jeudi 28 décembre 2017

Cela se passait près d’un lac
Chapitre 10

-Oui, Juliette… Oui… Il nous reste encore une petite heure de travail et ensuite j’arrive… On fait le bilan de la journée… Oui, je mangerai en arrivant… Tu m’attends ? Ne te sens pas obligée… Qu’est-ce qu’il y a ?... Que j’invite Roxanne ?... D’accord, je vais lui demander... Oui, je sais… D’accord ça va.
Paul raccroche, et se tourne vers sa fille.
-Juliette nous garde le souper au chaud : une soupe aux légumes et des cubes d’agneau rôtis à l’ail avec haricots et carottes, qu’elle a fait cette après-midi, et elle t’invite.
-Ça a l’air appétissant.
-Je sais que ça te fera revenir tard chez toi… mais ça t’éviterait de te faire à manger toi-même en arrivant.
-Oui, oui, je viens. Alors commençons, si on veut terminer.
Ce soir-là, Paul et Roxanne se trouvent encore dans le bureau du premier et se partagent mutuellement les informations que les différentes équipes de recherches ont récoltées durant toute une journée d’investigation, que ce soit auprès la fille Léonie de Simon-Pierre Courtemanche, dans le milieu de travail du journaliste à Gatineau et auprès de ses collègues, au chalet de jésuites même sur le plan d’eau desquels son corps a été retrouvé, ou encore dans sa voiture.
Paul était en train d’expliquer à sa fille que la voiture du journaliste qu’elle avait repérée grâce au survol effectué en hélicoptère a été remorquée dans le garage du poste de la Sureté du Québec, lorsque que Juliette avait appelé.
-On l’a examinée sous toute les coutures et on n’a rien trouvé, en tout cas rien de compromettant. Pas de tâche de sang, rien de brisé ou d’abimé, aucun objet suspect. Ça reste à confirmer, mais il semblerait qu’il avait quitté son véhicule quand il a été agressé. Et probablement que ses agresseurs ont déplacé son véhicule dans ce petit chemin, le chemin Morgan, près d’Huberdeau, à plus de trente-cinq kilomètres de Saint-Michel, simplement pour brouiller les pistes.
-Oui… on peut supposer qu’il a dû sortir pour aller… disons, que c’est une hypothèse, peut-être regarder ou observer quelque chose, et qu’il s’est fait prendre.
-Peut-être… La seule trouvaille d’intérêt est qu’on a trouvé ses empreintes digitales dans la voiture, bien sûr, mais aussi toute une série d’empreintes, qui revenaient plusieurs fois. Probablement celles d’un homme.
-Donc il aurait eu un passager ?
-En tout cas quelqu’un qui a voyagé plus d’une fois avec lui, dans son véhicule… mais est-ce que ce quelqu’un était avec lui lors de son voyage ? Est-ce que ce serait son agresseur ? Il n’y a pas moyen de le savoir pour l’instant.
Roxanne, à sa façon caractéristique, serre son poing sous son menton.
-Je pense à quelque chose. Nous savons maintenant de ce que nous a dit sa fille qu’il était gay… Qu’est-ce qu’il y a ? Tu en fais un air ?
-Je suis tombé des nues quand tu m’as dit ça ! Je m’attendais à bien des choses, mais jamais à ça ! Je l’ai côtoyé des années, et jamais, jamais, je ne m’en suis douté. C’est vraiment incroyable !
-C’est vrai, mais c’est comme ça… Sa fille a dit qu’il avait eu deux ou trois conjoints successifs; je me dis qu’il vivait peut-être avec quelqu’un, et que les empreintes dans la voiture seraient celles de son conjoint.
-Pas bête comme idée… mais s’il vivait avec quelqu’un comme tu dis, pourquoi cette personne… ce conjoint, n’a pas signalé sa disparition ?
-Bonne question.
Dès demain, tu iras réquisitionner son domicile pour essayer de découvrir le fin mot de l’histoire.
-Oui; fouiller dans ses affaires nous en apprendra davantage. C’est une piste essentielel à creuser.
-Oui, même si pour l’instant cette nouvelle piste obscurcit encore plus le cas Courtemanche… Bon, maintenant le chalet des jésuites… Et, mais ça me fait penser… pour en revenir avec cette piste de l’amant mystérieux, je suis sûr qu’il y a des jésuites qui sont homosexuels !!
-Papa ! Qu’est-ce que tu vas imaginer !?... Tu crois… tu crois que ce serait ça le lien ? Tu penses qu’il avait une liaison… amoureuse avec un jésuite ? C’est quand même un drôle de supposition ! Ce sont des religieux !
-Je ne sais pas… Mais tout peut arriver dans ce bas monde et dans le monde des religieux. Rappelle-toi de la liaison secrète entre le pasteur Saint-Cyr avec Nancy Fournier secrétaire de la municipalité[1]. Rappelle-toi ce que nous avait dit le pasteur Dumas sur son étudiant de Vancouver, Leonard Bishop et qui aimait trop les petits garçons[2]. Rappelle-toi d’Émile Vadnais l’assistant du pasteur de Bellavance de l’église évangélique de Ripon qui avait été muté à cause de comportements inappropriés auprès des adolescentes[3]. Et rappelle-toi tout récemment les liens entre le frère Jean-Yves Galarneau de Granby, et Gisèle Saint-Germain la mère supérieure des SNMJ de Plaisance[4] qui ont manigancé ensemble l’élimination de deux témoins gênants
-En effet; tout peut arriver comme tu dis.
-Mais il y a plus : quand j’ai fait ma première visite du chalet avec le père Bouchard, il y avait quelque chose qui clochait dans le sous-sol; ça me turlupinait mais je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus.
-Et alors ?
-Alors, j’ai finalement compris : c’est sa grandeur, sa taille. Généralement un sous-sol, ça fait toute la surface d’une maison, n’est-ce pas ?, et lui non : il en faisait à peine la moitié, même pas les deux tiers. Pourquoi ?
-Et tu t’imagines qu’il pourrait y avoir une chambre secrète dissimulée dans ce qui devrait être le sous-sol ?
-Je ne sais pas, mais quand j’ai envoyé Sabrina et Daniel y faire une fouille plus… fouillée...
-Une fouille plus fouillée ! Ça sonne drôle.
-En tout cas, quand j’ai compris, je les ai appelés pour leur faire part de mes soupçons et d’aller examiner attentivement le fameux sous-sol.
-Et…
-Et ils n’ont rien trouvé : pas de porte dissimulée, pas de mur qui sonne creux, pas de chambre secrète, ni de faux sous-sol. Ils n’ont trouvé d’ailleurs aucun indice qui pouvait clairement démontrer la présence de Courtemanche au chalet ou sur le terrain dans les jours précédents sa mort.
-Ce qui veut dire…
-Ce qui veut dire qu’il ne faut pas complètement négliger cette piste; on ne la priorise pas pour l’instant, mais je ne l’abandonne pas totalement. Je me réserve le droit d’aller interroger les occupants du chalet durant les dernières semaines, juste pour m’assurer que personne n’a rien vu de suspect, ou encore qu’ils n’ont rien à cacher.
-Et toi, tu ne devais pas retourner inspecter la maison des frères Couture ?
-Oui, j’y suis allé cette après-midi avec Turgeon; mais ça rien donner. À part que j’ai rencontré le deuxième frère Marc-André, encore plus malcommode, mal embouché que Normand. Au début, il ne voulait pas nous faire entrer; c’est Normand qui l’a persuadé d’ouvrir la porte. Je n’ai rien pu lui faire dire. Il a répété à peu près la même histoire que son frère, mais, qu’est-ce que ça veut dire : Normand aura parlé à son frère de notre première visite et ils ont dû se parler pour concocter une histoire crédible. Bon, bref, on a fait le tour mais on n’a rien trouvé de suspect dans la maison, ni dans ce garage qui aurait pu cacher bien des affaires : rien que des machines et des moteurs. Aucun équipement illicite, ni distillerie ni alambic, ni laboratoire clandestin; pas d’explosif non plus, ni marchandise volée. On a bien trouvé un petit sac de canabis dans l’un des tiroirs avec une trentaine de gramme, mais je n’ai rien dit; ça n’en valait pas la peine. Pourquoi mettre de l’huile sur le feu ?... Alors, il reste juste cette empreinte de botte…
-Celle qui était dans la neige en haut de la falaise…
-Exactement, celle que tu as prise de l’hélicoptère et que Yannick a réussi à analyser; les deux frères Couture portent des bottes Dakota modèle PS200, et les deux de taille 12. Je les ai vues.
-Mais une empreinte dans la neige, ce n’est pas assez pour le faire porter le chapeau de la mort de Simon-Pierre Courtemanche.
-Je le sais, chère fille… Voilà où nous en sommes. Il nous reste à espérer que l’autopsie pour nous en dire un peu plus sur les causes de sa mort.
-Et il reste encore ce que pourront révéler les recherches dans son domicile, ainsi Yannick vas trouver dans son ordinateur ou encore l’inspection des papiers que Benoît a récolté à son bureau.
-Encore une piste qui ne semble pas mener très loin… sauf…
-Sauf…
-Sauf un petit détail, tu sais ce tout petit fil qui dépasse et sur lequel il faut tirer.
-Et tu penses à quoi ?
-Aux heures supplémentaires. Rappelle-toi, dans son rapport mentionnait que son patron avait souligné que depuis quelques mois, Courtemanche avait fait beaucoup d’heures supplémentaires, qu’il faisait des semaines de cinquante heures et plus. Qu’il lui avait même dit de ralentir; il lui a dit en blaguant, il y deux semaines, qu’il allait mettre le journal en faillite. Alors, à ce moment, il avait arrêté de faire des heures supplémentaires.
-C’était un bourreau de travail.
-Il était minutieux, oui, mais je ne sais si c’est son genre de travailler de cette façon. Est-ce qu’il mettait toutes ses heures sur « le coup fumant » qu’il avait en tête ? Ou bien est-ce qu’il avait autre chose ?
-Bon; c’est nous qui sommes en train de faire des heures supplémentaires. Le bon souper de Juliette nous attend.



[1] À lire absolument : « Le crime du dimanche des Rameaux », le premier roman de cette palpitante série.
[2] À lire également dans la série : « Les petits enfants ».
[3] À lire aussi : « Trahisons ».
[4] À lire enfin : « Un lieu de repos ».

lundi 18 décembre 2017

Cela se passait près d’un lac
Chapitre 9

À peu près au même moment où Roxanne et Isabelle accompagnaient la fille de Simon-Pierre Courtemanche à la morgue au centre hospitalier de Buckingham, Benoît menait son investigation dans les bureaux de l’hebdomadaire Au Courant, à Gatineau. En fait l’édifice en question, de facture moderne, dans lequel étaient situés les bureaux du journal comprenait aussi les installations de plusieurs médias, notamment celle de la radio communautaire CHGA de Gatineau-Ottawa, un petit studio d’enregistrement de Radio-Canada local ainsi que les services de distribution du PubliSac.
Le rez-de-chaussée étant occupé par des restaurants et des petites boutiques très à la mode genre fleuriste ou kiosque de téléphonie. Au Courant occupait tout le premier étage de l’édifice.
Benoît était en en conversation avec le directeur du l’hebdomadaire Marco Saccetti, mais du coin de l’œil il pouvait voir que l’endroit en entier s’était arrêté de tourner. Quelques personnes s’étaient avancées sur le pas de la porte pour écouter ce qui se passait dans le bureau du directeur, d’autres essayaient tant bien que mal de se réconforter.
-Vraiment je ne comprends pas ce qui a pu se passer ! Tout le monde aimait Simon-Pierre. Qui a bien pu lui en vouloir au point de le tuer ?... Vraiment, pour moi c’est totalement incompréhensible !
-Vous appréciez son travail ?
-Bien sûr ! Il aurait pu être un grand journaliste; il était un grand journaliste, reprend le directeur en appuyant sur chacun des mots. C’est une perte énorme pour notre journal. Une perte irremplaçable. Je n’avais jamais besoin de lui dire quoi faire; il était toujours à la bonne place; il avait un flair infaillible. Il était très consciencieux; très soucieux de la vérité et de la véracité de ce qu’il écrivait. Son français n’était pas parfait, il faisait, parfois de petites fautes qu’il fallait corriger - mais qui n’en fait pas ? -, mais il avait le don particulier, celui de raconter une histoire. Croyez-moi, il n’avait pas son pareil pour capter l’attention du lectorat. Même les plus petites péripéties de la vie quotidienne prenaient sous sa plume une tournure intéressante et insoupçonnée. Et il savait prendre de bonnes photos. Il n’était pas le plus technologique d’entre nous… ça pour dire vrai… mais ce n’est pas ça qui l’empêchait de faire un excellent travail.
-On croit savoir qu’il enquêter sur un sujet particulièrement sensible depuis quelque temps; est-ce qu’il vous a fait part de quelque chose ?
-Il ne me disait jamais rien ! Au début, ça m’enrageait; mais avec le temps j’ai appris à vivre avec. C’est vrai qu’il était d’un naturel discret. Il s’entendait bien avec tout le monde, mais il gardait quand même ses distances. Il ne partageait pas beaucoup sur sa vie personnelle. Je ne sais même pas s’il avait de la famille. J’espère que l’aura prévenue… Je suppose que sa famille, c’était son travail.
-Depuis quand êtes-vous le directeur du journal ?
-Depuis environ cinq ans.
-Vous le connaissiez donc avant ?
-Non, j’arrivais d’un bureau de communications d’Ottawa quand j’ai été nommé. Je me souviens que lorsque mon prédécesseur a pris sa retraite on lui a demandé s’il était intéressé au poste de direction, mais il a refusé tout net. Il aimait les faits divers et c’est là « qu’il voulait mourir » !... Si j’avais su à l’époque… Vraiment… comment… comment est-ce qu’une telle chose peut arriver ? Ça va faire la une de notre prochaine édition, c’est sûr. Mais il faudra traiter l’histoire sans faire de sensationnalisme… comme lui l’aurait fait.
-Est-ce que je peux voir son bureau ?
-Bien sûr, je vous y mène.
-J’ai une autorisation d’emporter son ordinateur ou tout autre matériel jugé intéressant.
-Prenez tout ce qui vous sera utile à l’enquête ! Il faut qu’on découvre ce qui lui est arrivé. C’est affreux.

À peu près au même moment où Roxanne et Isabelle accompagnaient la fille de Simon-Pierre Courtemanche à la morgue au centre hospitalier de Buckingham, et que Benoît Roy-Buffo enquêtait sur son lieu de travail à Gatineau, Félix Turgeon entrait dans le bureau de son chef, à Papineauville, pour lui faire le bilan de ses investigations sur le passé de frères Couture. Paul avait passé la matinée à préparer et à signer les diverses demandes de perquisitions. Ça peut sembler de la paperasse et ça l’ai en vérité mais c’est le genre de tâche qu’il faut vraiment faire avec soin. Une assignation mal formulée, une demande de perquisition non justifiée, un simple formulaire mal signé peut faire déraper toute une enquête et même parfois faire avorter un procès. Certaines démarches, comme la permission de mettre quelqu’un sous écoute ou sou filature, exigent l’autorisation d’un juge.
-Entre, Turgeon; assied-toi. Alors qu’est-ce que tu as trouvé ?
-Bien des petites choses à gauche et à droite mais rien de vraiment consistant.
-Précise.
-Le gros du dossier des frères Couture est formé des nombreuses plaintes pour nuisance publique ou pour tapage nocturne, ou pour non-respect des règlements municipaux, ou encore pour destruction de l’environnement, toujours en rapport à leur utilisation de véhicules à moteur sur le lac Farmer. Il y en a eu 54 exactement.
-Cinquante-quatre ! En même pas deux ans !
-Ça a l’air d’une vraie lutte à finir entre les frères Couture et les autres résidents des rives du lac Farmer. On a l’impression qu’il y a une stratégie commune : tout le monde contre eux. C’est vrai ils ont gagné une manche importante dans la question des droits acquis. C’est vrai dans les règlements municipaux, la non-utilisation de bateaux à moteur sur le lac n’avait jamais été spécifiée; c’était tellement évident que personne n’avait pensé à le mettre noir sur blanc. Alors il y a un premier jugement qui a confirmé leur droit de naviguer en bateau à moteur. Mais depuis ce temps, tous les autres résidents les poursuivent à tour de rôle - ils se relaient – sous tous les prétextes possibles et imaginables; il y en a des chapitres pleins. Ça leur a coûté une fortune en frais juridiques et en avocat, mais je crois que leur stratégie, c’est de ne pas arrêter de les harceler, de les écœurer au point où ils décident de partir d’eux-mêmes.
-Et je pense que ça va réussir.
-Ah oui ?
-Oui, c’est Normand qui m’a dit ça hier quand j’y ai vais la première visite. Bon, et puis à part leurs ennuis avec leurs voisins.
-Pas grand-chose. Normand a déjà été accusé deux fois de voie de fait dans l’exercice de ses fonctions comme doorman dans un club, mais la première il y a eu non-lieu, et la deuxième fois, ça s’est soldé par une entente hors-cours.
-Et Marc-André.
-Une condamnation pour recel de marchandise volée. C’était une histoire de vol de sirop d’érable. Il a été condamné à une amende et à une peine avec sursis.
-Et leurs emplois, est-ce qu’ils travaillent où ils l’ont dit ? L’un chez Loblaw’s et l’autre… ah oui, Normand est sur la CNESST[1].
-C’est vrai, dans les deux cas.
-Fouille cet aspect; fouille leurs revenus leurs avoirs. C’est vrai que je n’ai rien vu d’extravagant : deux frères avec deux salaires et sans enfants peuvent se payer un bateau, des voitures ou des motoneiges. Mais il faudrait s’assurer qu’ils ne dissimulent pas de revenus illicites à quelque part.
-Bien, chef.
À ce moment de l’échange entre les deux hommes, Yannick entre dans le bureau de façon un peu impromptue.
-Chef, j’peux vous parler.
-Oui. Qu’est-ce qu’il y a ?
-J’pense que j’ai trouvé quelque chose.
-On t’écoute.
-Il faut plutôt regarder, dit Yannick en brandissant son ordinateur portable. Regardez bien… Pendant que Benoît aller faire sa quête dans le bureau du journaliste et pour me rapporter son ordinateur, je me suis à travailler les prises de vue de Roxanne. Regardez… Dans celle-là on voit nettement l’empreinte d’une botte de travail d’hommes.
-Oui, c’est vrai.
-Et j’ai trouvé non seulement la pointure, mais aussi la marque ! C’est un modèle Dakota PS200, assez commun de taille 12.
Félix Turgeon sourit : « Et as-tu trouvé la couleur en plus ? »
Paul lève les yeux sur lui puis se tourne vers Yannick qui reprend :
-C’est un modèle assez particulier avec protection des orteils en acier, qu’on utilise dans les métiers de la construction ou encore dans les entrepôts…
-Beau travail, Yannick; beau travail


[1] Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail.

lundi 11 décembre 2017

Cela se passait près d’un lac
Chapitre 8

Il n’aura pas fallu beaucoup de temps ni beaucoup de recherches à Roxanne et Isabelle, à peine quelques clics, pour trouver que Simon-Pierre Courtemanche, le journaliste des faits divers de l’hebdomadaire Au Courant, avait deux grands enfants dans la mi-trentaine : une fille, Léonie qui habitait à Ottawa, et un fils, Yves-Éric, qui vivait en Colombie-Britannique. Tous deux portaient le nom de leur mère, Fergus. Le garçon était un ancien skieur de l’équipe olympique canadienne. Spécialiste du slalom, sa carrière avait plafonné. Il avait concouru dans plusieurs courses à l’international et avait même été sélectionné pour les Jeux de Sotchi en 2014. Son meilleur résultat avait été une vingt-cinquième place en 2013 à Garmisch-Partenkirchen. Il était maintenant instructeur au centre de ski Whistler Blackcomb, là où on avait tenu les compétitions de ski alpin lors des Olympiques de Vancouver en 2010.
Léonie était enseignante dans une école privée catholique anglophone, la St-Mary’s-Holy-Name à Ottawa. Elle enseignait les sciences, biologie, physique et chimie, aux grands élèves des deux dernières années. C’est par elle que Roxanne et sa collègue décident de commencer. Elles sont à Ottawa en moins de trois quarts d’heure; elles se présentent à la réception de l’école en demandant de faire venir la jeune femme
-Léonie Fergus ?
-Oui.
-Bonjour; asseyez-vous. Je suis Roxanne Quesnel-Ayotte, officière de la Sureté du Québec, postée à Papineauville, et voici ma collègue Isabelle Dusmenil.
-Oui.
-Peut-être vous doutez-vous que nous ne venons pas vous annoncer une bonne nouvelle…?
-Il s’agit de mon père, c’est ça ?
-Pourquoi est-ce que vous dites ça ?
-Il fallait qu’un jour ou l’autre il lui arrive quelque chose…
-En effet, il lui « est arrivé quelque chose », on a retrouvé son corps dans un lac de la région des Basses-Laurentides…
Tout en parlant, Roxanne observe avec attention les réactions de celle qui lui fait face.
-Nous ne savons pas exactement les causes de sa mort. Nous avons retrouvé ses papiers sur lui mais la procédure veut que le corps soit définitivement authentifié par un membre de la famille. Est-ce que vous pouvez venir avec nous ?
-Oui, je vais demander à me faire remplacer pour la journée.
Dans la voiture, en route pour Buckingham, où se trouve la morgue, les policières ont fait asseoir Léonie sur le banc arrière. Roxanne la voit dans le miroir.
-Pourquoi avez-vous dit tout à l’heure que vous vous attendiez à quelque chose du genre ?
Léonie répond par une autre question.
-Connaissiez-vous mon père ?
-Un peu; je l’avais rencontré en plusieurs occasions au cours de diverses enquêtes; je le trouvais sérieux dans ce qu’il faisait.
-« Sérieux dans ce qu’il faisait » !! Ça veut dire que nous ne le connaissiez pas ! Mon père était entièrement investi dans son travail, à deux cents pour cent ! Il n’était jamais à la maison. Il travaillait cinquante, soixante heures par semaine ! Le soir, les fins-de-semaine, pendant les vacances ! D’ailleurs, des vacances on n’en prenait jamais. En fait, on en prenait, mais sans lui. À la fin de l’année scolaire, il nous amenait, ma mère, mon frère et moi à Old Orchard Beach, dans le Maine… et il nous laissait là. C’est sûr qu’on avait du fun : on était à la plage toute la journée, on se baignait, on mangeait de la crème glacée, on se faisait des amis; c’était plein de familles québécoises. Nous les enfants, on jouait tous ensemble; pour les enfants c’était le paradis. Ma mère était une franco-ontarienne. Elle détestait ça; elle détestait ce monde-là. Mais lui, mon père, il n’était pas là; il se poussait. Il disparaissait. Il nous dompait là et le lendemain, parfois même le jour même, il repartait.
-Il repartait pour Papineauville ?
-Non, à cette époque on habitait à Saint-Eustache. Il avait du travail par-dessus la tête. C’était l’époque du scandale de l’aéroport Mirabel, les gens avaient été expropriés, il y avait des contestations, des poursuites judiciaires, les villages qui mouraient… le nirvana pour un journaliste… Mais, il ne repartait pas juste pour travailler. C’était une fuite. Il ne pouvait vivre en famille; c’était impossible pour lui.
-Impossible ? Comment ça impossible ?
Encore une fois, Léonie Fergus répond par une question :
-Avez-vous rencontrer ma mère ?
-Non, pas encore.
-Alors vous lui demanderez ce que c’était de vivre avec lui.
-Et pour vous, les enfants, dites-moi : comment c’était de vivre avec lui ?
-Pour nous les enfants ? C’était facile : c’est bien simple, on a eu un géniteur, mais on n’a jamais eu de père.
Elles roulent quelques kilomètres sans dire un mot. Léonie demeure de longues minutes les lèvres serrées. Isabelle et Roxanne échangent des regards qui interrogateurs qui perplexes du coin de l’œil. Sans préavis, Léonie Fergus reprend :
-Vous ne savez rien, vraiment rien ?
-Qu’est-ce que nous devrions savoir ?
-Toute sa vie, mon père a vécu une double vie.
-Une double vie ?...
-Oui, une double vie, celle d’un homme qui aimait les hommes….
Roxanne et Isabelle se regardent. Cette dernière se retourne vers leur interlocutrice et l’enjoint à continuer.
-Pouvez-vous en dire plus ?...
-Il s’était marié, pensant que c’était la bonne chose à faire; mais ça n’a servi à rien. Après neuf ans de vie de couple, il a dû faire face à la réalité, et a avoué son homosexualité à ma mère; elle a immédiatement demandé le divorce… et elle a gagné. Pour vrai, elle a tout gagné. Mon père avait quand même des bons côtés, il était bon, il était généreux, il était charitable, et il n’aimait pas la chicane. Alors, il a tout accepté; il lui a laissé la maison, il lui a versé une pension alimentaire pour nous faire vivre. C’est là qu’il a déménagé à Papineauville. Il a refait sa vie. Il était bon journaliste, il s’est trouvé un emploi assez facilement. Il aurait pu travailler pour des grands médias; à l’international. Il s’intéressait à tout. Mais il a préféré rester aux faits divers. C’est ça qu’il aimait. Nous, on allait le voir une semaine à Noël et deux semaines l’été. Ça ne faisait pas des relations très fortes. Ma mère avait exigé que son conjoint ne soit pas dans la maison, pour supposément « nous protéger », mais elle n’a pas pu l’obtenir du tribunal. Et puis on était rendus assez grands pour décider. Nous on a été surpris au début quand on voyait un homme chez mon père, mais très vite on a trouvé normal. Et puis, les hommes étaient gentils avec nous. Et surtout, lui aussi, il était content de nous voir. Puis Yves-Éric a commencé à faire du ski de façon sérieuse. Il a eu un premier camp au Mont-Tremblant, puis en Alberta. Il a fait l’équipe junoir et il était parti presque six mois par année. Moi j’allais le voir un fois par mois environ; et j’ai commencé mon université, à Ottawa. Je me suis mariée et nous nous sommes installés à Ottawa. Mon mari n’a rien dit non plus. Mes enfants ont plusieurs grands-pères c’est tout.
Le silence se ré-installe dans la voiture.
-Pensez-vous que ça peut vous aider tout ce que je dis ?
-Tout ce que vous pourrez nous dire sur votre père en bien ou en mal, va nous aider c’est certain. Nous vous en sommes très reconnaissantes… C’est quand la dernière fois que vous l’avez vu.
-Attendez… il y a un mois environ. Pour la fête de Derek; oui c’est ça; il a cinq ans. On a fait une fête d’enfants l’après-midi et il est venu dans la soirée. Mais Derek était déjà fatigué; il lui a donné son cadeau et Derek est monté se coucher. Mon père est monté lui faire un « Good sleep » et il est reparti.
-Vous parlez anglais à la maison ?
-Mais oui; mon mari Dwayne est Ontarien.
-Et à ce moment, comment était-il, comment cous a-t-il paru ? Avait-il l’air préoccupé ou stressé ?
-Non, je n’ai rien remarqué. Il était content de venir. Il avait acheté un beau sur les pays du monde à Derek.
Isabelle reprend :
-Mais vous trouviez donc qu’il vivait dangereusement ?
-Il aimait la vie, mais surtout il aimait bien vivre… si vous comprenez ce que je veux dire. Il faisait ce qu’il voulait sans jamais penser aux conséquences, sans jamais penser à plus tard. Au cours des années, certains de ces chums lui ont volé sa montre, ses bijoux, son argent, mais lui ça ne lui faisait rien. Il s’en fichait. Il était insouciant. Quand je lui disais de faire attention, d’être vigilant, de ne pas laisser entrer n’importe qui chez lui, il riait, et puis il haussait les épaules. J’ai arrêté de me fâcher.
-Vous croyez donc que quelqu’un de proche, disons d’ « intime » aurait pu lui faire du mal ?
-Je ne sais pas; ça s’peut… Tout arrive dans notre monde.
La voiture s’engage dans le stationnement de l’hôpital de Buckingham.
-Nous allons nous rendre directement à la morgue. Ça va ?

-Oui; pas de problème.

lundi 4 décembre 2017

Cela se passait près d’un lac
Chapitre 7

                -Résumons donc la situation.
                À la première heure matin, Paul a réuni son équipe dans la salle de conférence du poste de la SQ de Papineauville, pour faire le point sur la mort plus que suspecte du journaliste Simon-Pierre Courtemanche. Ils sirotent leur café; ils se partagent une boite de pâtisserie. Il y a là, assis autour de la grande table, qui sa tablette, qui son portable posé devant eux, sa fille Roxanne, bien sûr, ainsi que les agents qui ont participé aux recherches : Isabelle Dusmenil et Félix Turgeon, Sabrina Mila et Benoît Sauriol-Fortier. Paul a aussi demandé à son expert informatique Yannick Beauregard (Vraiment un nom prédestiné pour ce qu’il accomplit dans mon équipe, ne pouvait s’empêcher de se dire Paul à chaque fois); Charles Gazaille et Victor Petitclerc qui assumaient la garde de la scène du crime depuis hier soir, seraient aussi mis au courant à leur retour.
                -Voilà ce que l’on sait : le corps de Simon-Pierre Courtemanche a été retrouvé dans le lac Dansereau aux petites heures du matin par un père jésuite du nom de Jean-Marc Bouchard. Pourquoi un père jésuite ? Le lac Dansereau est un lac protégé, de même que le boisé de alentours, ce qui veut dire qu’on ne peut rien construire sur ses berges. Les jésuites sont seuls à y avoir avoir accès direct car ia construction de leur chalet des jésuites datant du début du siècle dernier, avant le décret de protection du lac, ils jouissent donc d’une sorte de droit acquis. D’ailleurs ils ont été impliquer dans la rédaction de l’accord décrétant la protection dudit lac. Il reste à démontrer si le père Bouchard… ou un quelconque autre jésuite, est relié à la mort de Courtemanche. Pour l’instant, ça ne semble pas être le cas; c’est l’étude des contacts de ce dernier qui nous en apprendra plus.
Paul jette un coup d’œil autour de lui, prend une gorgée de café, et poursuit :
-Selon tout probabilité, le corps de Courtemanche aurait été jeté du haut d’une falaise dans une des baies du lac et il aurait dérivé jusqu’à l’endroit où le père Bouchard l’a découvert. Voici une vue du lac…
                Sur un signe de son chef, Yannick allume un projecteur et fait apparaître sur l’écran une vue aérienne du lac. Paul y pointe un endroit avec le rayon laser.
                -Voici où le corps a été retrouvé, et on n’a pu déceler aucun indice de présence humaine dans les environs : pas de sentier, pas de traces de pas, rien; et voici la falaise d’où son corps aurait été jeté dans le lac, à environ neuf cents mètres en ligne droite. Roxanne, à partir de l’hélicoptère, a eu le temps de prendre des photos de traces dans la neige sur le promontoire qui surplombe la falaise et le lac. Voici quelques-unes de de ces prises de vue… voici la meilleure. On voit les traces de pas de probablement deux hommes qui sortent du boisé puis, voyez, qui zigzaguent sur le promontoire et on pourrait supposer qu’ils repartent dans le boisé par où ils sont arrivés. Transportaient-ils un corps et l’ont-t-ils balancé par-dessus bord ? Très possible. Turgeon et moi nous sommes allés sur le site même en fin d’après-midi; nous avons dû passer à travers le boisé…
-Et ça monte pas mal !
-Oui, c’est vrai… on est passé à travers le bois car il n’y a pas vraiment de sentier; donc on ne sait pas par où les deux hommes seraient passés. Et rendus en haut, malheureusement nous n’avons pu retrouver les traces car durant la journée le soleil avait chauffé et toute la neige avait fondu !
                Cette dernière remarque déclenche plusieurs murmures mi-figue mi-raisin de la part de ses agents.
                -Je sais, c’est frustrant; il ne nous reste que les photos prises par Roxanne pour notre enquête. Mais n’allons pas trop vite.
Roxanne intervient alors :
-Oui, n’allons pas trop vite, parce que ce que la neige nous apprend, par contre, c’est le moment de l’infraction, le moment où ces deux hommes auraient jeté le corps de Courtemanche à l’eau. Il semblerait que le corps de Courtemanche a séjournée vingt-quatre heures ou à peu près dans l’eau, l’autopsie apportera plus de précision; et on sait aussi qu’il a commencé à neiger sur la région dans la nuit du samedi, et que le matin du lundi, avant-hier, le jour de la découverte du corps, il ne neigeait plus; donc le corps aurait été jeté dans le lac dans la nuit de dimanche ou lundi ou encore au petit matin du lundi; ça ne peut pas avoir eu lieu plus tôt sinon la neige aurait recouvert les traces.
Autre série de murmures plus approbatifs.
Paul reprend.
-Comme je l’ai dit, le père Bouchard, qui a appelé le 911, ne semble pas impliqué dans cette affaire, mais il ne faut négliger aucune piste. J’ai fait une visite sommaire du chalet, mais qui ne m’a pas convaincu. Je vais envoyer une équipe faire une fouille approfondie, pour chercher le moindre indice, comme par exemple, si on pouvait trouver quelque chose, comme des empreintes, qui montrerait la présence de Courtemanche au chalet. Sabrina et Benoît, c’est votre tâche pour aujourd’hui; fouillez partout. Je vous signerai les avis de perquisition nécessaires.
-OK.
-Si le père Bouchard ne semble pas suspect… Il y un autre lac juste à côté, le lac Fraser qui se jette dans le lac Dansereau. On a fait le tour des gens qui habitent autour du lac; en fait il n’y que le côté est qui est habité; il y a une quinzaine d’habitations, la plupart étant des chalets d’été. Quatre de ces chalets ont été transformés en maison toutes saisons. Ça n’a rien donné de convainquant, mais pendant ces visites le nom de deux énergumènes est souvent revenu, le frères Couture Marc-André et Normand, dont avaient aussi parlé le père Bouchard, reconnus comme des emmerdeurs de première catégorie. En gros ils ont hérité du chalet de leur oncle il y a deux ans. et depuis lors ils prennent un plaisir fou à gâcher la quiétude des lieux et la paix des autres habitants, notamment avec leurs gros moteurs : bateau, camions, motoneiges, à presque toute heure du jour et de la nuit. C’est vrai que par leur style de vie, ils ne cadrent pas du tout avec l’environnement. Quand je suis allé chez eux, je n’ai vu que Normand mais là encore, je crois qu’une visite plus fouillée des lieux s’impose. Je ne serais pas étonné d’apprendre qu’ils travaillent au noir par exemple, ou qu’ils fricottent dans la petite criminalité, ou qu’ils soient mêlés à du trafic plus ou moins licite, ou même que dans leur sous-sol on trouve une plantation de cannabis ou quelque chose du genre. Je vais y retourner aujourd’hui. Turgeon, tu viendras avec moi; mais avant tu vas chercher tout ce que tu peux trouver sur eux; peut-être qu’ils sont déjà dans nos fichiers à quelque part. Ou alors cherche dans la juridiction de leur résidence principale.
-Très bien, chef.
-Deux autres éléments importants. Il y a quelques semaines, Courtemanche m’avait confié qu’il était sur un « coup fumant », c’est le mot qu’il a employé, une affaire « qui allait faire du bruit ». Est-ce que c’est en lien avec sa mort ? C’est possible. Mais il faut aller à son bureau, fouiller toutes ses notes, son agenda; il prenait beaucoup de notes à la main, mais il faudra aussi farfouiller dans ordinateur. C’est un travail pour toi Yannick; je te signerai les autorisations pour faire main basse sur ses ordinateurs. Toi Benoît, tu vas à son bureau avec lui et tu fouilles dans tous les recoins; tu interroges tout le monde, tous ses collègues, surtout les anciens, ceux qui sont le plus proches de lui, qui le connaîtraient le mieux. Je veux savoir ce qu’il cherchait et qui a peut-être causé sa mort.
-Ça marche !
-Personnellement, j’ai toujours apprécié Simon-Pierre Courtemanche. Et la plupart d’entre nous étions capables de l’apprécier; il n’était pas une fouille-merde. C’était un gars sympathique qui faisait son travail avec honnêteté, avec intégrité. On pourrait presque dire que « tout le monde aimait Simon-Pierre »… Mais il semble bien que quelqu’un lui voulait du mal. Ça m’attriste.
Pendant un long silence, les uns et les autres se regardent en approuvant.
-Enfin, il a disparu pendant presque deux jours et personne n’a signalé sa disparition ! Au début ça m’a semblé étrange, mais en fait, il vivait seul, et au bureau, lundi, il avait une journée de congé donc personne ne pouvait s’inquiéter avant mardi de ne pas le voir. Les registres d’état civil nous apprennent qu’il a déjà été marié et qu’il a deux grands enfants, un garçon et une fille dans la trentaine. Il faut aller les avertir et enquêter auprès d’eux, un travail pour toi Roxanne; vas-y avec Isabelle...
-Entendu.
-Tiens, j’y pense : cherchez aussi s’il avait une nouvelle flamme cachée quelque part; et aussi, allez voir du côté de son ex, on ne sait jamais.
-C’est vrai.
-Et finalement la voiture.
Sur un petit signe de son père, Roxanne reprend la parole.
-Sur le chemin du retour, après avoir survolé le lac et avoir pris des photos des traces dans la neige, avec l’hélicoptère, avant qu’il ne reparte pour Gatineau, on fait des grandes spirales à partir du lac Dansereau. On a été chanceux : en a peine une heure, on a retrouvé véhicule de Courtemanche, à vingt kilomètres de là. Il se trouve dans un petit sentier qui ne mène nulle part, mais il a pu être déplacé. Il faudrait aller voir et le fouiller, de même qu’aller le chercher. Il ne peut rester là.
-Oui... Ça va nous prendre plus de monde… Charles et Victor auront leur nuit dans le corps; ils doivent rentrer chez eux... Sabrina et Benoît, vous prendrez Dufresne avec vous pour garder le périmètre de sécurité. Et d’un autre côté, je vais demander à Jean-Daniel d’aller chercher la voiture de Courtemanche avec la remorqueuse. Roxanne, indique-lui l’emplacement exacte.
                 -Il ne restera plus grand monde au poste.

                -Oui… en effet… mais c’est comme ça; espérons qu’il n’y aura pas une révolution à la polyvalente. On devra limiter les patrouilles; les maniaques de vitesse auront une journée pour s’en donner à cœur joie.

lundi 27 novembre 2017

Cela se passait près d’un lac
Chapitre 6

                -Hey !! Qu’est-c’est qu’vous cherchez ??
                La grosse voix et le ton agressif de la question font rapidement se retourner Paul vers la maison.
                Il voit debout au bord du ponton un homme qui ne lui fait pas une mine très accueillante. Il se tient les jambes écartées, en bottes et pantalons de travail, massif (un bon 150 kilos), ses gros bras croisés sur une chemise à carreaux rouge, une épaisse barbe de bucheron, le crâne rasé; il porte d’épaisses lunettes de soleil. Quelques tatouages se laissent voir au bas de son cou.
                Paul essaye réprime un sourire; il ne veut pas laisser paraître son amusement devant une telle caricature du dur à cuire. Rien ne peut, pour l’instant, se dit-il, lui faire supposer que les frères Couture, aussi malcommodes soient-ils, sont mêlés en quoi que ce soit à la mort de Simon-Pierre Courtemanche, mais leur nom est tout de même revenu plusieurs fois dans diverses conversations depuis ce matin. Ce qui est sûr, c’est qu’il sait que dans sa récolte d’informations, il a tout à gagner à essayer de le mettre de son côté.
                -C’est vraiment un beau bateau que vous avez là !... Un Ranger Comanche de trente pieds en aluminium ! Ouais ! C’est une belle bête ! Pis équipé d’un moteur Mercury 500 ! Ça doit filer pour vrai ! C’ta vous, je suppose ?
                -Ouais ! À moi pis à mon frère, Marc-André. C’t’une belle machine ! Une belle machine ! On l’aime ben.
                -Ça doit être comme un pur-sang à dompter… Il doit aimer ça les vagues; j’suis sûr qu’il doit aimer les prendre la mer.
                -Mets-en ! On le sort chaque jour; deux, trois, quatre fois par jour s’il faut.
-Va falloir le rentrer pour l’hiver; vous le mettez dans le garage qu’est là ?
-Dans un mois, un mois et demi. Le lac gèle pas avant janvier.
-Ouais, c’est vrai, mais ça pas être chaud de conduire en décembre.
-Ça popire; ça s’tuff.
                -Gardez-moi ça si c’est beau; il est presque trop beau pour un p’tit lac comme ça ! Il mérite mieux que ça !
                -Ouais, j’sais ben, maudite affaire... On traverse le lac en deux trois minutes et demi, pis après ça on doit revenir. On a beau tourner en rond, on peut pas aller ben loin… C’est pour ça que mon frère pis moé on veut déménager.
                -Vous trouvez pas que c’est une belle place ?
                -C’est une belle place ! Mais on veut plus grand ! Quand notre oncle Paul-Émile est mort, il y a cinq ans il nous a laissé le chalet. Lui, y avait pas d’enfants; pis nous en est v’nu icitte toutes les étés avec notre père; on est les fils de son frère Benoît.
                Graduellement, tout en conversant, Paul s’est avancé sur le ponton pour se rapprocher de son interlocuteur.
                -J’ai oublié de me présenter : capitaine Paul Quesnel, directeur de poste de la SQ de Papineauville.
                Aussitôt, son interlocuteur fait involontairement un pas vers l’arrière et reprend son attitude de bagarreur.
                -Papineauville ? Hey, c’est pas la porte à côté ?? Ça a-tu rapport avec l’hélicoptère de c’matin ?
                -Oui. Il venait de Gatineau; on en a besoin pour faire des recherches. Pour l’instant, je peux rien vous dire…
Paul plisse les yeux. L’autre fait de même, mais pour les mêmes raisons.
-Ah, pis j’peux ben vous l’dire à vous : on a retrouvé un corps dans le lac Dansereau ce matin; c’est l’un des frères jésuite qui l’a trouvé pis qui a appelé le 911. Alors pour le moment, moi pis mes hommes, on a fait tout le tour du lac, on rencontre tout le monde pis on leur pose des questions aux gens du coin.
                -Quelle genre de questions ?
                -Ben, genre…
Paul sort un petit calepin de sa poche portefeuille, l’ouvre tranquillement à un pahe spécifique et se met à réciter une leçon bien apprise :
-Genre : avez-vous vu hier ou avant-hier, ou les jours avant quelque chose de bizarre ? Ou si vous avez vu des gens qui sont pas du coin ?
                -Non, j’ai rien vu d’ça !
                -Avez-vous vu des gens roder dans le coin ces derniers temps ?
                -Non…
                -Ils pouvaient avoir l’air louche, mais ils pouvaient avoir l’air normal aussi…
                -Non, j’ai pas vu personne !
                -Ou avez-vous entendu des bruits, comme des bruits de moteur par exemple, qui avait pas rapport ?
                -Non, j’ai rien entendu.
                -Pis votre frère, Marc-André, est-ce qu’il aurait vu ou entendu quelqu’un ou quelque chose ?
                -J’sais pas; faudra que tu lui d’mandes à lui…
                -C’est vrai; est-ce que je peux lui parler ?
                -Là y est pas là; y est parti au village.
                -Je comprends…. Bon, ben, j’pense que c’est fini.
Paul remonte légèrement le talus.
-Oh ! Dites-moi donc :  est-ce que votre sonnette est brisée ?
                -Brisée ? Comment ça ?
                -Ben quand je suis arrivé, j’ai sonné deux fois, puis je n’ai pas eu de réponse !
                -C’est parce que j’étais dans l’garage. J’étais après mettre mes pneus d’hiver sur mon truck. Alors avec le bruit d’la drill, j’ai pas rien entendu.
                -Qu’est-ce que vous avez comme véhicule ?
                -Moi ? Un Ford F-150 ?
                -Un F-150 !? C’est pas un p’tit bazou ! Vous pis votre frère, vous m’avez l’air de deux gars qui aiment les moteurs !?
                -Mettez-en; en plus du bateau pis de nos trucks on a chacun un ski-doo, pis deux quatre par quatre.
                -J’comprends que vous voulez déménager; le monde des autres chalets doivent pas trop aimer ça entendre tous ces bruits de moteurs. J’suis sûr que ça fait pas leur affaire. J’ai pas raison ?
                -Mets-en !! C’est toutte des fraichiés; tout l’temps en train d’chialer ! Tout l’temps en train de s’plaindre ! Ils ont même essayé de faire changer les règlements contre nous-autres; mais ça a pas marché parce qu’on a des droits acquis; faut les respecter. C’est grâce à mon oncle Paul-Émile.
                -Qu’est-ce qui faisait dans la vie, Paul-Émile ?
                -Y était entrepreneur dans la construction dans le boutte de Mont-Laurier.
                -Oui… Pis vous ?
                -Quoi, pis moé ?
                -Vous, vous faites quoi dans la vie ?
                -Pendant plusieurs années j’ai été chauffeur de truck, mais il y a deux ans j’ai eu un accident de travail en débarquant un trailer. Alors j’suis sur la CSST. Comme sideline, j’suis doorman dans un club à Montréal... Hey ! Stoolez-moi pas à la police, hein!
                Normand Couture, tout fier de sa blague, éclate d’un gros rire retentissant et lançant sa tête en arrière. Paul se joint à lui.
                -Non, non ! La police, j’men occupe !
                Nouvel éclat de rire tonitruant de son interlocuteur.
                -Pis Marc-André, lui, qu’est-ce qu’il fait dans la vie ?
                -Il travaille comme manutentier à l’entrepôt de Loblaw’s à Lachute. Voulez-vous l’atte… Heu.. j’sais pas à quelle heure il devrait revenir.
                -Non… non… c’pas grave. J’aurai certainement l’occasion de la rencontre une autre fois, car je vais sûrement avoir besoin de revenir.
                -Revenir chez nous ? Pourquoi ?
                -J’veux dire : revenir dans le coin. Là, on est dans l’étape de récolter des indices et dépendamment de ce qu’on aura trouvé, on va certainement devoir revenir pour des investigations plus précises. Peut-être qu’on va devoir fouiller tous les garages, les remises, les cabanons…
                -Ouais… ouais…
                Paul ouvre la porte de sa voiture.
                -Bon; on se reverra Normand Couture.
                -Ouais… ouais…

                Paul démarre.