dimanche 17 juillet 2016

Trahisons
Chapitre 8

                Marchant dans les couloirs de l’école Jules-Chiasson, en compagnie de Turgeon, Roxanne se pose la question : vaut-il mieux convoquer les quatre amies ensemble ou les voir séparément ?
                -Qu’est-ce que tu en penses ? demande-t-elle à son partenaire.
-Tu le sais, ensemble elle vont moins se méfier de la police, elles vont sentir plus fortes; elles auront donc moins d’inhibitions, donc possibilité qu’elles parlent un peu plus. Mais, d’un autre côté, séparément, elles seraient plus malléables, ce serait plus facile de les mettre en face de leurs contradictions.
                -Hmm… tu ne m’aides pas beaucoup !
-Et puis personne n’est accusé formellement jusqu’à maintenant.
-C’est vrai; je crois que je vais faire venir les trois autres et garder Mélissa pour la fin, et l’interroger en fonction de ce que les premières auront dit. C’est probablement plus elle qui a le plus de chance de détenir la clé de l’énigme. Et après tout, personne n’est inculpé de quoi que ce soit. Alors, allons-y pour Sharon, Cynthie et Carinne.
                Le directeur de l’école Raymond Riendeau a mis à leur disposition, le bureau de l’une de ses sous-directrices; le bureau n’est pas immense, mais suffisamment vaste pour pouvoir y disposer trois autres chaises en demi-cercle. Roxanne leur fera face à demi-assise sur le bureau et Turgeon restera légèrement en retrait près de la porte. C’est la première fois qu’elle doit enquêter de cette façon auprès d’une population adolescente. C’est quelque chose de tout nouveau. Comment faire pour être vraiment efficace ? Comment s’y prendre ? Faut-il prendre une attitude « cool » ? Faut-il faire « amie-amie » avec elles ? Faut-il user d’autorité mais toutefois sans les effaroucher ? Faut-il les laisser parler sans leur poser de questions ce qui pourrait les rebuter ?
On cogne à la porte. Roxanne ouvre sur deux jeunes garçons mal dans leurs peaux, qui regardent le bout de ses pieds.
-Oui ?
-Vous êtes la police ?
-Oui. Tu sais certainement que nous sommes là en rapport à la mort de Joannie Lemieux. Et vous qui êtes-vous ?
-Je m’appelle Sylvio; Sylvio Faragón, mais tout le monde m’appelle Farago. Et lui, c’est Timmy; Timmy Cross.
-Vous avez quelque chose à nous dire Sylvio et Timmy ?
-Ben… j’sais pas…
-Si vous croyez que vous savez quelque chose qui pourrait nous aider, il faut nous le dire. Après ça vous vous sentirez mieux.
-C’est que… vendredi passé… dans l’après-midi, sans faire exprès…
-On voulait pas écouter, mais on en entendu Wilfrid pis Alexandre qui parlaient ensemble dans la cour. Nous deux on faisait juste marcher. Mais ils criaient fort alors on a entendu. Pis Alexandre disait : J’vas la faire payer ! J’vas la faire payer.
-Pis Wilfrid, qu’est toujours avec lui, y disait : Ouais, la chienne on va la faire payer !
-Vous êtes sûrs de ce que vous avancez ? C’était bien Alexandre Côté-Lamarre dont vous parlez ?
-Oui, on est certains. Alexandre et Wilfrid, ils font peur à tout le monde. Pis quand on a entendu ça, on savait pas de qui il parlait; mais après ce qui est arrivé à Joannie, on savait plus quoi penser.
-Vous avez très bien fait les garçons, très bien. Vous êtes très courageux; je vous félicite. Maintenant, ne racontez pas à tout le monde que vous êtes venus ici; c’est mieux.
-Non, non. On veut juste vous aider.

Les trois jeunes filles demandées arrivent. Physiquement, elles sont différentes l’une de l’autre, mais Roxanne remarque qu’elles sont toutes trois habillées en fonction des mêmes critères de mode, en pantalon serrés taille basse et haut à manches courtes de couleurs vives. Leurs soutien-gorges mettent en valeur leurs jeunes poitrines. Elles sont toutes trois bien coiffées et maquillées avec soin, avec fond de teint, rouge à lèvre et baume à paupières assortis. Elles portent de nombreux bijoux : chaînes au cou, bracelets, bagues, pendants d’oreilles et même, pour l’une, petite perle dans la lèvre inférieure. Deux d’entre elles mâchent de la gomme, l’autre non, probablement à cause de son appareil dentaire d’orthodontie. L’une d’elles a un tatouage sur le bras gauche, un fin bouquet fleuri de trois couleurs, bleu, vert et rose. Elle les invite à prendre place.
                -Merci de venir nous parler. Je suis l’officière Roxanne Quesnel-Ayotte et voici l’agent Jean-Daniel Turgeon. Vous savez probablement pourquoi nous sommes ici.
                -C’est en rapport avec la mort de Joannie.
                -Toi, c’est Cynthia, n’est-ce pas ?
                -Non, moi je suis Carinne.
                -Pardon ! Donc, toi tu es Cynthia ?… oui… et toi, Sharon. Bon j’y suis. Oui, nous sommes là à cause de la mort de Joannie…
-Qui a fait ça ?
-Honnêtement nous n’en savons rien encore, mais j’espère que vous allez nous aider. Comment ça s’passe à l’école ?
-Qu’est-ce que tu veux dire ?
-Bien… comment est l’atmosphère dans l’école ? Comment se comporte les élèves entre eux ? Est-ce que l’entente est bonne ? Est-ce qu’il y a de la violence, de l’intimidation ?
-Jules-Chiasson, c’est d’la marde !
-Ça vaut même pas d’la marde. Tout l’monde a juste envie de sacrer son camp d’ici.
-C’est pas une bonne école ?
-C’est pas ça; c’est une bonne école, mais c’est plein de gangs; la gang de Lachute, la gang d’Argenteuil, la gang de football…
-Et Joannie, est-ce qu’elle faisait partie d’une gang ?
-Ben, la notre, c’t’affaire !
-Mais vous, vous étiez de bonnes amies de Joannie, n’est-ce pas
                Soudain Sharon interpelle Roxanne…
-Pourquoi vous avez pas fait venir Mélissa Lemieux ? Elle la connaissait aussi, Joannie.
-Mélissa est trop secouée pour l’instant; elle a encore besoin d’un peu de temps pour se remettre. Elle ne pourrait pas m’être utile. J’aime mieux vous parler à vous tout de suite pour commencer à ramasser le plus d’informations possible. Alors parlez-moi de Joannie. Vous la connaissiez bien, n’est-ce pas ? Vous étiez amies avec elle ?
Les trois filles hésitent; se regardent.
                -Oui; on peu dire ça.
-On a été souvent ensemble.
                -Parlez-moi d’elle; comment elle était ?…
                -Ben, en fait elle était correcte, on s’entendait bien, mais depuis septembre, il s’était passé quelque chose.
                -Quelque chose ?
                -Oui, elle avait… comme changé.
-Elle était différente
                -On était moins amies. C’est elle qui voulait ça !
                -En quoi elle était différente ?
                -Elle était… elle était devenue trop… sérieuse.
                -Ben, c’est pas qu’elle était plus sérieuse, c’est qu’elle faisait les choses plus sérieusement.
                -C’est pareil, Sharon !
                -Je ne comprends pas.
                -Ben, par exemple, avant on faisait souvent nos devoirs ensemble, pour s’aider; pis cette année, ça l’intéressait plus. Elle prenait l’autobus, s’en allait chez elle, pis…
-Pis quoi ?
-Pis rien justement; quand on l’appelait sur son cell, elle n’avait jamais de temps pour nous autres.
-À la fin, on ne l’appelait plus.
-Une autre choses, en secondaire 5, c’est toujours comme ça, y a des garçons qui apportent de la bière sur l’heure…
-Hey parle pas de ça !
-Tu sais Cynthia, je suis ici pour enquêter sur la mort de Joannie, sur rien d’autre. Tou ce que vous pourrez me dire pourra m’aider.
-Ben sur l’heure du midi les gars de secondaire 5 apporte de la bière; c’est interdit, mais tout le monde le fait, depuis toujours. On se retrouve au parc, pis on passe la bouteille. Mais là elle ne voulait pas. Pourtant, avant, elle en prenait avant, en secondaire 4.
-Pis même toute l’année passée on avait parlé que cette année en 5, on pourrait vraiment le faire.
                -Pis, la drogue, c’était la même chose.
-Vous prenez de la drogue à l’école ?
                -Vous êtes une policière, vous devez savoir ça !
                -Et Joannie n’en prenait pas.
                -Elle ne voulait plus en prendre. Pas pareil.
-Est-ce qu’elle allait dans les partys ?
-Dans les partys, elle s’amusait, elle dansait, mais jamais elle ne prenait de l’alcool.
-Elle disait non.
-Elle refusait l’alcool, même un petit verre, même une petite bière, c’était comme un joke qu’on faisait derrière son dos.
-Et aussitôt que quelqu’un sortait de la drogue, elle s’en allait. Elle ne chialait pas, elle ne se fâchait pas, mais elle se poussait.
-De toute façon, elle avait arrêté de venir.

-Comment qu’elle était avec les garçons ?

lundi 11 juillet 2016


Trahisons
Chapitre 7

                La semaine qui a suivi la découverte du corps de Jessica Lemieux noyée dans la Petite Rouge a probablement été la pire de toute l’histoire du petit village de Ripon. Les émotions étaient à leur comble, le désarroi était généralisé, l’incompréhension et la perplexité tenaillaient chacun des habitants, les jeunes en premier et les adultes tout autant. Toute vie « normale » était interrompue; personne ne pouvait s’activer à son quotidien comme si de rien n’était. On parlait de cette affaire à toute heure du jour et de la nuit, dans les maisons, dans les cours, dans la rue, dans les magasins. À la quincaillerie Lemieux, le travail a cessé. Une pancarte collée sur la porte dit qu’elle est « Fermée temporairement ». Les employés ont été avertis de rester chez eux. Les quelques clients qui y viennent regardent en vain à travers la porte sans pouvoir percevoir le moindre signe de vie.
Une atmosphère lugubre règne également à la résidence familiale Roy-Delorme, celle de Joannie. Ses parents ont attendu quelque peu à la morgue de Papineauville. Puis Paul est venu les chercher. Un simple drap blanc recouvrait le corps de leur fille. Quand l’employé de la morgue a soulevé le drap, pas de doute, c’était bien elle, leur petite fille, leur fille chérie, leur trésor. Vision horrible ! Ni le père ni la mère n’ont pu retenir leurs cris et leurs sanglots de désespoir. Et maintenant, il leur fallit s’occuper des funérailles, des funérailles de leur petite fille. Où et quand serait-elle exposée ? Quand aurait lieu la cérémonie ? Quelle lot choisir dans le cimetière ? Et quelle pierre tombale ? Quel cercueil leur conviendrait ? Quels bouquets de fleurs ? Quels vêtements choisir ? Fallait-il faire imprimer des petits signets ? Avec quelle photo de Joannie ? Combien de voitures dans le cortège ? Quel sera le meilleur buffet ?
Comme dans un était second, les parents prennent une après ces décisions, sans vraiment s’apercevoir de tous ces gens, amis, voisins, connaissances, qui vont et viennent dans la maison en un constant tohu-bohu étourdissant.  

-C’est l’autopsie qui révèlera si oui ou non elle est morte noyée, donc si elle vivante ou déjà morte quand elle est tombée à l’eau.
Paul faisait un exposé de la situation à l’équipe concernée dans son bureau.
-C’est maintenant un cas de mort suspecte. Ça m’étonnerait que l’autopsie puisse déterminer si elle a été poussée ou non, même si on découvre des fractures aux avant-bras, il sera probablement difficile de dire si c’est parce qu’elle a voulu se protéger ou si c’est à cause de la corde du courant. Mais tout ce que l’autopsie pourra nous dévoiler sur son état physique avant cette chute nous sera utile… Le périmètre autour de la chute a été agrandi pour inclure le lieu de la découverte du corps; il faut passer ça au peigne fin. Je t’en charge, Dandonneault, et ton équipe. Je vous rejoindrais le plus tôt possible.
« Maintenant la question du téléphone cellulaire. On sait qu’elle l’avait quand elle est partie de chez elle le vendredi soir, mais on ne l’a pas trouvé sur elle. La question est : est-ce qu’on le lui a enlevé ? Est-ce qu’elle l’a perdu au moment de sa chute ou dans la rivière ? Les quatre hommes de la section de Jean-Daniel Turgeon, c’est votre boulot. Vous me fouillez minutieusement le fond de la rivière en commençant par la chute.
-Et moi ? demande Roxanne.
-Toi, je t’envoie à l’école de Joannie; elle doit être en ébullition. Je sais qu’on a envoyé une équipe spéciale de psychologues et de travailleurs sociaux pour aider les jeunes à s’exprimer et à passer à travers. Avec leur aide, tu collecteras le plus d’informations possibles sur Joannie, auprès de ses amies notamment. Prends Isabelle avec toi.

                 
                La polyvalente Jules-Chiasson à Lachute, construite dans le années 1970, est un bâtiment terne et plat, composé d’un rez-de-chaussée et d’un étage, sans saveur et sans odeur, aux murs parsemés de graffitis. Il y a bien eu ces dernières années un gros effort fait pour la rendre plus attrayante en améliorant l’aménagement extérieur : un vaste espace vert agréable et relativement bien entretenu, l’entourait d’un écrin de verdure et de nature; malheureusement, le gazon était strié de cicatrices grises des nombreux raccourcis qu’empruntaient les élèves et souvent de nombreux déchets – verres en plastique, contenants en styromousse, feuilles de papier… – se retrouvaient sous les arbres ou autour des marches des divers escaliers. Ce qui contrastait avec le fait que l’école s’était donnée une vocation environnementale avec programmes précis de compostage et surtout de récupération de papier, des piles, des cartouches d’imprimantes, anciens ordinateurs, cellulaires, etc…
                Le directeur en est monsieur Raymond Riendeau, un homme qui frôle la soixantaine d’années, donc une personne avec l’expérience nécessaire pour bien s’acquitter de ses responsabilités, en en même temps qui doit prendre sa retraite l’année prochaine et qui a hâte d’y arriver.
                -Oui, votre demande est légitime, mademoiselle, mais vous devez comprendre le niveau d’émotion de nos étudiants. Ils sont plus de 500 ! De cinq niveaux, sans compter les cheminements particuliers. On a fait appel à la commission scolaire pour des avoir l’aide de psychologues supplémentaires. Tous les étudiants qui le veulent peuvent aller les consulter pour leur parler, et plusieurs en profitent pour ne pas aller en classe, et plusieurs autres ne se sont même pas présentés ce matin. De toute façon, l’horaire des cours a été suspendu. Il était impossible à notre corps professoral de dispenser quelque enseignement que ce soit dans un tel contexte.
                -La mort de Joannie est considérée comme suspecte; nous devons trouver des informations qui nous permettront de l’éclaircir, par exemple, pourrait-il s’agir d’un suicide ? Ou un meurtre ?
                -D’un meurtre ?
                -Toutes les hypothèses sont examinées, il nous est primordial de pouvoir rencontrer les camarades de classe de Joannie, de même que ses professeurs.
                -Pour ses professeurs vous devriez commencer par son titulaire, Pascal Samson. Il pourra aussi vous dire qui étaient les amis proches de Joannie.
               
Sans être ouvertement efféminé, Pascal Samson est manifestement homosexuel.
                -Non ! Joannie ne se serait jamais suicidé. Elle était une bonne élève, elle travaillait bien; elle aimait l’école, elle aimait la vie; je pense même pouvoir dire qu’elle aimait sa vie. Le matin elle semblait toujours de bonne humeur; le professeur titulaire passe les vingt premières minutes de la journée avec son groupe, pour une petite mise en train, pour échanger les information de la journée, pour faire la liste des absences. Le groupe titulaire de secondaire cinq est important, car ce sont les plus vieux de l’école. Il faut leur accorder une certaine importance. Joannie n’était pas celle qui se faisait le plus remarquer mais d’après ce que j’ai pu voir, elle s’intégrait bien au groupe.
-Parlait-elle aux autres ?
-Oui, il me semble bien qu’elle parlait à tout le monde; elle participait aux discussions en tout cas. Elle ne semblait pas chercher à s’isoler, si c’est ce que vous voulez savoir; en tout cas je ne l’ai jamais vue se disputer avec d’autres élèves.
-Avait-elle changé récemment ?
-Changer ? À moi, il ne m’a rien paru de tel. Mais je ne suis ici que depuis deux ans; certainement que d’autres la connaissent mieux que moi, par exemple madame Tessier, une des professeurs de français qui est ici depuis… disons depuis plusieurs années et qui connaît tout le monde.

                -Si Joannie avait changé cette année ? Oui, c’est vrai, elle avait changé. Je la connais depuis qu’elle est arrivée en secondaire un. Avant, c’était une jeune fille « normale » qui s’intéressait aux garçons, à la mode. Cette année, oui elle était différente, comme plus adulte, plus mature; plus réservée, plus sûre d’elle-même aussi. Plus discrète aussi, il me semble, moins expansive. Oui, probablement qu’elle se livrait moins facilement. C’est vraiment terrible ce qui lui est arriver
                -Savez-vous ce qui a pu provoquer ce changement ?
                -Non, j’avoue, que je n’ai pas cherché à savoir. L’année dernière, elle avait eu des problèmes, des petites choses avec son père, qui la couvait trop. Mais vous savez, elle n’est pas dans mon groupe titulaire, j’en ai assez de miens ! Et je ne l’ai pas en français cette année. Je me dis que oui, elle avait changé, surtout parce que vous me posez la question. Une fois, par exemple, en début d’année, je l’ai croisée dans le couloir; elle m’a dit simplement bonjour comme il faut poliment, sans plus. Je lui ai demandé comment ça aller, ce qu’elle avait fait l’été, dernier, mais elle a répondu évasivement, comme s’il y avait quelque chose qu’elle cachait, alors qu’elle avait toujours été spontanée, expansive avec moi.
                -Saviez-vous vous qu’elle s’était impliquée dans une secte protestante ?
                -Non, je ne le savais pas, je l’ignorais; on ne s’est pas parlé beaucoup depuis le début de l’année. Vous pensez que c’est relié ?
                -Je ne sais pas, D’après vous qui étaient ses meilleures amies ?

                -Ah, ça c’est facile. Bien sûr Melissa Lemieux, puis Sharon Guidon, et deux autres Cynthia St-Viateur et Carinne Valois. Elles formaient un groupe uni.

lundi 4 juillet 2016


Trahisons
Chapitre 6

Paul lancera les recherches immédiatement. En ce lundi matin, dès vers onze heures, une équipe d’une dizaine d’agents, qu’il dirige personnellement, est à l’œuvre. Il a fait délimiter un large périmètre de sécurité tout autour du pont de la Chute Albert : les habitants de Ripon ne peuvent s’en approcher à moins d’un demi-kilomètre. Il a fait bloquer le chemin de l’Ancien-Moulin dans les deux sens; les seules personnes autorisées à emprunter la route bloquée sont les habitants de la deuxième portion du chemin de l’Ancien-Moulin, qui se termine en cul-de-sac. Les autres habitants de Ripon qui demeurent au sud du village qui ne pouvent plus emprunter leur chemin habituel plus court doivent faire un long détour, pour se rendre chez eux, par la route 343, puis la rue principale, et ensuite la route de l’Ancien-Moulin. Mais personne vraiment ne se soucie de ces désagréments : c’est tout un spectacle que de voir ce déploiement de forces policières, les gyrophares allumés, les agents qui vont et viennent, toute l’agitation de la préparation d’une battue. C’est du jamais vu à Ripon !
Roxanne aussi est venue; elle reste à l’intérieur du poste de commande, en compagnie de l’agent chargé de coordonner toutes les communications. Paul est aux commandes de l’opération. Il est dans son élément; il sait comment agir, comment déployer ses hommes (et ses femmes), comment contrôler une foule. Il se retourne et il lui semble que toute la population de Ripon s’est agglutinée derrière les rubans jaunes délimitant la zone d’investigation jouant du coude et l’épaule pour avoir la meilleure vue. Certains ont même grimpé aux arbres; d’autres essayent de contourner le ruban par les bois, mais sont vite interpellés. Comme c’est un jour d’école, ce sont surtout des adultes; les seuls jeunes présents sont ceux qui ne vont plus à l’école. Ils en auront des choses à raconter aux autres, à leurs cadets qui les écouteront verts de jalousie !
Les parents de Jessica sont là, Benoit Lemieux et Carolyne Carrier. Paul leur a téléphoné avant de venir avec sa troupe; il leur a donné rendez-vous et les a installé dans une roulotte aménagée. Il leur a expliqué le processus, la suite des événements, ce qu’ils allaient faire. Il leur a exposé les deux scénarios possibles : soit ils ne trouveront rien, soit ils se pourraient qu’ils trouvent le corps de leur fille. Ils sont là avec un de leur fils. Le père, et de nombreux amis de la famille, voulaient participer aux recherches, voulaient leur donner un coup de main.
-On connaît mieux le terrain que vous !
                Paul a du se faire très persuasif pour les en dissuader; il aura toutes les difficultés du monde à leur faire comprendre que cela nuirait aux recherches et à la découverte de possibels indices.
Il répartit ses hommes en deux équipes qui longeront chacune une berge de la Petite Rouge, le plus loin possible, avançant minutieusement à la recherche du moindre indice. Chacune est équipée d’une petite caméra; Roxanne peut suivre tous leurs déplacements du poste de commandement. Les deux équipes fonctionne de la même façon : un agent marche en avant à une distance d’une cinquantaine de maître qui ne fait qu’une simple reconnaissance générale et les trois autres ensuite, qui recherchent les indices plus intensément, sur le sol, mais aussi dans les arbres et les buissons, où pourrait se trouver une mèche de cheveux, un morceau de tissu, un bout de fil; ils portent attention aux branches brisées, aux fleurs écrasées, même à l’herbe piétinée.
Mais les recherches, en fait, ne dureront pas longtemps. Moins d’une heure après le début des recherches, l’un des deux hommes d’en avant, celui sur la rive droite, envoie un appel : il a retrouvé le corps d’une jeune fille.
-Je le vois; il est pris dans des racines basses. Je vois une partie du torse et les membres qui flottent à la surface de l’eau mais la tête et un bras sont submergés.
Bien entendu les autres agents de police poursuivent leur recherche dans l’espoir de trouver quelque chose.
Lorsque Paul demande aux agents de préparer la civière et de se rendre sur place, une sorte d’onde sourde parcourt; les chuchotis s’amplifient, s’intensifie en une rumeur méchante.
La caméra s’approche.
Roxanne regarde ce corps empêtré dans les racines à l’air libre d’un hêtre. Elle a probablement séjourné dans l’eau depuis vendredi soir, deux jours et demie, se dit-elle, depuis vendredi soir. Elle voit les deux agents s’approcher. Avec des bottes-salopettes, ils se mettent à l’eau. Délicatement, ils la dégagent. Elle n’a presque plus visage humain. Tous les agents portent des gants et travaillent en essayent d’abîmer le lieu le moins possible. On la couche sur le brancard qu’on vient d’apporter et on la recouvre d’une bâche noire. Les hommes reviennent transportant le corps entre les arbres, jusqu’à la route. Paul a fait étendre une grande toile à la sortie du bois pour cacher le tout de regards trop curieux, pour que personne ne puisse prendre une photo qui se mettrait à circuler dans les réseaux sociaux. Ce qui fait redoubler les protestations et les récriminations. Roxanne qui est sortie du poste de commandement se tient à côté de lui. Probablement qu’elle est tombée ou qu’on l’a fait tomber au pont; probablement qu’elle a flotté, dérivé depuis la chute, depuis le pont. Paul va jeter un coup d’œil, et on le met dans le fourgon mortuaire qui aussitôt s’en va vers Papineauville.
-Il faut aller avertir ses parents.
Paul et Roxanne se sont entendis pour y aller à deux. Ils vont les rejoindre dans la roulotte.
-Bonjour; vous savez que je suis : je suis l’officier supérieur Paul Quesnel; je suis le chef du poste de la Sureté du Québec à Papineauville. Je suis vraiment désolé, j’ai une mauvaise nouvelle…
-Vous l’avez retrouvée !!
-Oui…
-Elle est morte, c’est ça ??
-Je suis vraiment désolé.
Les parents sont dévastés, ils s’effondrent sur leurs sièges s’agrippant l’un à l’autre. Le fils est également en plein désarroi.
-On veut la voir.
-Oui, vous pourrez la voir; vous devez venir la voir pour l’identification, mais on va la conduire à Papineauville à la morgue. On va la préparer et ensuite vous pourrez la voir. Nous allons vous y conduire et on vous ramènera bien sûr. Et il faudra sans doute pratiquer une autopsie.
Soudain, la mère à une crise de nerfs.
-Noooon, pas ma fille, pas ma fille !!
Elle pointe son doigt vers son mari.
-J’vas tuer, j’vas tuer.
À l’abri des regards, on les amène dans une voiture. Une psychologue les accompagnent.
-Bon, dit Paul; à partir de maintenant, on va tout reprendre à zéro.

Roxanne regarde s’éloigner la voiture; elle a un regard noir, son regard des mauvais jours. C’est l’heure la plus triste de la journée la plus triste de sa vie.
 Il va falloir bien sûr déterminer la cause de la mort, était-elle morte avant d’avoir séjourner dans l’eau ? Est-elle morte noyée ou a-t-elle été tuée avant ? Pourra-t-on déterminer si elle est tombée d’elle-même ou si on l’a poussée ? A-t-elle des blessures ? Des contusions ? A-t-on employé une arme ? Et laquelle ? Pourra-t-on retrouver son téléphone cellulaire ? C’est sûr qu’il va falloir aller faire un tour à son école.
-Je vais le trouver celui qui a fait ça, c’est garanti, quand bien même que ce serait le pape !
                L’annonce de la découverte du corps a causé un gigantesque émoi dans la foule qui s’est répercuté dans tout le village pour atteindre dans toute la communauté des alentours. Tous les parents de jeunes enfants ont été atterrés en apprenant la nouvelle, comme ceux de Mélissa. À l’école secondaire de Lachute, tout le monde a rapidement été au courant; déjà, le matin, un texto annonçant l’arrivée en force de la police a été relayé par tous les jeunes de Ripon dans toute l’école. Puis en début d’après-midi, la nouvelle de la découverte du corps de Joannie, avant même l’annonce officielle dans les médias, a mis l’école en ébullition.
-Attendons la confirmation, ont tenté de tempéré les profs et la direction.
La confirmation viendra à 13 heures. Devant toute cette surexcitation, l’agitation et le tumulte général, la direction n’a eu d’autre choix que de suspendre les classes.
Mélissa que son père est venue cherchée, abrutie par la nouvelle, est restée sans voix, durant tout le trajet de retour. Chez elle, blanche d’épouvante, elle est montée sans un mot dans sa chambre sous les yeux ahuris de sa mère; elle est restée enfermée dans dans sa chambre, dévorée par le chagrin. Sa mère est venue frapper plusieurs fois mais elle n’a pas voulu ouvrir, répondant seulement qu’elle ne voulait pas qu’on la dérange.
Alexandre aussi est resté terré chez lui comme un chien galeux. Son ami Wilfrid, essayera de lui téléphoner pour lui parler, sans succès. Timmy et Farago Farago de même; il se retrouveront pour parler de ce qu’ils savent et qu’ils ne veulent pas s’avouer.
Quant à lui, Timothée Bellavance, le jeune pasteur de l’église évangélique de la Sanctification en apprenant la nouvelle à la radio, restera abasourdi, pétrifié; il était chez lui en train de finir son repas avec sa femme Francine. Longuement, celle-ci le regardera sans dire un mot.
-Qu’est-ce que tu vas faire ?

-Je ne sais pas; je ne sais pas.