lundi 27 février 2017

Meurtre à la mosquée
Chapitre 17

Paul était bien d’accord avec sa fille : l’arrestation et la détention du jeune Kamala Mawami allait semer la tourmente dans toute la communauté de Papineauville, un vrai coup de pied dans la fourmilière. La tourmente dans la communauté musulmane tout d’abord, qui ne pouvait pas ne pas réagir à l’arrestation – et sans preuve de surccroît… du moins sans preuve tangible – de l’un de ses jeunes, même s’il fallait avouer que ce jeune vivait depuis quelques temps considérablement à la marge de sa communauté d’origine. Paul ne s’attendait pas à ce qu’un groupe de forcenés chercherait à forcer les portes du poste de police puis celles des cellules pour délivrer celui qui était des leurs, mais peut-être à une autre cabale du genre de celle qui avait paralysé les services téléphoniques il y a quelques jours, alors qu’on l’avait, de manière orchestrée inondé d’appels. Puis, tourmente dans la population en générale; comment allait-elle réagir ? Les gens allaient-ils se dire que maintenant que la police détient un coupable, cette histoire de meurtre à la mosquée était terminée et que les rues étaient redevenues sécuritaires ? Allaient-ils penser que d’autre complices tout aussi extrémistes et radicalisés que le premier couraient encore dans la nature ? Il décide donc de convoquer une conférence de presse pour le soir même pour mettre les choses au clair et éviter le plus possible les rumeurs et les débordements.
Une dizaine de journalistes y viendront le soir même, journaux locaux, médias de Montréal et d’Ottawa télévision et radio nationales, et Paul leur fait face accompagnée de Roxanne. Il lit une déclaration :
« Le service de police a jugé bon de mettre sous surveillance et en détention préventive Kamala Mawami, dans le cadre de son enquête du meurtre d’Amir Mawami commis dans la mosquée Badshahi vendredi soir dernier. II est considéré pour l’instant comme un témoin important dans cette affaire, et il est actuellement détenu pour un examen de ses activités au moment du meurtre. Il a été interrogé par nos agents et suite à cet interrogation nous avons jugé qu’une investigation plus approfondie était nécessaire. Cette investigation est en cour et elle servira à clarifier son implication ou sa non-implication dans ce meurtre. Kamala est le fils cadet de la victime; il est âgé de vingt-et-un ans; son denier domicile connu était situé sur la rue Pinsonnnault ici à Papineauville, mais nous avons à faire des vérifications pour savoir s’il n’a pas un autre lieu de résidence. Maintenant, si vous avez des questions...
Évidemment, tous les mains se lèvent et tous les journalistes se mettent à parler en même temps :
-Est-ce qu’il a un casier judiciaire ?
-Oui, il a un casier judiciaire, mais qui contient des accusations principalement en rapport avec le trafic de drogues. Nous ne savons pas encore en quoi et même ce serait relié.
-Est-ce que c’est parce qu’il aurait eu une dette de drogue à rembourser et qu’il est allé trouver son père pour lui demander de l’argent ?
-Nous ne le savons pas; mais nous ne croyons pas que le motif du meurtre soit celui du vol.
-Il aurait pu le tuer son père de colère après avoir essuyé un refus…?
-C’est possible, mais peu probable; il faut tenir compte qu’il n’y avait pas de traces de lutte, et que la victime ne semble pas s’être débattue, ni défendue; selon toute apparence il connaissait don sa victime et ne s’est pas méfié.
-Kamala était impliqué dans le trafic de drogues. Est-ce qu’il aurait eu des complices ou est-ce qu’il a agi seul ?
-Nous ne le savons pas; pour l’instant, nous sommes à la recherche de toute les informations possibles et s’il a eu des complices, nous le découvrirons.
-Donc, il aurait pu avoir des complices ?
Roxanne sait que son père vient de dire un mot de trop.
-Non, nous ne croyons pas qu’il y ait eu des complices.
-Est-ce que le jeune Kamal aurait pu avoir un complice de l’intérieur de la mosquée ?
 -Comme je l’ai dit et je vous le répète, nous ne croyons pas qu’il aurait un ou des complices.

Le martyr de Paul durera quelques minutes encore, avant que les journalistes épuisent leurs questions. Pendant que ces derniers emballent leur matériel et rembarquent dans leurs véhicules de presse, Roxanne sent qu’on la tire par la manche. Elle se retourne et se retrouve face à Simon-Pierre Courtemanche. C’est un petit homme d’une quarantaine d’années qui porte moustache, lunettes et petit bedon; elle le connaît comme le journaliste des faits divers d’Au courant, l’hebdomadaire de la région de l’Outaouais. Il fait son travail honnêtement, cherchant autant que possible à bien informer son public sans pour cela harceler outre-mesure les autorités. C’est un passionné des réseaux sociaux, qui se vante d’avoir plus de 2 000 amis sur son compte Facebook.
                -Bonjour, la fille du commandant !
                C’était une petite taquineire, et Roxanne lui sourit.
                -Bonsoir à vous Simon-Pierre.
-Alors, ton paternel s’est bien mis les pieds dans les plats avec son histoire de possible complice… lui dit-il d’un air malicieux et complice.
                -Alors je compte sur vous pour rétablir les faits et n’écrire que la vérité, lui répond-elle avec une moue jouant le jeu de qui charmera l’autre le plus.
                Simon-Pierre Courtemanche a un petit rire franc.
-Alors dis-moi ce que vous avez sur ce meurtre dans la mosquée; ça fait déjà  presque une semaine… Est-ce que l’enquête avance ?
                -Oui, l’enquête progresse et nous en…
-« Et nous en sommes toujours au stade de la collecte d’information et d’indice ! » Oui, je connais le refrain, ma chère, vous pouvez bien le servir à Radio Canada ou TVA qui racontent n’importe quoi et qui sont bons dans leur le vox populi qu’on ne sait plus quoi en faire, mais pas à moi, qui connaît cette ville comme ma poche… Comme le dit le proverbe : ce n’est pas un vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces !
                -Qu’est-ce que je peux vous dire ?
                -Jouer franc-jeu ! Il y a anguille sous roche.
                -En quoi ?
                -En quoi !? On sait maintenant que le pauvre macchabé était un généreux contributeur à au moins un groupe terroriste du Pakistan; est-ce que sa mort est reliée à cet appui envers les terroristes ?
                -Je ne sais pas…
                -Est-ce qu’il aurait été victime de chantage ? ou de vengeance ? Par exemple, parce qu’il ne voulait plus payer ? Est-ce qu’on peut rapprocher les deux ?
                -Je ne sais pas.
-Est-ce que ça peut être considéré comme un attentat terroriste ?
-Voyons…
                -Moi je peux voir d’avance les grands titres : Attentat terroriste à Papineauville ! Ça, ça vendrait des copies ! Surtout après ce qui vient de se passer à Québec ! Alors, donne-moi un coup de main… Je sais que vous avez fait appel à une escouade spécialisée dans le blanchiment d’argent de Montréal.
                -Je ne sais pas quoi vous dire; c’est vrai qu’Amir Mawami envoyait régulièrement de l’argent à un groupe terroriste du Pakistan, groupe qu’on est en train d’essayer d’identifier. Est-ce qu’il avait des complices qui sont venus le faire chanter, on ne le sait pas; est-ce qu’il y quelqu’un est venu ici pour l’éliminer, on ne le sait pas. On essaye de savoir quel était le groupe et comment il est entré en contact avec ce groupe.
                -Probablement lors de l’un de ses voyages. C’est soit un groupe terroriste du Cachemire ou soit de l’extrémisme musulman qui déteste l’Occident sous toutes ses formes et toutes ses manifestations.
                -Avec l’escouade spéciale, on va essayer d’établir les montants d’argent qu’il a fait transmettre à la mosquée et dans ses affaires, par quels réseaux, par quels circuits, tout ça n’est pas encore démontré. Ça n’a rien à voir avec un attentat terroriste. Est-ce que ses employés étaient impliqués ? On ne le sait pas non plus; on ne sait même pas si quelqu’un d’autre à la mosquée était impliqué dans ce trafic d’argent.
                -Probablement qu’Ils étaient deux et que lui voulait arrêter ou alors les dénoncer.
                -Ce sont des suppositions.
                -C’est vrai que vous avez trouvé l’argent dans le bureau ?
                -Oui… Ça veut dire qu’il ne l’avait pas encore déposé et qu’il ne l’avait pas encore détourné ce qui fait s’écrouler votre théorie voulant qu’il ait été tué par un complice dans un « attentat terroriste ».
                -Et l’investigation auprès de sa famille ?
                -Quoi ?
- Oui; est-ce que ses fils étaient complices ? Est-ce qu’ils étaient au courant ?
-On ne le sait pas.
-Et sa femme ?
-Pardon ?
-Oui, sa femme ! C’est elle qui était la plus proche de lui après tout. Ils étaient mariés depuis trente ans. Elle doit bien savoir quelque chose. Si son mari est une crapule, elle devait bien avoir des soupçons; elle devait bien le connaître, elle devait bien le voir agir. C’est impossible qu’elle n’ait rien vu… Peut-être même qu’il l’avait mise dans la confidence…

-Merci, Simon-Pierre Courtemanche; je vais y penser. Maintenant, je dois rentrer, j’ai du travail.

lundi 20 février 2017

Meurtre à la mosquée
Chapitre 16

En fin d’après-midi, Roxanne passe au bureau de son père avant de repartir chez elle. Quand elle avait obtenu son transfert à Papineauville, il y a maintenant presque quatre ans, elle avait cherché une maison où s’installer avec son copain-conjoint Fabio. Il était venu le rejoindre de Montréal où il vivait en NSDD, « nomade-sans-domicile-définitif », après être arrivé du Mexique en tant que réfugié, et ensemble ils avaient sillonné la petite ville et ses horizons. Ni l’un ni l’autre ne se sachant compétent en rénovation, et n’ayant encore moins l’envie de se lancer dans les grands travaux, ils n’avaient pas voulu acquérir un « belle maison rustique » ou « ancestrale », comme le disait le courtier, qui aurait nécessitait trop de réparations. Et les autres maisons à vendre qu’ils avaient visitées n’avaient guère d’autre style, qu’elles soient en brique ou en bois, que celui de l’utilitaire et aucune ne leur avait vraiment plu. En fait, aucune n’avait attiré et éveillé l’œil d’artiste exigeant de Fabio, car Roxanne se serait bien contentée d’une petite maison proprette avec quelques arbres même sans trop charme ni trop de cachet. Ils avaient donc décidé de s’en faire construire une selon un style et une taille qui leur conviendrait.
Fabio s’était rapidement investi dans cette tâche. Roxanne se souvenait de cet épisode comme l’un des plus beaux moments de leur vie de couple. Enthousiasme et enjoué, Fabio lui avait montré divers modèles sur internet de maisons disponibles sur le marché en les commentant chaque fois longuement. Elle ne comprenait pas tout ce qu’il disait dans les détails, mais elle l’avait laissé faire, amusée, contente de le voir et de le savoir content. Elle se disait que ce projet de maison consoliderait leur couple. Elle s’était bien sûr rallié à son choix : une maison de bonne taille avec un garage, sous-sol et trois chambres à coucher à l’étage. La caractéristique principale de la maison était tout le rez-de-chaussée n’était constitué que d’une vaste pièce aux nombreuses et grandes fenêtres qui servait à la fois de cuisine, de salle à manger et de salon. L’immense plancher de bois valait le coup d’œil. Il y avait un « îlot-cuisine » avec les indispensables électroménagers d’un côté qui étaient inamovibles, où ils prenaient leurs petits déjeuners, mais tout le reste de l’ameublement pour se déplacer, se transformer. Roxanne trouvait effectivement que l’aménagement de cette pièce était assez original. Lors que la pendaison de la crémaillère, ils avaient mis une longue table pour le buffet le long du mur et on avait eu encore toute la place qu’il fallait pour danser et s’amuser.
Mais maintenant que Fabio était reparti à Montréal parce que s’était rendu compte qu’il ne pourrait jamais ni trouver d’emploi ni obtenir la reconnaissance qu’il désirait en tant qu’artiste, Roxanne trouvait la maison trop grande pour elle seul. Déjà que quand ils y habitaient tous les deux, ils avaient pas mal de place… Et toutes ces pièces qui devaient être les chambres de enfants… Que va-t-il arriver à leur « couple en garde partagée », comme elle disait ? Elle ne voulait pas trop y penser.
Elle ne savait pas si elle devait mettre la maison en vente et s’en trouver une autre, répondant plus à ses goûts et elle et surtout à ses besoins. Mais depuis que Fabio avait déménagé, elle essayait de ne pas trop penser à ça non plus, et aussi, c’est vrai qu’elle avait beaucoup travaillé avec toutes ces enquêtes qui s’enchaînaient les unes après les autres.
Elle se dirigeait dont vers le bureau de son père pour lui dire bonsoir avant de retourner dans sa (trop) grande maison. Elle se réjouissait pour son père qui s’était remis, ou plutôt qui était en train de se remettre en couple, avec sa Juliette Sabourin, après vingt ans de célibat mortifère. Et elle souriait au fait que c’était un peu beaucoup grâce à elle que ces deux-là avaient commencé à se fréquenter. Elle espérait juste que son père se discipline et puisse moins s’investir dans son travail, pour consacrer à sa nouvelle flamme du temps en quantité suffisante, du temps de qualité. Roxanne et Juliette étaient devenues de bonnes amies et elle se promettait bien en marchant vers le bureau de son père d’avertir son père de prendre bien soin de sa Juliette, de ne pas trop la délaisser.
Paul avait passé le reste de la journée à interroger les hommes qui possédaient les clés de la mosquée Badshahi. Nawaz Ayub Zardai lui avait dit qu’ils étaient six; tout d’abord lui-même et l’imam, ainsi que celui qui avait été assassiné Amir Mawami; ensuite le président du Conseil du Centre culturel et deux autres membres, des hommes de la communauté. Paul était de plus en plus persuadé que la personne qui avait assassiné Amir Mawami était déjà à l’intérieur de la mosquée ce vendredi soir. Mais il savait par expérience qu’il ne fallait négliger aucune piste et peut-être apprendrait-il quelque chose de l’un ou l’autre de ces hommes.
Le président du conseil s’appelait Malik Hakimullah. Âgé d’une cinquantaine d’années, était lui aussi un homme d’affaires. Il était quitté son pays à l’invitation d’Amir Mawami qui l’avait approché lors de l’un ses voyages là-bas, en lui ventant le Canada et lui disant à quel point c’était une terre d’accueil, et à quel point il y avait un grand potentiel de commerce. Il s’était laissé convaincre, et était venu ici en tant qu’immigrants investisseurs, avec sa femme et deux de ses enfants. Il n’avait pas voulu s’associer directement avec Mawami, mais avait préféré se spécialiser dans le commerce des produits alimentaires. Non, non, il ne le considérait pas comme un rival, mais ils avaient de façon de faire qui divergeaient. Quand Paul l’avait sondé sur un possible appui d’Amir Mawami à des groupes terroristes du Pakistan, l’autre s’était récrié en levant les bras, en jurant tous ses grands dieux qu’il n’avait jamais eu vent d’une telle chose, que ça lui semblait impossible, « inimaginable ! ».
Saif Intizar, quant à lui, était venu tout jeune avec ses parents, il y avait plus de quarante qui avaient immigré dans une époque où c’était encore facile de le faire. Il avait grandi ici, et il y avait fait sa scolarité; il parlait français avec un léger accent de Rosemont, ce qui faisait bien sourire Paul. Saif avait des études collégiales en Techniques radiologiques, ce qui était assez particulier, et s’était trouvé un emploi à l’hôpital de Buckingham, là où il habitait avec sa femme et ses enfants. Il fréquentait la mosquée Badshahi depuis peu où il venait avec sa femme, mais sans les enfants, et ne siégeait sur le Conseil que depuis un an. Oui, il avait les clés, en cas d’urgence, mais il lui arrivait très rarement de venir à la mosquée à d’autres moments que le vendredi du fait qu’il habitait à Buckingham. Il trouvait que le nouvel imam, faisait un travail très convenable. Non, il ne connaissait pas Amir Mawami, intimement; ils se voyaient à la mosquée, c’est tout. Il le trouvait un peu autoritaire, et parfois impulsif, mais il n’avait rien de particulier à redire sur sa conduite. Oui, il était là vendredi dernier à la mosquée. Et, non, il n’avait rien remarqué d’anormal.
Enfin Muhammad Qandeel avait lui aussi dit qu’il ne siégeait au conseil que depuis un an. Il y représentait la « jeune génération ». Comme dans beaucoup de communautés religieuses, les jeunes ont tendance à délaisser les lieux de culte et leurs rituels. Muhammad, malgré son nom, n’était pas un fanatique, ni un musulman rigoriste, mais pour lui, l’Islam prônait de vraies valeurs qui valait la peine d’être suivies et mises en pratique.
-Quelles sortes de valeurs ?
-Et bien « Islam » veut dire « soumission ». On est soumis à qui ? On se soumet volontairement et consciemment à la volonté d’Allah. C’est une attitude d’obéissance, d’humilité. Donc, on doit mettre son orgueil de côté : on doit se respecter, on doit respecter les autres, et on doit respecter la terre, l’environnement. L’Islam, on le sait, est une religion écologique, qui prône un rapport avec la Nature, qui est la Création d’Allah, fondée sur la reconnaissance. L’Islam, c’est aussi une religion de paix. Malgré tout ce qu’on voir dans les médias… d’ailleurs tous ces attentats, ce n’est pas l’Islam; c’est une déformation mensongère et odieuse de la religion musulmane. Il faut combattre l’extrémisme. C’est ce que j’essaye de dire à tous les jeunes de notre communauté; il y en a beaucoup trop qui se laisse embrigader par de belles paroles.
-Est-ce que tout le monde pense comme vous dans la communauté ?
-Heu… Je ne sais pas… J’espère que oui !
-Qu’est-ce que vous feriez s’il y avait des membres de votre communauté qui sont des partisans de groupes terroristes ou qui soutiennent ces groupes ?
-Je les dénoncerai immédiatement !


-Tu l’as bien roulé dans la farine, notre Kamala ? lui lance-t-il à peine a-t-elle franchi le seuil du bureau et avant même qu’elle ait ouvert la bouche.
-Pardon ?
-Oui, je trouve que tu as été assez expéditive. Nous n’avions pas de preuve formelle, de simples soupçons… Il est certain que si n’avons rien de plus concret je devrai le laisser repartir dans quarante-huit heures.
-Oui, je sais. Mais je trouvais son attitude de « monsieur-je-me-fout-de-tout-et-en-particulier-de-la-police » assez suffisante; c’était même teinte d’une bonne dose d’arrogance. Il se disait, et il nous disait en pleine figure que le simple fait de s’être présenté de lui-même devait lui valoir des égards. Et puis quoi encore ! Je voulais lui donner une petite leçon à ce jeune homme qui veut jouer les durs.
-Tu as eu raison; et puis ça a porté fruit, il a dit des choses sur son père que peut-être il aurait gardées pour lui. On aurait sans doute fini par découvrir cette histoire de sommes d’argent envoyées au Pakistan, mais comme ça, ça nous donne un bon coup de pouce.
-Je ne savais pas qui sortirait de Kamala; c’est vrai que je voulais provoquer les choses; je voulais faire comme un électrochoc…

Si on se base sur la suite de événements, jamais Roxanne n’aura si bien dit.

lundi 13 février 2017

Meurtre à la mosquée
Chapitre 15
                Après lui avoir faire remplie une fiche d’identification, on a mené Kamala Zardai dans une salle d’interrogatoire à l’arrière du poste de police. Pour Paul il est possible que ce jeune homme lui fournisse une autre clé pour solutionner le meurtre (il lui semble de plus en plus évident qu’il s’agit d’un meurtre) dans la mosquée de Papineauville. Il espère qu’il saura être aussi volubile que sa cadette; il veut donc ne rien perdre de ses propos ni rien de son comportement. Son interrogatoire sera enregistré et filmé.
                Paul et Roxanne l’observe quelques instants à travers la vitre voilée. Kamala Zardai est nonchalamment assis sur la chaise qu’on lui a offerte légèrement de guingois. Il regarde simplement devant lui relativement calmement; ils ne voient chez lui aucun signe de nervosité apparente, pas de battement de pieds, pas de tapotement des doigts, pas de regard qui tournerait dans tous les sens; aucune sueur ne semble perler de son front. Il est habillé comme bien d’autres jeunes de son âge en jeans rapiécés, veste de cuirette et casquette vissée sur la tête. À part son teint légèrement olivâtre, mais qui se voit à peine, rien ne pourrait faire dire qu’il est né à l’étranger, et encore moins au Pakistan. Aucun signe extérieur de ne peut faire dire qu’il vient d’une famille religieuse, et d’autant plus musulmane.
                Paul se met à se demander ce qui fait que qu’un enfant tourne mal et un autre non dans une même famille. Ils vivent dans le même milieu, ils reçoivent à peu près la même éducation, avec les mêmes interdits et les même libertés, ils ont à peu près le même bagage génétique, ils fréquentent les mêmes écoles, ils sont stimulés à peu près de la même façon, et puis tout d’un coup, pendant que les autres obéissent à leurs parents, qu’ils suivent le bon chemin, qui font ce qu’on leur demande, qui vont aux études, et s’intègrent dans la société comme il se doit, en voilà qui se rebelle et qui prend une mauvaise voie, celle de la délinquance, qui s’engage dans la petite criminalité, le vol à l’étalage, le taxage, le recel, et puis il se fait recruter par une gang : c’est le cycle de la violence qui s’intensifie et en quelque temps il devient un vrai criminel… Toute une vie gâchée. Paul pense à ces criminels célèbres, jeunes hommes de bonnes familles comme Jesse James qui était fils de pasteur, qui avec son frère Frank a écumé l’Ouest américain au milieu du 19e siècle; ou encore à Griselda Blanco, surnommée la Veuve Noire, fille de ménagère qui deviendra la pionnière du trafic de cocaïne de la Colombie vers les États-Unis ainsi que du crime organisé Miami. Quel déclic déclenche l’escalade, la débâcle ? Les frustrations ? La souffrance ? Les mauvaises influences ?
                Roxanne lui tape sur l’épaule. Père et filles pénètrent avec sa fille dans la salle d’interrogatoire. Roxanne lui laissera poser les questions; devant un jeune de cette espèce, Paul a probablement plus de ressources. Kamala ne réagit qu’à peine à leur venue.
                -Bonjour monsieur Mawami…
                -Pitié ! Laissez faire le monsieur Mawami, on dirait que vous parlez à mon père; moi j’suis Kamala.
                -Très bien, on t’appellera Kamala, si tu préfères.
                -Certain que j’prèfère; alors vous m’avez bien observé ? demande-t-il sans arrogance en montrant des yeux la vitre voilée.
                -Comment sais-tu que nous t’avons observé ?
                -Wooo… si vous avez bien consulté mes dossiers vous devriez savoir que ce n’est pas ma première visite ici : trafic de drogues, menaces, coups et blessures… C’est ce que vous avez lu, n’est-ce pas ?
                -Possible, mais ce n’est pas pour ça qu’on voulait t voir…
                -Non, bien sûr ! Vous voulez m’voir à cause de la mort de mon père, mais j’vous dit tout-de-suite, c’est pas moi qui l’ai tué.
                -Non ?
                -Non ! Mais c’est pas l’envie qui m’a manqué ! Ah, ça non, goulag ! Ce chien-là je lui aurais bien fait la peau, mais quelqu’un d’autre s’en est chargé pour moi; quelqu’un qui m’a rendu un maudit bon service !
                -Pourquoi qu’t’aurais voulu lui faire la peau à ton paternel ?
                -Ce salopard-là ? C’est un voleur ! En plus d’être un illuminé, en plus de terroriser sa famille, en plus de se prendre pour Allah en personne, en plus… Vous en voulez plus ?!
                -Tu ne t’entendais pas bien avec lui, à ce que je peux conclure…
                -Ben, vous conclussez bien ! C’est un tyran, qui terrorise tous les membres de sa famille, sa femme, ses filles, ses fils, sa belle-fille ! Il n’y a rien à son épreuve ! Il faut toujours qu’il aille raison, même quand il a tort ! Moi, un jour j’en ai eu assez ! J’ai pris la porte et je ne suis pas revenu ! Ah, il a bien essayé de me faire revenir ! Il a envoyé mon frère Hamza me faire la morale, mais shit, je l’ai envoyé chier assez vite.
                -Qu’est-ce que tu as fait quand tu es parti ?
                -J’ai vécu un été dehors à quêter; pis après… je me suis débrouillé.
                -En faisant du trafic de drogue…
                -J’ai pas dit ça.
                -Pourquoi t’as dit que ton père ton père était un voleur ?
                -Vous l’savez pas ? Hè, ho ! Allumez ! Y a personne de futé à la police ? Il vole ses employés, en retentant leurs payes… Et comme ils peuvent pas se défendre… Il vole ses fournisseurs… Comment vous pensez qu’il a réussi en affaires ? Parce que c’est un voleur ! Y a pas d’autre raison ! J’suis sûr aussi qu’il vole la mosquée, mais comme j’y vas jamais… Qu’est-ce que vous voulez que ça m’fasse ?...
                Roxanne qui était restée en retrait depuis le début intervient pour la première fois.
                -Qu’est-ce que tu faisais vendredi soir dernier ?
                Le jeune Kamala a un mouvement de surprise. Est-ce parce qu’il l’avait oubliée ou parce qu’il ne s’attendait pas à cette question ?
                C’est au tour de Paul de se reculer quelque peu.
-J’vous dit que c’est pas moi qui l’a tué; j’vous dit que c’est pas moi.
                -Réponds à la question !
                -Et puis, il me faut une raison ! Je l’avais effacé de ma vie…
                -Tu ne réponds pas à la question !
                -Non, j’réponds pas !!
                -Tu ne réponds pas parce que tu n’as pas d’alibi !
                -J’en ai un alibi : j’étais avec mes chums ! C’est ça mon alibi !
                -Tes chums ? C’est un peu vague, non ? Où étiez-vous ? Et qui c’était ? Ça va prendre des noms pour corroborer tout ça !
                -J’donnerais pas leur noms, j’vous garantis. En plus, j’connais même pas leur nom !
                -Je vais te dire pourquoi tu ne veux pas donner des noms : parce que tu ne veux pas les incriminer; ça te retomberait dessus, c’est ça, hein ? S’il fallait que tu trahisses tes comparses dans le trafic de drogue, je ne donne pas cher de ta peau. Tu passerais un mauvais quart d’heure, c’est garanti !
                -Hey là ! J’étais recherché, pis j’suis venu me livrer, pis j’vous dit que je l’ai pas tué mon père; qu’est-ce que vous voulez de plus ?
                -C’est pas si simple que tu le crois, Kamala. Qu’est-ce que tu croyais ? Que parce que tu es venu de toi-même on allait te croire sur parole pis qu’on allait te dire « merci » en plus ? Si tu es venu, c’est que tu n’avais pas le choix, point final ! Toi qui a l’air de connaître le système, tu savais bien qu’on allait te retrouver tôt ou tard, et peut-être même assez tôt ! Tu pensais que venir de toi-même augmenterait tes chances…
                -C’est pas ça !...
                -Laisse-moi finir ! Tu croyais que juste le fait te dire que tu n’avais pas tué ton père te rendrait innocent, mais le fait est que vis-à-vis de la loi tu-n’as-pas-d’a-li-bi.
                Roxanne détache chaque syllabe pour bien se faire comprendre de son jeune interlocuteur.
                -Et si tu ne veux pas fournir d’alibi, c’est parce que c’est encore plus dangereux pour toi, que de ne pas en avoir. Fournir un alibi voudrait dire que tu avoues que vendredi tu étais en train de t’adonner à un trafic illégal, et en plus, ce qui est bien plus grave, tu devrais dénoncer tes complices.
                -…
                -Tu restes silencieux ?
                -Qu’est-ce que tu veux que te dises ? Tu donnes toute les réponses !
                -Non; la voilà ma vraie réponse : on va t’accuser de meurtre prémédité de ton père et on va te garder ici jusqu’à ta comparution devant un juge qui statuera de ton sort. À partir de maintenant, tout ce que tu diras pourras être retenu contre toi; tu peux demander l’aide d’un avocat. Si tu…
                -J’veux pas d’avocat; j’veux juste sortir d’ici ! Vous avec pas le droit !
                Paul a ouvert la porte et fait entrer deux agents.
                -J’ai bien peur que tu n’aies pas le choix. Ces messieurs vont te conduire en cellule; si tu résistes à ton arrestation, tu ne feras qu’aggraver ton cas.


lundi 6 février 2017

Meurtre à la mosquée
Chapitre 14

                Le lendemain est arrivé à Paul ce qu’il croira être un « deuxième morceau du casse-tête ». Il s’était réveillé tôt. Il s’était fait un premier café et en avait porté une tasse au lit à Juliette encore toute ensommeillée.
                -Tu pars tôt ce matin ?
                -Oui, je sais; désolé. Mais il y a cette histoire de meurtre dans la mosquée sur laquelle je dois me concentrer.
                -Hmm…
                -Comme je te l’ai dit, Roxanne et Isabelle ont découvert un élément important, et comme on dit : il faut battre le fer quand il est chaud.
                -C’est un dicton qui t’arrange bien. Est-ce que tu vas rentrer tard ?
                -Je ne crois pas; j’espère que non.
                -Peut-être que je vais retourner chez moi à Lac-des-Sables. Tu m’appelleras si tu crois pouvoir ne pas finir trop tard.
                -D’accord, et je viendrais te rejoindre. Passe une bonne journée.
                -Toi aussi; et merci pour le café.
                Ils s’étaient échangé un doux baiser moitié tendresse, moitié regret.

                À peine arrivé au poste de police, Paul avait été surpris de recevoir la visite très matinale de Nawaz Ayub Zardai; il était venu le trouvé tôt le matin pour lui demander quand il pourrait rouvrir la mosquée. Il fallait y faire un grand ménage, notamment faire disparaître toutes les traces de sang dans le bureau et le couloir (« Il faudra probablement complétement enlever les tapis, avait-il dit; je ne crois pas qu’il est possible de vraiment le nettoyer. »), ainsi que ranger le désordre résultat des nombreuses allées et venues de la police.
                -Nous aimerions reprendre nos activités le plus tôt possible, vous comprenez; et si possible dès vendredi. Notre imam aimerait s’adresser à notre communauté pour la guider dans son deuil.
                -Non, je ne vois aucun problème, monsieur Zardai; je vais donner les ordres qu’il faut pour que vous ayez accès à la mosquée et commencer le nettoyage. Je vais demander à l’une de nos équipes de vous accompagner juste pour rassurer tout le monde et, si tout va bien, mes hommes vous laisseront en demi-journée. Bien sûr, si vous vous apercevez que quelque chose ne va pas, avertissez-les tout-de-suite ?
                -Quelque chose qui ne va pas ?... Je ne comprends pas.
                -Bien, s’il quelque chose a disparu par exemple, si un objet n’est plus là, si un meuble n’est pas au bon endroit. Par exemple, si quelque chose a été déplacé dans le centre culturel… L’enquête se poursuit et tout ce que vous pourriez nous rapporter pourra nous être utile.
                -Je comprends.
                -Aussi, je vous demanderais d’être attentif avec les gens qui viendrons vous aider. Est-ce qu’il y en aurait un qui aurait un comportement particulier, inhabituel… Ça aussi c’est important.
                -Vous croyez "que les assassins reviennent toujours sur les lieux du crime", c’est ça ?
                -Pas tout-à-fait. Je crois qu’il n’y a que deux hypothèses : soit le ou les coupables sont venus de l’extérieur, soit il ou ils étaient déjà à l’intérieur de la mosquée; et, pour vous parler franchement monsieur Zardai, pour l’instant je privilégie la deuxième hypothèse.
                Le vis-à-vis de Paul Quesnel reste silencieux quelques instants, en regardant un objet invisible sur le bureau, comme s’il lui fallait un certain temps pour bien assimiler toutes les implications de cette dernière affirmation.
                Paul reprend la conversation sur un autre point :
                -Que pouvez-vous me dire sur l’imam Murama ?
                -Pardon ?
                -Oui, dites-moi ce que vous savez de lui : d’où vient-il, comment a-t-il atterri chez vous…? Je voudrais en savoir plus.
                -La mosquée Badsahi a été construite il y aura bientôt cinq ans, en grande partie financée par la communauté pakistanaise; c’est d’ailleurs pour ça qu’elle s’appelle Badsahi; au pays la Badhahi Mosque, est la deuxième plus grande du pays. Et pendant sa construction on a cherché un imam sunnite qui parlait l’ourdou qui pourrait venir pour en prendre le leadership. On avait contacté un imam de New-York, mais il est resté très surpris de la petitesse de nos moyens de même que de l’isolement de Papineauville, et en plus il ne parlait pas français, si bien qu’il est reparti précipitamment pour New-York après quelques semaines seulement. Nous avons alors décidé d’être plus vigilants et de mieux choisir son successeur. Comme Amir Mawami fait régulièrement des voyages au pays pour ses affaires, il s’est occupé de mettre quelques annonces dans ses réseaux de contacts. Nous avions reçu alors une demi-douzaine de réponses et nous avons fait des entrevues par Skype avec trois des candidats. Et nous sommes tombés d’accord pour offrir le poste à l’imam Muhammad Ali Murama… Et il faut dire que c’était un choix judicieux ! Il est entièrement dévoué à son travail et à la communauté musulmane; il s’y consacre corps et âme; tout le monde est satisfait de ses services. Nous n’avons rien à lui reprocher.
                -Est-ce qu’il est venu avec sa famille ?
                -En fait, il est venu avec sa femme, Faiza. Et depuis qu’ils sont arrivés ils ont eu un petit garçon qui s’appelle Abbas et je crois qu’elle est à nouveau enceinte.
                -Est-ce que sa femme vient à la mosquée ?
                -Évidemment ! Elle n’est pas venue quelque temps à la fin de sa grossesse et à la naissance de sa petite fille, mais sinon elle vient régulièrement.
                -Est-ce qu’elle était là vendredi ?
                -Je ne peux pas dire; d’en bas, nous les hommes on ne peut pas voir les femmes qui se trouvent au balcon; mais probablement qu’elle était là.
                -Donc son adaptation ici se déroule bien ?
                -Très bien ! Nous aimerions le garder plusieurs années.
                -Une dernière question ça marchait bien entre lui et Amir Mawami ?
                -Mais bien sûr ! (dit le ton de : « Quelle question stupide ! ») C’était son homme de confiance ! Il l’a beaucoup aidé. Les premiers temps il a été avec lui presque jour et nuit pour l’aider à s’adapter; il voulait être sûr qu’il ne ferait pas comme son prédécesseur. C’est grâce à lui si l’imam Murama se sent si bien. Amir va lui manquer c’est certain.
                -Et il va manquer à la communauté aussi…
                Nawaz Zardai marque une légère pause.
                -Oui… évidemment.
                -Vous n’en semblez pas entièrement convaincu ?
                -Oui, oui, il est indispensable à la vie de la communauté, et au bon fonctionnement de la mosquée…
                -Laissez-moi vous aider : certaines personnes pensent peut-être qu’il y prenait beaucoup de place, qu’il avait une tendance à tout vouloir contrôler… C’est ça ?
                -Oui et non; c’est vrai qu’il s’occupe de bien des choses mais en même temps il faut bien que quelqu’un le fasse. Personne ne pourrait le faire comme lui…
                -Peut-être parce qu’il ne laissait personne le faire à sa place…
                -Avec moi, en tout cas, il n’y a jamais eu de problème; ça se passait très bien.
                Il faudra avoir une autre conversation avec lui, se dit Paul, en pensant à l’imam Murama.
                -Un dernier détail et ensuite je vous laisse aller à la mosquée monsieur Zardai. Amir Mawami s’occupait de finances n’est-ce pas ?
                -Oui…
                -Et qui vérifiait les comptes après lui ?
                -Vérifier les comptes ? Personne… on lui faisait confiance.
                -Il faisait tout tout seul ! Il n’y avait pas un deuxième signataire ?
                -Oui, bien sûr; l’imam Murama cosignait les chèques avec lui.

                Paul a laissé son interlocuteur à la porte; il a demandé à l’agent Turgeon de l’accompagner jusqu’à la mosquée et de s’assurer que tout s’y passe bien.
                De retour à son bureau, après s’être servi une tasse de café (« Il faut vraiment que je diminue ma consommation de café ! »), il a à peine le temps de s’assoir pour se mettre à réfléchir sur tout ce que vient de lui partager Nawaz Zardai durant la matinée qu’on vient le prévenir.
                -Patron, il y a quelqu’un pour vous en avant.
                -Qui ça ?
                -Un jeune homme ! Celui pour qui vous avez lancé un avis de recherche hier soir, Kamala Mawami; il est là à la porte. Il s’est livré de lui-même.

                -Très bien, j’arrive ! Trouve-moi Roxanne.