lundi 13 juillet 2015

Le crime du dimanche des Rameaux
28

-Alors, finalement il y a eu quatre arrestations ?
-Oui, en effet. Jérôme Abel pour son agression en voiture. Pis Laurent et Lucien pour complicité de voie de fait et pour ne pas avoir porté assistance à une personne en danger, et pour Laurent on ajoute préméditation, et finalement Raymond Besson. Pour lui, ça dépend. Dans son cas, l’enquête n’est pas terminé et ce sera au directeur des poursuites criminelles de porter les accusations : tentative de meurtre, homicide involontaire, voie de fait ayant causé la mort… tout dépendra de l’évaluation du niveau d’intentionnalité. Tout dépendra aussi de son évaluation psychologique. Quand on est allé l’arrêter en fin d’après-midi, hier, il n’a pas opposé de résistance, contrairement à Laurent qui a hurlé comme démon et qu’il a fallu maîtriser. Mais le soir il a fini par admettre l’essentiel des faits : oui, il a demandé à Popeye de venir avec lui; oui, il ne savait plus si c’était une bonne idée et il a voulu repartir; et oui il a vu Raymond qui espionnait Sébastien. Les divers témoignages concordent. Bien sûr, chaque personne interprète les fait à sa façon ou dans le but de protéger tel ou tel autre, mais le gros de la culpabilité reposera sur Raymond. Après son arrestation, on a passé la soirée à fouiller sa maison pour chercher des indices. Tout semblait normal; tu le connais, c’est un homme discret qui vit seul. Mais au fond de son terrain, un peu en contrebas, il y avait une petite cabane en tôle, tout juste au bord du lac, dans laquelle il rangeait des outils, des instruments de pêche, des chaises de jardins, des vieilleries. Et là dans le mur du fond, il avait fait un trou à peu près grand comme une balle de tennis. Il s’était aménagé un petite recoin, plus ou moins confortable, et par ce trou, il pouvait voir une bonne partie de lac. Mais surtout, il pouvait te voir.
-Moi ? Mais c’est trop loin. Ma maison est de l’autre côté du lac !
- Il pouvait te voir avec des jumelles. Il y avait toute une installation : une petite table avec à boire et à manger, un poste de radio et surtout un lit de camp sur lequel il s’allongeait sur le dos et alors il arrivait juste à la hauteur du trou avec ses jumelles d’où il pouvait t’observer tout à loisir. Il y avait des cahiers dans lequel il notait tout ce que faisait, à quelle heure tu rentrais, à quelle heure tu partais, quel air tu avais, si tu étais allée à l’épicerie, les gens qui venaient te rendre visite, quand tu sortais tes poubelles, quand tu te baignais, quand tu sortais le soir sur ton balcon et que tu relaxais avec une bière, quand tu te baignais, les rénovations que tu faisais à ta maison. Il devait être « amoureux » de toi, disons, qu’il faisait une fixation sur toi, d’une façon obsessionnelle. Il savait sans doute que tu lui étais inaccessible, alors il s’est mis à t’aimer de loin. Ça durait sans doute déjà depuis longtemps. Peut-être même depuis l’école; je suppose que vous étiez ensemble à l’école, et qu’il te désirait sans rien te dire. Ça devait lui suffire de voir de temps à autre dans les bureaux de la municipalité, de te parler pour les tâches professionnelles, de t’aimer en cachette.
-Je ne l’ai jamais encouragé !
-Je m’en doute bien. Et je me doute que tu ne t’en es jamais douté. Tu pouvais à peine voir sa maison de la tienne, caché par les arbres. Et tu ne voyais qu’une petite partie du mur arrière de son cabanon. Tu ne pouvais pas te douter qu’il t’épiait comme ça jour et nuit, qu’il te guettait quand tu partais le matin et quand tu revenais le soir. Il était logique dans son obsession; et il était fragile émotionnellement. Quand il a vu que tu commençais à sortir avec Sébastien, ça a dû être un choc terrible pour lui. Ça l’a rendu enragé de jalousie. Ça devait lui être insupportable : le fait de vous voir ensemble, de vous voir rire et jaser, de voir qu’il t’embrasse, qu’il reste à coucher chez toi !... Il ne pouvait tolérer ça ! Surtout que souvent il devait travailler avec lui par rapport à l’église, comme avec toi. Ça devait le rendre fou. On ne sait pas encore depuis combien de temps il venait rôder autour du presbytère à ruminer sa colère, à mijoter sa vengeance, à ressasser les mêmes frustrations, à se répéter les mêmes menaces. Est-ce qu’il venait chaque soir fouiner autour du presbytère ? Il devait se dire que Sébastien t’avait volée à lui, qu’il t’avait ravie; il devait se dire tu lui appartenais, qu’il devait te protéger. Quand Laurent l’a vu à l’affût derrière le groseillier, sa colère a redoublé à cause de son dépit d’avoir découvert. Et quand il s’est trouvé face à Sébastien avec Laurent et Lucien, son exaspération a éclaté. Il n’en pouvait plus. Il a empoigné la guitare et la brisée comme la rampe, et c’est là que Sébastien est tombé dans l’escalier.
-Vous devez être satisfaits, toi et ton père ?
-Tu sais, d’une certaine façon, on a un travail à faire. On essaye de le faire de notre mieux. Des fois ça va bien; des fois, c’est plus difficile. C’est sûr que lorsqu’on trouve le ou les coupables d’actes illicites, on est, oui, satisfaits. On est payés pour ça, mais en même temps, ni moi ni mon père n’avons choisi de faire ce métier juste comme ça : il faut se dire qu’on fait quelque chose de valable; il faut aimer ça; c’est un peu comme une vocation.
-Un malentendu... Tout ça aura été un stupide malentendu. Tout ça aurait pu être évité. Et puis Sébastien ne serait pas mort. Si j’avais su… Si Laurent n’avait pas eu son caractère de chien; s’il n’avait pas eu cette idée de fou; si Popeye n’était pas venu; s’ils n’avaient pas trouvé Raymond; s’il s’était abstenu de venir fouiner au presbytère ! Si moi j’avais pu voir quelque chose, si j’avais fait attention, j’aurais su lui parler, j’aurais su le raisonner, le calmer; et Sébastien aussi lui aurait parlé. On l’aurait aidé. On l’aurait aidé à surmonter sa fixation. Quand j’y pense, il était même peut-être là certains soirs où j’étais avec Sébastien au presbytère et je ne m’en suis jamais aperçu. Il y tant de choses qu’on ne sait pas, tant de choses qui se passent et qu’on ignore. Tant de faux-fuyants. Jamais je ne me suis aperçue qu’il était obsédé par moi. Jamais je n’ai su qu’il m’espionnait comme il le faisait. Jamais je n’ai su qu’il allait fouiner chez Sébastien. Je voyais sa cabane, à peine. Comment je pouvais me douter qu’il me surveillait ? Qu’il nous surveillait ? Quand je faisais mes marches en raquettes sur le lac, l’hiver, je passais à quelques pas de son cabanon !... C’est pitoyable…  Je ne peux pas le croire. Il y a tant de choses qu’on ignore. Tout ce qui se passe derrière les rideaux, derrière les portes closes, dans un cabanon… Bien des gens le détestaient; bien des gens voulaient le voir partir. Mais beaucoup d’autres l’appréciaient aussi. Tous ces jeunes du vendredi; ils aimaient ça. Mais là encore, j’ignorais cette histoire d’avortement de Jessica; c’est vrai que ça ne me regardait pas, mais si j’avais du j’aurais pu faire quelque chose. J’ignorais qu’il y avait eu une première attaque. Pourquoi il ne m’en a pas parlé ? Pourquoi  il a gardé ça pour lui ? Pourquoi ? Il n’a même pas appelé la police ! Et combien d’autres secrets ? Combien d’autres cachettes ? Combien de mensonges, de faussetés, de tromperies ? C’est comme si j’avais vécu toute ma vie derrière des voiles opaques et que tout à coup, tout se découvre. C’est comme cet arrangement que vous avez sans doute fait avec les témoins, avec Laurent, avec Popeye; peut-être même avec d’autres C’est toujours comme ça que ça se passe. Il y a des marchandages avec les petits truands pour attraper les gros malfrats. Qu’est-ce que vous avez négocié, des réductions de peine ?... Et moi, qu’est ce qu’il me reste à la fin? J’ai été trompée par tout le monde : par toi, par ton père, par Sébastien, par le village au complet ! Tout le monde lui en voulait, tout le monde le savait, et moi, je ne savais rien; et il ne me reste rien !
-Nancy...
-Ça va ! Ça va ! Il me reste quand même ma peine et ma colère. Il me reste mes souvenirs. Je crois que je vais partir d’ici, pour ne plus revenir. Je n’appartiens pas ce monde. Tiens, je devrais aller m’installer à Laval près de ses parents; on pourra se consoler. Mais pour eux non plus je ne suis rien. Ils ne me connaissent pas. Je vais devoir faire mon deuil toute seule. Notre histoire est terminée. Il va falloir que je m’en fasse une autre. Lui, son cœur est parti à Montréal, ses yeux à Ottawa, puis son foie, ses reins et quoi d’autre ? Et moi je resterais ici ? C’est vrai, j’aime ça ici; j’ai aimé ça, mais je crois que je vais partir, sans ne rien devoir à personne. Je pourrais tout vendre : ma maison, mes meubles, mon auto. Et faire un voyage, comme Sébastien aurait aimé qu’on en fasse un. Il adorait voyager, il adorait les découvertes. Je pourrais partir loin; en Islande, tiens, pourquoi pas ? Île perdue dans l’océan, terre de glaciers, de volcans et d’immensités sauvages. Ça serait bon pour tout oublier; pour tout recommencer...


Le Blogue de David fait une pause de deux semaines.

Il vous reviendra avec une autre enquête de Paul et Roxanne Les flammes de l’enfer.

lundi 6 juillet 2015

Le crime du dimanche des Rameaux
27

-Tu comprends, ça a l’air que tout ça est un énorme malentendu : ton agresseur du chemin Vinoy, c’est le père de Jessica, c’est la même personne ! Voilà ce que je crois qui s’est passé : après avoir appris que sa fille s’était faite avortée, et persuadé que le pasteur était celui qui l’avait mise enceinte, il a voulu se venger. Le pasteur n’était pas beaucoup aimé par bien de gens de Noyan, on lui reprochait d’être trop moderne, de trop changer les choses, d’être trop prêt des jeunes; il y avait ces soirées du vendredi qu’on ne pouvait pas contrôler. Toutes ces histoires sur les nombreuses femmes qu’il aurait séduites et avec qui il aurait eu des relations illicites, on le sait, ça ne tient pas debout. Mais pour que cette médisance ait pris cette importance, il fallait qu’il y ait plusieurs personnes qui lui en veuillent, sinon les gens ne s’en seraient pas occupés. Et Jérôme Abel était de  ceux-là; comme Laurent Groulx d’ailleurs. Alors, Jérôme, comme j’ai dit, persuadé que c’était Sébastien qui avait mis sa fille enceinte, il a mûrement mijoté son plan. Il l’a suivi sa voiture, peut-être même qu’il l’a suivi pendant plusieurs jours avant de trouver la bonne occasion, et sans doute que le pasteur ne s’en est jamais aperçu. Jusqu’au jour où le bon moment est arrivé, sur le Chemin Vinoy : il s’est rabattu sur lui le nombre de fois qu’il fallait pour la faire verser dans le fossé. Ça s’appelle voie de fait grave ou agression armée et peut-être même tentative de meurtre. Le plus étrange c’est que le pasteur n’a pas porté plainte; peut-être que Jérôme Abel se douter qu’il ne le ferait pas, je ne sais pas.
-Tu oublies une chose, papa : Jessica a dit qu’elle avait voulu protéger Denis devant son père, c’est pour ça qu’elle a laissé sa réponse en suspens, mais peut-être qu’elle cherche encore à protéger son Denis. C’est peut-être lui et non son père qui a attaqué Sébastien samedi soir ?
-J’ai pensé à cette hypothèse mais je ne crois pas que ce soit le cas. On a rencontré ce Denis au restaurant et je me dis qu’entre lui et Sébastien, Jessica devait avoir davantage confiance au pasteur qu’en ce jeune inconstant. En outre, Sébastien aurait pu se défendre contre Denis. En plus, puis je suis persuadé qu’il y avait plus qu’une personne qui lui ont rendu visite.
-Oui, je le crois aussi. Au moins deux : Laurent Groulx et Popeye. Alors, on y va ?
-Attends, je dois aller prévenir Nancy.
-Qu’est-ce que tu vas lui dire ?
-La vérité ! Que le pasteur est au plus mal et qu’elle doit tout laisser là pour se rendre immédiatement à l’hôpital. On ne peut la laisser dans l’ignorance. Elle l’aime; elle a le droit de savoir.

Paul n’était pas venu seul à Noyan : se doutant de ce que lui et Roxanne allait faire, il avait venir deux autres voitures. Il fait signe aux agents Félix Turgeon et Gabriela Sugni de les suivre jusque devant la demeure de Jérôme Abel.

-Jérôme Abel, je vous arrête pour voie de fait grave ayant causée de lésions corporels contre la personne de Sébastien Saint-Cyr. Vous pouvez demander l’assistance d’un avocat; en attendant tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous.
-Quoi ? Quoi ? J’ai rien fait !
-Monsieur Abel, nous vous soupçonnons d’avoir frappé sa voiture avec la vôtre pour le faire tomber dans le fossé. Veuillez vous tourner, nous allons vous passer les menottes.
-Vous avez aucune preuve !
-Nous détenons des preuves que votre voiture est bel et bien celle qui a heurté celle du pasteur. En plus de ça, nous sommes en train de chercher les preuves pour vous accuser de la tentative de meurtre de samedi soir de l’avoir pousser dans son escalier. Vous êtes en état d’arrestation.
-Samedi j’étais à la maison, chez moi !
-Qui peut en témoigner ? Votre femme, votre fille ? Elles ne sont pas des témoins crédibles. Allez tournez-vous sans opposer de résistance.
-J’ai rien à voir avec l’attaque de samedi !
-Jusqu’à preuve du contraire vous êtes notre principal et seul suspect.
             -J’ai rien à voir avec cette attaque; pour l’autre histoire c’était un accident. Mais je suis jamais allé au presbytère.
                -On sait que c’est vous !
                -Vous n’avez pas de preuve !
                -Ne vous inquiétez pas, on va en trouver. Vous autres, venez m’aider !
                -C’est pas moi, c’est pas moi !
                -Roxanne ! Arrête un peu… Va m’attendre un peu dehors, OK ? Je voudrais parler seul à seul avec monsieur Abel.
                -Pourquoi ? C’est notre coupable !
                -Va m’attendre près de la voiture; il ne s’enfuira pas ton coupable.
                -D’accord, mais fais ça vite ! J’ai hâte d’en finir avec cette histoire de meurtre !

-Venez, monsieur Abel, venez vous asseoir, il faut que je vous dise quelque chose d’important… Il faut que vous compreniez une chose. Vous n’avez pas de casier judiciaire n’est-ce pas ?
-Non !
-C’est là que je veux en venir : une tentative de meurtre peut vous valoir vingt ans de prison, pis c’est de ça que l’officier qui est venue vous arrêter vous accuse; tandis que pour une simple agression, vous pouvez avoir moins de deux ans, surtout pour une première offense. Je la connais Roxane, elle ne lâchera pas le morceau; comme elle l’a dit, elle tient son coupable, elle va tout faire pour trouver des preuves. Pis vous savez, elle est jeune, elle veut faire ses preuves; elle est ambitieuse, et pour bien se faire voir de ses supérieurs, ça lui prend un coupable. Je le sais : elle ne lâchera pas le morceau…
-J’étais pas au presbytère samedi soir.
-Je veux bien vous croire, monsieur Abel, mais à ce que je vois vous n’avez pas un alibi très très solide. Et puis, je fais une hypothèse, c’est juste une idée comme ça; qu’est-ce qui nous dit qu’après l’attaque en voiture, que vous admettez, mettons que quand vous avez-vous que ça n’a pas « marché », vous n’avez pas recommencé une autre fois ?
-J’vous dit que c’est pas moi.
-Ce n’est pas moi qu’il faut convaincre : il vous faudra en persuader le juge !
-Qu’est-ce que j’peux faire ?
-Monsieur Abel, j’vais faire un deal avec vous : vous me dites c’est qui, et moi, en retour, je vous garantis que je vais baisser vos accusations de voie de fait grave et de tentative de meurtre à celle d’une simple agression. Une simple agression, pour une première offense, c’est moins de deux ans, peut-être même un sursis. C’t’un bon deal, non ?
-…
-Vous avez l’choix, c’est risquer vingt ans ou moins de deux ans...
-C’est Popeye qui l’a fait ! Il s’en est vanté partout ! Je l’ai entendu !
-Seriez-vous prêt à en faire une déposition ?
-Oui, c’est lui, je le jure ! Il l’a avoué que c’était lui !

Ayant confié Jérôme Abel aux agents Turgeon et Sugni qui vont le conduire au poste de la SQ à Papineauville, Paul et Roxanne se dirigent vers la maison de Lucien Besson suivi de la deuxième voiture.
-Lucien Besson, dit Popeye, je vous arrête pour voie de fait grave ayant causée de lésions corporels et tentative de meurtre contre la personne de Sébastien Saint-Cyr. Vous pouvez demander l’assistance d’un avocat; en attendant tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous.
-Quoi ? Qu’est-cé qui s’passe.
-Veuillez vous tourner pour qu’on vous passe les menottes.
-Comment ça les menottes ? J’ai rien faite, moé !
-Lucien Besson, n’opposez pas de résistance, sinon nous serons obligés d’employer la force. Nous sommes quatre et s’il le faut…
-J’ai rien fait, j’vous dis, c’est la vérité !
-Pourquoi tu ne leur dis pas la vérité !
Paul et Roxanne tournent les yeux vers l’arrière du salon, d’où venait la voix.
-Micheline, mêle-toi pas de d’ça !
Paul intervient.
-Au contraire, mêlez vous-en. Vous êtes Micheline Garon, je suppose.
-Oui.
-Vous êtes la conjointe de Lucien Besson, surnommé Popeye.
-Oui, c’est ça.
-Dites-moi alors : c’est quoi la vérité ?
-La vérité, c’est que Popeye n’est pas coupable.
Pendant un moment, personne ne dit rien. Paul, tout comme Roxanne, regarde cette jeune femme au visage fermé. Il est fasciné par son expression. Elle dit la vérité.
-Micheline, si vous nous racontiez ce que vous savez.
-C’est Laurent, son oncle Laurent, qui lui a tout manigancé. Quand il lui a téléphoné,  jeudi soir, lui a demandé de le retrouver en début de soirée, samedi, devant la salle communautaire, parce qu’il avait quelque chose de ben important à lui dire. Lui, il reviendrait de sa journée de golf.
(Je sais mais cet alibi ne tient pas : il pourrait avoir quitter le golf quinze minutes plus tôt, rouler un peu plus vite et se retrouver devant le presbytère alors qu’on le croyait encore en chemin.)
-Alors, Popeye s’est rendu au rendez-vous, comme toujours; il a toujours écouté son oncle, il a toujours fait ce qu’il lui a demandé de faire; il lui obéit comme petit chien. Il s’est pas posé de questions. C’est ça son problème; c’est pour ça qu’il veut pas vous dire la vérité, parce que son oncle lui a dit de la fermé. Mais, moi je n’ai rien à cacher. Alors, il est allé au presbytère. Et là effectivement, Laurent l’a retrouvé. Mais quand Laurent est arrivé, il a comme hésité; il ne savait plus si c’était une bonne idée. Son idée c’était de faire peur au pasteur pour qu’il s’en aille, qu’il déguerpisse ! Il l’haït assez ! Il voulait juste lui faire peur, puis il voulait utiliser Popeye pour ça, il avait besoin de ces gros bras. Mais en arrivant, il a hésité, il ne savait plus quoi faire; peut-être que tout d’un coup il a eu peur que Popeye devienne violent, après ce qui s’était passé ici… J’veux dire, il y a deux semaines, quand le pasteur est venu ici.
-…
-C’est là qu’ils ont vu que quelqu’un rôdait déjà autour du presbytère.
-Quelqu’un d’autre ?!
-Oui, c’est ça. Popeye était encore dans la voiture, et Laurent était appuyé contre la fenêtre, e t là il a vu quelqu’un caché dans le groseillier. Il y a un gros buisson de groseilliers dans la cours du presbytère, puis il y avait quelqu’un de caché derrière. C’était Raymond Besson.
-L’homme à tout faire ?!
-Oui.
-Dans le groseillier ?
-En fait en arrière. Il espionnait le pasteur. Alors Laurent l’a empoigné, pis sans rien dire il a fait signe à Popeye de venir. Personne n’a sonné. Raymond avait sa clé. Il a ouvert la porte et ils sont entrés. Ils entendaient de la musique en bas. Laurent a appelé : « Pasteur Saint-Cyr ! » Il est monté il était vraiment surpris de les voir, c’est certain, mais il n’a pas eu le temps d’ouvrir la bouche. Raymond est devenu comme fou, il a pris sa guitare des mains et il l’a fait tournoyé au-dessus de sa tête pis il l’a cassée contre la rampe de l’escalier. « Tiens, prends ça ! Pis laisse Nancy tranquille ! » Popeye a voulu le retenir, mais il était comme paralysé par la stupeur. Laurent aussi a figé. Le pasteur a voulu rattraper sa guitare mais il est tombé dans l’escalier. Il a tout déboulé. Ils ont entendu un bruit, des cris. Il était étendu, inconscient. Raymond a jeté la guitare sur lui. Alors, Laurent l’a pris par le bras et l’a vite fait ressortir. Popeye a suivi; il était comme un zombi. Ils ont ramené Raymond chez lui, il était venu à pied; il n’habite pas trop loin. Laurent lui a dit de se coucher et de faire le mort. Puis il a ramené Popeye chez lui en disant la même chose. Ils espéraient qu’il était juste blessé. C’est ça qui est arrivé.
-Comment vous savez tout ça, Micheline ?
-C’est Popeye qui me l’a raconté… Quand vous êtes venu au bar Lemay dimanche soir, je vous ai tout de suite remarqué… Ben ouais, vous savez depuis le temps que je travaille dans ce genre de place-là, il y a pas grand-chose qui m’échappe. J’ai fais semblant de rien. Mais j’ai senti que vous rôdiez trop près de mon homme. Alors quand il est parti, je suis sortie la porte d’en arrière et je suis allée lui demander ce qu’il savait de cette histoire. Je sais qu’il n’est pas parfait, mais je tiens à lui; c’est vrai qu’il a des défauts, mais il a aussi des qualités. Je vis avec lui, et malgré tout ce qu’on peut dire, j’pense qu’avec le temps on peut arriver à se faire une bonne p’tite vie. J’veux pas qu’il lui arrive du mal. J’veux pas qu’il aille en prison. Quand j’suis sortie il m’a raconté ce qui s’était vraiment passé. Il m’a juré que c’était vrai. Je l’ai laissé repartir à la maison, et je suis revenue tranquillement dans le bar.
-Et personne ne s’est aperçu de votre absence ?

-Les filles m’ont vue, c’est sûr… Mais c’était comme quand une de nous autres s’en va fumer une cigarette dehors. On dit rien. On est toutes des filles de la même gang. On s’tient.