lundi 30 janvier 2017

Meurtre à la mosquée
Chapitre 13

                Paul cogite quelques instants ce qu’il a appris sur les quatre frères et sœurs, les enfants de feu Amir Mawami. Tout d’abord Hamza, l’ainé, digne successeur du paternel, droit commem un piquet, respectueux et admiratif de son père jusqu’au déni aveugle, qui veut perpétuer coûte que coûte l’ordre et la tradition. Ensuite, la première fille Mariyam, qu’il n’a pas encore rencontrée personnellement; Paul se dit qu’elle était certainement présente lorsqu’il est venu au domicile familial vendredi pour leur annoncer la mort de leur époux et père; c’était peut-être, songe-t-il, cette jeune femme en sari orangé entr’aperçue dans un coin du salon, mais il n’y pas fait vraiment attention trop concentré, et dérangé, qu’il était sur les cris théâtraux de la veuve. Tout ce qu’il a récolté sur elle, c’est que c’est une rebelle, soumise uniquement en apparence; probablement qu’elle attend son heure, et peut-être qu’avec la mort de son père, son heure est venue. Puis le deuxième fils Kamala, celui qui « a mal tourné » : délinquance, mauvaises fréquentations, trafic de drogues, menaces de mort, petite criminalité à la limite de la grande… il ne devait pas faire la fierté de son père. Et enfin la plus jeune, cette Asma qui a pris le risque de venir le voir et lui parler pour lui confier sa détresse et ses secrets… en partie seulement; Paul se doute que la jeune fille ne lui a pas tout dit, qu’elle sait bien d’autres choses, mais peut-être voulait-elle seulement le tester, le jauger, savoir si elle pouvait lui faire confiance, elle qui vit dans un monde de suspicion, d’obéissance, de soumission, un univers un peu en vase clos, bien ordonné, selon les conventions traditionnelles… Ah, le poids de la tradition ! et la difficulté de s’adapter, de s’intégrer dans un nouvelle société. Quel âge avait-elle quand la famille est arrivée ici ? Un an ou deux, pas plus.
                Paul est en train de conclure qu’il lui faut trouver Kamala, pour avoir sa version de la vie familiale; il devra lancer un avis de recherche pour l’interroger. Il juge aussi qu’il doit aller rencontrer l’autre fille, Mariyam, et établir avec elle un climat de confiance; peut-être je pourrais envoyer Roxanne; et aussi, rencontrer et interroger à nouveau la veuve dans de meilleures conditions; le premier entretien n’a pas était très productif; il faudra recontacter l’interprète, et oui, être plus aimable avec elle...
                C’est à ce moment que, comme un clown écarlate qui sortirait de sa boîte, Roxanne surgit dans son bureau suivie d’Isabelle qui court derrière elle :
                -Papa ! On a trouvé la pièce du casse-tête !

                Roxanne était revenue de Turso après l’inhumation du corps de monsieur Mawami. Elle était restée à la porte; les grands arbres, érables et pins, donnaient une véritable solennité au lieu. Les feuilles sont déjà presque toutes tombées. À l’arrière-plan, les premières collines des Basses-Laurentides aux lignes gracieusement sinueuses se dessinent et montrent encore leurs couleurs. Le ciel est légèrement gros; en levant la tête Roxane peut voir les nuages jouer à une sorte de cache-cache poussif entre les branches. Ce sera la fin de l’automne dans quelques jours; dans une semaine ou deux, on sentira le froid.
Elle observait et essayait de comprendre les rituels. Ce sont les hommes qui formaient le cortège funèbre mené par l’imam; quatre d’entre eux portaient le cercueil, et non pas une civière sur lequel reposerait le corps comme on le voit à la télévision (peut-être est-ce obligatoire selon les lois du pays). Les femmes venaient un peu en retrait dans leurs saris de diverses couleurs jaunes, oranges, mauves, qui se mariaient se bien avec les couleurs de la nature; un beau sujet de tableau pour un peintre qui se serait trouver là. Les femmes poussaient des exclamations, des jérémiades, qui semblaient n’avoir aucun sens aux oreilles de Roxanne, mais qui exprimaient leur peine; les hommes restaient plus dignes. On a déposé le corps à côté de la fosse. Elle est orientée vers l’est, vers la Mecque. L’imam récite quatre prières chacune suivie d’un répond incantatoire par le groupe des hommes restés debout. Une fois le corps descendu et recouvert d’un peu de terre, ils s’éloignent et laissent s’approcher les femmes qui laissent totalement libre cours à leurs émotions; une femme, peut-être est-ce la veuve, fait mine de vouloir se jeter dans la fosse.
Enfin les employés du cimetière recouvrent complètement le cercueil.
Le petit groupe reste un long moment autour de la fosse maintenant comblée, laissant les femmes se vider le cœur, pendant que les hommes discutent à voix basse. Finalement on rejoint les voitures; le corbillard est reparti depuis bon un moment.
Roxanne croise le regard monsieur Zardai qu’elle reconnaît. Elle ne sait pas si elle doit sourire.
Elle s’approche et, pour entamer la conversation, lui dit :
-Madame Mawami a l’air bien affectée...
-Le prophète ne recommande pas aux femmes de venir au cimetière du fait qu’elles sont plus émotives… répond-il et il s’éloigne, la laissant un peu interloquée.
Le départ définitif encore quelques minutes.
Tout semble s’être passé selon les normes adaptés au contexte nord-américain. La dernière, Roxanne rentre dans son véhicule démarre.

De retour au poste de la Sureté du Québec de Papineauville, Isabelle vient la trouver dans son bureau.
Ces deux-là s’entendent de mieux en mieux. Elles n’ont que trois ans de différence et elles ont appris à travailler ensemble lors de l’enquête sur le corps retrouvé dans le chantier de construction de la nouvelle route à Lac-des-Sables, et elles s’apprécient de plus en plus. Personne n’était policier dans la famille d’Isabelle et elle a dû vaincre bien des résistances. Pour Roxanne, sa compagne est intuitive; elle est calme, elle sait être discrète quand il le faut et autoritaire quand il le faut. Roxanne se dit qu’elle mériterait d’être promue à plus de responsabilités. Une autre femme dans la brigade des enquêtes criminelles de son père ? Roxanne sourit à cette pensée. Il va encore dire que le monde change trop vite à son goût !
-Tu fais un drôle d’air…
-Ah, c’est juste tant de nouvelles choses que je ne connaissais pas; d’autres façons de voir la vie. Et toi, quoi de neuf ?
-J’ai fait le tour des finances de la mosquée.
-De la mosquée ?
-Oui, je ne me trouvais pas assez qualifiée pour faire l’examen des finances des affaires d’Amir Mawami, ses deux magasins, un ici à Papineauville, l’autre à Gatineau, son bureau d’affaires à Montréal. Alors j’ai confié le tout à Jean-Christophe qui est capable de trouver les experts qu’il faut.
-Oui, il n’est pas battable pour le chiffres.
-S’il y a quelque chose de louche il le trouvera. Alors, j’ai jeté un coup d’œil aux finances de la mosquée et du centre culturel… en fait ce n’est qu’une seule comptabilité. Ce qui n’est pas très compliqué; il y a des entrées et des sorties. Mawami était la probité incarnée. Au début de chaque mois, il règle les comptes : électricité, chauffage (qui se font d’ailleurs par retrait automatique), salaire de l’imam, achat de matériel. Il ne semble pas se payer de salaire; ça a l’air qu’il fait ça bénévolement. Et chaque semaine, le samedi, il fait un dépôt toujours au même guichet de la Banque Royale, qui tourne autour de trois cents dollars, fort probablement ce qui a été récolté lors des offrandes lors de la prière du vendredi. Tout ça avec une régularité de métronome. S’il y a des irrégularités ce n’est pas ici qu’on les trouvera. De plus, il y a une campagne de financement annuelle…
Roxanne écoute très attentivement; elle s’est redressé le dos comme un chien aux arrêts.
-Répète ce que tu as dit…
-Heu… De plus, il y a une campagne de financement annuelle…
-Non, avant ! Tu as dit que chaque samedi il faisait un dépôt, qui représentait les offrandes ramassées le vendredi soir…
-Oui, chaque samedi au même guichet de la même succursale…
-Un dépôt qui tourne autour de…
-Qui tourne toujours autour de trois cents dollars; des fois un peu plus, des fois un peu moins.
-Isabelle tu es géniale ! Tu as trouvé, tu as trouvé, LA pièce du casse-tête !
-Moi !?
-Oui, courons chez mon père.
Les deux jeunes femmes se précipitent à travers les couloirs jusque chez leur patron.
-Papa, où est le sac d’argent qu’on a trouvé dans le bureau de Mawami quand on a fait la fouille ?
-Le sac d’argent !? Je vais le remettre à l’imam demain matin; nous n’avons aucun motif de la retenir.
-Tu te souviens, on a compté l’Argent; combien il y avait ?
-Attends, je l’ai ici… quatre cents quatre-vingt dollars.
-C’est ça ! C’est exactement ça ! Regarde ce qu’Isabelle a trouvé : chaque samedi méthodiquement, sans jamais manquer à ses devoirs de trésorier, le lendemain de la prière du vendredi, il allait déposer toujours dans le même guichet, le montant des offrandes, regarde dans l’état de compte. Sauf que…
-Sauf que…
-Sauf que : les chiffres ne correspondent pas, ce n’est pas la somme totale. Nous avons trouvé presque cinq cent dollars dans le sac, très vraisemblablement les offrandes ramassées vendredi; les offrandes totales qu’il n’a pas déposées à la banque… et dont il n’a pas retenu une partie !
-Mais c’est vrai, s’exclame Isabelle.
-Redis ça.
-Ce que je crois c’est que ce Mawami n’était pas honnête à cent pour cent : chaque semaine de l’année il faisait bien un dépôt des offrandes ramassées, mais chaque semaine également, il en gardait une partie pour lui…
-Ou pour quelqu’un d’autre…
-Ou pour quelqu’un d’autre, ou pour un autre groupe. Et il gardait une somme importante entre cent cinquante et deux cents dollars par semaine; multiplié par cinquante-deux ça fait… presque vingt mille dollars. Chaque année, il retenait vingt mille dollars du budget de la mosquée pour… quelque chose d’autre.
-C’est vrai… Ben raisonné; on ne peut rien affirmer encore pour les années antérieures, mais c’est bien raisonné.
-Et vous savez ce que je crois ? Probablement que l’examen de la comptabilité de ses affaires pourra révéler quelque chose de semblable; je vais avertir Jean-Christophe de cette sérieuse possibilité pour mieux orienter ses recherches.

-Oui, nous avons là, enfin !, grâce à vous, quelque chose de solide. Il faut trouver à qui était destiné cet argent; c’est beaucoup d’argent ! Et il faut trouver s’il y a un lien entre ces prélèvements et son assassinat. Est-ce qu’on l’a fait chanter ? Est-ce qu’il voulait arrêter ? Est-ce qu’il allait trahir quelqu’un ou dire quelque chose qu’il ne devait pas ?... Bien travail les filles; décidément, vous formez un très bon duo, vous deux. Je crois que je vais penser à vous jumeler plus souvent à l’avenir.

lundi 23 janvier 2017

Meurtre à la mosquée
Chapitre 12

                À son retour au poste de la Sureté du Québec, Paul est content d’y retrouver l’ambiance plus habituelle d’activité fébrile mais contrôlée. Pendant quelques instants dans sa voiture, il avait craint, d’avoir à nouveau à faire face à une situation de semi-chaos comme celle qui avait prévalu samedi. Il avait besoin de calme, car il voulait réfléchir tranquillement à tout cette affaire… même si dorénavant ça le frustrait de s’asseoir pour réfléchir, car dès qu’il s’arrêtait, il se mettait à percevoir les acouphènes toujours dans son oreille gauche. Il essaye de se le décrire : c’est comme un léger frottement sur une surface sablée, comme des roues de train en caoutchouc sur des rails de bois, un sifflet aux trois quarts bouché, une scie circulaire à laquelle on aurait mis une sourdine; probablement pour mieux pourvoir l’expliquer à l’orthophoniste avec qui il a obtenu un rendez-vous dans deux semaines. Il devra s’absenter du bureau pour aller à Gatineau; Juliette, pour l’encourager et lui remonter un peu le moral lui a promis d’y aller avec lui.
Il faut juste que j’essaye de ne pas y penser. Il ouvre le rapport de l’autopsie sur son bureau qui vient d’arriver. Il confirme qu’Amir Mawami a été atteint d’un seul coup de couteau, mais mortel, porté avec assez de force juste au-dessous du sternum et donné vers le haut. La lame est entrée aisément dans les chairs molles du poumon gauche et du cœur. Un vrai travail de professionnel. Selon la trajectoire du couteau, celui-ci devait mesurer environ quinze centimètres était probablement de forme légèrement incurvée. Ou est-ce que j’ai vu ce genre d’armes ? La victime est décédée très rapidement en moins d’une minute après le coup, d’une hémorragie interne majeure. Pourquoi ne s’est-il pas défendu ? Il n’y avait aucune trace ni de lutte ni de désordre dans le bureau. A-t-il vu venir son agresseur ? Est-ce qu’il l’attendait ? Ils avaient rendez-vous ? L’autre aurait dissimulé l’arme et s’approcher de lui tout près sans éveiller de soupçon. Et pourquoi n’a-t-il pas crié ? Personne ne semble avoir entendu ni de bruit ni de cri. Quelqu’un a dû voir ou entendre quelque chose, c’est sûr, mais tous les gens présents ce soir-là à la mosquée ont-ils fait semblant de rien ?
Paul regarde par la fenêtre pendant quelques instants.
Certainement qu’il connaissait son agresseur; quelqu’un de la mosquée ? ou de l’extérieur ? Il devait connaître pas tout mal et tout le monde devait le connaître. Il brassait de grosses affaires… Aurait-il floué ou volé un grossiste ou un rival qui serait venu pour réclamer son dû ? pour se venger ? Ou ce rival aurait-il envoyé quelqu’un pour lui faire peur ? Y a-t-il eu des avertissements, des menaces ? A-t-il appeler à l’aide ? Aurait-il parlé à ses proches de quelque chose qui le dérangeait ?
                Il faut aller interroger plus sérieusement ses proches, sa famille; à commencer par son fils aîné, comment s’appelle-t-il ? Hamza; on a réussi à régler la crise des appels téléphoniques, je peux sans doute lui faire confiance. Et il y a le rôle de l’imam… ce n’est pas clair, son histoire.

Paul a pris rendez-vous avec Hamza le fils aîné.
-Bonjour.
-Bonjour asseyez-vous. Alors l’ensevelissement s’est bien déroulé ?
-Oui. Mais il reste encore tellement de choses à faire.
Le fils s’exprime dans un mélange de français et d’anglais.
-Il y a les rites de purification, la purification personnelle et surtout celle de la mosquée et du centre culturel; ce qui va prendre du temps. Notre imam est débordé… Tout ce qu’il faisait à la mosquée. Il était irremplaçable… Et puis, il y a ma mère qui est dans tous ses états; pour elle c’est une véritable catastrophe; je ne sais pas si elle va s’en remettre. C’est terrible pour une femme musulmane de perdre son mari, surtout dans de telles circonstances.
-Je comprends, se croit obligé d’ajouter Paul.
-Et puis il y aura le testament, ce qui ne sera pas facile pour personne. Et il faut aussi s’occuper des deux magasins… mon père ne laissait personne s’occuper de ses affaires, même moi ! J’ai bien le titre de directeur-adjoint, mais je vais plus de la représentation auprès de clients d’Ottawa ou de Montréal…
Comme le fils reste silencieux quelques instants, Paul se hasarde :
-Nous recherchons tous les indices possibles pour élucider ce crime, croyez-moi. Parlez-moi de votre père, quel genre de personne était-il ?
À cette question, le fils son interlocuteur se raidit.
-Certaines personnes vous diront peut-être que mon père n’était pas un homme facile, ni dans sa vie professionnelle, ni dans sa vie personnelle, que c’était un homme dur, intransigeant… Mais s’il était exigeant, c’est qu’il avait des principes. Des principes basés sur sa foi en l’islam. Il était exigeant envers les autres comme il l’était avec lui-même. On l’écoutait parce qu’il disait vrai. On lui obéissait parce qu’il était juste. On devait aller à la mosquée, on devait respecter le ramadan, on devait écouter les prêches comme il le faisait et parce qu’il le faisait. C’était un homme très religieux, un bon musulman, un très bon musulman, un modèle de disciple et il nous élevaient en bon musulman. Savez-vous que le mot islam même veut dire soumission ? Être musulman, c’est se soumettre à la volonté d’Allah et du Prophète !
-Vous avez beaucoup d’admiration pour lui…
-Je suis fier de lui. Je suis fier de ce qu’il a été, de ce qu’il a construit. Je suis fier de ce qu’il nous laisse. Je suis fier d’être son fils, et je veux tout faire pour poursuivre ce qu’il a commencé.
-Quand pensent vos frères et sœurs ?
-J’ai un frère, c’est vrai, Kamala. Son deuxième fils… a eu des problèmes mais il fait de son mieux pour s’en sortir. Mon père l’a beaucoup aidé. Il lui a parlé de dizaines de fois. Mais Kamala a eu de problèmes à l’école à cause du français, car il était obligé d’aller à l’école en français… c’est à cause de ça qu’il ne s’est pas bien adapté; il s’est révolté contre cette injustice. Mais il s’en sort depuis quelques temps il fait beaucoup d’efforts, mon père l’a beaucoup aidé, beaucoup aidé. Ma sœur Mariyam l’a souvent provoqué. C’est une sorte de rebelle. Mais elle sait aussi qu’on doit respect à son père et mère. Ça lui causait beaucoup d’inquiétudes.
-Puisque vous parlez d’inquiétude, est-ce le comportement de votre père avait changé ces derniers temps ? Vous semblait-il plus nerveux ? Est-ce que quelque chose le tracassait ?
-Non; mon père travaillait beaucoup et n’avait pas le loisir de laisser voir ses émotions. Quand il se mettait en colère, contre ses employés ou contre ses enfants, ou contre sa femme, il y avait une raison. Et puis… il ne me parlait pas beaucoup. Il ne me parlait pas beaucoup. C’est toujours lui qui amorcé la conversation. Je ne pouvais l’aborder sans une bonne raison.
-Est-ce qu’il avait des ennemis ?
-Des ennemis ? Quelle idée ! Mon père s’entendait bien avec tout le monde; il avait des concurrents en affaires, oui, mais des ennemis, jamais. Je ne peux pas imaginer que quelqu’un ait pu lui en vouloir !
-Qui d’après vous a pu commettre ce crime ?
-Mais enfin ! Vous voyez bien que la mosquée est située dans un quartier où il y beaucoup de sans abri qui quémandent jour et nuit pour se procurer de l’argent pour boire de l’alcool et s’acheter des drogues. C’est certainement l’un de ceux-là qui aurait frappé à sa porte et qui pour lui aurait demandé l’aumône. Mon père dans sa générosité coutumière lui a ouvert la porte en lui disant d’attendre; mais l’autre a dû le suivre et quand il a vu tout cet argent, il est devenu fou et il l’a poignardé ! Et maintenant mon père est mort, à cause de la cupidité de la société occidentale !

Sur ces mots, qu’il juge un peu délirants, Paul raccompagne Hamza en lui disant qu’il devra venir interroger sa mère.
-Ma mère ?? Qu’est-ce que vous lui voulez ? Et que pourra-t-elle dire de plus que ce que je viens de vous dire ?!
-Comme je vous l’ai dit, nous recherchons tous les indices possibles et plus de témoignages nous auront plus nous augmentons nos chances…
-Mais je vous dis que ma mère n’aura rien à vous dire. Et elle n’est même pas en état de parler. D’ailleurs elle ne vous voudra même pas vous parler… Qu’est-ce que vous voulez lui demander ? Elle ne va que vous répéter mot pour mot ce que je viens de dire ! C’est inutile de venir l’interroger ! Inutile je vous dis !
-C’est inutile de vous en colère monsieur Hamza; je vous remercie de votre précieuse collaboration.

De retour à son bureau, Paul pense à cette rencontre, aux réponses du fils aîné, et surtout à ses dernières exclamations outrées, sur les sans abri du coin et sur sa mère qui n’aura rien d’intelligent à dire parce que lui, le fils aîné, a déjà tout dit.
Machinalement, il consulte les fichiers de son service. En effet, le fils cadet, Kamala, y est fiché, pour la litanie habituelle de petits délits : vols à l’étalage, recel, tapage nocturne, possession et trafic de drogue.
Tiens, qu’est-ce que c’est que ça ?

Accusation pour des menace de mort… Accusation sans condamnation, car la plainte a été retirée.

lundi 16 janvier 2017

Meurtre à la mosquée
Chapitre 11

                Au moment où Paul ouvre la porte à Asma, la fille de Amir Mawami, pour la faire sortir, il lui vient une idée :
                « Dis-moi, Asma, est-ce que tu étais là, à la mosquée, vendredi dernier, le soir où ton père a été tué ?
                -Moi, bien sûr ! Notre participation à la prière du vendredi n’est pas une option ! Le seul dans notre famille qui n’y va pas, c’est mon frère Kamala… mais il est, comme dire, en rupture avec la famille.
                -Et ce soir-là tu n’aurais rien remarqué de particulier… d’inhabituel ?
                -Non, tout s’est déroulé comme d’habitude; l’imam était ennuyant comme d’habitude, et les femmes jacassaient comme d’habitude.
                -Qu’est-ce que tu veux dire ?
                -Ben… les femmes en haut, elles écoutent, comme dire… d’une oreille distraite ce qui se passe dans la salle et comme pour plusieurs d’entre elles, c’est la grande sortie de la semaine, elles en profitent plus pour échanger des nouvelles, sur les enfants, sur leurs maris, sur les recettes de cuisine… Elles échangent des nouvelles de leurs pays d’origine.
                -Et toi, tu participes à ces conversations ?
                -Pas question ! J’ai mon téléphone cellulaire avec moi et je texte avec mes amies, musulmanes et non-musulmanes… Mon père ne sait pas… ne savait pas que j’ai un cell, ni mon frère; si mon père l’avait su, oui, ça aurait fait toute une histoire. Maintenant, il faut aboslument que je parte; il ne faut pas que mon frère s’aperçoive de mon absence…
                -Oui; merci beaucoup, Asma; s’il y a quoi que ce soit d’autre, reviens me voir.

                Paul refait le chemin inverse jusqu’à son bureau. En repassant dans le hall d’entrée, il croise le regard désespéré mi-ironique, mi-comique de Jocelyne et il ne peut s’empêcher de sourire. Il sait ce qu’il va faire.
                Dans son bureau, il prend son téléphone.
                -Hamza Mawami ?... Ici le directeur de la Sureté du Québec Paul Quesnel; nous nous sommes vus avant-hier après le décès de votre père…
-…
                -Oui, c’est ça.
                -…
                -Non, pour l’instant, il n’y a pas de nouveau dans le déroulement de l’enquête; nous en sommes encore à la récolte d’indices.
                -…
                -Non, non…
                -…
                -Non, je ne peux rien vous dire.
-…
-Non, en fait, je voulais vous parler d’un problème plus urgent. Il semble y avoir eu une sorte de mot d’ordre dans la communauté musulmane d’inonder les différents circuits téléphoniques du poste de la Sureté du Québec…
                -…
                -Vous n’êtes pas au courant ?... C’est possible, mais comme ces appels répétitifs et incessants portent tous sur le cas de voter père et de l’urgence de faire une inhumation le plus rapidement possible, je voudrais faire un marché avec vous.
                -…
                -Oui, un marché. C’est une situation qui paralyse en partie nos circuits de communication et qui pourrait faire obstacle à un appel d’urgence. Nous avons en mémoire tous les appels entrants depuis ce matin et je ne veux arriver au point où je devrais signer des mandats d’arrêt pour entrave au travail de la police à ceux qui nous téléphonent comme ça sans arrêter.
                -…
                -Vous comprenez. Bien. De plus, vous savez bien qu’il est absolument essentiel et obligatoire de faire une autopsie sur les corps de votre père; la loi m’y oblige, je ne peux pas faire autrement. D’ailleurs, laissez-moi ajouter que cette autopsie sera une pièce majeure dans l’enquête et nous aidera grandement à résoudre le mystère de sa mort. Alors voilà le marché que je vous propose. Je vais demander que cette autopsie soit pratiquée dès la première heure demain matin, et tout-de-suite après vous pourrez récupérer le corps de votre père. Et, en plus, si vous le désirez, je vous faciliterai le plus possible cette tâche d’ensevelir votre père. Je mettrais mes agents à votre disposition, si vous voulez.
                -…
                -Vous ne savez pas quoi répondre ? Et bien voilà mon conseil : je vous conseille de téléphoner à votre imam, l’imam Muramam, et lui répéter ce que je viens de vous dire. Et vous lui direz en même temps que si les appels continuent au poste de la Sureté du Québec, il est possible que les médecins-légistes déclenchent une grève du zèle dès demain matin ce qui aurait pour conséquence que le corps de votre père pourrait rester au frigo encore trois semaines ou un mois. Est-ce que c’est clair comme ça ?
                -…
                -Bon, je vois que nous nous sommes bien compris. J’espère que nous aurons encore l’occasion de collaborer de cette façon.
                -…
                -Oui, c’est ça.
                -…
                -Oui, si vous voulez, vous pourrez me rappeler plus tard. Au revoir.
                Paul raccroche le téléphone fermement. Bon, voilà une bonne affaire de faite. Allons rassurer Jocelyne et les autres.

                Effectivement, le lendemain Paul obtenait que l’autopsie du corps d’Amir Mawami soit faite en priorité. Le corps était ensuite rendu à la famille pour l’enterrement.
                L’ensevelissement a eu lieu dès l’après-midi de ce lundi, à Turso dans un petit reculé du cimetière de l’église unie. C’est avec les responsables de cette église que les dirigeants de la mosquée Badshahi avaient conclu un accord tout juste l’année dernière lorsque l’un des membres âgés de la communauté était tombé malade et était mort subitement; ils avaient cogné à plusieurs portes pour finalement obtenir une réponse positive de l’église unie. Ironiquement, Amir Mawami en tant que le gestionnaire de la mosquée et du centre culturel, avait été le principal négociateur; c’était la deuxième personne à être ensevelie dans le cimetière de la communauté musulmane.
Paul et Roxanne étaient venus et père et fille observaient la scène de loin. Ils ont précédé et suivi le cortège en voiture de Papineauville pour aider aux déplacements comme l’avait dit Paul. Le cimetière n’était pas adjacent à l’église, mais plus éloigné à l’extérieur du village, presqu’à la lisière de la forêt. Quand la foule d’une cinquantaine de personnes était entrée dans le cimetière à la suite de l’imam et du groupe d’hommes qui portaient le cercueil, ils étaient restés près de la porte. Ils voyaient la petite troupe évoluer dans les allées, entre les grands arbres centenaires, jusqu’au fond du cimetière là où il y avait une fosse déjà creusée. Puis l’imam a commencé ces exhortations.
                -Je ne savais même pas qu’il y avait de cimetière ni même de petite église protestante ici, à Turso, dit Roxanne tout haut.
                -Oui, elle fonctionne à temps partiel, je crois, depuis plusieurs années. Mais elle est ici depuis presque les débuts du village.
                -Je suppose que c’était l’église des patrons anglophones de l’usine d’allumettes… Et c’est ici que les musulmans ont trouvé un petit coin pour enterrer leurs morts.
                -Si je me fie au nombre de personne que semble compter la communauté, ça va leur prendre de la place; surtout qu’il semble qu’ils soient contre l’incinération. Bon, je ne crois pas que nous en apprendrons beaucoup ici. J’y vais. J’ai beaucoup de choses à faire aujourd’hui; et puis… il faut que je prenne ce satané rendez-vous.
                -En ce moment tu entends quelque chose ?
                -Mais oui, toujours dans l’oreille gauche
                -Bon; vas-y, moi je vais quand même rester jusqu’à la fin. On ne sait jamais.
                -À plus tard.

                

lundi 9 janvier 2017

Meurtre à la mosquée
Chapitre 10

                Roxanne retraverse les couloirs jusqu’à l’escalier qui mène au balcon. Paul la suit. Ils montent. Paul découvre à son tour ce désordre de chaises, de boites, de sacs qui traînent pêle-mêle.
                -Regarde comme c’est particulier. La balustrade est ainsi faite que d’ici on ne peut pas voir la salle de prière en bas; on ne peut voir que la chair sur laquelle se tient le prédicateur. Il faut vraiment se pencher au-dessus de la barrière pour voir quelque chose de ce qui se déroule en bas. Et si on fait ça, il est inévitable qu’on se fera remarquer par ceux d’en bas.
                -C’est vrai… Et tu en conclus ?
                -J’en conclus que probablement que c’est construit ainsi pour « empêcher » les femmes de regarder les autres hommes qui ne sont pas leurs maris; de même que cela « empêcherait » les hommes de se faire « distraire » par les femmes durant la prière… Mais pour l’enquête, j’en conclus que s’il s’est passé quelque chose, mettons que quelqu’un ait suivi Mawami alors qu’il sortait pour aller dans son bureau on ne pouvait le voir d’ici !
                -Donc les femmes qui se trouvaient ici vendredi ne peuvent être considérer comme témoins ?
                -Probablement.
                -Oui, c’est une petite pièce du casse-tête… Allons-y, je ne vois pas ce que nous pourrions trouver d’autre ici.
                Ils redescendent et ferment les lumières de la mosquée. En sortant, Paul reprend à brûle-pourpoint, ses pensées d’avant la visite à la mosquée.
                -Oui, je vieillis, je veillis… Je me sens plus fatigué qu’avant. Ça ne sert à rien de ne pas me l’avouer; c’est là et c’est bien là. Ça ne changera pas. Et des fois, j’ai l’impression que ce n’est pas juste mon corps qui vieillit, ça je crois que je peux le supporter assez bien, mais il y a ma tête aussi….
                Roxanne ne sait trop quoi répondre; elle reste en attente de la suite.
                -On me fera une belle réception, ce sera une belle fête et ce sera fini. Sans doute que je partirai en voyage avec Juliette.
                -Tu veux… tu veux prendre ta retraite !?...
                Paul porte sur sa fille un regard flou.
                -La retraite ? Ah ! Je ne sais plus ce que je dis… Au lieu de prendre ma retraite, peut-être devrais-je faire une retraite, de quelques jours, dans un monastère par exemple. Peut-être que ça me fera du bien. Bon, on retourne au poste et on rentre à la maison. Comment ça va avec Fabio ?
                -Ça va… On a trouvé un modus vivendi qui convient… pour l’instant. On devrait être capable de se trouver du temps durant la période des fêtes. Il viendra sûrement venir quelques jours à Papineauville. Je pourrais lui présenter Juliette.
                -Oui, ce sera bien.
                -Je t’ai dit que l’ai présenté à maman ?
                -À ta mère ? Non. Alors ?
                -Alors, pas grand-chose; ça s’est bien passé. Elle va mieux tu sais. Je pense que sa série de dépression est derrière elle.
                -Bien tant mieux.
                Le lendemain, un dimanche, Paul ne devait normalement pas venir au poste de la SQ. Lui et Juliette s’étaient levés vers 9hrs (la grasse matinée !) et avaient tranquillement pris leurs cafés lattés avec des bonnes tranches de pain maison. Paul était en train de résumé à grands traits à sa chérie cette histoire d’un meurtre à la mosquée, quand un appel de Jocelyne, la réceptionniste, a retenti.
                -Patron, je sais que je vous dérange, mais vous feriez mieux de venir au poste : la situation devient incontrôlable !
                -Qu’est-ce qui se passe ?
                -On est envahis d’appels au sujet d’un corps à ensevelir le plus vite possible, et ça commence à gêner nos propres communications. Je ne sais pas quoi faire !
                -Bon, je me prépare et j’arrive.
                Paul raccroche et regarde Juliette d’un air un contrit.
                -Je suis désolé… Je dois aller régler une crise au poste. Toi qui te faisais une joie de…
                -Ah, n’en mets pas trop; ce n’est pas grave. « Le devoir t’appelle » comme on dit. Va mon preux chevalier ! Va défendre la veuve et l’orphelin !
                -Ne te moque pas de moi ! C’est bien parce que je suis obligé.
                -Ce n’est pas grave, je te dis. De toute façon, je vais retourner chez moi à Lac-aux-Sables; il faut quand même que je retrouve mes affaires de temps en temps et que je fasse rouler la bibliothèque. Tu me donneras des nouvelles.

                Arrivé au poste, Paul sent effectivement une agitation inhabituelle. Il va droit à Jocelyne au poste de réception assistée d’Ophélie, qui s’est jointe à l’équipe il y a peu.
                -Alors, quelle sont les nouvelles ?
                -Regardez toutes ces lumières qui clignotent, patron ! Ce sont des gens, toujours les mêmes, qui n’arrêtent pas de téléphoner pour réclamer le corps de la victime du crime à la mosquée sous prétexte qu’il faut l’ensevelir le plus vite possible. On reçoit au moins cent appels et plus à l’heure. Dès qu’on raccroche, la personne retéléphone et exprime la même demande… même, disons, la même exigence. Ça n’a pas de fin. C’est sûr que c’est organisé; ça ne peut pas être autrement. Non seulement je ne sais pas comment arrêter ça, mais ça nuit à nos possibilités de recevoir d’autres appels, les vrais, et ça nuit à nos moyens de communiquer… entre nous !
                -Oui… oui… Bon, je crois savoir qui contacter pour arrêter ça; je vais dans mon bureau.
                Au moment où Paul veut se diriger vers l’intérieur du poste pour se rendre à son bureau, une jeune fille, qui le guettait depuis son arrivée, l’accoste.
                -Inspecteur ! Inspecteur ! Il faut que je vous parle absolument ! Et tout-de-suite !
                Paul se retourne
                -Je suis désolé; je ne peux pas vous recevoir immédiatement : il y a une urgence dont je dois m’occuper.
                -Moi aussi, c’est urgent. Je suis venue ici en cachette de ma famille. Je suis la fille de Amir Mawami. Il faut que je vous parle.
                Paul la regarde, étonné et perplexe.
                -OK; venez avec moi.
                Paul fait entrer la jeune à l’intérieur du poste et la mène jusqu’à une petite pièce qui sert généralement de salle d’attente pour certains invités ou de salle de repos pour le personnel. Il l’invite à s’assoir.
-Je vous écoute.
-Je m’appelle Asma. J’étais là quand vous êtes venu à la maison, avec d’autres policiers et Nawaz Zardai pour annoncer à ma mère que son mari avait été victime d’un crime. Vous ne m’avez pas remarquée, j’étais dans le couloir mais je vous ai vu de loin. Il faut que je vous dise que mon père n’était pas un homme facile; il était très autoritaire et il avait des principes. On lui obéissait, on n’avait pas le choix. Il était très strict sur l’observation des règles religieuses. On doit aller à la mosquée chaque semaine, respecter le ramadan, faire l’aumône. Et mon frère ainé, Hamza, est comme lui, très religieux; mon père était un bon musulman qui nous a élevés en bons musulmans. Il y a aussi un deuxième fils, Kamala, qui a des problèmes… mais qui fait de son mieux; il essaye vraiment de s’en sortir. Il a eu des problèmes à l’école à cause du français, chez nous on parle ourdou et l’anglais, mais il s’en sort mieux depuis quelques temps; il fait beaucoup d’efforts. Mais mon père ne l’a jamais aidé; il l’a laissé tomber. Ma mère a toujours essayé de le protéger contre mon père. Plusieurs fois, il l’a chassé de la maison. Ça fait trois semaines qu’on ne l’a pas vu. Avec mon autre sœur non plus, Mariyam, ça n’allait pas bien. Elle l’a souvent provoqué, mon père je veux dire. Même si elle savait aussi qu’on doit respect à son père et mère, c’est une rebelle; moi je suis la plus jeune; j’essaye de rester le plus invisible possible…
Paul regarde la jeune fille qui reste les yeux baissés. Elle doit avoir quinze ou seize ans.
-Monsieur, j’ai une déclaration à faire.
-Je ne peux interroger les enfants mineurs dans une enquête officielle de police sans l’autorisation des parents ou de ceux qui les remplacent légalement.
-Mon père était un vrai tyran... Il battait sa femme… et terrorisait ses enfants. Il était très traditionnel. Il fallait suivre à la lettre les principes de l’Islam. Il voulait que je porte le voile même à l’école et moi je refusais, tout comme ma sœur. On le mettait en sortant de la maison, mais à un coin de rue de l’école on l’enlevait. Ça le rendait fou de rage. Il nous battait. Il battait sa femme, jusqu’à lui briser des membres. Des fois on mettait un peu de maquillage, en cachette; ça aussi, ça le mettait en furie. Il fallait toujours qu’on lui obéisse, dans la façon de s’habiller, de parler, de se comporter. Pour sortir, il fallait le faire en cachette. Et surtout, jamais chez des non-musulmans. Heureusement que parfois sont travail l’emmène à l’extérieur, mais dans ce cas, c’est notre frère Hamza qui jouait le rôle de père et il était aussi sévère que lui… Mon père, c’était un méchant homme. Et avare aussi. Il ne nous donnait jamais d’argent; il fallait toujours rogner sur tout : sur la nourriture, sur les vêtements… tous nos vêtements viennent du Pakistan à travers son magasin… C’était dur pour nous les filles. Je n’ai jamais rien eu à moi... Je dois partir maintenant. Je suis venue en cachette, sans que mon frère ne me voit.

-Merci Asma. Je te raccompagne jusqu’à la porte.

mercredi 4 janvier 2017

Meurtre à la mosquée
Chapitre 9

                Roxanne se penche vers l’avant :
-Quelque chose de… personnel ??... Explique-toi, voyons…
                -Oui… et ça m’embête; c’est que j’ai des bruits dans les oreilles !
                -Des acouphènes !?
                -Oui, des acouphènes... C’est arrivé subitement, il y a deux semaines environ. J’étais dans la voiture avec la radio allumée et soudain, c’est comme si le son de la radio avait changé. J’ai pensé que les ondes avaient été brouillées ou quelque chose comme ça et j’ai essayé de retrouver la tonalité juste, mais c’était mon oreille ! J’ai éteint la radio et j’entendais comme un chuintement dans mon oreille…
-Un chuintement ?
-Oui, c’est dur à décrire : c’est comme des vibrations, des bruissements, seulement dans mon oreille gauche. J’ai fait des tests une fois arrivé à la maison; même si je bouche mon oreille j’entends encore ces petits bruits.
-Tu en a parlé à Juliette ?
-Bien sûr !
-Et qu’est-ce qu’elle a dit ?
-Elle m’a conseillé d’aller voir un orthophoniste. Elle veut me prendre un rendez -vous, mais…
-Elle a raison ! Je ferais la même chose. Ce n’est pas la fin du monde. Je crois savoir qu’il existe des traitements contre les acouphènes, pas pour les guérir mais des moyens de les atténuer.... Tu as peur que ça t’empêche de travailler ?
-Je ne sais pas trop; quand je réponds au téléphone et que j’écoute du côté gauche, j’entends tout embrouillé; je suis obligé de changer d’oreille. J’ignore encore toutes les conséquences que ça peut avoir. Peut-être que je deviens vieux, et…
-Oui, tu vieillis et dans ton métier c’est un compliment ! Et puis personne ne va te mettre dehors pour ça. Moi aussi je vieillis : voilà qu’à trente ans je me suis trouvé un premier cheveu blanc !
-Un cheveu blanc ?
-Oui; il y a quelques jours moi aussi. Un matin, j’ai pris ma douche comme d’habitude et en me séchant les cheveux avec la brosse, voilà que je me découvre un cheveu blanc, ici juste au-dessus de la tempe. Ça m’a fait tout un choc; j’ai senti comme un poids qui s’abattait sur mes épaules, tellement que je ne savais plus comment me coiffer.
-Ma pauvre chérie…
-Alors, tu vois : que tu vieillisses n’est pas unique, mon cher papa.
-Bon; je vais prendre ce rendez-vous avec un orthophoniste et on verra bien.
-C’est ça on verra bien...
Roxanne sourit à son père; elle s’approche de son fauteuil et lui passe le bras sur les épaules. Paul ne dit rien et profite du moment.
-Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
-J’allais fouiller le bureau de la mosquée, là où on a trouvé la victime; je sais que l’équipe technique est déjà passée, mais je n’y vais pas pour trouver les empreintes digitales… Tu peux venir avec moi, si tu veux.
-Oh, que oui !...

C’est le début de la soirée; bientôt le soleil se couchera par-delà les collines de la vallée de l’Outaouais, collines sur lesquelles on peut déjà voir les taches rouges et brunes des érables. Paul arrête la voiture devant la mosquée; il y a encore plusieurs badauds et curieux qui jacassent fort. Certains interrogent les policiers de garde dans l’espoir de leur sortir les vers du nez et ces derniers doivent rester vigilants pour bien maintenir l’attroupement en-dehors du cordon de sécurité.  Et avec la fermeture des magasins du centre d’achat d’en face, il y a un grand de va-et-vient sur la rue Provencher.
-Ça va ? demande Paul aux agents de garde.
-Oui, oui.
-Ils ne vous embêtent pas trop.
-Non, non; c’est la routine.
-Vous êtes tous seuls ?
-Non. Bastien est sur le côté et Benoît, derrière.
-Bien; Roxanne et moi on va faire un tour à l’intérieur histoire de jeter un dernier coup d’œil. Probablement que demain vers midi on pourra enlever les cordons.
Paul et Roxanne pénètrent par porte principale de la mosquée Badshahi. Paul allume la lumière du couloir.
-C’est par là.
-Va s’y, je te rejoins; je veux juste quelque chose.
Pendant que Paul se dirige vers le fond du couloir qui loge la salle principale pour se rendre au bureau, Roxanne jette plutôt un long coup d’œil à la salle de prière à travers la colonnade, puis se tourne vers la droite et se rend au pied de l’escalier qui monte vers le balcon. Il monte vers une tribune ou un jubé, je ne sais pas le vrai nom, qui surplombe la salle de prière… J’y suis ! C’est là que se tiennent les femmes pendant les cérémonies religieuses. Elle commence à monter. On doit voir toute la salle de là; s’il s’est passé quelque chose d’inhabituel, ça peut avoir été un poste d’observation idéal… L’escalier fait un angle. Au balcon il y a une série de porte-manteaux, des chaises droites, quelques boites de carton. Des livres traînent ça et là. Probablement des exemplaires du Coran. Bon à quoi ressemble la salle d’ici… Ah tiens, ça c’est bizarre !
 Une longue feuille de plastique recouvre le tapis couvert de sang du deuxième couloir. Paul, en marchant vers le bureau, a vérifié les deux autres portes, celle du bureau de l’imam, et celle du Centre culturel : toutes deux étaient verrouillées. Oui, rien ne prouvent absolument qu’elles étaient fermées à clé durant la prière d’hier soir. Il prend son passe-partout et ouvre le bureau de l’imam qui n’est pas très grand : tout près de la fenêtre, un bureau de travail sur lequel se trouve un ordinateur portable fermé avec une chaise et dans un coin des fauteuils avec une petite table. Quelques plantes vertes ornent le bureau. Et sur l’un des murs, celui du côté gauche, une grande bibliothèque remplie de divers livres. Paul s’approche. Les livres sont en anglais, en arabe, en ourdou… Il n’en voit que deux ou trois en français. Après un moment, il sort. Et là, ce sont les salles de bain; une pour les hommes, une pour les femmes. Il entre; tout d’abord dans celle des hommes. Il regarde, et ce qui lui saute aux yeux, c’est en plus des lavabos habituels, une série de ce qui ressemble à d’autres lavabos, mais plus petits et à la hauteur des pieds. Qu’est-ce que…? Ah, oui, probablement pour faire ses ablutions rituelles... Oui, quelqu’un peut très bien venir ici, faire semblant de faire ses ablutions et caché, et sans qu’on le voit se faufiler jusqu’au bureau. C’est une possibilité. Au tour de la salle de bain pour femmes; elles sont plus petites et, curieusement, elles ne comprennent rien de particulier, deux cabinets avec cuvettes et des lavabos pour les mains et miroirs bien ordinaires. Les femmes ne font pas d’ablutions chez les musulmans ?...
Paul se dirige vers ce qui sert de Centre culturel. Il ouvre la porte avec son passe-partout. La salle est plus vaste, avec une large fenêtre qui donne sur la rue, et quelques lampes sur pied aux quatre coins de la salle. Sur la droite, il y a aussi un bureau avec un portable fermé. À nouveau, tout un mur de côté est occupé par une bibliothèque encore plus longue que celle de l’imam et aux livres encore plus nombreux et plusieurs aux reliures ajourées. La majorité de l’espace est occupé par deux rangées de petites tables de travail qui se font face. Les tapis sont couleur bourgogne à motifs verdâtres. Ici aussi, quelqu’un pouvait s’être dissimulé; pas impossible, mais moins probable; en tout cas, quelqu’un qui avait la clé. Paul sort en refermant la porte. Allons voir le bureau maintenant, le bureau de notre victime, Amir Mawami, le gestionnaire mystère de la mosquée et du centre culturel.
Il franchit la porte, attentif aux moindres détails. Les murs sont d’un ocre poisseux; les tapis sont de teintes grises et bleutées. Il y a une petite fenêtre dans le mur arrière qui donne sur une petite cour et deux chaises sous la fenêtre. Est-ce qu’on pouvait entrer par là ?... C’est faisable, mais il n’y a pas de traces d’infraction, et puis les maisons voisines ne sont pas trop éloignées; c’était risqué de se faire voir. Paul regarde une à une les affiches sur les murs; il ne peut déchiffrer les inscriptions en arabe. Il y a une grande photo de ce qui semble être une mosquée au Moyen-Orient sous un magnifique ciel bleu. Ah, c’est peut-être cette mosquée Badshahi du Pakistan, celle dont parlait monsieur Zardai. Il y a une filière à quatre tiroirs dans un coin de la pièce. Paul s’essaye : elle n’est pas fermée à clé ! Mais les tiroirs sont à moitié vides et leur contenu ne semble pas très pertinent : des factures, des registres. Est-ce que ça vaut la peine d’en faire un inventaire exhaustif ?
À ce moment, Roxanne arrive à la porte du bureau :
-Viens papa ! J’ai quelque chose à te montrer !
-Attends; je termine et après je suis à toi.
Paul s’assoit sur la chaise qu’occupait le gestionnaire au moment de son assassinat. Il y a un ordinateur sur le bureau, encore allumé; des papiers jonchent le bureau, un tiroir est resté ouvert. Paul y jette un coup d’œil sans rien y voir de suspect. Même chose pour celui de dessous. Enfin, dans le troisième, Paul trouve en sac de toile. Tout de suite en l’empoignant, il s’aperçoit que le sac est plein.
-Qu’est-ce que c’est qu’ça ?
-Ouvre-le; on va voir.
-De l’argent; des billets, des pièces… et même des chèques !
-Je crois comprendre. Amir Mawami était le gestionnaire de la mosquée; c’est lui qui s’occupait des finances. D’après moi, il s’agit de la récolte, je ne sais pas comment on dit, des offrandes récoltées à la prière du vendredi soir.

-Oui, tu as raison; c’est certainement ça. Il y a six, huit, dix billets de vingt; des billets de dix… Oh, oh, un chèque de cent dollars au nom de la mosquée, un autre de cinquante… Au total, quatre cents quatre-vingt dollars. Pour une quarantaine de personnes. Je le prends; de même que l’ordinateur. Et par mesure de précautions, on prend aussi celui du Centre culturel et celui de l’imam… Alors, qu’est-ce que tu voulais me montrer ?