lundi 25 mai 2015

Le crime du dimanche des Rameaux
21

                -Répète un peu ce que tu viens de dire…
                -Ben… chef, j’ai dit que dans tous les appels que le pasteur avait fait avec son cell, il y avait un numéro qui marchait pas avec le reste : il y a cinq semaines, vendredi en soirée, il a téléphoné à une clinique d’avortement de Buckingham; c’est ça qui est ça.
                -Mais dis-moi une chose, Yannick; les avortements, ça ne se fait pas au CLSC ?
                -Vous avez tout compris chef. Il a effectivement téléphoné au CLSC de Buckingham, mais là il n’est pas passé par la réception, il a fait directement le numéro de l’extension pour la clinique d’avortement.
                -Comme s’il la connaissait d’avance.
                -Oui, c’est sûr; il a fait les dix chiffres du numéro du CLSC, et immédiatement après les trois autres pour la clinique d’avortement.
                -Merci Yannick, c’est du beau travail. Tu vas te mettre sur l’ordinateur maintenant ?
                -Oui, chef; je prends ma pose du diner, puis je commence.
                Paul raccroche et immédiatement téléphone à Roxane.
                -Oui, allo… Papa ?
                -T’es où ?
                -!!? Comment ça « T’es où ? »; tu parles comme les ados maintenant ?
                -Bien, qu’est-ce que tu veux ma fille, depuis que tu m’as converti au téléphone cellulaire je me sens rajeunir. Mais bon, dis-moi où tu en es…
                -Écoute, je ne peux te parler maintenant, je suis au garage…
                -Encore ! C’est bien long !
                -Non… j’ai trouvé ce que je voulais. Là je suis à l’autre garage chez Marc Desjardins.
                -OK, je te laisse, mais n’oublie pas d’aller retrouver Nancy Fournier cet après-midi; quand je suis passé au bureau de la municipalité, elle m’a prié de te dire qu’elle voulait te parler qu’elle, texto, « ne t’avait pas dit toute la vérité ».
                -Très bien; merci papa; je finis ce que je fais et j’y vais. Et toi, où en es-tu avec tes femmes ?
                -Elles vont bien mes femmes, et certaines plus que d’autres. Je te raconterai. Là je m’en vais vérifier quelque chose à Buckingham.

                En effet, Roxanne était maintenant dans le garage concurrent de chez Besson. Pendant la visite sur les lieux de l’accident avec Guy le chauffeur de la remorqueuse, elle s’était rendu compte que quelque chose clochait. Pourquoi avait-il eu un accident à cet endroit précis, et ce jour-là précisément ? Dans un tel endroit désert, isolé, par une belle journée d’hiver, où il n’y avait pas de tempête, pas de vent, et pas de glace sur le chemin ? On dirait qu’il l’avait fait exprès ou bien alors qu’il avait conduit comme un fou et avait perdu le contrôle. Mais ni l’une ni l’autre des hypothèses ne correspond au caractère du pasteur Sébastien St-Cyr. Et puis, surtout il y a les dommages sur sa voiture : comment l’aile gauche avait pu être défoncée alors qu’il est tombé sur le côté droit ? Plus de doute possible : on l’avait aidé. « Quelqu’un » était arrivé d’en arrière, l’avait dépassé, il ne devait pas rouler vite, et ce « quelqu’un » s’était rabattu sur le côté contre sa voiture ! Intentionnellement. Sébastien a dû avoir toute une frousse ! Peut-être a-t-il essayé d’accélérer, de s’enfuir... L’agresseur, un cas de rage au volant ? a dû recommencer, tant et si bien que la voiture du pasteur a fini par tomber dans le fossé. Son coup fait, ce « quelqu’un » s’est enfui et l’a laissé se débrouiller seul. C’est là que Sébastien avait téléphoné au garage chez Besson.
                Mais pourquoi n’avoir rien dit ? C’est incompréhensible ? Pourquoi est-ce qu’il n’a porté plainte ? C’est ce que tout le monde fait dans ces cas-là. Normalement. C’est une agression armée après tout, sinon même une tentative de meurtre. On a voulu le faire peur, lui faire mal, le blesser. Et il n’a rien dit. Même pas à Nancy. Surtout qu’il a très probablement du reconnaître son agresseur. Il savait c’était qui. À moins que c’était une personne d’ailleurs à qui on aurait passé un « contrat » ?... Voyons, ça ne tient pas debout. C’est du roman. Est-ce que c’est le même qui est revenu le voir, samedi soir ? Il y a de bonnes chances que ce soit le même; c’est possible oui. Pour lui faire peur une autre fois. Pour le faire partir ? Ou alors pire ? Pour le faire taire pour de bon ? Qu’est qu’il savait qu’il ne devait pas savoir ? Qu’est-ce qu’il avait vu ou entendu ou fait ? de si grave, pour mériter que quelqu’un souhaite sa mort, et même veuille le tuer ? Il y a du se passer quelque chose de grave au village. Les gens doivent le savoir; c’est un petit milieu; tout le monde connaît tout le monde.
                De retour au garage, Roxanne avait demandé à Alain Besson de pouvoir parcourir les registres de facturation des dernières réparations, sans lui dire exactement ce qu’elle cherchait. En fait, elle cherchait l’autre voiture. Si vraiment, comme elle en était convaincue, « quelqu’un » avait envoyé dans le décor, la voiture de ce « quelqu’un » avait aussi dû subir des dommages. Le contraire était impossible, les chocs avaient été trop violents. Peut-être y avait-il encore de débris sur la route. Ah ! je suis bête, je n’ai pas pensé à regarder plus attentivement la section de la route en détails. Il va falloir que j’y retourne. Décidément, après les éclats de la guitare, cette histoire est pleine de petits débris. Dans les registres de Besson, elle n’avait rien trouvé : aucune voiture n’avait été réparée pour des dommages à l’aile droite.
Alors Roxanne avait pensé à aller à l’autre garage, chez Marc Desjardins. C’est là qu’elle se trouvait quand son père l’avait appelée pour lui demander : « T’es où ? ». Le propriétaire s’était montré très aimable. C’était un jeune homme plein d’entregents, plus jeune qu’Alain Besson, dynamique, avec un beau sourire. Son garage était bien tenu, ce qui n’est pas toujours les cas. Il y avait un ordinateur portable bien en vue sur le comptoir. Ils s’étaient mutuellement charmés; ils avaient blagué. Et, surtout, Roxanne avait découvert ce qu’elle cherchait; avec les registres en fichiers électroniques, ça n’avait pris que quelques instants : oui, il avait fait la réparation de l’aile gauche d’un voiture, il y a un mois. C’était la voiture d’un certain Jérôme Abel.
-Merci beaucoup, Marc; tu m’as vraiment beaucoup aidée.
-Ah, c’est rien

                Pendant ce temps, Paul avait filé à Buckingham. Il s’était arrêté en vitesse dans un petit casse-croûte en passant par Notre-Dame-de-la-Croix s’acheter un sandwich et un café (Ah, il faut que j’arrête de boire du café !) qu’il avait ingurgités en conduisant. Il réfléchit tout au long du chemin jusqu’au CLSC. C’est Nancy qui se serait fait avorter ? Elle serait tombée enceinte de lui et ils n’ont pas voulu garder le bébé ? C’était trop compromettant ? Ce serait ça « toute la vérité » qu’elle n’a pas avouée à Roxanne sur le coup ? Et est-ce que c’est relié à son agression ? Quelqu’un l’aurait appris et n’aurait pas été content du tout de savoir que le pasteur avait batifolé avec une fille de la place ? Et qu’elle s’était fait avorter ? En 2015 ? C’est difficile à croire. Qui est-ce que ça pourrait être ? Un amoureux éconduit devenu jaloux ? Un ex-conjoint qui veut essayer de la reprendre ? Ce Popeye lui-même ? Peut-être que ça n’a aucun lien après tout… mais il faut quand même qu’il y ait un mobile.
Paul va directement à la réception.
                -Bonjour, je suis Paul Quesnel, chef du bureau de la SQ à Papineauville. Est-ce que je peux parler à la personne responsable.
-Je vous appelle l’infirmière-chef.
Quelques instants plus tard, arrive une grande femme, avec une belle silhouette dans un uniforme vert qui lui sied bien qui marche avec assurance.
-Je suis Marie-Thérèse Villeray, je suis l’infirmière-chef du CLSC. Veuillez passer dans mon bureau.
-Bonjour madame Villeray. Je ne ferai pas trop de préambules. On m’a dit qu’il se pratique des avortements ici, et je voudrais quelques informations.
-C’est tout à fait légal de pratiquer des avortements.
-Je le sais, madame. Il n’y a aucun problème. C’est juste que je mène une enquête sur un grave accident qui s’est passé en fin de semaine et je ne dois négliger aucun piste; et il semblerait que l’une des pistes que je poursuis mène à votre clinique.
-C’est assez inusité.
-Oui, en effet. De ce que on aurait fait un coup de téléphone ici il y a cinq semaines, vendredi en fin d’après-midi venant de Noyan, de ce numéro téléphone cellulaire; et la personne qui a téléphoné a rejoint directement à la clinique d’avortement sans passer par la réception. La personne qui a téléphoné a du prendre rendez-vous ou demander des informations.
-Probablement, mais je ne sais pas si je peux vous aider : les appels que nous recevons ne sont pas enregistrés; ils demeurent anonymes et confidentiels. Cette personne a certainement téléphoné mais si elle n’est pas passée par la réception, il ne reste aucune trace de l’appel. Il faudrait demander à Jeanine qui est l’infirmière qui reçoit les appels pour d’éventuels avortements et qui les coordonne, mais se souviendra-t-elle d’un appel d’il y a plus d’un mois.
Jeanine Bellefleur répond qu’elle ne saurait trop dire. Il y a plusieurs appels par semaine, surtout de demande d’information, et elle n’a pas de souvenir précis de celui-ci en particulier.
Paul se sent comme dans un cul-de-sac alors que le sac d’or est juste de l’autre côté du mur. Soudain, il a une idée. Il y a peut-être quelque chose à tenter.
-Je sais que tous vos registres sont confidentiels, mais je viens dans le cadre d’une enquête sur une agression grave. Dites-moi, est-ce qu’une jeune femme habitant à Noyan est venue chez vous se faire avorter durant, disons, les cinq dernières semaines ?
-Ça je pourrais facilement le vérifier.
Les deux infirmières se consultent. Jeanine s’en va dans son bureau consulter ses dossiers, suivie de l’infirmière-chef et de Paul
-Oui, en effet, je vois qu’il y a ne jeune fille qui est venue pour un avortement, il y a un tout juste mois.
-Est-ce que je peux avoir son nom ?
-Tout ceci est strictement confidentiel.
-Vous avez raison, je ne lui en parlerai pas.
-Son nom était Jessica Abel.

-Merci infiniment à vous deux.

lundi 18 mai 2015

Le crime du dimanche des Rameaux
20

                « Comme ça, c’est ici que l’accident a eu lieu ?
                -Oui, madame; il a glissé sur une plaque de glace, pis il est tombé dans l’fossé.
                -Donc, si je comprends bien, il est arrivé par là, de l’est, ça c’est l’est, n’est-ce pas ?
                -Ouais…
                -Puis il roulait dans ce sens-là et vers ici il y avait de la glace et il a dérapé ?
                -Probablement.
                Ils ont roulé environ douze kilomètres pour ce rendre là. Roxanne regarde attentivement, essayant d’enregistrer dans son cerveau tous les détails du lieu, l’état de la route, les courbes, le paysage; c’est un coin passablement désert, constate-t-elle. Elle ne voit pas d’habitations dans les environs. Il y a quelques nuages; les arbres des collines se balancent doucement sous la brise. Elle entend des oiseaux chanter
                -C’est lui qui a appelé ?
                -Je suppose que oui; il d’vait avoir son cell; c’est Picard qui a répondu et c’est moi que le boss a envoyé avec le towing.
                -Tus as bien du rire de lui.
                -Ben, en fait, j’voulais pas trop rire… mais il faut l’faire quand même : pas un chat sur le chemin, de la glace normale, un hiver normale, une journée normale, pis se ramasser dans l’fossé, ça prend ben un gars d’la ville ! Il n’avait pas l’air fier de lui.
                -Une journée normale, ça veut dire qu’il n’y avait pas de tempêtes, ni de vent, de poudrerie ?
                -Une belle journée d’hiver !
                -Pourquoi tu dis que la glace était normale ?
                -Ben, c’est que quand j’t’arrivé avec la remorqueuse, j’suis arrivé dans le même direction, pis j’ai pas remarqué qu’y avait ben d’la glace dans l’chemin; parlez-moi du rang des Saules, ça en hiver, c’est pas allable, c’est toujours bloqué; mais le chemin Vinoy, j’ai rarement vu ça.
                -Peut-être qu’il allait trop vite.
                -Ouais, ça doit être ça. Ou alors il faisait pas attention.
                -Dis-moi donc comment était placée la voiture; comment tu l’as trouvée ?
-Elle était là à moitié couchée sur le côté, à quelques pieds des arbres; la neige avait pas amorti les chocs.
-Il n’y a plus de traces.
-Non, c’était il y plus d’un mois, c’était encore l’hiver à c’moment là.
-Il y a une chose que je ne comprends pas, peut-être que tu peux me l’expliquer. J’ai lu dans le rapport que le côté gauche était défoncé. Je me serais plutôt attendu que ce soit le côté droit, vu qu’il est tombé dans le fossé à droite de la route.
-Je sais pas comment il a fait son compte. Peut-être qu’il a tourné sur lui-même pis qu’il a accroché quelque chose, mais qu’il a terminé son rallye dans l’fossé.
-Qu’est-ce qu’il faisait quand tu es arrivé ?
-Rien; il devait guetter mon arrivée, parce que  de loin quand il a entendu le moteur du towing, il m’a fait signe d’arrêter.
-Et il n’y avait personne d’autre dans le coin.
-Non, non, il était tout seul !
-Je suppose que le pasteur a embarqué avec toi quand tu as remorqué sa voiture.
-Ben oui.
-Comment il était ?
-Comment ça, comment il était ?
-Oui, est-ce qu’il fait quelque chose ? Est-ce qu’il a dit quelque chose ?
-Pas grand-chose; il semblait comme pas là. Comme j’ai dit, il devait pas être fier de lui. Ah oui, je souviens, il a fermé les yeux, pis il est resté à jongler. Moi, j’ai essayé de lui poser quelques questions, mais il répétait juste par oui ou non. Et puis quand on est arrivé, il m’a demandé de le débarquer chez lui; il a dit qu’il avait besoin de se reposer, qu’il passerait au garage demain pour l’estimation; j’ai dit que c’était correct pis je l’ai débarqué au presbytère; pis il m’a dit merci. Moi j’ai continué jusqu’au garage avec la voiture.
-Merci Guy, on va rentrer maintenant.

Les visites aux « femmes » du pasteur n’avaient pas donné pas grand-chose. Paul commençait à en avoir un peu marre. Au moins, ça lui faisait mieux connaître ce coin là de son district, à aller comme ça de gauche à droite. Les jumelles Godin étaient deux vieilles filles qui avaient toujours vécu ensemble une vie assez monotone; elles étaient en mal de sensations fortes dans leur vie et il était évident qu’il était impossible que le pasteur St-Cyr ait pu « succombé à la tentation » cette nuit de tempête de l’hiver dernier. Si elles n’avaient pas dormi de la nuit, ce n’était pas qu’à cause de leur imagination. La veuve DeMerritt était une sorte de « vieille dame indigne » qui rejetait toute convention sociale; elle avait presque soixante-dix et faisait son jogging tous les matins d’hiver, et du vélo en été. Elle parlait fort, gesticulait et avait un humour assez décoiffant… tout un phénomène ! mais encore une fois, Paul ne pouvait imaginer le pasteur se vautrer dans le lucre et la luxure avec elle. Il avait trouvé la coiffeuse chez elle, le salon étant fermé le lundi. Elle lui avait offert une tasse de café (instantané !), qu’il avait refusée; une jolie femme, certes, cette Suzanne Guimond, bien mise, avec de belles manières, habituée à travailler avec le public, mais sans ni l’éducation, ni la culture de Sébastien St-Cyr; ils étaient à peu près du même âge. Une candidate potentielle pour une aventure , mais rien dans sa conversation n’avait pu mettre la puce à l’oreille de Paul… Il avait terminé son « enquête » avec la maîtresse d’école, qu’il avait retrouvée sur l’heure du midi; Florence Anctil lui avait dit ne connaître qu’à peine le pasteur, toute étonnée de se voir mêlée à cette histoire, même si elle s’en désolait. La piste de « chercher la femme » est donc à abandonner définitivement. Il faudra trouver un autre mobile. Paul regarde sa montre : il est maintenant passé une heure de l’après-midi; il décide qu’il est temps d’aller casser la croûte. Il fait quelques pas en direction de la Grosse marmite.
Il reste Micheline, la serveuse du bar… Une jolie femme qui se présente bien, attirante, un peu trop maquillée, mais il y a des hommes qui aiment ça. C’est à peu près sûr qu’elle cache quelque chose. Mais quoi ? Quel a été son véritable rôle ? Et comment l’aborder de manière efficace ? Sans attirer les soupçons, sur son conjoint ce fameux « Popeye » Lui, il ne semble pas commode.
Et cette Jessica ? Elle m’intrigue; elle semblait vraiment affectée par l’accident du pasteur. Mais elle n’a que quinze ou seize ans. Y a-t-il eu une amourette entre elle et le pasteur ? Quel est son rôle dans cette histoire? Ah, et puis il faut que j’appelle Roxanne pour lui parler de Nancy. Quelle est cette vérité qu’elle n’a pas toute dite ?
Paul sort son téléphone pour appeler sa fille. Juste à ce moment-là, comme pour faire exprès, il sonne.
-Paul Quesnel.
-Salut chef, c’est Yannick.
-Alors, tu as trouvé quelque chose ?
-Oui, peut-être. J’ai commencé par fouiller son téléphone. J’ai retracé tous les appels sortants depuis les trois derniers mois, environ 300, 294 pour être exact. Une moyenne de trois par jour. Normal. Ça n’a pas été trop difficile de faire les recherches, mais écoutez bien ça chef, êtes-vous bien assis ? Tous les appels sont, disons, « explicables », aux bureaux de l’Église à Ottawa, à des paroissiens, à ses parents, plusieurs coups à une certaine Nancy Fournier de Noyan, des commandes de fournitures de bureaux… tous les numéros, disons, concordent, tous sauf un, qui ne marche pas dans les activités d’un pasteur.
-Qu’est-ce que tu veux dire ?
-Il y avait un appel, seul de son genre, qui datait d’il y a cinq semaines; j’ai vérifié et imaginez-vous qu’il a fait un appel à une clinique d’avortement à Buckingham. Surprenant, hein chef ?...
-…!!??

-Chef, chef ? Êtes-vous là ?

lundi 11 mai 2015

Le crime du dimanche des Rameaux
19


-Comment ça aller faire la tournée des femmes ?... Tu viens de dire que d’après Nancy, il n’y avait rien de vrai dans ces racontars !...
-C’est vrai, mais tu serais le premier à me dire qu’il faut fouiller chaque piste jusqu’au bout aussi mince soit-elle. Nancy Fournier peut aussi se tromper, ou alors dans le pire de cas, le pasteur était vraiment un coureur de jupon et il le lui aura bien caché, ou bien elle veut protéger quelqu’un; c’est peu probable, mais disons… je suis sûre que ton charme cinquantenaire te rendra irrésistible aux yeux de ces dames.
-Oui, si tu veux. Et toi, tu ne manqueras pas de mettre tous les garagistes et les mécaniciens dans ta petite poche.
-Qu’est-ce que tu veux… chacun ses atouts !
Paul et Roxanne avait pris l’habitude, lors d’une enquête, de s’échanger les lieux d’investigation pour aller là où on ne les attendait pas; elle allait dans les milieux plus masculins comme les garages ou les chantiers de construction, et lui dans les milieux plus féminins comme les centre de service sociaux ou les écoles. Ça mettait les gens en confiance et surtout ils baissaient leur garde : faire face à quelqu’un qui ne semblait rien y connaître rendaient les gens beaucoup moins méfiants. Et Paul et Roxanne s’étaient aperçus que ça fonctionnait très bien.

Il n’y avait qu’un deux garages à Noyan, en plus d’une autre station service qui ne servait que de l’essence. Ça va faciliter les recherches. Roxanne s’arrête au premier, juste à côté de la quincaillerie. Les deux portent des affiches au nom de Besson. Probablement le même propriétaire ou alors dans la même famille. Elle se stationne et entre par la porte de côté qui mène au bureau. Elle entend les hommes qui s’interpellent, elle entend des bruits d’outils qui frappent le métal, un moteur qui tourne. Un jeune homme vient la trouver.
-Est-ce qu’on peut vous aider, madame ?
-Bonjour, je suis l’agent Quesnel-Ayotte de la Sureté du Québec. Je voudrais vous poser une ou deux questions à propos d’une réparation que vous auriez faite il y a environ un mois.
-Ah oui ? Qu’est-ce qu’on a fait de pas correct ?
-Non, non rien. Ça n’a rien à voir avec votre travail. Je voudrais savoir si c’est vous qui avez réparé une Honda Fit de couleur bleu il y a environ un mois.
-La voiture du pasteur ?
-Oui, c’est ça !
-Oui, c’est bien ici ! Hey, j’vous dis qu’elle était pas mal maganée : elle avait tout le devant démoli. Pis c’était compliqué; il a fallu faire venir des pièces de Gatineau.
-Est-ce que je peux voir les papiers d’évaluation des dommages et de réparation ?
-Oui, mais pour ça il faut que j’demande à mon boss…
Le jeune homme se penche vers l’intérieur du garage.
-Alain !... Alain !... Viens icitte une minute ! Y’a une police qui veut te voir !... Il arrive; ça s’ra pas long.
Entre un homme plus âgé, s’essuyant les mains dans un chiffon qui n’est pas très propre non plus.
-Bonjour; Alain Besson. Je n’vous sers pas la main, sinon j’pourrais salir vos mains avec d’la graisse, ça n’ira pas avec votre rouge à oncle.
-Bonjour monsieur Besson; est-ce que c’est vous le propriétaire ?
-Non, moi je suis le gérant; le propriétaire, c’est Laurent Groulx.
-Laurent Groulx ?... Je ne savais pas qu’il s’y connaissait en mécanique.
-Non, non; c’est mon oncle. Il m’a passé l’argent que j’avais besoin quand j’ai acheté le garage il y huit ans.
-Je voudrais voir les papiers d’évaluation et de réparation des dommages à un véhicule accidenté et apporté chez vous il y a environ un mois : une Honda Fit bleue.
-Ah oui, la voiture du pasteur ! Pourquoi vous voulez voir ça ?
-Simple routine; vous savez qu’il a eu un accident et on cherche à mieux connaître la victime.
-Bon, bon; les voilà. J’vous dis que la voiture était maganée : elle avait tout le côté gauche défoncé, tout un choc !, le pare-choc à moitié arraché, le capot aussi; il a fallu changer le pare-brise aussi… En tout cas, tout est là.
-Comment c’est arrivé ?
-Il paraît qu’il y avait une plaque de glace sur laquelle il aurait dérapé, pis il est tombé dans le fossé.
-D’après ce que je vois, le véhicule a été remorqué. C’est vous qui vous en êtes chargé ?
-Ben, pas moi personnellement, mais il a téléphoné ici, ça fait qu’on a envoyé le towing. Est-ce que c’est toé Ti-Guy qui y est allé ?
-Oui, boss, c’est moé; c’était sur le chemin Vinoy.
-Est-ce que ce serait possible de me montrer l’endroit ?
-Ben, vous savez, c’est lundi matin, pis les lundis matins, c’est pas mal occupé.
-Ça me rendrait bien service, vous savez; je ne connais pas du tout le coin, pis comme je me connais je vais me perdre sans même trouver l’endroit.
-OK, vas-y, Ti-Guy, mais fais ça vite ! Il y a d’l’ouvrage en masse.
-Merci; je vous le ramène tout-de-suite.

Paul avait commencé par dresser la liste de toutes les « belles » qui avaient supposément succombé aux charmes de Sébastien St-Cyr; il n’avait que des noms ou des prénoms ou même moins que ça : les jumelles Godin, la veuve Demeritt, la ou les maîtresses d’école, peut-être celle des premières années, la coiffeuse Sonia, Micheline, Jessica… Qui donc pourrait bien l’aider dans ses recherches ? Et pourquoi notre sympathique maire ? Il se rend donc aux bureaux de la municipalité.
Nancy Fournier est assise à son bureau, mais la tête n’y est pas. Elle n’arrive pas à se concentrer. Elle a téléphoné à l’hôpital pour avoir des nouvelles et on lui a dit que l’état de Sébastien était stationnaire, grave mais stable; il est toujours dans le coma. Perdue dans ses pensées, elle n’a pas vu entrer Paul.
-Bonjour, je suis Paul Quesnel, inspecteur pour la Sureté du Québec, je voudrais voir le maire Simon Abel; est-ce qu’il est là ?
-Oui, il est dans son bureau; je vais lui dire que vous êtes là.
Elle sort et revient tout-de-suite après.
-Vous pouvez venir; il va vous recevoir.
-Bonjour inspecteur Quesnel ! Alors, est-ce que votre enquête avance ?
-Tranquillement, mais j’ai encore bien des questions.
-Si j’peux vous aider !
-Ben, c’est que je n’arrive pas à me faire une idée sur qui était le pasteur.
-Qu’est-ce que vous voulez dire ?
-Ben vous voyez, par exemple, avec son président du Conseil, Laurent Groulx, je suppose alors qu’ils avaient intérêt à collaborer. Et j’ai l’impression que Laurent Groulx ne l’aime pas trop.
-C’est plus qu’une impression; il le déteste. Avec Laurent comme président, ça a toujours bien marché. Avec le pasteur Doyon, y a jamais eu de problèmes. Mais avec Sébastien St-Cyr, tout a changé !
-Tout a changé, qu’est-ce ça veut dire ?
-Parce que lui c’est un p’tit jeune qui pense tout savoir. Il vient d’la ville, il a fait des études, alors il pense qu’il connaît tout !
-Pis, il m’a dit des choses sur… les femmes
-Les femmes ?
-Oui ! que Sébastien Saint-Cyr, c’était un coureur de jupons. J’aimerais bien savoir si c’est vrai que le pasteur Saint-Cyr a fait la cour à quelques-unes de ses paroissiennes ?
-J’vous crois ! L’hiver passé, il a passé une nuit avec les jumelles Godin.
-Pouvez-vous me dire où elles habitent.
-Les jumelles ? Sur le rang des saules.
-Pis j’ai entendu parler de la veuve DeMerritt. Où est-ce qu’elle vit celle-là ?
-Elle vit toute seule dans sa maison à l’entrée du village; son numéro c’est 224…
-Pis j’ai besoin du nom d’une certaine coiffeuse…
-C’est Sonia Guimond; elle, vous aurez pas d’misère à la trouver.
-Il y a aussi une maîtresse d’école, celle des premières années.
-J’pense qu’il s’agit de Florence Anctil.
-Pis enfin, une certaine Micheline.
-Micheline Garon ?... Celle-là, c’est dangereux de s’en approcher.
-Ah oui ? Pourquoi ?
-C’est la conjointe de Popeye; et des fois il peut être mauvais… Ah ! ça devait finir par arriver !
-Qu’est-ce qui devait finir pas arriver ?
-Ce que j’veux dire, c’est que personne savait comment tout ça aller finir !
-Comment s’appelle-t-il vraiment ce « Popeye » ?
-Il s’appelle Lucien Groulx, mais personne l’appelle comme ça.


Tandis qu’il s’en retourne vers sa voiture, Paul entend des pas derrière lui. Il se retourne et voit la jeune femme qui lui a répondu quand il est entré.
-Inspecteur ! Inspecteur ! Je suis Nancy Fournier. J’ai rencontré une agente de la SQ hier à l’hôpital. J’ai un message pour elle.
-Avant tout, je voudrais dire que je suis triste de ce qui vous arrive; je compatis avec vous.
-Merci; ne me faites pas pleurer…
-Qu’est-ce que c’est le message ?

-Ben voilà…  Dites à Roxanne que je veux lui parler. Je ne lui ai pas dit tout la vérité.

lundi 4 mai 2015

Le crime du dimanche des Rameaux
18

                -Dis-moi donc, papa… Où est-ce que t’étais hier soir ? J’ai essayé de t’appeler et ça ne répondait pas !
                En partant de chez lui ce lundi matin-là, Paul Quesnel savait que la réunion de planification hebdomadaire ne serait pas comme les autres : il fallait faire le bilan des événements de Noyan, exposer le mieux possible ce qu’on avait trouvé et où on en était rendus; il fallait décider de la suite des événements et confier des tâches aux uns et aux autres. En fait c’était surtout le travail de Roxanne qui était tout à fait capable de le faire, mais il savait que cet « accident » de Nyaon, c’était une affaire sérieuse. Sa conviction était faite, il n’en avait pas encore la preuve mais il en avait la ferme conviction : la chute du pasteur dans l’escalier du presbytère n’était pas accidentelle, on l’avait poussé intentionnellement; ça s’appelait « tentative de meurtre ». Il fallait trouver le ou les coupables.
                Il s’était levé tôt, même s’il s’était couché tard; il voulait arriver au poste le plus tôt possible pour préparer la rencontre. Il commençait à mettre ses idées en ordre quand il s’est fait apostropher de la sorte par sa fille. Elle était entrée en coup de vent dans son bureau avec encore son sac à la main, et sans même prendre le temps de lui dire bonjour elle lui avait demandait où il était hier soir.
                -Bonjour à toi aussi, ma chère fille. Je suis content de savoir que tu t’inquiètes de la santé de ton vieux père.
                -Veux-tu bien…
                -Bon, bon… C’est vrai, je t’avais dit que je rentrais à la maison quand on s’est quittés devant l’église hier après-midi alors que tu partais pour l’hôpital et effectivement je suis parti pour Plaisance. Mais à mi-parcours, j’ai rebroussé chemin et finalement je suis retourné à Noyan.
                -Pourquoi ?
                -En deux mots, je suis allé au bar et j’avais éteint mon téléphone. Mais écoute, patiente un peu, je vais tout raconter pendant la réunion.
                Les autres en effet arrivaient dans la salle de réunion et s’installaient sur les chaises. Roxanne salue Turgeon, qui l’avait accompagné à Noyan et qui avait assuré la garde. Presque tout le monde était là : l’équipe de jour et l’équipe de nuit. L’équipe du soir serait mise au courant plus tard. Seule Jacynthe Hosttelter, l’adjointe-administrative assurait la permanence.
                -Bonjour à tous ! Prenez place.
-Bonjour… Bonjour chef !
-Installez-vous confortablement, ne restez pas debout : la réunion de ce matin va être un peu spéciale. Nous avons toute une affaire sur les bras, vous êtes probablement au courant de l’essentiel : une tentative de meurtre à Noyan sur la personne du pasteur de l’endroit.
Un frémissement parcourt le corps de police : ce n’est pas tous les jours que le chef emploie ces mots. Paul laisse les exclamations et les commentaires se calmer.
-Comme c’était Roxanne qui était de service hier, je lui laisse raconter l’histoire.
-En gros, il y a eu un appel d’urgence au 911 vers 10h30 hier matin pour un accident qui s’était produit dans une résidence de Noyan. La résidence était en fait le presbytère et la victime le pasteur de l’église du village. À l’arrivée des ambulanciers, il gisait dans une mare de sang inconscient et passablement amoché avec possiblement une fracture de la cervicale. Il a été conduit à l’hôpital de Buckingham et il n’est pas sorti d’affaire. L’ « accident », ou la « tentative de meurtre » comme l’a dit Paul, a eu lieu samedi dans la soirée, probablement entre 19h et 21h. Après inspection des lieux, des indices démontraient clairement qu’un ou des individus étaient présents dans le presbytère samedi dans la soirée et tout porte à croire que ce et ces individus ont été impliqués dans l’« accident », même si toutes les portes de la maison étaient verrouillées. Après avoir assuré les lieux, et merci aux agents Turgeon, Gazaille et Petitclerc  pour leur aide, nous avons interrogés trois témoins et l’un deux avait un comportement qui nous poussent à nous demander s’il a eu un rôle à jouer dans cette affaire. Les trois témoins étaient les deux personnes qui ont découvert le corps le dimanche matin Laurent Groulx (c’est lui qui est suspect) et Bertrand Joliat. Laurent Groulx, en passant, en tant que président du Conseil de paroisse  possède un double de la clé du presbytère. L’autre personne est quelqu’un qui est venu de lui-même, le maire de Noyan, Simon Abel. Tout le village est en émoi, mais comme c’est une communauté un peu repliée sur elle-même, il pourrait s’avérer difficile de recevoir des témoignages. J’ajouterai qu’en fin d’après-midi, je suis allée prendre des nouvelles de la victime à l’hôpital et j’y ai rencontré une femme, Nancy Fournier…
Paul regarde sa fille attentivement.
-… qui, sans être sa conjointe, entretient une relation amoureuse avec la victime. Son aide sera extrêmement précieuse; elle sera l’une des rares personnes qui nous offrira toute sa collaboration pour résoudre cette affaire
Il reprend la parole.
-Le plus urgent, c’est d’analyser le téléphone et l’ordinateur de la victime. Yannick tu t’en charges. Ensuite, il faut fouiller dans les archives pour voir qui, à Noyan, a un casier judiciaire ou qui a eu des démêlées avec la justice, mettons des trois dernières années. Il y a notamment un certain « Popeye » qui devrait être facile d’identifier qui paraît assez louche. Caro et Langlois je vous mets là-dessus. Il faut aussi continuer de surveiller le site; Gazaille et Petitclerc  vous irez remplacer Marc-Antoine. Puis, il faut retourner interroger quelques personnes, notamment le groupe de jeunes qui se réunissait régulièrement dans le presbytère ainsi que toute une série de femmes qui auraient peut-être eu des relations particulières avec la victime. Peut-être qu’il s’agit tout bonnement d’un triangle amoureux.
-Non, je ne crois pas !
Paul se retourne vers sa fille.
-Je crois qu’il y a autre chose. Mais bon, ça demeure encore des hypothèses.
-Bon, on verra plus tard. Pour le reste, voici vos affectations pour la semaine.

Une fois la réunion terminée, Paul suit Roxanne dans son bureau.
-Alors, raconte…
-Non, toi d’abord.
-Si tu veux...
-Un café ?... Non, tu as dis que tu essayais de diminuer.
-Oui, mais le prendre un café avec ma fille est quand même un plaisir qui l’emporte sur la crise émancipatrice de ma vessie… Comme je te l’ai dit je suis retourné à Noyan. Je suis allé au bar Chez Lemay, le rendez-vous de tous ceux qui veulent boire et s’amuser. Je me suis dit que j’y avais peu de chances de retrouver les gens que nous avions croisés à l’église le matin, et bien des chances de glaner quelques commentaires à chaud. Tu sais que quelques verres d’alcool délie bien des langues. Le dimanche soir, le bar ouvre à seize heures jusqu’à deux heures du matin. Mais j’ai attendu vers dix-huit pour entrer. C’est bien entretenu; on ne se cache pas pour passer les joints, mais bon, ce n’est pas un repère de truands. Et comme je le prévoyais je n’ai vu personne des gens qui auraient pu m’avoir vu le matin. Sauf, à un moment donné, j’ai vu le maire, ce Simon Abel, entrer. Il n’a rien pris, à boire je veux dire, mais il a eu une longue conversation avec celui qui semble être le tenancier-propriétaire; ils semblaient bien se connaître, mais dans un petit village tout le monde se connaît. Je m’étais assis à une table dans u coin et je ne pouvais pas les entendre. À la suite de quoi, il est reparti aussi vite qu’il était venu.
« J’ai aussi vu ce fameux Popeye dont on a souvent mentionné le nom au cours de la journée. Je ne le connaissais pas mais dès qu’il est entré sa gang de chums l’a interpelé. Bien des gens voulaient lui offrir à boire mais il n’a presque rien pris. Un bonhomme baraqué, gros bras tatoués, qui parle fort; suffisamment fort pour que je l’entende bien. Il était avec quelques-uns de ces amis et qui le pressaient de questions. Il leur a juré tous ses grands dieux que ce n’était pas lui, mais que « un jour, il irait serrer la main à celui qui l’avait fait ». Il est possible qu’il sache quelque chose, ou qu’il se doute de quelque chose. Est-ce qu’il était là samedi soir ? C’est possible.
« Enfin, j’ai bien observé l’une des serveuses, une certaine Micheline dont le nom était revenu aussi au cours des conversations. Elle a fait son travail comme il se doit, mais comme absente; mon intuition me dit sait et qu’elle cache quelque chose. »
-Hum, hum… Intéressant. Ce que je vais te dire et que je t’aurais dit hier soir si tu avais répondu, est aussi intéressant.
Paul sourit de la tendre moquerie.
-Je ne crois pas au triangle amoureux; je crois qu’il y a autre chose. J’ai eu une longue conversation avec Nancy Fournier, et elle est vraiment capable de nous aider. Oui, c’est bien la Nancy de la partition, et crois-moi, ces deux là étaient en amour par-dessus la tête. Ils sortent ensemble depuis le début de l’hiver, surtout à Montebello, ils ont même venus à Montréal une fois, mais parfois, lui, il allait dormir chez elle. Comment ils ont fait pour garder les amours secrètes ? Je ne le sais pas; faut croire que même dans un petit milieu on peut avoir son jardin secret si on sait s’y prendre. Toujours est-il que d’après ce qu’elle m’a dit toutes ces histoires de joli cœur coureur de jupons et de conquêtes amoureuses, ce sont des rumeurs et de la médisance. Sébastien Saint-Cyr avait un entregent si nouveau, si spontané pour les gens de Noyan, que les hommes ont cru qu’il faisait du charme à leurs femmes. Et la jalousie a fait le reste. Je la crois.
-Humm… Si on élimine le triangle amoureux, qu’est-ce qu’il reste comme motif ? On sait que ça n’allait pas très bien entre le pasteur et son Conseil, qu’il faisait trop de changements dans les habitudes, que Laurent Groulx voulait même le voir partir, mais est-ce que c’est un motif suffisant pour essayer de le tuer ?
-Je ne sais pas. Mais j’ai pensé à une chose. On sait que quelqu’un ou plusieurs personnes sont venues le voir. Supposons qu’ils voulaient juste lui donner un avertissement, qu’ils sont venus le trouver pour lui donner un conseil…
-Ou lui faire une offre qu’il ne pourrait pas refuser.
-Oui, et supposons encore que la rencontre ne ce soit pas passer comme prévu; qu’il ait réagi, qu’il se soit débattu, qu’il y ait eu des menaces, peut-être même une altercation, et que durant la « bagarre » il soit tombé en bas de l’escalier. Les autres auraient eu peur et seraient repartis sans demander leur reste en le laissant là.
-C’est pas bête. Rappelle-toi l’insistance de Laurent Groulx pour nous persuader que « c’était un accident ». Certainement qu’il était là samedi soir. Probablement avec ce Popeye qu’il avait pris avec lui en renfort. On va leur demander leurs alibis à ces deux là.
« Et il y a autre chose : Nancy m’a dit que Sébastien avait déjà eu un accident, il y a quelques semaines. Il roulait dans un rang de la région et il est tombé dans le fossé.
-Pas mal; bien joué ma fille. Il faudra creuser ce filon.

-Je m’en occupe. Toi, tu ne t’ennuieras pas aujourd’hui papa : tu commences par faire la tournée des femmes.