mardi 26 avril 2016

Les petits enfants
Chapitre 17

En début d’après-midi, Roxanne se rend de nouveau à Lac-des-Sables. D’après les archives, il y avait deux motels-hôtels à l’époque, dont un seul est toujours en opération aujourd’hui. La visite au motel « Chez Joe Montferrand » qui ne paie pas trop de mine ne donne grand-chose. La jeune femme à l’accueil n’était visiblement pas née en 1978 et elle n’a une idée où pouvaient bien se trouver les anciens registres.
-Les registres de 1978 ??
La jeune femme regarde Roxanne comme si elle venait de la planète Mars.
-Nous n’avons pas de registre, tout est informatisé !
Il suggère à Roxanne de contacter le propriétaire actuel Tony Bibeau; mais comme le motel a été vendu trois fois en trente ans, Roxanne ne se fait pas trop d’illusion. Elle se doute que tout a été détruit au fur et à mesure des changements de direction. Elle reprend la route et se rend à Pontneuf à une quarantaine de kilomètres au nord-est de Lac-aux-Sables; c’est là que demeure l’héritier des propriétaires de l’autre hôtel.
L’hôtel « Chez nous, c’est chez vous » - c’était son nom - a longtemps été le détour obligé à Lac-des-Sables, le lieu d’arrêt par excellence pour toute personne séjournant quelque temps dans la région. Il avait ouvert une décennie après la fondation officielle du village au début des années 1950. L’accueil chaleureux et bon enfant de Francine et Bernard Bibeau, le couple qui en était propriétaire, son ambiance festive, la qualité de la table et la beauté de la vue sur le lac qu’il offrait, faisaient sa réputation. On se sentait vraiment chez soi; on se sentait loin du monde, on y oubliait tout. C’était un must qu’on ne pouvait manquer qui attirait une clientèle composée autant de riches Étatsuniens venus chasser l’orignal que de simples familles de vacanciers. Il est vrai aussi que Francine n’était pas une femme à dédaigner; elle aimait bien rire et elle savait que sa poitrine généreuse moulée par dans des gaminets blancs ou jaunes faisait tourner bien des regards innocemment concupiscents, le tout sous l’œil complice et moqueur de Bernard. Il y avait une douzaine de chambres et l’hôtel affichait souvent complet. Toute la clientèle se mêlait dans la salle à manger, le soir, Bernard n’avait pas son pareil pour relater ou pour faire raconter les exploits du jour des uns et des autres et tout le monde écoutait, commentait et participait. La bière coulait abondamment et servait à délier les langues. Une fois un homme de l’État de Washington avait raconté sa mésaventure devant un ours aventureux; il avait dû grimper dans un arbre et y avait passé une bonne partie de l’après-midi par peur de redescendre et de se retrouver face à son ours. La salle entière s’était esclaffée devant son air piteux, et Francine et Bernard n’avaient pu s’empêcher de rire eux non plus, et ni le personnel; on en avait parler pendant tout l’été et même l’année d’après. Tous les jeunes du village ou presque voulaient travailler l’été à l’hôtel « Chez nous, c’est chez vous »; on y était rémunéré qu’au salaire minimum mais les pourboires étaient spectaculaires.
Avec les années, la clientèle avait graduellement changé; la chasse était devenue moins populaire au profit des randonnées en motoneiges, et les motoneigistes préféraient s’arrêter au « Rendez-vous du Nord » nouvellement établi dans un autre coin du village. Et la nouvelle route avait fait mal aussi; le long de celle-ci des établissements commerciaux avaient ouvert plus modernes correspondants mieux aux nouveaux goûts de la clientèle. Francine et Bernard vieillissaient aussi, ils le savaient; ils avaient moins d’énergie qu’avant et Francine pouvait moins jouer de ses charmes. Ils avaient pris leur retraite; ils avaient eu deux fils, Sammy et Jocelyn et aucun des deux ne voulaient ni ne pouvaient prendre la relève. Ils auraient bien voulu vendre, mais pendant deux ans, ils n’avaient reçu aucune offre intéressante parce que l’édifice demandait trop de rénovations et trop d’innovations modernes. Ils avaient fini, la mort dans l’âme, par céder leur hôtel mythique pour quelques dollars à la municipalité qui l’avait déclaré monument patrimonial, le premier du genre dans la région. Malheureusement, il sera rasé par un incendie une dizaine d’années plus tard. Trois autres motels-hôtels avec beaucoup moins de cachet se sont ensuite ajoutés au fil du temps à Lac-des-Sables.

-Bonjour, je suis l’officière Roxanne Quesnel-Ayotte, de la Sureté du Québec; j’aimerais avoir des informations sur l’hôtel que possédaient vos parents.
Elle regarde cet homme obèse, hirsute et débraillé, qui est venu paresseusement lui répondre; il ne semble pas avoir pris sa douche depuis un bon bout de temps.
-Ils sont morts, mon père il y a longtemps, pis ma mère il y a deux ans. En plus, tout a brûlé, il y a au moins dix ans.
 -Oui je le sais en 2005. Mais ce que je cherche ce sont plutôt les archives, les anciens registres; savez-vous où je pourrais les trouver ?
-Ils ont fait quelque chose de pas correct…
-Non, pas du tout, mais je fais une enquête sur un événement qui s’est passé à Lac-des-Sables en 1978 et je cherche le plus d’information possible sur cette époque, et j’ai pensé que les registres de l’hôtel « Chez nous, c’est chez vous » pourrait m’aider.
-Moi, je ne m’en suis jamais occupé. Quand, mes parents ont pris leur retraite, ils ont essayaient de vendre l’hôtel, mais personne n’a voulu l’acheter; la bâtisse était ben qu’trop maganée. La municipalité la pris pour le dixième de sa valeur, avec la promesse de faire les réparations. C’était pas beaucoup. Mes parents étaient vraiment découragés. Tout avait été vidé; ils ont fait une vente de feu pour récupérer un peu d’argent, le mobilier, la coutellerie… Le pire, c’est que quand ça a brûlé, c’est la municipalité qui a eu les assurances. Mon père était vraiment découragé; il est mort pas longtemps après pis moé, je me suis occupé de ma mère qui faisait du Alzheimer. Elle est morte il y deux ans.
-Est-ce que je peux entrer ?
Jocelyn Bibeau cède de mauvaise grâce. La maison est sens dessus dessous, tout est disposé pêle-mêle.
-Vous vivez seul ?
-Oui; j’ai un frère à… Kingston, mais on ne se voit pas souvent.
Roxanne sait que son frère Sammy est interné au pénitencier fédéral de Kingston pour trafic de stupéfiant et elle se demande bien pourquoi Jocelyn Bibeau n’en parle pas. On verra plus tard. Je ne suis pas venue pour ça.
-Avec l’argent qui leur restait ils ont acheté cette maison, loin de Lac-des-Sables. Ils voulaient plus rien savoir de ça. Ils avaient pas une grosse pension, même s’ils ont travaillé toute leur vie. Pis moé, je me suis occupé de ma mère quand mon père est mort.
-Vos parents quand ils ont déménagé ici, ils n’ont rien gardé de l’hôtel ? Ils n’avaient pas de chemises, des dossiers, des boites ?
-Non rien, ils voulaient tourner la page… Ah oui, il y a un gros coffre dans le grenier où ils ont mis des affaires. Je sais pas quoi; je ne l’ai jamais ouvert.
-Est-ce qu’on peut aller voir ?
Un escalier en colimaçon mène au grenier, tout aussi encombré que le reste de la maison : des veilles chaises, des meubles, des couvertures, des boites, des outils.
Jocelyn Bibeau désigne un coin : « C’est là. »
Roxanne aperçoit une grosse malle qui disparaît presque sous des amas de vieilleries.
-On va la dégager, dit-elle; et elle se met à déplacer les objets les uns après les autres. Jocelyn Bibeau les dépose négligemment n’importe où.
La malle à découvert, Roxanne s’agenouille.
-Elle est barrée.
-Ça s’peut, moi je l’ai jamais ouverte.
-Il y a peut-être un trésor !
La remarque de Roxanne ne fait pas ni rire ni sourire son interlocuteur.
-Elle est très lourde comment l’a-t-on montée jusqu’ici ?
-Probablement que mes parents l’ont remplie au fur et à mesure.
-Je cherche l’année 1978.
-C’est mon père qui s’occupait de la comptabilité.
-Je peux supposer que vous aviez dix ou douze ans en 1978.
Elle sait qu’il est né en 1966 et son frère ainé deux ans auparavant.
-Quand mes parents avaient l’hôtel, tout le monde me connaissais, je pouvais aller partout. Je connaissais tous les racoins.
-Dites-moi une chose monsieur Bibeau. Est-ce que vos parents vous auraient parlé d’un homme qui serait parti en catimini sans payer ?
-Bien des gens partaient tôt le matin; ils laissent la clé sur la table de lit ou au comptoir d’entrée et on ne les voit plus. Il y a plein de gens qui vont ça. Peut-être moins à l’hôtel parce que c’était familial. Des gens qui sont partis sans payer ? Je ne sais pas; il fallait payer d’avance, mais on sait jamais. Partir sans payer, ça me surprendrait.
-Est-ce qu’il y a déjà eu un vol ?
-Les gens pouvaient partir avec des serviettes, des savons, même des draps, mais pas beaucoup; mes parents étaient quand même très respectés et quand ça arrivait, par exemple, un drap qui manquait, le client était barré à jamais.
-Savez-vous si il y aurait eu un cambriolage…
-Un cambriolage ?! Non, il n’y jamais eu de cambriolage.
-Est-ce qu’il y avait des bagarres ? Ou alors des événements extraordinaires ?
-Il y avait des chasseurs qui se vantaient pas mal et d’autres qui avaient un peu trop pu qui pouvaient se crier des noms, mais des batailles, non, j’en ai jamais vu.
En entamant sa descente, Jocelyn Bibeau repète : « Non, jamais… »
-Est-ce qu’il y aurait eu quelqu’un qui serait parti en laissant toutes ses affaires, qui aurait disparu en laisser ses bagages ?
-Bien des gens oubliaient des affaires, bien du monde, des brosses à temps, des chaussures des sous-vêtement, des couteaux, des sacs de voyage; mais tous les bagages, je n’en ai pas entendu parler…. Attendez, je me souviens une fois, c’était au milieu de 1977 ou 1978, quelque chose comme ça; je ne suis pas sûr. Mais une fois, un groupe de chasseur était parti toute l’après-midi dans la région du Mont Dufresne, peut-être, je m’en souviens pas, et ils devaient revenir pour le souper; ils devaient être quatre ou cinq. Et le soir, ils ne sont pas rentrés. Maintenant, ça me revient, j’avais complétement oublié ça.
-Oui, vous vous souvenez de quoi ?
-Il arrivait souvent que les soirées se prolongent; mon père aimait ça compter des histoires; moi j’étais tanné de l’entendre alors je passais mes soirées au lac. Là, ils sont rentrés plus tard que prévu. Quand je suis revenu, j’ai vu que mon père les attendait encore. Moi il m’a pas vu, mais les chasseurs sont arrivés au milieu de la nuit; c’était vendredi ou samedi soir. Quand ils sont rentrés, ils ont eu une grosse chicane avec mon père, ça m’a réveillé, mais je comprenais pas vraiment; j’entendais juste : « C’est pas d’notre faute ! C’est pas d’notre faute ! » Mon père était vraiment en maudit. Le lendemain, ils étaient partis… Ah oui, ils disaient qu’ils étaient tombés dans l’eau, que le courant les avait emportés… Quelque chose comme ça.
-Est-ce que c’est possible qu’ils soient partis cinq et qu’ils soient revenus quatre ?

-Je ne peux pas dire. Ça me paraît dur à croire. Quand je me suis levé le matin, ils n’étaient plus là. Ça devait être en ‘77 ou ‘78, peut-être après les Olympiques en tout cas.

lundi 18 avril 2016

Les petits enfants
Chapitre 16




Le réveille-matin de Roxanne sonne à 6h45 en ce lundi matin. Roxanne l’éteint d’un doigt incertain et autoritaire à la fois. Elle ouvre les yeux, souriant au petit matin, se sentant de très bonne humeur. La fin-de-semaine avec Fabio s’est bien passée. Il était content, vraiment, de la revoir. Il a été gentil tendre, affectueux, attentionné. Il avait cessé ses activités pour lui consacrer, et à elle seule, toute la fin de semaine. Elle ne désirait pas tellement coucher dans le petit réduit qu’il occupe et qu’il a aménagée en chambrette dans le centre d’art-coopérative où il vit et travaille depuis son retour Montréal. Alors elle avait loué une chambre dans un hôtel dans le sud-ouest de la ville près de l’autoroute et il y était venu sans problème. Il avait pris quelques affaires pour se changer, sa brosse à dents. Il a l’air de bien se porter, s’était-elle dit; il a l’air de bien manger. Bien sûr, il avait commencé par l’inviter à venir voir son atelier; il lui a montré son travail et elle a trouvé ça bien : ce sont des collages ou plutôt des montages faits avec des objets récupérés, du plastique, du caoutchouc, du métal, des morceaux brisés des divers matériaux. C’est très original, n’a pu s’empêcher de constater Roxanne. Ses créations ne sont jamais de formes géométriques, jamais carrées ou rectangulaires comme des toiles; elles prennent toutes sortes de formes : ovales, rondes, biscornues, selon ce en quoi résulte l’agencement. Ce sont des œuvres mi-peinture, mi-sculpture, mi-assemblage. Ça ressemble à des animaux, des paysages, des villes, des personnages, des mouvements, comme si Fabio pouvait faire sortir ce qu’il voulait d’un peu n’importe quoi. C’est un art contestataire certes, mais pas agressant, presque apaisant, qui pousse surtou à réfléchir sur la finalité des choses, sur leur valeur intrinsèque, et donc sur celles de nos vies. Il a vraiment du talent, a-t-elle souri, impressionnée.
 Ils ont passé une nuit d’amoureux comme elle, et probablement lui non plus, n’en avaient pas eue depuis longtemps, avec juste assez de passion, juste assez de fougue, et sans rien de factice. Il avait été content de lui faire à manger, de lui prépare une recette de chez lui, une authentique soupe au pozole, ce maïs blanc très nutritif, qui trouve son origine chez les Aztèques. Le samedi après-midi, ils sont simplement allés aux Îles de Boucherville faire une longue promenade main dans la main; ils ont redécouvert le plaisir, le bonheur, d’être ensemble à écouter les oiseaux, à regarder l’eau du fleuve couler. Ils avaient plein de choses à se reconter et ont ri comme deux enfants. Et elle n’a pas parlé de son travail. Il lui a demandé comment aller son père et lui a recommander de le saluer. Pendant un moment, elle a pensé qu’ils pourraient aller voir sa mère qui vit à Saint-Bruno, mais elle ne lui avait pas téléphoné avant de partir et ce sera pour la prochaine fois.
Roxanne met la cafetière en route. Elle se dit que vendredi, elle n’a pas perdu son temps non plus, qu’elle a bien avancé. Juliette la bibliothécaire/guide touristique de Lac-des-Sables est décidément mine inestimable et intarissable d’information. Quelle sagacité ! Et puis son je-ne-sais-quoi d’aisance qui lui donne un charme fou.
Roxanne pense à tout ce que Juliette lui a partagé; son intuition lui dit que la solution se trouve dans ce que Juliette lui a dit, dans petit un détail, un fil qui lui faut tirer, une piste qu’elle doit suivre; il suffit juste de trouver la bonne; elle sait qu’elle n’est pas loin d’y voir clair. Contrairement à son père qui est beaucoup plus pragmatique, qui possède une excellente capacité analytique, qui peut faire des liens alors que personne n’en voit, Roxanne est davantage intuitive, elle se fie sur sont instinct sur ce qu’elle « sent », ce qu’elle ressent. Ils se complètent assez bien. Normalement elle aurait dû tout-de-suite, à chaud, rendre compte de sa rencontre avec Juliette à son père et lui il y aurait réagi; c’est souvent comme ça qu’ils fonctionnent et qu’ils créent les étincelles qui font progresser les enquêtes ou qui mènent à la solution. Mais elle devait partir pour Montréal. Elle ne voulait pas faire attendre Fabio, ni l’appeler - surtout pas ! catastrophe ! - pour lui dire qu’elle sera en retard; c’est arrivé trop souvent qu’elle rentre tard le soir, ou que ses fins de semaine soient interrompues, et ça été trop dur pour leur couple. Elle aimerait bien sauver son couple, et Fabio aussi sans doute, mais elle ne peut pas faire ce que lui doit faire, mais elle peut faire ce qu’elle doit faire, et elle sait ce qu’elle doit faire : ne plus faire passer le travail avant l’amour… sauf exception. Hier, ils se sont quittés avec émotion, Roxanne plus convaincue qu’à son arrivée que Fabio ne reviendra pas à Papineauville. Est-ce que c’est comme ça que sera leur vie de couple, de façon intermittente, en deux endroits différents ?
Roxanne se met en grand uniforme aujourd’hui, avec cravate, épinglette, et souliers bien cirés; elle attache bien ses cheveux pour que pas un ne dépasse, et dépose tout juste un soupçon de fond de teint sur ses pommettes. Qui veut-elle bien impressionner ? Elle ouvre la porte de sa voiture et démarre. Il fait beau et elle conduit machinalement; depuis le temps, elle connaît la route par cœur jusqu’au poste de la Sureté du Québec; le trajet qui n’est pas très long, à peine dix minutes.
Elle salue Jocelyne à l’entrée et les autres collègues qui arrivent en même temps.
-Alors Isabelle, ça avance ?
-Je continue d’éplucher les dossiers. Pour l’instant je n’ai trouvé de compromettant. On se voit tout-à-l’heure ?
-Bien sûr.
Roxanne a une demi-heure avant la rencontre hebdomadaire du lundi matin pour prendre les messages qui se sont accumulés.

Après la rencontre du matin, qui a duré une heure comme d’habitude, Isabelle arrive dans son bureau.
-Allons mettre mon père au parfum
-D’accord.

Roxanne fait la bise à son père. Celui-ci remarque sa tenue impeccable.
-Tu as passé une bonne fin de semaine ?
-Oui, excellente; ça m’a fait du bien.
Les jeunes femmes s’assoient devant son bureau.
-Alors, qui commence ?
-Moi, je vais commencer. J’ai pris tout ce qui pouvait nous intéresser dans les archives de la municipalité à partir de la fin de 1977 jusqu’au début de 1979, pour vraiment tout couvrir. Je continue à tout éplucher; mais vraiment je ne vois rien de particulier. Rien d’illégal en tout cas. Oui, en étant pointilleux, on trouverait beaucoup de connivences, bien des entourloupettes; par exemple, ce sont toujours les mêmes compagnies qui obtiennent les contrats. Ça peut être parce que les options sont limitées remarque bien.
-Oui, c’est vrai.
-Ce qui est sûr, ce que c’était une période de grande effervescence. Il s’est octroyé plus de permis de construction ou de rénovation ou d’excavation cette année-là que durant les cinq années précédentes. Ce qui est intéressant, c’est le nombre d’individus qui ont demandé de rénover ou d’agrandir leur maison ou leur établissement commercial. Ou alors plusieurs qui voulaient se construire le long de la nouvelle route. Le village a dû considérablement changer d’allure à cette époque.
-La question des établissements commerciaux sera à creuser. Est-ce qu’il y en a par exemple qui ont fermé ou des nouveaux ont été ouverts…
-Qu’est-ce qu’on dit sur le camping ?
-Ouais; par grand-chose. D’après moi, les gens faisaient un peu ce qu’ils voulaient.
-À toi Roxanne…
Roxanne relate à Isabelle et son père le long entretien qu’elle a eu avec Juliette Sabourin, les photos qu’elle va chercher, l’atmosphère un peu Peace and Love, l’afflux des touristes, le fait qu’elle n’ait jamais entendu parler d’une disparition, son frère qui était impliqué dans le trafic de drogues…
-Hmmm… Et tu en conclus ?
-Pour l’instant rien d’autre que j’ai probablement rencontré la personne qu’il nous fallait, qu’elle est un contact inespéré.
-C’est quand même un peu fort : on retrouve un pauvre bougre enterré peut-être vivant dans un chantier mais il n’y aurait ni disparition, ni de violence. Et il semble qu’il n’y a jamais eu d’avis de recherche. Je commence à le croire qu’il est tombé du ciel !
-Vous avez bien travaillé toutes les deux, continuez. Surtout que le rapport du laboratoire devrait arriver aujourd’hui.
-Ça pourra aider.
-Il y avait aussi un appel du maire-adjoint qui a demandé à me parler, un certain Claude Parisien. Un vrai tourbillon ! Qu’est-ce que vous lui avez donc fait ?
-Bah, c’est un petit roitelet un peu misogyne qui ne voulait pas tellement qu’on vienne fouiller dans ses affaires; il joue les seigneurs offensés quand le maire est en voyage…
-En Nalaska !
-Bon très bien, je vois que sa plainte n’est pas très sérieuse.
Sur le pas de la porte Roanne se retourne :
-Tu devrais venir la rencontrer.
-Qui ça ?
-La bibliothécaire,
-Moi ?

-Oui, toi-même en personne.

lundi 11 avril 2016

Les petits enfants
Chapitre 15

Juliette regarde longuement Roxanne, le front légèrement plissé, concentrée. S’immisçant par la fenêtre de devant, un beau soleil d’automne a peint des losanges dorés et brillants sur le plancher de la petite bibliothèque. Juliette prend une gorgée de café et, levant les yeux vers Roxanne, dit enfin :
-Vous auriez donc trouvé un cadavre qui aurait été enfoui sous la route lors de sa construction ?
Roxanne prend elle aussi quelques instants avant de répondre; elle sait que ne que pour savourer la surprenante sérénité du moment.
-Malheureusement, je ne peux pas vous donner des détails de l’enquête… Soyez certaine que je le voudrais bien, mais vous pourriez éventuellement être considérée comme « témoin » - Roxanne mime deux petits crochets avec ses doigts - et je ne veux pas risquer de vous influencer.
-Je comprends… je comprends. Bravo pour votre rigueur. Ceci dit, je dois répondre non : je ne me souviens pas qu’il y ait eu de disparition à Lac-des-Sables dans ces années-là, ni à aucune autre époque d’ailleurs. Il y a eu des morts violentes comme des accidents de chasse ou de la route. Je me souviens d’ailleurs d’une triste histoire d’un jeune motocycliste, un jeune plus âgé que moi de quelques années, qui s’était tué après avoir été heurté un poids lourd. Ça avait fait tout un grabuge parce que la famille ne voulait pas admettre qu’il roulait beaucoup trop vite et elle avait accusé, et je pense même poursuivi le chauffeur du camion pour négligence criminelle. Mais une disparition, non; il n’y en jamais eu à Lac-des-Sables; ni d’enfant, ni d’adulte. Comme on dit, dans une petite place comme ici, il ne se passe jamais rien. De plus, dans un petit village tout se sait, tout le monde connaît tout le monde. S’il y avait eu une histoire comme ça, c’est sûr que tout le monde en aurait parlé, c’est sûr que je l’aurais su, et je n’en ai jamais entendu parlé, même en secret. Même si ça avait eu lieu vingt ans auparavant les gens en aurait parlé encore.
Roxanne sait qu’elle regarde fixement Juliette pendant qu’elle parle, et elle s’efforce que ça ne paraisse pas trop. Décidément, il y a quelque chose qui me fascine dans cette femme, son maintien, sa sagesse, sa vivacité d’esprit, sa sagacité; peut-être tout à la fois. J’aimerais presque qu’elle devienne mon amie. C’est fou.
-Oui, vous avez raison… Ça n’aurait pas passé inaperçu.
Roxanne sirote son café.
-Juliette, j’ai une autre question à vous poser.
Son interlocutrice émet un léger rire.
-Allez-y, Roxane; si je peux vous aider, tant mieux !
-Savez-vous s’il y avait un quelconque trafic de drogues à Lac-des-Sables dans ces années-là, la deuxième moitié des années 1970 ?
-De la drogue ? Ah, c’est sûr qu’il y en avait, et c’était facile d’en trouver ! On n’était pas plus arriérés que les gens de la ville quand même ! Tout d’abord tous les jeunes en voyage, ou presque !, en avaient toujours avec eux, mais ici même, on savait comment s’en procurer. C’était facile. Moi, bien sûr j’ai fumé quelques joints, par-ci par-là, mais je ne m’en suis jamais procuré; il y avait toujours quelqu’un qui en avait, et le soir autour des feux de camp, ou même sur les plages l’après-midi, les joints circulaient.
-Il devait bien y avoir des revendeurs…
- Je n’en ai jamais acheté, mais oui, il y avait deux ou trois garçons qui montaient en ville régulièrement et qui en revenait avec des bonnes quantités et qui la revendait sur la plage surtout. Je ne sais pas quelles drogues ils avaient, mais ça devait être celle de l’époque : marijuana, haschisch, probablement de la cocaïne…
-Vous souvenez-vous de leurs noms, je veux dire des revendeurs ?
-La disparition dont vous parliez serait-elle en rapport avec une histoire ou un trafic de drogues ?
-Je ne sais pas, honnêtement je ne sais pas, mais j’essaye d’accumuler les plus d’informations possibles. J’essaye de me faire un portrait le plus précis de l’époque pour essayer de comprendre ce qui a pu se passer.
-Ils étaient deux, surtout… tout le monde le savait, sauf la police, il faut croire : Dominique et Michel; Dominique Dompierre, tout le monde l’appelait Dom-Dom à cause des des premières syllabes de son son et prénom… et puis l’autre, Michel… et bien, c’était mon frère…
Roxanne reste en silence quelques instants, pour bien assimiler ce que Juliette vient de dire et sans doute aussi pour la laisser se ressaisir.
-Et comment étaient-ils ? Comment est-ce qu’ils fonctionnaient ? Vous avez dit qu’ils partaient en ville régulièrement pour "s’approvisionner", mais ici, sur place, comment ça se passait ?
-Je ne sais pas exactement, mais il me semble qu’ils avaient toujours de la drogue en réserve. Je sais que mon frère avait un tiroir particulier dans sa chambre où il cachait ses réserves. Une fois, la porte était entrouverte et je l’ai vu manipuler un bloc de matière brunâtre; il était en train de la couper au couteau. Sur le coup je n’ai pas saisi ce qu’il faisait mais plus tard j’ai compris que c’était le hash qu’il séparer en petites doses. Je ne sais pas ce qu’il aurait fait s’il m’avait vue.
-Aviez-vous peur de lui ?
-Peur ? Non. Il était mon grand frère; nous avions quatre ans de différence, alors nous avions la relation disons normale amour-haine entre une petite sœur et son grand frère. On vivait dans la même maison, mais nous avions des réseaux d’amis, des activités, des préoccupations fort différentes. Nous nous adressions rarement la parole. Moi, je n’essayais pas de m’immiscer dans ses affaires et lui, je lui étais indifférente. Je me souviens, une fois, pendant ma première année à l’école secondaire, lui il faisait déjà partie des "grands", il m’avait défendue contre deux autres filles qui voulaient me faire un mauvais parti en les effrayant de la voix et du geste.
-Est-ce Dominique et Michel pouvaient être violents ? Est-ce qu’ils auraient pu user de violence ?
À nouveau, Juliette marque un temps.
-Je ne sais pas, je ne crois pas; je ne les jamais vu se battre, vraiment se battre. J’ai vu les garçons se chamailler, se "tirailler" sans conséquence comme le font tous les adolescents, mais vraiment s’ils ont pu être violents et s’ils pu faire du mal à quelqu’un, intentionnellement, non, je ne l’ai jamais vu.
-Est-ce que vous donneriez leurs coordonnées si vous les avez ?
-Je suppose que vous les aurez de toute façon en cherchant dans vos dossiers, alors je vais vous les donner. Pour mon frère, ça va; pour Dominique, je ne sais pas, il y a au moins vingt ans que je n’ai pas entendu parler de lui.
-Merci beaucoup, Juliette.
La bibliothécaire se lève et griffonne noms et adresses sur un feuille de calepin; elle la rend à Roxanne.
-Oh la la, le temps file, je vous ai pris presque toute la matinée.
-Ça ne fait rien. Il y a quelque chose en vous qui me plaît énormément. Oh ! Pardonnez-moi ma franchise !
-Non, non, ce n’est rien; et vous savez, c’est réciproque. Merci beaucoup pour le café et merci de ce que vous m’avez partagé.
-J’espère que ça vous sera utile.
-Absolument.
Elle se dirige vers la porte.
-J’espère que vous reviendrez, Roxanne; au moins pour récupérer vos photos.
Roxanne est déjà sur le pas de la porte la poignée dans la main.

-Bien sûr que je reviendrai, Juliette, et avec votre permission, la prochaine fois je viendrai accompagnée.

lundi 4 avril 2016

Les petits enfants
Chapitre 14

                Juliette sourit d’un petit sourire des yeux qui éclaire son visage. Elle branche une bouilloire mais l’eau devait déjà y être chaude car celle-ci se met à bouillir en quelques instants. Avec une économie de gestes, elle ouvre un sac un de café et en met quelques cuillerées dans un cafetière à piston pour ensuite y verser l’eau bouillante. Elle dispose sur un petit plateau la cafetière, deux tasses et deux cuillers, un sucrier, un petit pot à lait, ainsi qu’une soucoupe de douceurs et se dirige vers Roxanne.
                -Alors que puis-je pour vous ? dit Juliette en débarrassant le plateau sur la table.
                -Merci. En fait, ce que nous savons c’est qu’il s’est passé quelque chose, disons, de très curieux exactement en 1978, l’année où a été construite la route qui contourne le village, et j’essaye de glaner le plus d’informations sur cette année-là, en fait sur l’été 1978. Nous avons fait des recherches aux bureaux de la municipalité où nous avons collecté plusieurs documents officiels, que nous devrons analyser mais nous avons trouvé peu de photos du village de cette époque. On m’a dit, en fait madame Beausoleil, a dit que vous en auriez peut-être.
                -Des photos de Lac-aux-Sables de 1978 ?... Heureusement que ce n’était pas encore l’ère du numérique !
                Et devant la moue de Roxanne, Juliette Sabourin enchaîne : « Parce que nous n’aurions plus la technologie adéquate pour les regarder ! »
                Elle sert le café maintenant infusé.
                -Mais bon… On a fait un livre pour le cinquantenaire en 2006, j’en ai une copie ici; il y a des nombreuses photos d’époque, c’est déjà ça. Il y a peut-être aussi les vieux numéros des journaux. Et il faudrait fouiller aussi dans quelques boites de souvenirs, mais il faudrait que je cherche, ça pourra prendre quelques jours.
                -Je n’en suis qu’au début de mon enquête, mais ce serait gentil de votre part… Mais je ne veux pas vous prendre trop de temps.
                -Oh ça va, c’est la fin de saison et c’est plus tranquille maintenant. Encore une semaine et on va fermer le bureau de tourisme. Est-ce que vous pouvez me dire ce que vous cherchez exactement ? Ça pourrait m’aider.
                -En fait, tout ce que vous pourrez trouver pourrait être utile, mais surtout la rue principale, la plage, les alentours, les hôtels… les terrains de camping aussi ce serait bien. Si on pouvait trouver une vue aérienne du village, ce serait extraordinaire.
                -Je vois; c’est la configuration des lieux qui vous intéresse.
                -En quelque sorte…
                Roxanne prend une gorgée de café. Délicieux.
                -Pourquoi ouvrir une bibliothèque à Lac-aux-Sables ? C’est particulier.
                -En effet, c’est une question qui se pose. C’est assez récent, ça ne date que de deux ans; il y a encore beaucoup de travail à faire. J’ai été responsable du service des bibliothèques de la Commission scolaire Au-Cœur-des-Vallées pendant plusieurs années; c’était un immense territoire depuis Montebello jusqu’à Chénéville et Noyan en passant par Turso, Papineauville, Plaisance et jusqu’à Buckingham. Je devais voir à leur approvisionnement, le renouvellement des ouvrages, m’assurer de leur bonne disposition, d’un bon environnement qui facilite la lecture, recruter et former le personnel. Il fallait renouveler les ordinateurs, mettre à jour les programmes, s’assurer d’une bonne classification, des livres, des revues, voir au bon fonctionnement du système d’abonnements. Pendant une décennie je me suis investie à plein dans ce travail. Les résultats en valaient la peine, le temps d’utilisation des bibliothèques par les élèves avait considérablement augmenté. Je sentais faire œuvre utile. Mais avec les compressions budgétaires promulguées par le Gouvernement et qui affligent toutes les commissions scolaires, tout s’est déglingué. En moins de douze mois, j’ai perdu un tiers de mon personnel, et presque la moitié de mon budget; j’ai essayé de continuer quand même quelque temps, mais je travaillais deux fois plus qu’avant et ça ne servait à rien. On perdait tous nos acquis les uns après les autres : moins de livres, moins de personnel, moins de temps pour conseiller les enfants. C’était démoralisant; je ne faisais que recommencer sans cesse, comme un hamster qui tourne dans sa cage. Je ne pouvais rien faire de concret; je ne pouvais que voir aux urgences, au plus pressé, et encore ! Alors je suis tombée en dépression et j’ai pris un congé de maladie de six mois. Quand à mon retour on m’a offert de prendre une retraite anticipée j’ai accepté. Et je suis retournée vivre dans mon village natal. Mes parents avaient une maison sur le bord du lac, un peu plus loin, et au fil des ans je l’avais fait rénover. Ici, les édiles me connaissaient bien; j’étais une petite fille de la place. Et quand je suis venue offrir mes services, on m’a demandé de m’occuper du bureau du tourisme qui en avait bien besoin et moi, en échange, j’ai proposé mettre en valeur tous le rez-de-chaussée du bâtiment et de faire une petite bibliothèque adjacente.
Juliette rit.
-Je vous dit qu’on m’a regardée avec de gros yeux ! Une bibliothèque à Lac-des-Sables ! C’était comme planifier un terrain d’atterrissage pour soucoupes volantes ! J’avais déjà moi-même pas mal de livres, et j’avais gardé mon réseau de contacts, alors petit à petit, ça a pris forme. Et maintenant, on me propose pleins de vieux livres qui traînent ça et là. Ce sont ces boites empilées à l’étage dont je vous parlais. Les gens vident les maisons et y mettent tous les souvenirs de familles y compris les albums de photos.
-Ah oui, ça pourrait m’être bien utile. Et pour ce qui est de votre bibliothèque, vous faites ça très bien. C’est très joli, très invitant.
-Je n’ai pas toujours été bibliothécaire; j’avais étudié en Histoire de l’art à l’Université de Montréal. En fait j’avais commencé en psychologie, j’avais fait mon bac, mais au cours de ma troisième année, il y a une grève au Département, et j’ai donc changé pour Histoire de l’art. De toute façon, je n’avais pas aimé mes cours en phycho; c’était trop théorique trop cérébral, trop scientifique. Pour moi l’être humain n’était pas un objet d’étude qu’on peut décortiquer de façon insidieuse. Et puis j’ai adoré faire Histoire de l’art; j’ai étudié l’impressionnistes et les résurgences qu’on en trouve dans la littérature européenne du 19e siècle, y particulièrement les auteurs russes : Gogol, Dostoïevski, Tourgueniev, Tchekov, Gorki, Psaternak !... Une pléiade fabuleuse ! Mais bon, je m’égare; excusez-moi, vous n’êtes pas venue pas ça. Finalement, étant donné, qu’il n’y a pas beaucoup de débouchés, comme vous devez vous en doutez, une fois ma Maîtrise terminée, j’ai postulé pour l’emploi de bibliothécaire dans une école de Buckingham. Puis de chose et d’autres, on m’a confié la remise à jour du système d’approvisionnement et après quelques années je suis devenue responsable des services pour toute la Commission scolaire. Et voilà !
-Vous êtes donc née à Lac-aux-Sables ?
-Mais oui. Mon père était électricien et mécanicien, et ma mère, était à la maison. Lac-aux-Sables, il faut savoir que c’était le paradis pour les enfants, les petits et les grands. C’est vrai, les hivers peuvent être ennuyants. Mais l’été !... Je garde de mes étés de jeunesse de merveilleux souvenirs. Très tôt, l’été, nous étions dans l’eau. Dès la fin de l’école on passait nos journées dans et autour du lac. On apprenait à nager très vite; c’était facile : le fond du lac s’étend en pente très douce sur un bon demi-kilomètre, on avait pied très longtemps. Et l’eau est si claire. On passait des journées à s’amuser dans l’eau, garçons et filles. L’été, avec la visite de la ville, il y avait plein d’enfants qui jouaient qui criaient qui se chamaillaient, et le soir on faisait des barbecues chez l’un ou chez l’autre ou des feux de camps sur la plage. Et on dormait bien la nuit, garanti ! Et chaque âge avait ses jeux qui lui étaient propres. Les petits enfants jouaient au ballon ou faisaient des concours de châteaux; pour les plus grands, c’était les jeux d’eau, les sports, le plongeon; il y avait un radio accroché au fond un peu au large, on pouvait plonger, remonter, se pousser inlassablement. Et les ados… et bien, avec l’eau, le soleil, le grand air, la liberté, c’était très excitant ! On mettait de la musique et… c’était le Peace and Love ! Tout ça n’est plus possible aujourd’hui; chacun a sa petite plage privée, tout est grillagé; la plage municipale est réduite à peu de chagrin, et c’est très contrôlé.
-Je comprends... Et je suppose que vous êtes partie de Lac-des-Sables pour faire vos études ?
-Oui, je suis allée au CEGEP en 1977 à Gatineau et je suis revenue les deux étés. Ces étés-là j’ai travaillé comme serveuse au Bar des Sapins. Imaginez ! je travaillais jusqu’à deux heures du matin, six soirs par semaine, mais je voulais gagner l’argent de mes études. Ensuite, une fois que j’ai commencé l’Université à Montréal et ensuite je ne suis revenue que sporadiquement... Je crois bien que j’étais la première personne native de Lac-des-Sables à aller à l’université !
-Dites-moi Juliette, vous qui étiez sur place, et qui avez des souvenirs de bien des choses, vous ne vous souvenez pas d’une disparition ?
-Une disparition !?

-Oui, par exemple, un homme qui serait parti subitement sans laisser d’adresse ? Ou un touriste qui serait parti sans acquitter de sa note ? Ou un jeune homme pour qui on aurait fait des recherches mais sans pouvoir le retrouver ?