lundi 28 septembre 2015

Les flammes de l’enfer

8



-Alors qu’est-ce que tu en as pensé ?

Le père et la fille étaient dans son bureau de Paul, le lendemain matin de leur visite au Parc Natura. Ils se savaient l’un et l’autre préoccupés : l’investigation ne semblait rien donner, ne semblait aller nulle part. Ils n’avaient aucune piste; leurs nombreuses questions demeuraient sans réponse. Les interrogatoires de la part de Paul des quatre autres « suspects » n’avaient pas donné de résultats tangibles. Comme il devait commencer quelque part, il avait décidé de ne retenir que les personnes ayant un casier judiciaire et de laisser partir les autres; c’est ce que Turgeon avait cherché par l’ordinateur de la voiture. Mais ça n’avait rien donné; les alibis ou la description des emplois du temps n’étaient pas toujours des plus convaincants, mais Paul ne pouvait les arrêter sans quelques soupçons. Après les deux premiers témoins, celui de Katia Frigon accusée il y a cinq ans pour usage de faux, une fraude dans le cabinet de comptable pour lequel elle travaillait comme secrétaire, crime pour lequel elle avaitécopé deux ans avec sursis, et celui de Daniel Pomerleau condamné pour vol à main armé à trois ans de pénitencier, il avait fait venir Benjamin Morissette.
-Dites-nous ce que vous avez vu ?
Paul disait « nous » de parce qu’il avait fait demander à Olivier Jean-Jacques d’assister tout en ce faisant discret aux interrogatoires. Au moins, ça me sera utile à moi, ça me permettra d’écrire quelque chose dans ce foutu rapport.
-C’est à cause de mon dossier que vous m’interrogez ? Je sais ce que vous pensez. Qui a bu boira, et un criminel reste un criminel toute sa vie. Oui, j’ai été condamné, mais c’est fini cette histoire, ça fait plus de dix ans. C’était une erreur de jeunesse ! Aujourd’hui je suis un autre homme. J’ai une femme et deux beaux enfants.
-Monsieur Morissette, vous êtes devenu un citoyen respectable !
L’interlocuteur ne peut s’empêcher de rire.
-Vous êtes comiques dans la police ! Citoyen respectable !! J’aurais tout entendu ! Si on m’avait dit qu’un jour une police me traiterait de « citoyen respectable », j’lui aurais ri en plain face !
-Je sais que cette « histoire » comme vous dite est une histoire ancienne, mais parlez m’en donc un peu.
-Qu’est-ce que vous voulez que j’vous dise ? Quand j’avais vingt j’étais dans une gagne criminelle. Elle n’existe plus maintenant, les Satan’s Jockers qu’ils s’appelaient. On avait notre base à Gatineau; on faisait de l’extorsion, de la prostitution, du trafic de drogues. C’est pour ça que j’ai fait du temps en d’dans : on m’a pogné avec vingt kilos de coke sur moi. J’ai fait cinq ans en prison. Mais, pour tout vous dire, ça m’a servi de leçon; j’étais au pénitencier de la Macaza. Là, c’était pas mal beau; en pleine nature ! Pis on m’a bien aidé. J’ai pas voulu continuer dans la criminalité. J’ai terminé mon secondaire; j’ai même fait quelques cours de Cegep. Pis ensuite, j’suis allé vivre à Montréal, dans un milieu que j’connaissais pas. J’ai fait six de maison de transition; y m’ont aidé à m’trouver une job de gardien de nuit. Pis maintenant, j’habite un bungalow à Laval avec ma femme pis nos deux enfants. Elle est aide-infirmière à la Cité de la Santé.
-Comment s’appellent les enfants ?
-Samantha, ma fille, pis Marco mon garçon.
-C’est ave eux que vous êtes venu au Parc Natura ?
-Oui. C’est la deuxième année qu’on vient. Mais là, là, j’sais pu si on va r’venir.
-Benjamin, je sais que ton « histoire », c’est du passé, mais j’aimerais ça que tu m’aides. As-tu remarqué quelque chose de pas normal aujourd’hui ou même hier ?
-J’ai rien remarqué, non. On a fait nos affaires; on est allé à la pêche.
-Sur le lac, t’as pas remarqué des choses inhabituelles ?
-Comme quoi ?
-Mettons, comme des pêcheurs qui n’auraient pas eu l’air de vrais pêcheurs ?
-J’vois où c’est qu’tu veux en v’nir… Non, j’ai rien vu… En tout cas, c’est pas moé votre coupable. Ça fait dix ans que j’ai lâché le trafic de drogues, si c’est que vous voulez savoir !

Les autres « suspects » de la liste de Paul avaient à peu près tous la même histoire. Oui, il avait commis une faute; mais c’était du passé.

-J’vous l’dis, moi, Mademoiselle, c’est un accident. Ça coûtera rien au Parc parce que les assurances vont payer, mais ça va faire fuir la clientèle. Pour moi il est venu faire sa sieste dans le chalet, c’était une habitude qu’il avait; pis là, il s’est endormi. Pis la chaufferette à gaz a pris feu, pis là il dormait trop fort. Il arrivait toujours de bonne heure Gustave Abel. Sans doute que la boucane l’a étouffé, pis il est mort sans s’être réveillé. -C’est ce que l’autopsie va vérifier.
-Une autopsie, pourquoi une autopsie ? Le corps est tout carbonisé !...
Roxanne regarde les spécialistes de l’équipe de la récupération des cadavres mettre le corps dans le sac noir. Ils sont quatre qu’elle ne connaît pas. Déjà qu’ils ont dû venir à pieds sur plus d’un kilomètres, ils vont devoir porter la civière jusqu’à leur véhicule resté au début du chemin. Tout à coup, elle enregistre un détail.
-Comment avez-vous dit qu’il s’appelait ?

-Bernard Chicoine ?
-Oui, c’est moi. J’ai rien fait.
-Dites-moi ce que vous êtes venu faire au Parc Nature.
-Moi, c’est pour la chasse ! J’suis avec mon chum Lawrence, pis on a passé trois jours dans l’bois. Là on avait fini; on s’en allait. Pis là on est pas mal tannés. On voudrait ben s’en aller.
Accusations de violence conjugale; deux condamnations, deux fois six mois.
-Où habitez-nous, monsieur Chicoine ?
-Au Lac-Simon.
-Au Lac-Simon. Mais il n’y a pas un ZEC de chasse au Lac-Simon, pis même deux je pense ?
-Ouais... ouais… c’est vrai; mais, mettons que Lawrence et moi on voulait essayer autre chose.
-Ça serait pas parce que vous avez eu, mettons, des problèmes dans un des ZEC là-bas ?
-Qui c’est qui vous a dit ça ?
-Personne; je pose une question.
- Ouais... ouais… c’est vrai; on a pogné une chicane. C’tait à cause d’un chevreuil qu’on avait tué moé pis Lawrence. Pis là y’a des ostie d’épais de sans allure qui on dit que c’était eux autres qui l’avait tué. Mais c’tait nous-autres. Ils nous estinaient, ça fais que…
-Ça fait que vous l’avez menacé avec vous arme.
-Ouais... ouais… Mais là, c’tait pas d’ma faute; pis en plus qu’est c’est qu’ça vient faire ? Ça a pas rapport ?
-Ici, au Parc Natura, où se trouve le terrain de chasse par rapport au lac ?
-J’sais pas trop. J’connais pas toute la place. J’sais que la chasse, c’est par là-bas.
À chaque fois, il donnait sa carte en recommandant  de téléphoner au cas où les gens se souviendraient de quelque chose, mais il n’avait guère d’espoir.

Arrivée au centre d’accueil sur son véhicule tout terrain suivi de l’infatigable Martin Sansregret, Roxanne salue Turgeon.
-Où est mon père ?
-Là-dedans; il fait des interrogatoires. Il est avec Oliver.
-…?
-C’est ben ce que je me dis.

Lorsque que Bernard Chicoine sort, elle se met à l’embrasure de la porte. Elle échange un regard d’encouragement avec Olivier.
-Il faudrait aller prévenir sa famille.
-Oui, c’est vrai.
- Sa mère, c’est sa seule famille. Elle habite ici à Notre-Dame-de-la-Paix. C’est Sansregret qui m’a renseignée. Tu veux que je m’en occupe.
-Oui, s’il te plaît. Prends Turgeon avec toi; son uniforme t’aidera à te faire ouvrir.
-Je te laisse avec les interrogatoires ?
-Oui, il m’en reste trois; je ne sais pas ce que ça va donner. Pour l’instant je patauge. Et puis, il me reste encore les employés.
-On se voit plus tard.
-Peut-être plutôt demain, au poste. J’en ai encore plus deux ou trois heures ici. Je ne sortirai pas tout de suite.
-Je peux revenir après, si tu veux ?
-Non, non ça va, je t’ai déjà assez dérangée comme ça.


Paul ne peut pas s’empêcher de se sire que c’était probablement l’une des raisons de la rupture du couple de Roxanne : être prête à répondre à toute urgence à toute heure du jour et de la nuit, ne pas avoir d’horaire régulier, finir souvent tard le soir et rentrer fatigué à la maison. La vie devient vite toute chamboulée. Lui n’avait personne qui l’attendait, mais elle arrivait souvent en retard pour le repas, et il ça énervait beaucoup son Fabio. Pourtant pour un artiste comme lui, bohême, rêveur, voyageur… il n’avait pas toujours la notion du temps. Il pouvait commencer une œuvre un jour et ne plus la retoucher avant six mois. Mais il tenait à être ponctuel, et la vie dans la police ne permettait pas à Roxanne de l’être. Résultat, maintenant Fabio vivait à Montréal. Allez, il faut que je fasse venir les autres.

lundi 21 septembre 2015


Les flammes de l’enfer

7
                Roxanne ne savait pas trop à quoi s’attendre en s’en allant sur les lieux du sinistre; son père ne lui avait presque rien dit, probablement pour ne pas l’influencer, pour ne pas orienter ses déductions. Elle arrête son véhicule à quelques pas de l’officière Beausoleil, toujours à son poste.
                -Bonjour Isabelle.
-Bonjour Roxane; c’est à ton tour de venir voir.
                Roxanne n’aura pas le temps de lui répondre, car sans que les deux jeunes femmes ne s’y attendent Martin Sansregret quitte hâtivement son siège et se précipite vers Roxanne; il se met à lui raconter son histoire.
                -Vous savez si ça peut vous aider là , une chose comme ça, ça jamais arrivé au Parc Natura; on n’a jamais eu d’accident avant aujourd’hui. Vous savez, toutes sortes de monde viennent ici; certains pour pêcher, d’autres pour chasser, majorité pour profiter des beautés et des activités du Parc Natura. Vous avez, on a dépensé plus de cinq millions de dollars pour arranger le site, c’est pas rien. C’était des gros travaux. On a tout aménagé un bau parc de jeux pour les enfants. Les gens aiment beaucoup ça venir ici, c’est beau, hein ? Ils viennent en famille, ou entre amis; ils reviennent chaque année. Ils prennent des photos. Cette année, on a ajouté le petit zoo… Ah, ça c’est très populaire. On a mis des animaux sauvages, des ratons laveurs, des renards, des canards, des marmottes, on leur a fait des habitats qu’ils aiment. On aimerait bien avoir une famille de lynx, ça, ça rapporterait ! Mais ça, c’qui vient d’arriver, j’vous jure que c’est pas d’la bonne publicité pour le parc. Heureusement qu’on est en fin de saison !
                Roxanne se permet de l’examiner. C’est un petit homme aux cheveux noirs mi-long qui porte une petite moustache. Il semble faire des efforts surhumains pour ne pas transpirer, ce n’aide vraiment pas. Il est vêtu d’un pantalon court style safari et chaussé d’espadrilles griffées qui ne sont pas très usées. Il porte une chemise kaki, déboutonnée du haut ce qui laisse voir une chaîne en or avec une médaille du yin et yang. La chemise est  à l’effigie du parc Natura : un petit raton laveur tout sourire armé d’une canne à pêche qui salut las compagnie. Un sourire qui ressemble étrangement à son sourire à lui. Percevant ses regards lubriques en train de la reluquer, Roxanne se dit que probablement avec son flot de paroles, son sourire onctueux et les gestes de ses mains il essaye de lui faire du charme. Ce ne serait pas la première fois. Martin Sansregret pointe vers les cendres.
                -Vous voyez, ici, au bord du lac on a mis quinze chalets, tous pareils. Il s’appelle le lac aux Truites. Avant il s’appelait le lac Farmer, mais mes associés et moi on trouvait que c’était pas trop trop vendeur, alors on l’a appelé le lac aux Truites; c’est du bon marketing. Les quinze chalets sont espacés d’un quart de mille environ. Ils sont tous équipés pareil pour deux ou trois jours de pêche sans être dérangé. Une table, des chaises, des lits de camps, une petite chaufferette. Celui-là qui a brûlé, c’était le dernier de la rangée, le numéro 15. Je sais vraiment pas ce qui est arrivé, c’est certainement un accident…
Roxanne a commencé à faire le tour.
-C’est possible que ce soit une défectuosité dans l’appareil de chauffage… Oui, c’est sans doute ça qui est arrivé. Attention, mademoiselle, ça fume encore. Faites attention où vous marchez. Faudrait pas vous brûler !

Paul consulte l’écran de l’ordinateur; le nom de six personnes ayant un casier judiciaire et leurs accusations défilent : violence conjugale, vol à main armé, tentative d’extorsion, trafic de drogue, attentat à la pudeur, fabrication de faux... Un moment, il a cru que cette liste lui fournirait un indice, un début de piste, mais il ne voit pas. Le fourgon de la morgue est arrivé; Turgeon s’occupe d’orienter les agents qui devront ramasser la dépouille. Le fourgon ne pouvant pas se rendre jusqu’au lieu de l’incendie, ils vont devoir marcher presque deux kilomètres pour y aller, et la même distance pour revenir.
Il entend les vociférations qui se poursuivent.
-Pourquoi on nous retient ?
-Criss ! Est-ce que ça va durer encore longtemps ce niaisage ?
-C’est pas juste, tout le monde est sorti et pas nous autres.
-En tout cas moi je vais porter plainte pour abus de pouvoir !
Une quinzaine de personnes entourent le pauvre Olivier et elles semblent prêtes à lui faire un mauvais parti. Paul se dit que c’est le temps qu’il intervienne.
-OK, tout le monde un peu de calme. Il s’est passé quelque chose de grave. Je vais vous appeler l’un après l’autre pour témoigner. Pis, ensuite vous pourrez tous partir.
-J’ai rien à voir là-dedans ! J’ai rien à témoigner !
-Écoutez, le plus vite ce sera fait, le plus vite ce sera fini. Je commence par… Katia Frigon. Qui est Katia Frigon ?
-C’est moi.
-Pouvez-vous venir avec moi quelques instants ?
-J’arrive.
Elle laisse sur place un homme et deux enfants.
Une fois à l’intérieur, Paul lui demande :
-Madame Frigon, est-ce que c’est votre première visite au parc Natura ?
-Oui, pis, j’pense bien que ça va être la dernière !
-Qu’est-ce que vous êtes venue y faire ? Je pense que vous êtes venue avec votre famille.
-Oui, on habite à Orléans, dans la région d’Ottawa, et on avait entendu parler de ce Parc. On avait vu la pamphlet et â semblait intéressant. Robert pis moi, on voulait en faire profiter les enfants. On est venu passer trois jours, mais on reviendra plus, je vous le garantis !
-Vous savez qu’il y a un incendie et un mort.
-Oui, c’est qu’on le monde disent.
-Qu’est-ce que vous en savez ?
-Comment ça ? Qu’est-ce que j’en sais ? Pourquoi je devrais savoir quelque chose ?
-Avez-vous vu quelque chose de suspect ?
-Non, j’ai rien vu. Nous autres, Robert, moi, pis les enfants, on était à la piste d’hébertisme; on est arrivés hier, pis on est tout-de-suite allés au zoo. Pis aujourd’hui, les gars voulaient aller à la piste d’hébertisme. On venait d’arriver, pis là qu’on a entendu des cris. On savait pas se que c’était. Pis les enfants ont continué la piste. Il y a des échelles dans les arbres, des passerelles. Mais bientôt, on a compris qu’il y avait eu un accident. De l’intérieur de la forêt, on pouvait pas voir la fumée. C’est juste qu’on a entendu la sirène des pompiers qu’on a compris que c’était un feu.
-Ensuite ?
-Ben là, on est sortis, bien sûr, pis on est revenu à la maison dans les arbres qu’on avait louée. C’est ben l’fun. On rentre par une échelle, pis on vit dans un arbre ! Il y a tout : la cuisine, les toilettes, les chambres. La seule chose que les enfants ont pas aimé, c’est qu’il y a pas internet… Tout le monde courait partout. Personne ne savait rien, mais à ce moment-là tout le monde pouvait voir la fumée au-dessus des arbres. Là, la police est arrivée. C’est tout ce que j’peux dire.
-Très bien, on ne vous retiendra pas plus longtemps, madame Frigon; vous pouvez partir, vous et votre famille. Si vous vous souvenez d’un détail qui vous semblerait important, voici ma carte et les façons de me contacter.
-C’correct; vous pouvez compter sur moi.

                -Monsieur Daniel Pomerleau ?
-Je ne sais rien, j’étais à la pêche avec mes chums; on est parti sur le lac de bonne heure le matin et on a péché jusqu’e fin d’après-midi.
-Détendez-vous, monsieur Pomerleau, je ne vous ai même pas posé de questions encore !
-Je sais ce que vous voulez savoir, mais j’ai rien vu et j’ai rien fait !
-Dites-moi, est-ce que c’est la première fois que vous venez ici ?
-Ah non ! Ça fait plusieurs fois.
-Est-ce que vous venez seul ?
-Non, non; j’viens avec mes deux chums, les frères Trudel; on vient ici depuis un bon trois quatre ans ! On loue un chalet au bord du lac, pis on passe trois jours à la pêche; y a la truite en masse dans le lac !
-Dans quel chalet étiez-vous ?
-Le 13. On prend toujours le 13. Il est placé sur une petite langue de terre et pour nous autres c’est parfait pour aller plus vite sur le lac. Pis c’est un peu isolé; on est moins dérangé. On a une chaloupe, on embarque le matin, pis on passe la journée à pêcher.
-C’est ce que vous avez fait ce matin.
-Oui, oui, c’est ça… On est parti vers sept heures, le matin c’est toujours ce qu’il y a de mieux; les truites ont bien faim le matin, pis elles pognent plus
-À partir du lac, vous n’avez rien vu de suspect ?
-Non, rien; on n’a rien vu; on a pêché.
-Du lac vous n’avez pas vu la fumée ? Ça m’étonne.
-Oui, on l’a vue, mais plus tard. On était tournés de l’autre côté, vers l’anse au fond du lac, pis à un moment donné, j’sais pas c’était qui, mais on a entendu des cris à partir d’un autre bateau. Là on s’est retourné, pis on a vu la fumée sur la rive.
-Qu’est-ce que vous avez fait ?
-Ben, on savait pas trop quoi faire. On voulait continuer à pêcher, mais on pouvait plus. On est revenu; surtout que la fumée était proche de notre chalet.
-Aviez-vous pris des poissons ?
-Des poissons ?... Non, non, en plus de ça on n’avait rien pris. C’était pas notre journée faut croire.
-Où habitez-vous monsieur Pomerleau ?
-Nous autres on vient de Turso.
-Merci monsieur Pomerleau. Vous pouvez partir si vous le voulez. Si vous vous souvenez d’un p’tit détail, n’importe quoi, voici ma carte. N’hésitez pas à me contacter.
-Ça marche.

Paul réfléchit quelques instants.

-Bon, maintenant... aux suivants.

lundi 14 septembre 2015

Les flammes de l’enfer

6

-Merci. C’est sûr que ça va nous aider.
Simoneau repart sur son quatre roues. Pendant que Martin Sansregret regarde ce dernier s’éloigner, Paul Quesnel reste encore un moment à examiner les cendres du chalet. Il fait le tour du lieu en regardant intensément, attentif à chaque détail. L’officière Beausoleil le suit; elle a sorti son appareil et commence à prendre des photos de la scène sous tous ses angles. Ça et là, les cendres fument encore. Le corps est affalé, allongé sur le ventreComme s’il avait fait une chute. Mais d’où ? Il ne peut quand même pas être tombé du toit ? Est-ce qu’il s’est assommé ?
Paul prend son téléphone. Pourvu qu’elle soit chez elle.
-Oui, allo ?
-Roxanne, c’est moi. Je suis content que tu sois chez toi. J’aimerais que tu viennes me rejoindre.
-…!
-Oui, maintenant.
-…
-Oui, oui, je sais que c’est ton jour de congé. Mais j’ai ici une situation qui sort de l’ordinaire, et je vais avoir besoin de toi pour l’enquête. Il y a eu un incident et ce serait mieux que tu voies la scène comme elle est maintenant.
-…
-Je suis au Parc Natura, tu sais à la sortie de Notre-Dame-de-la-Croix. Tu connais ?
-…
-Bon, et bien, je suis là avec Katya, Turgeon et Jean-Philippe.
-…??
-Mais oui ! Bien sûr que je l’ai pris avec moi. Il faut bien qu’il fasse quelque chose d’utile avant de finir son stage ! Et puis, j’ai un rapport à écrire, moi ! Il faut bien que je trouve quelque chose à y mettre.
-…
-Bon, je t’attends; je serai probablement au poste d’accueil.
-…
-Non, non viens comme tu es.
Paul ferme son appareil. Il soupire.
-Alors, qu’est-ce que vous en dites, inspecteur ? Un accident comme ça ce n’est jamais une bonne publicité pour une place comme Natura !
Paul ignore la remarque de Martin Sansregret. Il compose un autre numéro.
-Allo, Jocelyne ? C’est moi, Paul. Je vais avoir besoin d’un fourgon mortuaire au Parc Natura… Oui, c’est ça… Peux-tu appeler au poste de Gatineau et me le faire l’envoyer… Oui, merci… Non, non, ça ira.
Puis il se tourne vers l’officière Beausoleil.
-Katya, c’est toi qui restes ici pour l’instant; tu surveilles le site et tu ne laisses approcher personne.
-Pas de problème.
Il enfourche son quatre roues.
-Venez-vous en, monsieur Sansregret. Nous n’avons plus rien à faire ici.

De retour au centre du Parc, la pagaille règne toujours. Paul est frappé par le bruit ambiant. Les gens sont toujours agglutinés autour des pavillons administratifs, impatients de partir. Tout le monde parle en même temps; certains hommes haussent la voix en gesticulant, presque hystériques. Les enfants sont terrés dans les voitures, soient apeurés soient surexcités. On en voit plusieurs ne pouvant s’empêcher de pleurer.
-Quand est-ce qu’on va pouvoir partir ?
-Nous autres, on veut pas rester ici !
-C’est inhumain ce que vous faites.
-Nous on a rien fait; on veut partir d’ici !
-On a rien à voir avec ce qui s’est passé; on veut rentrer chez nous !
Si la situation n’était pas aussi tragique, Paul riait de bon cœur de voir Olivier Jean-Jacques se démener avec ses gestes amples et ses mimiques à essayer de calmer tout ce monde. Turgeon s’approche de lui.
-OK, patron, j’ai fait ce que vous m’aviez demandé; on a six noms sur la liste.
-Six ?!
-Oui, six personnes qui ont un casier judiciaire.
-C’est plus que j’aurai cru. OK, fais partir tout le monde. Tu fais partir tout le monde, sauf ces six-là. Tu contrôles les identités et tu leur dis que s’ils ont quelque chose à dire, s’ils ont vu quelque chose d’anormal, ils doivent nous contacter, ou contacter le poste de police de leur patelin. Tu leur donne les coordonnées. Aux six personnes de ta liste, tu leur dit quand ne les retiendra pas longtemps, que je veux leur parler. Moi, je vais faire un appel au micro. Vous monsieur Sansregret, vous pouvez donner l’ordre de rouvrir les grilles.
-Rouvrir les grilles ?
-Oui ! Pour laisser les gens sortir.
Aussitôt que la voix de Paul fait entendre dans l’intercom, le brouhaha se calme. Bientôt, les gens se débandent et se dirigent vers leurs véhicules dans un soulagement général. Le mouvement s’accentue quand ils voient les grilles s’ouvrir et les premières voitures bouger. Les agents Turgeon et Jean-Jacques dirigent la circulation.
-Vous laissez partir tout le monde ?
C’est encore ce Sansregret qui ne cesse de geindre.

-Ben oui. Je ne pense pas que c’est très utile de les garder ici.
-Mais est-ce qu’ils vont revenir ?
-Je ne crois pas que c’est mon problème... Les employés, eux doivent rester sur place; je vais avoir besoin de les interroger. Combien il y en avait aujourd’hui ?
-Une vingtaine : des gardiens, des animateurs, ceux qui sont chargés de la cuisine, ceux de l’entretien, l’accueil, la boutique.
-Je voudrais la liste et leur affectation.
-Est-ce que j’ai le droit de communiquer avec deux autres actionnaires ?
-Bonne question. Probablement, mais attendez un peu : juste par précaution je voudrais qu’un de mes agents assiste à vos coups de téléphone. Vous comprenez, n’est-ce pas ?
-Non, pas vraiment !
-Monsieur Sansregret, il y a eu un mort sur le terrain de votre parc, dans un incendie tout ce qu’il y a de plus suspect; il pourrait même s’avérer que ce n’est pas un accident, et dans ce cas, ça regard la police, et la police c’est moi, si vous ne l’avez pas remarqué.
Les voitures s’en vont les unes après les autres. Il est 18hrs. À l’approche du soir, le calme revient tranquillement au Parc Natura. Les six personnes sur la liste de Turgeon manifeste leur désaccord avec force protestations. Elles témoignent haut et fort de leur colère et de leur frustration. Il s’agit de cinq hommes et une femme qui ne comprennent pas pourquoi on les retient plus longtemps que les autres.
Juste à ce moment, Roxanne arrive à son tour. Elle est en civil, sans casquette, mais a mis son insigne sur sa blouse.
Paul l’appelle : « Par ici, Roxanne ! »
Puis se tournant vers Martin Sansregret avec un demi-sourire :
-Rendez-vous donc utile. Amène-la au lieu du sinistre.
-Moi ? Moi ? OK. OK…
Le propriétaire guide Roxane vers les petits véhicules tout terrain. Ils démarrent.

-Bon, maintenant, voyons ces suspects.

lundi 7 septembre 2015

Les flammes de l’enfer

6
                Au moment où y pénètrent, vers 16 hrs les deux voitures de police toutes sirènes hurlantes, le Parc Natura est déjà sens dessus-dessous. La première contient l’officier Paul Quesnel enquêteur-chef du poste de la Sureté du Québec de Papineauville et l’officière Beausoleil et dans la deuxième les agents Turgeon et Olivier Jean-Jacques. Paul Quesnel s’est dit que ce serait une bonne occasion de plonger son stagiaire, qui en est à sa dernière semaine chez lui, dans le feu de l’action, de lui faire voir à quoi peut ressembler une scène de crime. Il sait que Turgeon qui l’accompagne saura l’aider et bien lui faire profiter de cette possibilité d’apprentissage.
La nouvelle qu’il y aurait eu un mort lors d’un incendie qui s’est déclaré dans le chalet numéro quinze a fait le tour de l’endroit en un rien de temps. Par la force des choses, les diverses activités du Parc ont été suspendues. Les manèges ont été arrêtés, les visites dans le mini-zoo interrompues, la piste d’hébertisme s’est vidée; toutes personnes qui avaient emprunté des pédalos, des canots ou des kayaks sont rentrées à la rive; celles parties à la pêche ou à la chasse sont revenues. Toute cette populace est dans un état de grande agitation, de surexcitation. On dirait que tout le monde parle en même temps avec les plus grands gestes possibles; on entend des cris, des pleurs. Bien des parents se sont réfugiés avec leurs enfants dans les bâtiments de service : l’accueil, la restauration, les services. D’autres se sont barricadés à l’intérieur de leur tente ou de leur chalet. On entend les enfants pleurer. Tout un amas de gens qui vocifèrent manifestant bruyamment leur désir impérieux de quitter les lieux.
C’est seulement la deuxième fois que Paul Quesnel pénètre dans le Parc Natura depuis son ouverture il y a cinq ans. La première fois, c’était justement lors de l’ouverture officielle; il y avait le député du comté, le maire de Notre-Dame-de-la-Croix et plusieurs autres personnages publiques. À dire vrai, cette nouvelle attraction touristique ne lui avait pas fait grand effet. Tout était kitch, trop plastifié, à commencer par les bâtiments de service en préfabriqué.  Les kayaks et autres embarcations étaient en synthétique.  Même les cabanes de pêcheurs isolées dans le bois sur les rives nord et ouest du lac étaient en fond bois rond. C’est tout juste si on n’avait pas peint les arbres en vert ! Ça n’avait rien à voir avec un vrai séjour à la campagne. Heureusement qu’il restait l’air pur.
Rien n’avait changé depuis sa première visite, sauf qu’on avait ajouté des glissades d’eau pour les jeunes et les enfants et même des machines à boules et des jeux électroniques ! Je suppose qu’on peut se connecter à l’internet et aux réseaux des cellulaire, maintenant, jusqu’au milieu du lac.
                Dans toute cette marée de personnes et de véhicules, les deux voitures ont de la difficulté à se frayer un chemin jusqu’au poste d’accueil. Il en sera de même pour l’ambulance qui arrivera quelques minutes plus tard. Paul Quesnel aperçoit Simoneau le chef des pompiers de Buckingham. Il accompagné d’un homme en tenue d’été d’une quarantaine d’années un peu agité. Il me semble que je l’ai déjà vu, celui-là.
                -Enfin, dit Gérald Simoneau en le voyant ! Monsieur Sansregret, voici l’inspecteur Paul Quesnel de la Sureté du Québec. C’est lui qui prend la direction des opérations à partir de maintenant.
                Ah oui, je me souviens; c’est l’un des promoteurs de cette mascarade. Paul se souvient de cette inauguration. Cet homme, comme ses compères promoteurs de la ville, lui avait semblé fat, prétentieux et cupide, qui ne s’intéressait à ce site naturel que dans le but de faire des profits. Des jeunes arrivistes ambitieux qui étaient prêts à détruire et à remodeler sans scrupule aucun les forêts et les lacs pour plaire avec des plaisirs artificiels à une clientèle insipide de banlieue et, surtout, à faire de l’argent avec leur projet.
                -Bonjour !
                -Bonjour, inspecteur, dit l’autre d’un air un peut prétentieux; je suis Martin Sansregret, l’un des propriétaires et administrateurs du Parc Natura.
Paul le toise quelques instants; décidément, ce personnage est et lui sera toujours foncièrement antipathique, mais il ne fait pas se faire influencer. Il demande à Simoneau de lui dire ce qu’il sait. Les trois hommes doivent se frayer un passage vers le centre d’accueil entre tous les gens qui vocifèrent avec colère. Ils s’installent dans le bureau de la direction.
                -Vers 13h30, il y a eu un appel d’urgence de la part de monsieur Sansregret pour un incendie dans un des chalets ici au Parc Natura. On est arrivés environ trente-cinq minutes après. Comme les camions ne pouvaient pas atteindre le chalet parce à cause du chemin qui est trop étroit, on a installé une pompe dans le lac. On a isolé l’endroit et on s’est surtout occupés à arroser les arbres des alentours qui brûlaient déjà pour éviter que le que le feu ne se répande partout. Heureusement qu’avec la pluie des derniers jours, ce n’était pas trop sec. Le feu du chalet n’a pas été très long à maitriser. En éteignant les dernières flammes, on a trouvé un corps calciné. C’est là que je vous ai appelé.
                -Pour une mort suspecte…
                -Ça m’en a tout l’air.
                -Est-ce qu’on sait c’est qui ?
Martin Sansregret intervient.
-Monsieur l’inspecteur, on est en train de faire le décompte des vacanciers et des membres du personnel. Mais avec le tout ce chaos, vous pensez bien que ce n’est pas si facile que ça. On a bloqué la sortie.
-Il faudrait que personne ne quitte le terrain avant qu’on est fait le décompte complet.           
-Mais il y a des gens qui ont déjà quitté !
Paul essaye de ne pas trop tiquer à l’incorrection grammaticale.
-Comment ça ?
-Ben, vous savez, il y a tout le temps des gens qui vont et viennent. C’est un parc populaire ici. Certain arrivent pour une journée, pour une demi-journée, pour un week-end; et il y a les autres qui quittent à la fin de leur séjour. Il  y a trois familles qui ont quitté avant qu’on est donné l’ordre de fermer les portes.
                -Il faudra trouver leurs coordonnées.
                -Oui, ce ne sera pas trop difficile.
                -Bon, Simoneau, je suppose que tes hommes sont prêts à partir ?
                -En effet.
                -Alors, renvoie-les. Nous, on va aller voir le lieu de l’incendie. Je suppose, monsieur Sansregret, que vous avez un service de communication par haut-parleurs à la grandeur du parc. Je voudrais faire une annonce.
                -Quoi ?... Ah, oui, venez par ici.
                -Messieurs, dames ! Que tout le monde reste calme. Je suis l’inspecteur Quesnel de la Sureté du Québec. Je vous promets que dans moins d’une heure vous pourrez tous rentre chez vous. En attendant, le Parc Natura va vous offrir des rafraîchissements gratuits…
Paul sourit : « N’est-ce pas monsieur Sansregret ? »
-Heu… Oui… Oui, bien sûr.
                En sortant, Paul Quesnel s’entretient quelques instants avec Véronique Beausoleil.
Puis, s’adressant à Turgeon et  Olivier Saint-Jacques : « Vous deux, vous essayez de mettre un peut d’ordre là-dedans. Commencez par faire dégager l’entrée pour que les pompiers puissent enfin sortir.
Simoneau guide Paul Quesnel vers la direction opposée au pavillon d’accueil. Les camions de pompiers sont là prêts à partir. Les pompiers en sont aux derniers rangements. Après avoir donné quelques ordres à ces hommes, le chef du service d’incendie guide Paul Quesnel vers un étroit sentier. Il y a une foule compacte d’une cinquantaine de personnes, surtout des hommes et des jeunes garçons.
                Simoneau et Paul montent chacun dans un quatre roues pour se rendre deux kilomètres plus loin dans le sentier « bleu ». Paul commence à sentir l’odeur de brûlé. Deux pompiers surveillent un large cordon de sécurité. La forêt a brûlé sur plusieurs centaines de mètres carrés.
                -Ouais, ça a flambé…
                -On s’en est bien tirés. Heureusement qu’on avait le lac à disposition.
                Paul sent l’odeur du feu le prendre à la gorge. Il tousse. Simoneau lui tend une bouteille d’eau. Il passe sous le cordon de sécurité et avance tranquillement. Il commence par se faire une idée de l’ensemble de la scène : les arbres roussis, les troncs noircis, quelques volutes de fumées qui s’échappent encore. Il se tourne vers les décombres du chalet. Il se dit qu’il ferait bien d’appeler Roxanne.
                -Il ne reste pas grand-chose.
                -T’sais un chalet de bois comme ça, ça brûle en un rien d’temps.
                Paul s’avance avec précaution. Il voit des morceaux de verre éclaté, les restes d’un sommier et d’un matelas; des restes d’ustensiles de cuisine. Dans un coin se trouve la carcasse d’une sorte de poêle au gaz ou quelque chose comme ça. Il y a bel et bien un corps méconnaissable allongé sur le ventre le long des restes d’un des murs. Un homme probablement. Il était costaud, bien bâti. Il portait des bottes de travail, des gants aussi. Près de lui, Paul remarque une lame de hache, une lame de couteau, des clés aussi, les débris d’un lampe-torche. Paul s’accroupit.
                -Est-ce qu’il y a des traces d’accélérant ?
                -C’est trop tôt pour le dire. C’est ton expert en sinistre qui va te dire ça.
                -Oui, c’est vrai. Je te libère. Merci pour tout.
                -Ça va. Bonne chance.
                Au moment où Simoneau s’en retourne et embraye son quatre roues, Paul entend le son d’un autre véhicule tout terrain qui s’approche. Une voix l’appelle.
                -Inspecteur ! Inspecteur !
                Martin Sansregret, légèrement débraillé, arrête net son véhicule. Il en descend et sans hésiter se met à courir vers lui.
                -N’entrez pas à l’intérieur des limites de sécurité !
                - Inspecteur ! Je pense savoir qui c’est !
                -Ah oui !?
-Oui, tout notre monde est là sauf un de nos employés qui manque à l’appel. Il s’appelle Gustave Abel.