lundi 29 septembre 2014

L’harmonica
(Cette nouvelle est la suite de la précédente.)

                Saïd était fier de son trophée : un bâton à faire de la musique ! Il l’avait reçu d’un soldat qui en avait joué dans le village.
Un matin, Saïd avait été intrigué par des sons que personne n’avait jamais entendu dans son village; ça c’est sûr, personne n’avait jamais entendu de tels sons : métalliques et doux en même temps. Alors il s’était rapproché pour mieux entendre et surtout pour voir ce qui pouvait provoquer de tels sons. C’était un soldat ! Un soldat qui soufflait dans une sorte de bâton et qui produisait ces sons.
Saïd avait toujours vu des soldats dans son village. La plupart d’entre eux étaient méchants; ils criaient, ils étaient brutaux, ils avaient des armes. Mais ce soldat-là n’était pas comme les autres : il était à demi-assis sur le pare-choc de son véhicule et il soufflait dans son bâton à musique. Et Saïd l’avait regardé jouer, fasciné, hypnotisé, pendant de longues minutes. D’autres enfants étaient venus le rejoindre; ils formaient un cercle autour du soldat et ils se poussaient du coude pour mieux voir. Ils le pointaient du doigt en murmurant et ils ricanaient de cette diversion dans leur quotidien de peur et de misère.
Et voilà que lorsque le soldat avait fini de jouer, il les avait regardé et leur avait souri. Il avait dit quelque chose mais personne n’avait compris. Ses mots avaient fait fuir quelques enfants, surtout les filles. Mais le soldat avait de nouveau parlé et c’est à lui, Saïd, qu’il avait adressé la parole. Saïd n’avait pas compris, mais le soldat lui avait tendu le bâton à faire de la musique… comme pour le lui donner ! Les yeux écarquillés d’une telle largesse miraculeuse, ne pouvant croire à sa chance inestimable, il s’en était emparé ! Tout de suite, il avait tourné les talons sans demander son reste, de peur que le soldat veuille lui reprendre son trésor.
Saïd était allé se réfugier dans un coin de murs un peu à l’arrière de sa maison et il contemplait son butin. Le bâton était de couleur rouge, avec des plaques en métal qui luisaient; il le caressait, il le frottait sur sa joue. Les autres enfants s’étaient rapprochés mais il ne voulait le prêtre à personne. C’était à lui !
Depuis lors, Saïd ne quittait plus son bâton à musique; fier comme le roi des rois il l’avait montré à sa mère et à sa grand-mère qui vivait avec eux. Il l’avait toujours avec lui de peur qu’on le lui vole; à table il le gardait sur ses genoux de peur de le perdre pendant qu’il mangeait; le soir en se  couchant il le mettait sous le coussin qui lui servait d’oreiller. Et surtout il en jouait tout le temps. Sa mère devait le mettre dehors pour avoir un peu de silence dans la maison.
Il avait découvert qu’il suffisait de souffler dedans et les sons en sortaient ! C’était magique, féerique, merveilleux ! Il avait même trouvé qu’on pouvait en tirer des sons non seulement en soufflant mais aussi en aspirant. C’était vraiment prodigieux ! Ce n’était pas la même musique que celle jouée par le soldat, mais Saïd n’en avait cure; il jouait et c’est tout; en fait, il soufflait et ça faisait des sons. Quand il jouait il oubliait la guerre, il oubliait la faim, il oubliait tout; quand il jouait, il oubliait la soif qu’il ressentait. Il avait les lèvres gercées à force de jouer, mais il était tellement heureux.
Le plus extraordinaire c’est qu’il arrivait maintenant à faire une série de notes qui ressemblait à une petite chanson. C’était épatant ! Il sautillait comme un petit chevreau tout excité. Et tout le monde le regardait plein d’admiration. 
Tous les autres enfants de son âge et même les plus vieux, étaient jaloux de lui; tous voulaient essayer son bâton à musique. Mais Saïd hésitait : il avait tellement peur quand le lui vole. Alors quand il le prêtait, c’était avec d’innombrables conditions et précautions, et pour quelques secondes seulement.
Saïd n’avait jamais revu le soldat. Peut-être était-il parti en mission dans une partie du pays. Peut-être était-il retourné en son pays. Il ne savait que vaguement que les soldats se battaient contre des groupes terroristes en Afghanistan. Et que cette guerre durerait plus de dix ans et qu’elle ferait plus de 500 000 morts dans la population. Mais Saïd ne devait pas en voir la fin de toute façon.
                Saïd ne sait pas les soldats canadiens ont été déplacés en se basant sur la constatation que la région a été stabilisée. Cet après-midi là, alors qu’il joue gaiement de son harmonica, une balle d’un tireur embusqué le tue net. Il s’écroule et son sans coule dans le sable.

                « C’est interdit de faire de la musique ! » grogne une voix quelque part.

jeudi 25 septembre 2014

SPT

Lorsque Stéphane était au secondaire, quelques-uns des garçons de sa classe s’étaient engagés dans les « cadets ». Il ricanait lorsqu’il les entendait en parler. Pour lui et ses amis, ce n’était une espèce de club avec des rituels débiles pour scouts attardés qui s’amusaient  à parader comme des  paons dans leurs uniformes, qui échangeaient des promesses à la vie à la mort, et surtout, surtout qui devaient suivre une discipline de fer, qui devait obéir aveuglément à des ordres stupides férocement hurlés un supérieur maniaque, imbécile et sans-cervelle. Oui, il fallait être complètement débile pour vouloir en faire partie.
Stéphane ricanait bien… sauf que, parfois, dans les couloirs de l’école, ou dans la cour de récréation, quand les garçons de sa bande n’étaient à proximité, il tendait l’oreille lorsque les cadets parlaient de nombreuses activités dynamiques qu’ils faisaient en groupe, que ce soit les compétitions sportives, les cours qu’ils avaient ensemble sur le leadership, sur  l’estime de soi ou sur la connaissance de soi, ou les activités de civisme dans la communauté auxquelles ils prenaient part; ou à la rentrée scolaire, lorsqu’ils racontaient leur séjour très intense et très stimulant qu’ils avaient fait au Camp d’été du Centre d’instruction de Bagotville au Lac-Saint-Jean ! Un autre aspect de ce qu’il entendait sur les cadets l’intéressait particulièrement : les cadets ce n’était pas juste pour les garçons, il y avait aussi des filles ! Faire du camping avec des filles, faire du sport avec des filles, faire des excursions avec des filles !... il y avait de quoi en rêver la nuit.
Stéphane avait vraiment ouvert grand ses oreilles quand certains d’entre eux avaient dit qu’ils se préparaient à entrer à l’École de musique des cadets de Saint-Gabriel-de-Valcartier près de Québec ! Des lieux magiques qu’il aurait bien aimé visiter lui aussi.
Car ce que Stéphane aimait par-dessus tout c’était  de  « faire de la musique », c'est-à-dire gratter sa guitare dans le garage de la maison paternelle. Il s’était fait offrir une guitare électrique et des amplificateurs et avec deux ou trois autres de ses amis, Ken, un bassiste, Louis, un joueur de batterie, Pinotte, un autre guitariste, ils s’entraînaient fort plusieurs soirs par semaine. Ils jouaient la musique des Rolling Stones en premier lieu, puis U2, Nirvana, Black Sabbat, Nickelback, Evanescence, Hoobastank, Sum 41… Puis, graduellement, ils ont commencé à composer leur propre musique. À force de persévérance, ils obtiendront un premier contrat pour animer les soirées au bar The Red Clover dans le quartier Villeray. Personne ne les écoutait, et ils n’étaient pas payés beaucoup, mais pour Stéphane, ils étaient au faîte de la gloire.
Ce contrat sera leur premier et leur dernier, à part une prestation au bal de fin d’année à l’école. Car le genre de musique qu’ils privilégiaient n’encourageait peu les invitations. Après l’expérience du Red Clover, le groupe s’est défait et Stéphane est resté seul, désœuvré. Pas de métier, pas de travail, pas d’expérience, sans diplôme d’études secondaires, il ne savait pas quoi faire de sa vie. Il s’est trouvé un petit emploi d’emballeur dans une épicerie.
Jusqu’au jour où est venu chez lui pour une visite, son oncle Jean-Guy, le frère de sa mère, qui était aumônier militaire. Stéphane se sent agréablement surpris de le voir. Il lui pose des questions sur son métier.
« La carrière militaire, c’est la plus belle de toute ! Pour un jeune, il n’y a rien de mieux pas juste pour former le caractère, mais aussi pour faire quelque chose de bien de sa vie. Il y a la camaraderie, les voyages, le dépassement, le sens du service. Tu devrais essayer ça, Stéphane.
-J’peux pas, j’ai même pas fini mon secondaire.
-Pour t’enrôler, tu as besoin d’un secondaire IV terminé. C’est ce que tu as, n’est-ce pas ? Et puis, si tu t’engages  l’armée te payera tes études ! Tu pourras compléter ton éducation, faire ton CEGEP, même avoir une formation universitaire ! Puis, tu vas voir d’autres pays; comme on dit, les voyages forment la jeunesse !
-Mais ça doit être dur !
-C’est vrai qu’il y a une partie challenge, physiquement il faut être en forme, mais ce n’est pas la seule chose qui compte : il faut avoir une tête sur les épaules aussi pour faire partie de l’armée ! C’est tout aussi exigeant mentalement.
Stéphane réfléchit. Il se souvient très bien de l’enthousiasme que manifestaient les cadets de son école, il n’y a pas si longtemps.
-Pis en plus, peut-être que tu pourras faire de la musique, toi qui aimes ça.
-Ouais, j’pourrais y penser.
-Puis si tu veux qu’on s’en reparle, tu sais comment me rejoindre !
C’est ainsi que, la graine ayant été semée, quelques semaines avant ses vingt ans, Stéphane se rend dans bureau d’enrôlement des forces armées. Très intimidé par l’édifice et l’aspect solennel des lieux, il se retrouve devant un sergent qui l’intimide encore davantage, chargé de lui faire passer une première entrevue.
« Ce qui rend le Programme de base des forces armées vraiment unique, c’est qu’il offre des expériences qu’on ne peut obtenir nulle part ailleurs! Il stimule ton intérêt pour les activités de la Marine, de l’Armée ou de l’Air des Forces armées canadiennes (FAC). À cette fin, nous offrons une instruction dynamique dans un environnement de soutien et d’efficacité où le changement constitue un élément positif et essentiel.
-J’aimerai bien être mécanicien dans l’armée de terre.
-Lorsque tu t’enrôles dans la Force régulière, tu dois y servir pendant quelques années. La durée de ton service dépend de la demande pour tes aptitudes ainsi que de la durée de ton instruction. En règle générale, le minimum est de trois ans. Cependant, si tu t’enrôles par l’entremise des programme d’études universitaires ou collégiales payée, les Forces paieront tes frais de scolarité au niveau universitaire ou collégial, tes livres et ton matériel scolaire, en plus de te verser un salaire et de te procurer des avantages sociaux pendant que tu fréquentes l’établissement. En contrepartie du paiement de tes études, les Forces te demandent de servir dans leurs rangs durant un certain temps après l’obtention de votre diplôme. On calcule la durée du service comme suit : deux mois de service pour chaque mois d’études subventionnées.
« Les quatre mots-clefs de tout engagement dans les Forces armées sont : Loyauté, l’expression de notre dévouement collectif envers les idéaux des forces armées pour l’ensemble de ses membres ; Professionnalisme, la réalisation de toutes les tâches avec fierté et diligence ; Respect mutuel : le fait de traiter autrui dignement et équitablement; et Intégrité : le courage et l’engagement pour illustrer la confiance, la sincérité et l’honnêteté.
Stéphane ne sait trop que dire : c’est trop beau pour être vrai.
Le mois d’après, il revient pour passer un examen médical complet déterminant pour son engagement et ses options de carrière. Il sait qu’il n’est pas très en forme, mais il croit être en bonne santé. On lui demande de revenir ensuite viennent des tests d’aptitude et de culture générale; son français n’est pas très bon, il le sait.
Enfin viennent les tests physiques, ceux que redoutent le plus Stéphane; dans ce domaine-là également il se sait moyen. Mais il veut y arriver. Les tests terminés, Stéphane est épuisé.
Sur  le chemin du retour, il ne croit guère à ses chances. Il a, en principe, réussi toutes les épreuves, mais est-ce que se résultats sauront convaincre les recruteurs ?
Deux semaines plus tard, il reçoit une lettre avec l’en-tête des Forces armées canadiennes. Il s’enferme dans sa chambre pour l’ouvrir plein d’appréhension. Il a réussi : c’est sa lettre d’engagement ! Il ne peut s’empêcher de sauter de joie. Il doit se présenter en septembre au Collège des Forces armées de Saint-sur-Richelieu pour commencer son instruction de base. Il est important d’être en bonne forme physique avant d’entreprendre l’instruction de base. Stéphane fait du vélo tout l’été; il va à la piscine; dans sa chambre, il fait des push-up et des set-up trois fois par jour.
Le camp de Saint-sur-Richelieu est un grand ensemble de bureaux administratifs, de maison pour les officiers, de casernes, de terrains de sports extérieurs, d’entrepôts, de gymnases, de salles de cours et d’auditoriums; il y a jusqu’à un musée de l’histoire militaire du Canada et une petite école pour les enfants qui vivent sur la base de même qu’une chapelle œcuménique. Sans doute que mon oncle jean-Guy est déjà venu ici, se dit Stéphane. Il n’a pas assez d’yeux pour tout voir. Ça lui prendra plus que la visite de bienvenue pour se rappeler de tout. Ce même jour, il fait la connaissance des autres jeunes de sa promotion. Dans sa chambrée, ils sont huit, tous impatients, Stéphane comme les autres, d’entreprendre leur instruction de base. Des jeunes de son âge venant de divers horizons, idéalistes comme lui; il s’aperçoit que certains ont même moins d’éducation que lui…
L’instruction de base de toutes jeunes recrues consiste surtout à améliorer leur condition physique. Les séances d’entraînement (aérobie et musculaires) se font, au début, de trois à cinq par semaine, pour devenir à la fin, quotidiennes et de plus en plus intenses.
-Au cours de la première semaine de l’instruction de base, vous passerez un test visant à évaluer le niveau de votre condition physique. Vous devez réussir ce test pour poursuivre votre instruction de base. Le test comprend trois épreuves : un sprint de 80 mètres pendant lequel il faut adopter la position couchée tous les dix mètres; une traction de sacs de sable sur une distance de vingt mètres, qui consiste à transporter un sac de sable de vingt kg tout en tirant au moins quatre sacs de sable sur le sol; une course-navette sur vingt mètres pour mesurer la capacité aérobique. Si vous n’atteignez pas les trois objectifs de l’évaluation de la condition physique, mais que vous réussissez au moins une des trois épreuves, vous pourrez suivre un programme d’entraînement au sein de la Compagnie de préparation des guerriers de l’École de leadership et de recrues des Forces canadiennes. Vous aurez un maximum de 90 pour atteindre les trois objectifs du test. Si vous ne réussissez pas à atteindre ces trois objectifs au bout de 90 jours, vous serez libéré des Forces armées canadiennes.
Stéphane sait qu’il va réussir; il s’est bien assez entraîné durant l’été.
Après cinq semaines, il reçoit la permission des instructeurs de voir ses parents qui pourront désormais lui rendre visite la fin de semaine et les jours de congé. À la première visite, sa mère a de la peine à le reconnaître tant il a forci et grandi; mais son regard et son air ne sont plus les mêmes non plus : on y voit un sérieux impressionnant, une résolution nouvelle qui s’épanouissent. En partant, c’est un peu gênée qu’elle l’embrasse sur les deux jours tandis que son père lui serre simplement mais vigoureusement la main. Ils partent.
Une bonne condition physique est essentielle du service militaire. Une bonne moitié de ses journées est consacrée aux marches et à l’entraînement physique. Le reste du temps, Stéphane et ses camarades suivent des cours sur les compétences essentielles et les connaissances militaires de base : le maniement des armes, les premiers soins, et les valeurs d’éthique. Les soirs sont consacrés à l’entretien de l’équipement personnel et des quartiers, sans oublier la préparation des cours du lendemain. Et bien sûr, on rit allégrement des gaffes des uns ou des autres; certains se défoulent avec des imitations de tel ou tel officier. Son voisin de lite Antoine est particulièrement doué. On fait aussi de la musique : harmonicas, flutes, accordéons et guitares sortent de dessous les lits; c’est, pour « Stéf » (comme le surnomme maintenant ses camarades), l’occasion idéale de faire valoir. Ses petits talents, son entregent et surtout son désir de plaire, font vite de lui l’animateur des soirées de la caserne. Un soir que ses camarades l’acclament à tout rompre, il sait que l’armée sera sa vie.
Quelle fierté que la sienne lorsqu’il revêt l’uniforme pour la première fois ! Les séances périodiques d’entraînement physique se poursuivent et les préparent aux exercices en campagne. Stéphane apprécie particulièrement les exercices de campagne qu’ils doivent faire beau temps mauvais temps. Ils exercent leurs habiletés militaires pratiques comme le tir, l’utilisation de cartes et d’une boussole et font des marches sur différentes distances en tenue de combat complète en portant armes et havresac. Parfois les exercices durent plusieurs jours et ils doivent construire leurs propres abris, cuisiner leur repas, assurer les tours de veille.
-La réussite de l’instruction de base dépend de votre contribution à l’effort collectif. Si vous n’êtes pas en bonne forme physique, votre rendement dans les exercices en campagne sera médiocre et vous ne serez pas un bon coéquipier.
Le « parcours du combattant » comprend des épreuves physiques comme l’escalade de parois de deux mètres et de quatre mètres et d’un filet de quatre mètres, ainsi que la traversée d’une tranchée de quatre mètres de largeur, accroché à des barres de suspension.
Il finira par être capable de courir sur des distances de plus en plus longues, jusqu’à six kilomètres. Mais la natation, pourtant un élément clé de l’instruction de base, demeure le point faible de Stéphane. Il doit arriver à sauter à l’eau en portant un gilet de sauvetage et à nager sur une distance de cinquante mètres au milieu des courants. Il s’entraîne aussi avec pugnacité à faire la culbute à l’eau sans veste de sauvetage, à nager sur place durant deux minutes puis tout de suite après nager sur une distance de vingt mètres.
L’entraînement est dur. Durant ces six mois, il s’agit de se mettre dans la meilleure forme physique tout en réussissant bien aux études. Les gars ont des cours d’histoire militaire et les grandes batailles, d’histoire du Canada et sa participation aux différentes guerres. Ils reçoivent quelques notions de stratégie Il parcourt la géopolitique mondiale. Ils apprennent à reconnaître les différents  types armes. Ils apprennent la discipline et elle devient un automatisme pour eux. Stéphane doit souvent faire de gros efforts de mémorisation pour tout retenir. Il constate avec un mélange de déception et d’orgueil, que de temps en temps, l’un de ceux qui avait commencé en automne avec lui a abandonné, ou pire a été renvoyé chez lui.
 Lui, il persévère dans ses études, termine son secondaire et complète une formation de mécanicien.  Son « instruction de base » est en voie de se terminer. Lorsque instructeur lui fait passer l’évaluation finale, il peut aussi bien et même mieux que certains de coéquipiers effectuer les exigences qui lui sont demandées : une marche forcée de treize kilomètres en tenue de combat complète sur des terrains accidentés, courir jusqu’à six kilomètres, réussir des tests poussés d’extensions des bras et de redressements assis, réussir des tests de natation, et enfin escalader des murs et traverser des fossés dans le cadre de courses à obstacles. Il réussit toutes les épreuves haut la main, même celles de natation. Il devient fantassin.
Bientôt, lui et son nouveau bataillon, reçoivent de leur colonel la nouvelle tant attendue : pour leur première opération ils seront envoyés en Haïti, pour maintenir l’ordre après le tremblement de terre et aider à la reconstruction du pays. Le  cœur battant, il voit le jour du départ approcher. Ce jour-là, ces parents viennent lui dire au revoir. L’un et l’autre le sert dans ses bras. Son oncle Jean-Guy est venu aussi. Il lui sert la main en homme et lui dit à quel point il est fier de lui.
-Fais honneur à l’uniforme que tu portes.
L’orchestre joue l’hymne national que tous les soldats et les membres des familles entonnent en chœur.
Stéphane part à la découverte du monde. Il n’avait jamais pris l’avion auparavant. Au décollage, il est un peu nerveux, surtout que les quatre puissants moteurs du pesant CC-130 Hercules vrombissent bruyamment et que l’avion même semble vibre de toutes ses tôles. Le vol dure quatre heures. Stéphane se détend un peu grâce à l’entrain des autres soldats et aux encouragements des anciens, mais il ne peut rien avaler. Le sergent insiste et il prend quelques bouchées du poulet BBQ qu’on leur a servi. Il passe son temps à regarder par les hublots essayant d’apercevoir soit la terre soit la mer.
L’atterrissage est un autre moment stressant. Stéphane a mal au cœur et on distribue à la troupe de la gomme à mâcher. Quand il sort de l’avion il ne peut s’empêcher de tirer la langue à cause de la chaleur suffocante. Mais tout de suite on les appelle pour le déchargement des vivres, du matériel, des armes et des munitions, de l’équipement médical, des bagages personnels… Puis la troupe s’entasse dans des camions et le long cortège se rend au camp.
Stéphane se retrouve dans un contingent qui comprend aussi des Belges et des Congolais; tous des soldats qui parlent français.
-Soldats ! Bienvenue au camp de base de la MINUSTAH. La MINUSTAH a été établie le 1er juin 2004 par la résolution 1542 du Conseil de sécurité. Cette Mission de l’ONU a succédé à une force multinationale intérimaire qui avait été autorisée par le Conseil de sécurité en février 2004 après le départ en exil du Président Bertrand Aristide au lendemain d'un conflit armé qui s’était étendu à plusieurs villes du pays. Le tremblement de terre dévastateur du 12 janvier dernier a fait plus de 220 000 morts, dont 96 personnes employées par l'ONU. Le 19 janvier, le Conseil de sécurité, dans sa résolution 1908, a approuvé la recommandation du Secrétaire général portant sur l'augmentation des forces de la MINUSTAH sur le terrain pour aider ce pays à se relever, à se reconstruire et à retrouver le chemin de la stabilité. Depuis la MINUSTAH s'est employée à continuer d'exercer son mandat , consistant à : restaurer un climat sûr et stable; appuyer le processus politique en cours; renforcer les institutions gouvernementales et les structures d'un État de droit; promouvoir et à protéger les droits de l'homme à Haïti.
Quel contraste entre le campement et la pauvreté environnante ! Des familles entières vivent dans des camps de tentes, sans aucun confort, sans eau courante, attendant la construction de leur maison. Et il y a des enfants partout ! Cette mission en Haïti n’a pas un très haut niveau de  risques; c’est un peu comme faire la police, mais avec une autorité reconnue par tous.
Les officiers disent au régiment de Stéphane qu’ils représentent l’autorité des Nations-Unies et les valeurs du monde libre. Leur mission sera d’aider un peuple accablé à se relever vers la liberté et la prospérité. Ils auront à patrouiller les rues de Port-au-Prince et les environs pour réduire les pillages, à contrôler la sécurité des camps de réfugiés, à aider à la construction d’hôpitaux, d’écoles et de bâtiments administratifs, à transporter des denrées de premières nécessité tout en maintenant des contacts avec la population locale basés sur le respect et la justice.
Stéphane fait ses premières expériences sexuelles, entraîné par le reste de son groupe dans des lieux consacrés à cet effet. La jeune fille qui l’attend dans la cambre a de jolis traits. Elle est à demi-nue et sa peau – toute noire ! – est légèrement humide de sueur. Ces seins sont tout ronds, plantureux. En quelques minutes tout est terminé. Mais les fois suivantes, il saura en profiter davantage.
Stéphane apprend à boire aussi, de la bière surtout et du rhum qui coule en abondance. Il se met à fumer également. Dans se moments libres, Stéphane fait un peu de musique avec un groupe improvisé; il se défoule sur sa guitare. Il écrit à sa famille, il envoie des photos. Cette première mission doit durer un an. Après six mois, il a droit à un congé de trois semaines.
Quand ses parents le voient à l’aéroport, ils n’en reviennent pas. Il a tellement changé ! Il est transformé ! Plus posé, plus sérieux. Plus costaud bien sûr. À la maison, son frère antimilitariste le nargue, mais Stéphane sait comment lui  répondre et comment ne pas répondre.
Il sort dans les bars de son quartier avec d’anciens amis. Il retrouve Ken et Louis. Pinotte, lui, est parti « faire de l’argent » en Alberta. C’est lors de l’une de ces soirées qu’il rencontre Julie.
« Qu’est-ce que tu fais dans la vie ?
-Je suis militaire.
Plus qu’impressionnée, elle ouvre de grands yeux.
-As-tu déjà été blessé ?
Sans se faire prier Stéphane lui raconte ses « exploits », tout en sirotant une bière. Ils parleront longtemps et passeront la nuit ensemble. Quand il repart pour sa base à la fin de son congé pour s’en retourner en Haïti, ils se promettent de s’écrire chaque semaine. Ce qu’ils feront.
-Vous vous demandez peut-être quelle influence aura la carrière dans le domaine militaire que vous avez choisie sur votre famille. Quand ils ne participent pas à un exercice d’entraînement ou à une opération, la plupart des militaires travaillent des journées régulières de huit heures, avec du temps libre après le travail pour passer avec la famille et les amis. Vous aurez la possibilité de louer des logements sur la base, ou d’acheter ou louer une maison dans les environs. Comme dans n’importe quel autre emploi, vous voudrez sûrement avoir une maison qui réponde aux besoins et au budget de votre famille.
Stéphane revient d’Haïti. Lorsqu’il est affecté à la base de Petawawa en Ontario, quelques mois plus tard, Julie et lui se marient pour pouvoir être ensemble. Elle le suit et s’installe avec lui sur la base dans un appartement qui devient le leur. Une Zoé leur naîtra l’année d’après.
-Vos enfants auront toujours accès aux meilleures écoles, soit sur la base ou dans les environs. Ici encore, le choix des écoles pour vos enfants est toujours le vôtre. Et quand vous déménagez, ils continueront d’obtenir la même qualité d’éducation quel que soit le pays ou la province où vous serez affecté.
Au printemps, Stéphane et son régiment sont envoyés dans la région du Richelieu où l’état d’urgence a été déclaré à cause d’inondations dévastatrices. Ils remplissent des sacs de sable, construisent des digues, portent secours aux sinistrés, aident au nettoyage et à la reconstruction. Les gens leur apportent du café, des sandwiches; ils veulent se faire prendre en photo avec les soldats.
Pour sa deuxième mission, Stéphane est envoyé en Afghanistan. Julie vient tout juste de lui apprendre qu’elle est de nouveau enceinte. Ça lui tente moins de partir, mais ce sont les ordres. Les adieux sont beaucoup plus difficiles cette fois-ci.
-Les Forces offrent également plusieurs programmes pour aider votre famille quand vous êtes déployé ou affecté à une mission d’entraînement loin de la maison par l’entremise de son réseau de centres de ressources pour les familles de militaires. On en trouve un sur chaque base canadienne : ces centres sont dotés de professionnels formés pour aider à répondre aux besoins de votre famille. Ils offrent également des services comme des services d’orientation professionnelle pour les conjoints, et des programmes de garderie et de loisirs pour les enfants.
Les but des forces armées canadiennes en Afghanistan est de déloger les groupes terroristes d’al-Quaïda. Elles sont déployées dans la région de Kandahar.
-Sous le régime des talibans, il était interdit aux filles d’aller étudier; les femmes n’avaient pas le droit de travailler, de sortir de la maison sans être accompagnées de leur mari, de recevoir des soins. Elles devaient toujours porter la burqa en public. Elles pouvaient être battues si leurs chevilles étaient visibles; elles étaient lapidées si elles avaient des relations sexuelles hors mariage. Pour les punir, on pouvait leur couper les lèvres, les oreilles, les violer publiquement, ou autres violences en tous genres. Les viols de masse restaient impunis. Le cinéma et la musique étaient interdits. Il était interdit de rire en public. Il faut en venir avec cette barbarie.
Les soldats canadiens ne restent pas inactifs. Les premières semaines, ils doivent s’habituer au climat; il y a de la poussière partout. Ils ont des cours intensifs pour apprendre l’histoire du pays, quelques rudiments de la langue pachtoune. L’une de leurs tâches principales est de s’occuper de l’hôpital de Kandahar. Les jours et les patrouilles se suivent mais ne se ressemblent pas : une journée à serrer des mains, l’autres à essuyer des coups de feu.
Un après-midi, tout est plus calme que d’habitude. Est-ce le calme avant la tempête ? Pendant un halte, à l’ombre d’un édifice à demi en ruine, Stéphane sort de sa poche son petit harmonica et joue quelques notes de Sur le pont d’Avignon. Ce qui a instantanément un effet magique. En quelques instants, deux dizaines d’enfants se rassemblent autour de lui en se donnant du coude. Ils rient à ces sons étranges à leurs oreilles. En un concert improvisé, Stéphane joue Meunier tu dors, Le tournesol, Do, le do… Les autres soldats vont le guet, mais il n’y a rien de suspect. Stéphane vit comme un rêve. L’appel du rassemblement le ramène à la réalité.
« Ça s’appelle un harmonica.
Les enfants se débandent; sauf un petit garçon qui regarde intensément son harmonica.
« Tu le veux ? Tiens je te le donne; j’en rapporterai un autre de mon pays.
L’enfant se sauve son trésor dans ses mains.
En Afghanistan, Stéphane va connaître la vraie guerre; celle des bruits, des explosions, des tirs, du feu, des cris, de la peur au ventre, des morts, des ordres hurlés que personne ne comprend. La tâche de son unité est de participer à la construction d’une route en dur de Kaboul à Kandahar, la troisième  plus grande ville du pays : un parcours de 80 kilomètres. Les routes de terre sont excellentes pour les attentats et celle-ci doit être asphaltée coûte que coûte. Les anciens énumèrent aux nouveaux la longue des dangers qui les guettent.
À sa deuxième sortie, le véhicule blindé dans lequel il se trouve saute : un pneu a éclaté.  Stéphane est légèrement blessé. Il passe deux jours à l’hôpital. Son commandant vient le voir pour le féliciter et l’aumônier pour le réconforter. Chaque jour les soldats surveillent et protègent les travailleurs. Le travail n’avance pas vite.
 Un autre jour, alors qu’ils marchent l’un derrière l’autre, à quelque distance du chantier. Stéphane, voit son ami Benoît sauter sur un mine antipersonnel et éclater en morceaux à quelques mètres en avant de lui. Il hurle, il tire dans tous les sens, il appelle à l’aide. La patrouille cherche les coupables dans les villages voisins. Stéphane est comme enragé. Les soldats défoncent des portes, des civils sont tués, ils tirent sur des enfants. On fait des prisonniers. Stéphane est légèrement blessé une deuxième fois. Il est rapatrié pour une permission. Il retrouve sa Julie, sa petite Zoé, et le bébé Coralie. Il essaye de refaire le plein d’énergie, mais il doit repartir avant.
En Afghanistan, ces supérieurs le remarque pour son calme et la pugnacité qu’il déploie. On lui offre de faire partie de la FOI : Force opérationnelle interarmées.
-La Force opérationnelle interarmées est une unité d’élite composée d’un personnel choisi selon des critères bien particuliers. Les forces armées canadiennes lui confient des missions de confiance qui nécessitent de la détermination et une rigueur sans faille la rigueur devant être réussies avec discrétion.  On n’accepte pas le défaite.
Après un entraînement particulier Stéphane est intégré dans la FOI. Il doit apprendre toute une série de codes à utiliser tant dans les communications en mission que dans ses rapports. Il sait manier de nouvelles armes, plus sophistiquées. Durant les deux dernières années de sa mission, son quotidien sera de trouver des renseignements à tout prix, quitte à de torturer les prisonniers au besoin. C’est le prix de démocratie et de la liberté.
Mars 2014 marque le départ des derniers soldats canadiens du sol afghan. Sur quarante mille soldats canadiens déployée, 158 morts. Une guerre qui a duré douze ans et qui n’est pas terminée. Les trois dernières années sont consacrées à la formation des troupes locales. C’est vrai qu’aujourd’hui 24% des filles (par rapport à seulement 0,5%) et 60% des enfants au total vont à l’école, mais tout cela est bien fragile. Un conflit qui aura couté plus de vingt milliards de dollars. C’est la peur au ventre que la population voit partir les soldats étrangers.
Stéphane revient de la guerre; il se sent fatigué d’une lassitude qu’il refoule. Il retrouve sa petite famille sans joie. Il reste tout la journée à regarder la télévision, remâchant ses souvenirs, étouffant ses émotions. Il essaye de faire un peu musique, mais il n’a plus la dextérité qu’il avait, et d’ailleurs ça ne lui dit plus rien. Il est bien allé trois ou quatre fois aux séances de décompression et de soutien psychologique animées par des travailleurs sociaux, mais sans que cela lui vraiment effet. Il n’y a que l’alcool qui le soulage quelque peu. La drogue, il n’aime aps trop ça.
 Le 9 mai 2014, la population canadienne est appelée à une commémoration.
-Depuis octobre 2001, plus de 40 000 membres des Forces armées canadiennes et civils ont été déployés en Afghanistan afin de promouvoir la sécurité, le développement et la gouvernance. Malheureusement, plusieurs Canadiens ont consenti l’ultime sacrifice pour atteindre ces objectifs, et plusieurs autres ont été blessés dans l’exercice de leurs fonctions. Aujourd’hui, partout au Canada, nous honorons la mémoire de ces hommes et ces femmes et rendons hommage à ceux et celles qui sont revenus. Rassemblons-nous pour observer, partout au pays, deux minutes de silence pour rendre hommage aux hommes et aux femmes qui ont perdu la vie ainsi qu’à ceux et celles qui sont revenus.
Stéphane y est allé à contre cœur. Sur le chemin du retour, il garde une mine renfrognée. Julie ose une remarque.
-Peut-être que tu souffres  du "syndrome post-traumatique", lui suggère Julie un matin où il se sent plus déprimé encore. Tu ne serais le seul : 17% des soldats en souffrent, tu sais. J’ai entendu parler d’un organisme, les Wounded Warriors, qui s’occupe de ça. Ça pourrait t’aider à passer par-dessus.
Cette réflexion fait bondir Stéphane hors de ses murs de silence.
-Jamais j’irais là ! Tu comprends rien, toi. Si j’ vais là les officiers vont dire que je suis malade et j’vais tout perdre; j’vais tout perdre ma pension. Ils peuvent même me mettre dehors. T’auras plus rien pour vivre. C’est ça que tu veux ?
Alors c’est l’escalade : les cris succèdent aux sautes d’humeur et les menaces vont place aux crises de colère. Il se fâche contre Julie; pour un rien il s’énerve contre les filles. L’ambiance à la maison devient toxique.
Quand Julie raconte les déboires à sa sœur au téléphone celle-ci ne peut s’empêcher de  la mettre en garde. Julie le défend : « C’est qu’une mauvaise passe. Il va passer au travers. »
-Tu le défends encore et tu ne veux pas voir la vérité; ça devient dangereux pour vous trois.
 -Jamais il ne menace les enfants; et je sais que jamais il ne me touchera.
-On dit ça, jusqu’à l’inévitable…
L’inévitable se produit.

Alors que Julie est partie se promener dans les rues du petit quartier familial, par une  belle journée de juin ensoleillé, avec Zoé et Coralie, Stéphane prend son arme de service et guette son retour. Julie revient avec les enfants. Il entend la porte d’entrée s’ouvrir. Juste au moment où Julie pénètre dans le salon, Stéphane se tire une balle dans la tête.

lundi 15 septembre 2014

Haïti chérie

Je ne suis allé qu’une seule fois en Haïti, c’était en 1981; le pays était encore sous le régime de Duvalier. J’y suis allé dans le cadre d’une visite organisée de membres de mon Église pour aller observer la situation sur place auprès de communautés chrétiennes et de pasteurs. Puis nous devions faire rapport, au retour, de ce que nous avions vu dans un but de conscientisation, dans nos différents milieux. Le groupe était formé de douze personnes de toutes les régions du pays; la leader s’appelait Kathryn. Je me souviens que non seulement, j’étais le plus jeune du groupe, mais j’étais aussi le seul francophone au milieu d’anglophones. Je savais donc que je servirais d’interprète tout au long du voyage.
J’ai toujours aimé voyager, j’ai toujours aimé découvrir de nouveaux coins de ce vaste monde. S’il fallait aujourd’hui que je fasse le décompte de tous les pays que j’ai visités, je dépasserais certainement la trentaine. À chacun de mes voyages, j’essaye toujours de voir deux ou trois endroits différents. Avant ce séjour en groupe dans « la perle des Antilles », j’étais donc parti visiter des connaissances en Floride, qui m’ont amené jusqu’à Key West; ensuite, avec ma tente et mon sac de couchage, j’ai fait  du vrai camping sauvage en Jamaïque. Au terme de ces trois semaines, je devais partir pour Haïti. Les horaires de vols d’avion ont fait que je suis arrivé en Haïti deux jours avant le groupe. Ainsi, j’avais deux jours devant moi, juste pour moi.
Nous allions loger, durant notre temps passé à Port-au-Prince, au l’hôtellerie de Saint-Vincent, une école pour enfants handicapés tenu par une communauté de sœurs catholiques. J’y suis arrivé en taxi de l’aéroport tout juste avant midi. On ne m’attendait pas avant deux jours, mais on m’accueille quand même et  je peux m’installer pour attendre le groupe. Je découvre une chambre extrêmement bien entretenue et méticuleusement rangée. Après m’être rafraîchi, je descends manger au réfectoire. Là, je trouve quelques étrangers, notamment un pianiste américain, Derek, un solitaire original qui enseigne la musique aux enfants de l’école. Nous aurons plusieurs conversations passionnantes ensemble dans les jours suivants et nous nous lierons d’amitié, si bien que nous resterons en contact de nombreuses années après mon retour au pays.
Après une petite sieste durant les grosses chaleurs de l’après-midi, je décide de faire un tour en ville. On bien m’avertit de faire attention, d’être prudent et de refuser toute proposition de quelque trafic que ce soit, de ne jamais accepter de me charger d’une lettre ou d’un colis.
La toute première chose qui me surprend en arrivant en Haïti, c’est l’odeur : odeur de terre, odeur de détritus en décomposition, exhalations d’eaux croupies, d’excréments, de transpiration des corps sous la chaleur suffocante. Nous sommes à moins de cinq cents mètres de la mer, mais je ne sens aucun relent d’air marin.
À peine ai-je mis le pied dehors que je suis assailli par les marchands ambulants qui m’offrent à boire et à manger, qui me vantent leurs chapeaux, leurs casquettes, leurs vêtements, qui exhibent des cigarettes, des briquets, qui me proposent des piles électriques, des jouets en plastique, des billets de loterie…
Un jeune homme s’approche de moi et m’aborde en un français impeccable. Il me demande d’où je viens et je réponds que je n’ai besoin de rien.
« Même pas d’une jolie fille ?
-…
-Hey, tu ne cherches pas une jeune fille pour te tenir compagnie ? Celles que je te propose sont belles et brûlantes. Tu auras le choix. Elles n’attendent que toi !
-Non merci, ça ne m’intéresse pas.
-Vraiment ? Dommage ! Si jamais tu changes d’avis, tu n’auras qu’à me faire signe. Tu me trouveras facilement. J’ai beaucoup de clients dans le coin.
Ce que je veux c’est me promener un peu dans les rues de Port-au-Prince. Je longe la rue Paul VI et je me demande si ce pape savait qu’il y avait une rue à son nom ici. De nombreuses femmes foulards sur la tête se servent du trottoir comme étals et y vendent en portions individuelles du riz, des fèves, des noix, des fruits. D’autres préparent des repas à cinq gourdes sur des réchauds de charbon de bois, appelant les clients potentiels à la cantonade. Des personnes mendient ou dorment sur ces mêmes trottoirs, des enfants y meurent. Je vois des chiens efflanqués qui  se disputent un morceau d’os. Est-ce qu’on peut parler de misère humaine ?
Je bifurque vers le monument du Bicentenaire au milieu d’une cohue bruyante et animée. Je suis happée  par une fourmilière bigarrée et colorée sans cesse en mouvement; une fourmilière d’hommes et de femmes, de jeunes, qui déambulent tous, ou presque, portant leurs charges, sac sur le dos ou ballot sur la tête, paquets brinquebalants sur les ânes ou les charrettes, amoncellements de boîtes sur les vélos. Bien d’autres attendent qu’un taptap bariolé de couleurs évangéliques s’arrête et les mène à destination. Où vont-ils ? Où vont-ils donc tous ?
Je traverse le grand Parc de la Place Jean-Jacques Dessalines, le grand héros de la Révolution de 1804, premier empereur d’Haïti sous le nom de Jacques 1er et assassiné en 1806. En face se trouve l’imposant et tout blanc Palais présidentiel; un palais présidentiel sans président car celui-ci n’y met jamais les pieds. Plus loin s’étend le quartier populaire de Pétionville que je découvrirai dans les jours qui viennent tout comme l’immense Bidonville de Cité-Soleil.
Je prends quelques photos et je reviens vers Saint-Vincent par le même chemin.
Une fille me touche doucement le bras.
-M’sieur
Sa peau est douce et ses lèvres pulpeuses; elle est assez jolie avec son léger maquillage. Ses cheveux sont bien mis. Elle porte une robe légère sans manches qui laisse deviner la généreuse rondeur de ses seins. Elle m’implore des yeux. L’invitation est évidente. Elle a seize ou dix-sept ans, mais c’est dur de dire exactement. Qu’est-ce que je peux faire pour elle ? Je sais bien qu’elle a besoin d’argent, peut-être pour nourrir ses jeunes frères et sœurs et pour que personne ne meure de faim aujourd’hui. Que dois-je faire ?

Je passe mon chemin et je rejoins ma chambre. Troublé, j’attends l’heure du repas du soir. 

lundi 8 septembre 2014

Des rues pleines d’enfants

                Il y a une ville au Sud, où je suis déjà allé, où les rues sont pleines d’enfants.               
*
*     *
Jose, Marco, Dario, Pepe, Enrique, Hermione, Rosa, Grita, Alicia, Claudio et Vanda, sont tous membres d’une même bande. Et c’est Jose, le chef de la bande.
Jose ne peut se souvenir du jour où il a commencé à vivre dans la rue; cela fait bien trop longtemps. Peut-être avait-il quatre ans, peut-être moins. Il aurait beau chercher, il n’a aucun souvenir d’avoir jamais vécu dans une vraie maison. Il a toujours vécu dans la rue. Avant il y était avec son grand frère Paulo, mais celui-ci a été tué et il est resté seul. En fait, il n’était pas seul, il était dans la bande de Djego. Mais ce dernier s’est fait recruté l’année dernière par un caïd et il fait maintenant partie des grands. C’est donc, Jose, le plus âgé qui a pris la relève, et à douze ans, il sait se faire obéir sans toutefois faire le dictateur. Il doit se faire obéir parce que ni lui ni les membres de sa bande n’ont le choix. Tout le monde dans sa bande sait que qu’il est essentiel de s’aider pour survivre, et que c’est d’ailleurs la seule façon de survivre. Tout le monde doit faire ce qui lui est dit, chacun doit apporter sa contribution, même le petit Claudio, le plus jeune de tous. Il a été recueilli par Hermione alors qu’il errait tout seul dans le marché. Quand Jose l’a appris, il n’était pas très content : il faudra le nourrir ce petit ! Finalement, les filles ont dit qu’elles « travailleraient » un peu plus pour rapporter sa part et Jose avait dû s’incliner.
Survivre au jour le jour… c’est le sempiternel recommencement des enfants de la bande de Jose. Le quotidien consiste essentiellement à faire en sorte qu’on se couche le soir sans avoir le ventre creux. La bande de José s’est trouvé un lieu près d’un dépotoir pour passer la nuit où finissent de rouiller des bidons  d’essence jetés là un jour par un revendeur anonyme. C’est dans ces bidons qu’ils s’allongent et qu’ils dorment. Ils y sont en relative sécurité. On assure quand même une veille constante, on ne sait jamais. Il faut constamment demeurer aux aguets. Une autre bande, ou encore la police même si c’est moins probable, ou des chiens, ce qui est nettement le plus dangereux, pourraient surgir. Si la nuit dans des bidons est pleine de bruits, de mystères et de mauvais rêves, le jour, lui, est une lutte sans fin et sans merci pour sa survie.
La vie est-elle dure pour ces enfants ? Personne ne se pose la question. Toute la journée, de l’aube au crépuscule, pieds nus, en haillons, au coin de rues qui leur a été assigné, ils s’astreignent à récolter le butin qu’ils doivent rapporter. Ils mendient, ils quémandent, insistent auprès des passants, harcèlent les touristes. Quand ça ne marche pas très bien, ils maraudent, ils vont des petits vols, des larcins, ils grappillent de la nourriture; ils fouillent dans les poubelles. Ils se débrouillent avec toutes sortes de magouilles; ils rançonnent les automobilistes qui viennent se stationner sur leur rue. Parfois ils trouvent des petits travaux, comme la vente de cigarettes volées. Tout ça en jouant au chat et à la souris avec tant les policiers, que les milices et les agents de sécurité privés que les commerçants engagent. Alors il faut changer de rue ou quartier, mais c’est difficile, et dangereux, car chaque bande a son territoire qui est sa chasse-gardée, et ça joue dur pour le conserver. Ils courent le risque se faire tabasser en s’approchant trop d’un territoire qui n’est pas le leur. Et le soir, dans leur refuge de vieux bidons, ils rapportent leur récolte, l’argent ou les denrées qu’ils ont réussi à ramasser, à glaner. Car on partage tout dans la bande. José est intransigeant sur ce point. Bien sûr, on peut ronger un noyau de mangue à midi, mais on rapporte tout et on met tout en commun. José sépare en parts équitables la nourriture recueillie et compte l’argent. Pendant que les filles préparent un semblant de table, il envoie deux garçons faire les courses avec l’argent récolté pour compléter le repas du soir et le maigre petit déjeuner du lendemain.
Pour la plupart, ces enfants ont été battus, violentés, et même chassés par leurs parents, tout simplement jetés à la rue. La plupart ne savent même pas qui sont leurs parents. Comme ils n’ont jamais été inscrits nulle part à la naissance, ils n’existent pas ; si en fait, pour les autorités ils existent comme une vermine dont il faut se débarrasser les rues de la ville. Les filles sont particulièrement à risque, plus faibles, plus vulnérables, plus désirables. José en est conscient et dans la mesure du possible, il essaye de protéger les filles de sa bande en ne les envoyant pas sciemment, par exemple, couvrir les coins les plus dangereux.
Ce sont justement deux de ses filles qui accourent vers lui à toute allure ce jour-là, alors qu’il fait le guet près du marché. « C’est anormal, se dit-il; il a dû se passer quelque chose. » Ce sont Hermione et Grita.
« Jose !! Jose !, crient-elles à bout de souffle. Elles pleurent, tout en émoi.
-Qu’est-ce qui s’passe ?
-C’est Claudio ! C’est Claudio ! Il est mort !
-Quoi ? Claudio ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
-Raconte Grita…
-Nous étions près des boulevards et nous gardions les voitures. Et il est arrivé une voiture avec un gros homme dedans et il voulait pas payer pour la protection. Alors Claudio s’est mis devant lui, et tu sais comment il fait quand il veut faire le "méchant", il met ses poings sur ses hanches comme ça, et il a fait les gros yeux au gros homme. Mais celui l’a repoussé avec son bras et Claudio, tout petit qu’il est, est tombé et a roulé dans la rue et juste à ce moment-là une autre voiture est passée et elle l’a frappé. Et il est mort !
-Alors, comme les filles ne savaient pas trop quoi, Alicia est restée là-bas et Grita est venue me chercher.
-On y va tout de suite.
Les trois enfants retrouvent Alicia assise par terre qui pleurniche avec la tête du corps inanimé de Claudio sur les genoux. Jose se penche vers lui; il voit la mare de sang.
-Claudio…
-Sniff… il n’y a plus rien à faire, pleurniche Alicia. La voiture l’a frappé à la tête et ne s’est même pas arrêtée. Et le gros homme, lui, quand il a vu ça il est parti à toute vitesse ! Pffoui !
Après un moment, Jose demande aux filles :
-Est-ce que vous savez qui c’était ?
-Non, tout ce que je peux dire c’est qu’il devait être assez riche : il avait une montre grosse comme ça et des bagues plein les doigts.
-Et il portait un drôle de chapeau !
-Oui, c’est vrai ce que tu dis Grita. Il avait un chapeau qu’on voit dans les films.
-Un chapeau de cow-boy ?
-Oui, je crois.
-Et sa voiture comment elle était ?
-C’était une grosse voiture… et elle était jaune.
Jose réfléchit.
                -Bon, on ne peut rien faire de plus pour l’instant. Essayons de trouver une couverture pour transporter le corps de Claudio.
                -Qu’est-ce qu’on va faire ?
-On va l’amener chez Padre Eduardo. Peut-être qu’il pourra l’enterrer…
Padre Eduardo est curé à l’église Nuestra Segnora de la Misericordia à quelques rues de là. Le samedi les femmes de la paroisse offrent sur le parvis de l’église un repas chaud aux miséreux du quartier. Et lorsque l’un des enfants a besoin d’une robe ou d’une chemise de rechange, l’une d’elle fouille dans des sacs de linge et trouve ce qu’il faut.
-Nous voulons parler au Padre ! C’est Claudio qui a été tué et on voudrait que le Padre l’enterre au cimetière.
-Allez jouer plus loin ! répond Juan Cherro le bedeau.
-Non ! Nous voulons parler au Padre !
-Oui ! C’est très important. Dites-lui que ce sont des enfants qui veulent le voir.
-Revenez plus tard, le Padre
-Mais on vient pas pour jouer, on vient pour un enterrement !
-C’est ça, il faut enterrer Claudio.
Juste à ce moment-là, ses dernières confessions faites, Padre Eduardo vient prendre un peu d’air sur le parvis.
-Padre ! Padre !
-Qu’y a-t-il les enfants ?
-Padre ! Claudio a été tué et on voudrait le faire enterrer dans le cimetière.
-Claudio a été tué ?!
-Oui, c’est une voiture qui l’a frappé et il est mort !
-Mes enfants, je ne peux pas l’enterrer dans le cimetière. Je n’en ai pas le droit.
-Mais qu’est-ce qu’on va faire alors ? On ne peut pas le jeter ni au dépotoir, ni dans la rivière !
-Non évidemment.
-Padre; si je peux me permettre, il y a un petit coin en friche tout au fond du cimetière. Personne n’y va jamais et le sol est trop pentu pour poursuivre le cimetière.
-Oui, c’est une bonne idée. Écoutez les enfants; laissez Claudio ici, et revenez ce soir.
-C’esr sûr que vous allez l’enterrer, Padre.
-Oui, revenez ce soir.

*
*     *

-Qu’est-ce qu’on va faire en attendant ?
-Maintenant on va tous se mettre ensemble et on va retrouver ce salaud qui a tué Claudio !
-Mais comment on peut faire ? On ne peut pas chercher dans toute la ville.
-Ben, nous sommes déjà dix, et on peut demander de l’aide. Les autres bandes d’abord; et puis il y a Djego aussi. Il faut qu’il nous aide…
Sans difficulté, Jose retrouve Djego.
-Jose !... Et Grita ! Ça fait longtemps que je ne vous ai pas vus. Hey, Jose, tu es un vrai chef maintenant !
-On a besoin de toi, Djego. Quelqu’un a tué le petit Claudio et on veut que tu nous aides à le retrouver.
-Écoute, voilà ce que je peux faire : quand tu le retrouveras, appelle-moi ! Moi et les gars on surveillera les environs.
-Ça parfait Djego !
Tout l’après-midi, Jose et Grita font le tour des autres quartiers. Le plus souvent ils sont accueillis avec hostilité et animosité. Mais Jose connaît les chefs des divers groupes et répète à chaque le but de la collaboration qu’il recherche.
- On a besoin de toi. Le plus petit d’entre nous, Claudio, s’est fait tuer et nous voulons retrouver celui qui l’a tué. Vas-y Grita, dis-nous ce que tu sais.
-Il avait une montre grosse au poignet et des bagues plein les doigts. Et il portait une sorte de chapeau de cow-boy.
-Et il a une grosse voiture jaune.
-Et où est-ce que ça s’est passé ?
-Près des boulevards.
Graduellement, les enfants des autres bandes se mettent à parcourir les rues de la ville en tous sens.
Vers 16 heures, quelqu’un accourt.
-Venez, venez, on l’a trouvé !
Ils n’ont pas très loin à aller. Devant un salon de coiffeur, ils voient une grosse voiture jaune. À l’intérieur il y a plusieurs clients et l’un d’eux est en train de payer et s’apprête à payer.
-Vite, il faut rassembler tout le monde ! Vite, dépêchons-nous ! Allez prévenir Djego !
En quelques instants des dizaines d’enfants de tous âges se sont dissimulés dans tous les recoins de la rue. L’homme au chapeau sort de chez le coiffeur. À peine a-t-il fait quelques pas sur le trottoir qu’il est entouré par une cohorte hurlante d’enfants qui le bousculent, le houspillent, le chahutent; ils s’accrochent à ses vêtements qui se déchirent. Les enfants de la bande de Jose sont aux premières loges. L’homme se défend, il peste, il riposte, donne des taloches, des claques, de coups de poings et de pieds, mais les enfants s’agrippent à ses jambes, à ses bras, défont ses lacets. Il y a des enfants partout, il n’a aucun échappatoire. On le frappe au bas-ventre. Il est immobilisé. Il crie, il hurle, il appelle à l’aide, mais personne n’ose répondre : les hommes de Djego sont bien en vue. Péniblement, l’homme parvient jusqu’à sa voiture. Il attrape une poignée et réussit de peine et de misère à ouvrir une porte, mais les enfants sont sur lui; ils le frappent avec toutes sortes d’objets, ils le griffent, ils le piquent, ils le pincent, ils le mordent, ils lui tirent les cheveux, ils lui plantent les doigts dans les yeux. L’homme s’écroule dans sa voiture, ensanglanté, à demi-inconscient. Marco et Dario lui font les poches, lui enlève ses bagues et sa montre. Jose s’approche et avec une grosse pierre il lui fracasse le crâne. Tout est fini.
-Vite ! On s’en va !
Tous les enfants s’éparpillent, se dispersent dans toutes les directions et en quelques secondes, ils ont disparus. La rue est déserte. Cela prendra une bonne demi-heure avant que la police arrive.

                À la tombée du soir, la bande de Jose sont réunis autour du Padre Eduardo au fond du cimetière. Quelques autres enfants sont venus aussi. Et Juan Cherro est là également, une pelle à la main. Le Padre termine une courte cérémonie.
-Dieu d’amour et de tendresse, Dieu père de tous les enfants de la terre, aie pitié de nous et accueille ton enfant dans ton amour... Repose en paix, Claudio.
Alors Alicia et Grita prennent une poignée de terre et la jette en reniflant sur le petit tombeau de Claudio; ensuite Hermione et Rosa les imitent. Enfin, tous les enfants s’y mettent et avec leurs mains avec leurs pieds, presque rageusement, font basculer le tas de terre pour combler la fosse.

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*     *
Il y a une ville au Sud, où je suis déjà allé, où les rues sont pleines d’enfants.               




lundi 1 septembre 2014

Nous n’irons plus au bois

Nous n’irons plus au bois
marcher main dans la main,
nous n’irons plus au bois
les arbres sont coupés;
d’abord les grands pins blancs majestueux
et puis les autres,  pins rouges, pins gris
les épinettes argentées
les sapins, les pruches, les thuyas
et aussi les érables
les bouleaux, les peupliers, les trembles, les merisiers
les chênes, les ormes, les hêtres…
tous tous sans pitié
ils ont été coupés
tous tous il n’en reste plus
il n’en reste plus rien
tous tous abattus, rompus, pelés,
par de gigantesques mâchoires
d’effrayantes machines
tronçonneuses, ébrancheuses, déchiqueteuses
qui les ont tous happés
en ravageant la terre;
elles l’ont piétinée, agressée, crevassée
l’ont rouée, l’ont écrasée, broyée
la laissant toute noire, toute nue, défigurée
tout est mort, tout est laid

Nous n’irons plus au bois

                mon amour rêver