lundi 24 avril 2017

Un lieu de repos
Chapitre 4

                Alors que sœur Gisèle le faisait pénétrer dans le monastère des SNMJ, Paul avait jeté un coup d’œil autour de lui et avait rapidement il lu les titres de l’affiche en grandes lettres rouge qui annonçait les services offerts : Le gîte du pèlerin : lieu parfait lieu de repos et de ressourcement.
                -En effet, avait-il souri intérieurement, pour ces deux personnes, c’est devenu le lieu du repos éternel.
                Tous l’endroit était en pleine effervescence; devant la porte centrale pensionnaires et religieuses guettaient les gyrophares sans oser aller grossir la foule des curieux; on discutait ferme, on faisait des commentaires à haute voix, on poussait les exclamations… les suppositions allaient bon train. À la vue de sœur Gisèle les autres religieuses étaient rentrées.
                Paul regarde sœur Gisèle, l’œil interrogateur :
                -Vous dites que les deux victimes, voyons… Madeleine Chaput et Antoine Meilleur étaient des clients réguliers de vos services ?
                -Oui, en effet. Ils ne venaient pas très souvent, mais depuis quelques années ils venaient au moins une fois par année. Ils ne parlaient pas beaucoup, mais à l’une ou à l’autre d’entre nous, ils avaient raconté leur histoire, une histoire trouble de familles disloquées. Je crois que lui, avait fait de la prison; et elle n’avait jamais pu garder un emploi. Ils n’étaient pas de Plaisance; ils venaient de Gatineau mais ils aimaient notre lieu de repos. Ça leur faisait du bien de venir, il faut croire. Une chose curieuse, c’est qu’ils ne prenaient jamais de session de ressourcement; ils venaient passer une fin-de-semaine pour se reposer, pour refaire le plein.
                -Quand sont-ils arrivés ?
                -Ils étaient arrivés vendredi soir, pour une fin-de-semaine; ils devaient repartir ce matin.
                -Expliquez-moi une chose, ma sœur; tout semble laisser croire qu’ils seraient allés se promener dans le sentier, comme cous dites… et personne ne s’est aperçu de rien ? Personne ne s’est inquiété en ne les voyant pas revenir ?
                Paul voit sœur Gisèle légèrement tiquer à sa question.
                -Vous savez, inspecteur, ici, les gens sont libres d’aller et venir. La porte de devant est verrouillée le soir et la nuit, mais chaque pensionnaire a une clé de la porte de côté, celle par où nous sommes rentrés et qui donne sur le sentier. Et il ne y pas de couvre-feu commet tel; on demande seulement aux gens de respecter le sommeil, le repos de tous, et de garder le silence après vingt-heures. Nous ne faisons pas de surveillance. Ce sont des adultes après tout.
                -Est-ce qu’ils étaient là pour souper hier soir ?
                -Probablement; c’est sœur Annette qui était chargée de faire acte de présence. Nous ne faisons plus beaucoup de travail; nous avons des employés pour préparer à manger, pour prépare les chambres du centre, et d’autres aussi qui s’occupent plus spécifiquement des soins de la communauté, sans compter les personnes qui louent les locaux et qui donnent des formations.
                -Est-ce que les employés ont la clé de la porte ?
                -Non; il y a toujours une sœur qui vient ouvrir la porte vers six heures du matin.
                -Et les personnes qui offrent des sessions et des cours, est-ce qu’elles ont les clés ?
                -Non, bien sûr.
                -Je voudrais voir la chambre qu’occupaient Madeleine Chaput et Antoine Meilleur.
                -Pas de problème, suivez-moi.

                Sœur Gisèle, prend un trousseau de clés dans son tiroir et, se levant, elle invite Paul à sortir du bureau; Ils logent un couloir jusqu’à un escalier. Le bâtiment n’a un étage. Au rez-de-chaussée, se trouvent des salles de réunion meublées de chaises et équipées de tableaux; l’une d’elle est annoncée comme étant la Chapelle; à gauche de l’escalier une salle un peu plus grande qui sert de réfectoire, et plus loin c’est le bureau d’accueil. À l’étage il y a des salles de rangements et les chambres à coucher.
                -Nous avons huit chambres exactement; pour une ou deux personnes. Donc, nous pouvons accueillir au maximum seize personnes. Il y a aussi le sous-sol qui n’est pas aménagé en chambre à coucher, mais au besoin, des groupes plus nombreux peuvent s’y installer avec leurs sacs de couchage… Il y a une salle de bain avec douche à chaque extrémité du couloir principal. Nous fournissons les draps et la literie mais les pensionnaires doivent apporter leur nécessaire de de toilette. Voici leur chambre, numéro 5.
                La chambre est petite, simplement meublée. Elle est éclairée; les rideaux étant ouvert, le soleil y pénètre à fond. Le lit a été fait rapidement, on a simplement remis les couvertures simplement sur le matelas, sans border le lit. Il y a deux petites valises, l’une sur une petite table sous la fenêtre et l’autre posée par terre. Celle qui est sur la table est ouverte. C’est celle de la femme. Paul sort de gants de plastique de son sac. Il fouille sommairement dans les valises, sans vraiment rien chercher. Il ouvre les tiroirs, la porte de l’armoire; par routine, il regarde sous le lit. Il s’arrête à la fenêtre qui donne sur l’arrière, sur des champs et quelques bosquets d’arbres; on voit très bien les premières collines de Basses-Laurentides.
                -Je vais faire mettre des scellés sur la porte. Je vous demande de la refermer à clé; il sera interdit d’y entrer avant que nous ayons fait une inspection complète.
                 Il sort son portable.
                -Allo ? Turgeon ? Écoute; viens me rejoindre avec des bandes de scellés. Tu prends la porte de côté et tu montes à l’étage par l’escalier qui est à ta gauche. Je t’attends.
                -Je voudrais jeter un coup d’œil aux autres chambres.
-Mais elles sont occupées ?
-C’est vrai, mais je veux pouvoir comparer.
-Je vous ouvre la 8, il n’y avait personne, hier soir.
C’est une chambre à peu près semblable à la précédente, sauf que le lit n’est pas placé de la même façon. En effet, personne ne l’occupe.
-Ouvrez-moi aussi celle-ci, dit Paul en montrant celle qui est en face de la 7.
Paul regarde, elle est occupée; le lit n’a pas été fait le lit, mais les valises, elles, sont fermées et prêtes.
-Bien…
-Qu’est-ce que vous cherchez ?
-Rien de très spécifique. Je veux juste me rendre compte des lieux le plus exactement. Il y a eu des morts violentes, chez vous, cette nuit. Ce n’est pas rien.
-Non évidemment.
-Ah, voilà mon homme. Turgeon, tu mets des scellés sur cette porte et tu la surveilles jusqu’à ce que je t’envoie l’équipe des investigations.
-D’accord chef; mais il y a les cyclistes en bas, qui font pas mal de grabuge : ils veulent qu’on les laisse repartir.
-Bon, bon, je m’en occupe. Personne ne doit monter ici avant que l’équipe d’inspection ne soit passée. OK ?
Ils redescendent et reviennent dans le bureau.
-Les autres pensionnaires ne vont pas apprécier…
-Quoi ?
-Bien… ne pas avoir avoir accès à leurs chambres…
-Peut-être, mais c’est un cas de force majeure. Et s’ils veulent monter pour prendre leurs bagages on les accompagnera… Dites-moi, sœur Gisèle, quand Madeleine Chaput et Antoine Meilleur sont arrivés vendredi comment vous ont-ils paru ? Étaient-ils différents que d’habitude ?
-Non, ils semblaient pareils que les autres fois. Qu’est-ce que vous voulez dire ?
-Étaient-ils plus pressés ? Paraissaient-ils, l’un ou l’autre, nerveux, anxieux ? Ou inquiets, ou stressés ?
-Non, il ne me semble pas.
-Essayez de vous souvenir; fermez les yeux et revoyez-les au moment où ils arrivent; que voyait vous dans leur regard ? Essayez de vous souvenir du moindre petit détail qui aurait pu vous sembler différent ?
Après un moment, ayant fermé les yeux, sœur Gisèle répond :
-Non, je ne vois pas.
-Étaient-ils habillés de façon particulière ? Avaient-ils un objet qui pouvait sembler incongru ?
-Non, ils n’avaient que leurs valises.
-Sont-ils arrivés à la même heure que d’habitude ?
-Ça pouvait varier; ils sont arrivés pour le souper en fin d’après-midi…
-Et qu’est-ce qu’ils ont fait tout la fin-de-semaine ? Ont-ils rencontré quelqu’un ?
-Je ne sais pas; comme je l’ai dit on ne surveille pas nos pensionnaires; ils ont sûrement jasé avec les autres.
-Et hier soir; ils sont sortis et sont allés se promener ? À quelle heure sont-ils sortis ?
-Je ne sais pas… ça devait être dans les sept heures, après souper.
-Où étiez-vous ? Dans votre bureau ?
-Heu… oui, je crois; non. Le dimanche je ferme habituellement, mon bureau vers seize heures.
-Où étiez-vous cette heure-là ? Dans la cafétéria ?
-Non, j’étais être avec les autres sœurs; nous vivons dans l’autre bâtiment, c’est là que nous logeons; il est plus petit que celui-ci; nous ne sommes plus que cinq maintenant.
-Et vous les avez vu sortir pour aller se promener ?
-C’est-à-dire, que de là-bas on voit les gens qui rentrent et sortent, mais je n’ai pas fait vraiment attention à qui ça pouvait être ?
-Et les autres sœurs étaient là ?
-Pourquoi me posez vois toutes ces questions ? Je vous ai tout dit ce que je savais !
-Oui, probablement, mais tous les petits détails sont importants dans les cas de mort violente, et nous sommes en présence de deux morts violentes. L’expérience me dit que ce qui peut sembler insignifiant se révèle souvent crucial pour l’enquête. Tout ce dont vous pourrez vous souvenir aura son importance. Alors je compte sur vous.


mardi 18 avril 2017

Un lieu de repos
Chapitre 3

Paul Quesnel regarde travailler son équipe à la recherche du moindre indice : traces de pas, marques de chaussure, empreintes de doigt, ou tout autre petits détails… Même si plusieurs heures se sont déjà écoulées depuis les événements (entre dix et quatorze, selon une première estimation, mais il faudra attendre les autopsies pour plus de précision), on s’affaire à ramasser le moindre petit objet, morceau de papier, capsule de bouteille, mégot de cigarette. C’est fou ce que peut révéler un simple papier mouchoir négligemment jeté : les gens ne s’en doutent pas mais il fournira d’excellentes traces d’ADAN. On passe on peigne fin toute la scène du crime et aux alentours… ou plutôt la scène des crimes, devrait-on dire. Car, de fait, tout ce que Paul a pour l’instant, ce sont deux personnes mortes affalées l’une sur l’autre sur un banc. S’agit-il d’un double suicide ? D’un meurtre suivi d’un suicide ? S’agirait-il d’un double meurtre par une tierce personne ? Est-ce que ces deux personnes, un homme et une femme, formaient un couple ? Étaient-elles venues ensemble au monastère des sœurs SNMJ ? S’étaient-elles rencontrées ici même ? Ni l’une ni l’autre ne portait ses papiers d’identité. Sébastien Vallières-Riendeau prend des photos sous tous les angles : d’en haut d’en bas, de profil, de loin, de près; il prend des gros plans des deux personnes et de leurs blessures, de l’arme qui git par terre; il prend une vue panoramique « à 360 degrés » comme il faut dire selon les nouvelles tendances technologiques, de l’ensemble du lieu.
Derrière les cordons de sécurité, la foule de curieux commence à grossir; des gens de la place, peut-être quelques touristes. Ça lui faisait tout drôle de se retrouver ici. Plaisance était son village natal. À l’époque à la fin des années 1950, il était courant que les femmes accouchent à la maison. Il y avait bien un hôpital à Buckingham, mais en ces années-là, Buckingham était encore une vile d’ « Anglais », celle tout d’abord de riches Britanniques puis d’aussi riches Américains venus faire (davantage) fortune dans l’exploitation agricole; ce n’est qu’à la moitié de années 1970, avec la fusion avec les villages voisins de Masson, Ange-Gardien, Notre-Dame-de-la-Salette, ainsi l’addition des municipalités du Canton de Buckingham, de Buckingham-Sud-Ouest et de Buckingham-Ouest que les choses vont véritablement changer. Petite note en passant, cinq plus tard, insatisfaites et mécontentes des arrangements administratifs résultant de cette fusion, plusieurs anciennes municipalités font s’en détacher pour former la ville de Masson-Angers. Les petites gens de Plaisance pouvaient toujours aller à Gatineau pour recevoir des soins médicaux, mais les déplacements n’étaient pas faciles et les soins étaient chers. De Plaisance, Paul était parti étudier dans la grande ville de Gatineau, qui à cette époque s’appelait Hull.
Paul connaissait l’existence du monastère des SNMJ, mais comme leur mission était de s’occuper principalement de l’éducation des filles, il n’avait pas eu à les fréquenter. Avant même de partir étudier, il ne fréquentait déjà plus l’église. Depuis trente ans il n’y était allé qu’une seule fois… pour se marier avec Monique. Il s’était rencontré pendant qu’il faisait un stage à Sherbrooke, mais leur union n’avait pas duré très longtemps. Paul savait qu’il n’avait ni été un bon mari ni un « père parfait ». Son travail passait avant tout, il le savait. Il s’était laissé « accaparé » entièrement pas son métier de policier, et donc… Lui et Monique avait divorcé alors que les enfants, Roxanne, Alexandre et Xavier. Mais même en tant que père célibataire à temps partiel, il était souvent absent. Avec le temps, les enfants avaient pu se garder tous seuls et Roxanne la grande sœur s’occupait très bien de ses deux jeunes frères.
Sa fille avait décidé sans aucun signe avant-coureur, et sans aucune justification, de suivre ses traces et de devenir officière de police, et Paul en avait été profondément bouleversé. Il avait commencé à la considérer autrement, quelque chose comme une vraie personne, comme une femme de grand potentiel.
Paul aurait plusieurs la possibilité de terminer sa carrière dans une grande ville comme Montréal ou Québec, mais il était bien où il était, dans le poste qu’il occupait depuis bientôt vingt-et-un ans, celui de Directeur du poste de la Sureté du Québec de Papineauville. C’était son coin de pays. Il avait trouvé une maison ancienne une dizaine d’années auparavant située entre Papineauville et Plaisance et il l’avait achetée, avec les bâtiments de ferme qui restaient, du fils d’un vieil homme qui venait de mourir qui habitait, le fils, en ville et qui n’avait aucune envie de vivre à la campagne. Les enfants, qui étaient alors adolescents, n’en avaient pas voulu croyant que ce n’était qu’une ruine. C’est vrai qu’il avait dî faire une bien des rénovations. Mais c’était surtout pour la vue imprenable qu’il avait sur l’Outaouais, qu’il l’avait acquise. Même les enfants avaient finalement reconnu, que c’était « pas mal comme point de vue ».  Les deux fils travaillaient dans le domaine minier, l’un en Alberta et l’autre en Abitibi. Alexandre, avait étudié en géologie et à la fin de ses études, était parti dans l’ouest tenter sa chance. Xavier, avait fini son CEGEP et s’était fait engagé par Postes Canada. Il avait alors rencontré, dans un bar, une fille de l’Abitibi qui étudiait en médecine dentaire, et il était maintenant facteur à Rouyn-Noranda. Pour l’instant, ils n’avaient pas d’enfants, mais peut-être cela viendrait bientôt. Ferait-il un bon grand-père?  Paul n’en avait aucune idée.
Quand il avait rebroussé chemin pour revenir vers Plaisance après l’appel radio lui signalant la possibilité de deux morts suspectes dans son patelin, bien des souvenirs d’enfance lui étaient revenus en mémoire : la cuisine de la maison familiale dans laquelle trônait un immense poêle à bois dont se servait sa mère pour préparer les repas; la patinoire sur l’étang gelé en arrière de la maison que son père préparait chaque hiver; l’école du village et les épiques parties de « tag » pendant les périodes de récréation; la jolie petite Lyne Deschamps qui avait été son premier amour, avec qui il avait échangé un premier baiser… Il se souvenait vaguement des SNJM; bien sûr on les croisait dans le village, à l’épicerie, au marché, sur le parvis de l’église, mais avec les garçons de son âge, il cachait derrière les poteaux de téléphone pour, en catimini, les traiter, injure suprême qui faisait exploser leur taux d’adrénaline, de « pisseuses ».
Quand il était revenu dans la région, il avait été très surpris des changements. Les sœurs avaient abandonné leur costume blanc et gris depuis longtemps; discrètes, posées, aimables, elles se fondaient dans la population. Elles passaient inaperçues, mais elles étaient toujours là est leur « charisme » avait évolué : elles avaient abandonné l’éducation des jeunes filles, pour offrir des séjours de ressourcement et de guérison de soi dans un lieu calme, tranquille, beau, bien aménagé et propice à réflexion et à la méditation. En arrivant, Paul s’était dit qu’en fait il n’était jamais allé dans leurs jardins, transformés aujourd’hui en Sentier des pèlerins, et qu’il y entrait pour la première fois. Cette région a encore bien des secrets à découvrir. Pendant quelques instants furtifs, il a regretté d’avoir tant de préjugés.
Paul se tourne vers sœur Gisèle. Il ne la connaît pas, il ne l’a jamais vue. Elle s’est présentée aux policiers comme la responsable de la communauté. Elle est vêtue d’une robe aux coloris simple, sur laquelle elle a passé une veste en laine.
-Sœur Gisèle, je suis Paul Quesnel, directeur du poste de la Sureté du Québec…
-Oui, je vous connais…
-Ah oui ?
-Les religieuses lisent les journaux, vous savez, et regarde les informations à la télévision; quand il arrive quelque chose de grave dans la région, c’est vous que l’on voit.
-C’est vrai…
-On voit aussi votre fille, Roxanne Quesnel-Ayotte; c’est votre fille n’est-ce pas ?
-Oui, en effet.
-Elle n’est pas avec vous ?
-Non; elle est en congé, pour la semaine. Les policiers aussi prennent de vacances... Mais, laissons ça si vous le voulez bien sœur Gisèle; je voudrais vous poser quelques questions.
-Oui, je m’en doute.
-Pouvons-nous aller dans un lieu plus tranquille.
-Oui; suivez-moi.
Sœur Gisèle mène Paul jusqu’au bâtiment principal du monastère. Chemin faisant, Paul observe le sinueux parcours.
-Nous avons aménagé ce Sentier des pèlerins, il y a un peu plus de vingt ans. Nous avions décidé de modifier notre engagement et nous avons trouvé que ce qui était noter jardin était l’un de nos bons atouts. Au début, ces jardins avaient pensé pour notre la communauté seulement; les sœurs pouvaient venir y méditer quand elles le voulaient. Mais avec la diminution du nombre de religieuses dans notre communauté et aussi à cause de nos âges qui augmentent, les jardins étaient de moins en moins utilisés. Alors dans le changement de vocation de notre monastère en Centre de repos et de ressourcement, nous l’avons transformé en Sentier des pèlerins… le succès a été immédiat. Il est vite devenu très populaire auprès des participants du Centre; il est très apprécié aussi par la population de Plaisance.
-Oui, c’est très joli…
-Hmm… L’originalité de ce sentier est qu’il reprend la forme ancienne du chemin de croix, qui est lui-même une forme spécifique de pèlerinage, pour l’incorporer complètement dans le milieu naturel. Voyez-vous, au lieu de modifier l’environnement et lui imposer un parcours de chemin de croix, nous avons laissé le milieu naturel nous dicter ce que devait être un chemin de méditation.
-Je crois que je comprends…
-Entrez, s’il vous plaît…
Sœur Gisèle a ouvert un porte secondaire du monastère et conduit Paul vers un petit bureau, qui est probablement le sien. Il y a une table de travail, un ordinateur, un téléphone, avec en arrière des étagères pleines de livres. L’invitant à s’assoir, elle reprend le fil de ses pensées :

-Cette communion avec la nature, c’est ce dont voulaient profiter ces deux pauvres personnes. Ils venaient ici régulièrement, Madeleine Chaput et Antoine Meilleur. Ils venaient retrouver un peu de paix… de paix à l’âme… car ils en avaient point besoin. Tous les deux ont eu des vies difficiles; tous les deux étaient passés par bien des épreuves. Et ils commençaient enfin à s’en sortir.

mardi 11 avril 2017

Un lieu de reposChapitre 2


                Paul Quesnel, directeur du poste de la Sureté du Québec, regarde tout autour de lui l’environnement de la scène du crime; car il s’agit bien d’une scène de crime, et qui étonne d’autant plus dans ce lieu tout à fait improbable : un lieu de repos, un lieu de calme et de tranquillité, propice à la réflexion intérieure, à la méditation. Paul fait quelques pas dans ce qu’il se dit être une sorte de parcours aménagé exprès pour la contemplation; un sentier élégamment sinueux entre les bosquets d’arbres, les parterres de fleurs et les monticules pierreux, agréablement enjolivé des clapotis de la rivière et les gazouillis des oiseaux. Comme si on était dans un autre monde, comme si on avait atteint une autre dimension. À intervalles à peu près réguliers, on trouve un poste d’arrêt avec un banc orienté vers un point de vue particulier. Ces « stations » sont aménagées de telle sorte qu’elles sont cachées l’une de l’autre, isolées les unes des autres; la distance et les courbes du sentier font qu’à partir d’un de ces arrêts on ne peut voir ni le précédent ni le suivant… et donc d’où on ne peut être vu. À chacun de ces arrêts, on peut lire sur des panneaux une pensée ou une recommandation : « Je rends grâce pour les beautés de la nature »; « Je respire profondément; cet air qui rentre et qui sort me purifie »...  
                Paul se trouve devant le septième de ces « stations » l’une des plus éloignées du point de départ et d’arrivée, qui se situe près du petit monastère des sœurs de SNMJ. Sur le banc en question, se trouvent deux cadavres, un homme et une femme. Par terre il y a un pistolet; un RG70, probablement de calibre 3. L’arme du crime ? L’autopsie le déterminera. Les cadavres sont à demi-couchés l’un par-dessus l’autre, la femme, à gauche sur le banc, affalée sur les genoux de l’homme, et l’homme à son tour le torse tombé sur le corps de la femme, les bras ballants. Chacun à une blessure à la tempe droite, presque au même endroit, une blessure par balle. Le sang a coulé des deux blessures, sur les corps, sur le banc et finalement sur le sol. La tache de sang sur le sol n’est pas très étendue; l’herbe semble en a absorbé une bonne partie. Les deux corps sont encore humides de rosée. Ça s’est probablement passé hier dans la soirée, ou en fin d’après-midi.
                Il est à peine neuf heures, mais déjà le soleil réchauffe l’air et fait s’évaporer la rosée, ce qui crée pendant quelques instant une légère nuée autour des corps. Ils sont vêtus pour la saison, en chandails et pantalons. À part les blessures à la tête, ils ne semblent pas porter d’autres marques de violence.
Le premier appel d’urgence a été lancé vers huit heures et quart en ce lundi matin. Paul était en route et il se dirigeait vers bureau quand on l’a averti qu’un appel d’urgence parlait de deux morts à Plaisance, au monastère de SNJM. Il s’y est rendu donc directement. Les premiers agents étaient déjà sur place en train de délimiter la scène du crime et d’éloigner les personnes présentes. Ces personnes sont en fait, six cyclistes dont les agents prennent les coordonnées, et les cinq sœurs de la petite communauté. Il y a aussi deux autres locataires.
Paul décide de prendre leur déposition tout-de-suite; il viendra examiner les lieux en détails unes fois qu’il saura ce qui s’est passé… quitte à faire des interrogatoires plus poussés plus tard. Paul a aussi appelé son homologue de Gatineau pour faire venir l’équipe technique et scientifique; il aura besoin de son expertise.
                Les agents ont rassemblé les gens près de leurs voitures. Paul voit trois couples en tenue de cyclistes : Martin Brison et Alexandra Châteauneuf, Diana Gonzalez et Frédérique Tousignant, et Emma Wilson et Jean-Jacques Bérubé, tous de Gatineau. Ils ont l’air passablement secoués, tout équipés qu’ils sont pour une véritable randonnée : casques et vêtements de sports, cuissards, gants; leurs vélos sont munis de bouteilles d’eau miroirs, de garde-boues, de porte-bagages auxquels sont suspendues de sacoches bien pleines.
                -Vous pouvez aller loin comme ça ? commence Paul.
-Oui, nous sommes sur notre retour vers Montréal.
-Bonjour, je suis l’inspecteur Quesnel de la Sureté du Québec. Commençons pas le commencement : qui d’entre vous a fait la découverte ?
                -En fait, c’est surtout moi.
                -Et vous êtes…
-Alexandra Châteauneuf…
                -Très bien; venez nous allons nous assoir dans la voiture et vous allez me raconter ce que vous avez vu.
Une fois dans la voiture, un crayon à la main Paul reprend : « Bon, racontez-moi ce que vous savez, madame Châteauneuf… »
                -Pas grand-chose en fait. Nous devions partir pour notre prochaine étape, on devait se rendre jusqu’à Montebello à travers les routes secondaires…
-Jusqu’à Montebello, environ soixante kilomètres…
-Oui, c’est ce qu’on fait chaque jour à peu père; notre destination finale est Montréal. Et chaque jour, on essaye toujours de partir assez tôt le matin, surtout les journées de soleil pour éviter les grosses chaleurs. Et au moment de partir, après le petit déjeuner, la sœur Gisèle nous a dit de passer par le Sentier des pèlerins, parce que ça valait le coup d’œil, et c’est vrai que c’est très beau. Comme il y a une sortie au bout du terrain qui donne sur la route, nous n’aurions pas besoin de revenir sur nos pas. Nous marchions à côté de nos vélos, et juste au moment où on allait prendre la sortie…
-Prenez votre temps… Qu’est-ce qui s’est passé ?
-Juste au moment où nous allions prendre la sortie j’ai jeté un dernier coup d’œil sur ce bel endroit et j’ai vu un drôle de forme, comme une forme humaine… couchée, affaissée. C’était caché à travers les branches, et je me suis demandé ce que ça pouvait être. Et quand je me suis approchée, j’ai vu… j’ai vu…
-Vous avez vu le corps de deux personnes mortes.
-Oui ! C’était horrible ! J’ai crié vers les autres et ils se sont approchés… Et là, on ne savait pas quoi faire… je crois que c’est Jean-Jacques qui a téléphoné au 911.
-Et qu’avez-vous fait ensuite ?
-On est juste restés groupés près de la sortie et on a attendu la police.
-Merci, madame; nous allons sortir maintenant et j’aimerai que vous me montriez où est-ce que vous étiez exactement. Nous ne nous approcherons pas des corps inutilement, je vous le promets.
Paul fait passer Alexandra sous le cordon de sécurité et celle-ci le mène à son tour à un endroit bien précis.
-Voilà, c’est ici que j’étais quand j’ai voulu jeter un dernier coup d’œil…
-Et le banc avec les corps est en arrière de ces petits arbres… Je vois… Merci beaucoup, madame Châteauneuf.

Le deuxième était son mari, Martin Brisson. Paule est resté au même endroit pour bien reconstituer les événements.
-Nous sommes des gens à la retraite ou en semi-retraite, nous sommes des amis des longue date, nous habitons sur la Rive-Sud de Montréal; moi et Alexandra Longueuil, et Diana et Frédérique à Saint-Hubert. Emma et Jean-Jacques habitaient aussi à Saint-Hubert, mais il y a deux ans, à la retraite de Jean-Jacques, ils se sont achetés une maison à Saint-Hilaire, une belle maison. Nous aimons tous faire du vélo, et chaque année depuis trois, quatre ans… c’est ça, oui, ça fait faire notre quatrième excursion, on organise un circuit de vélo. Partir de la Rive-Sud, c’est très pratique. La première année on est allés à Sherbrooke en dix jours, ce n’est pas trop difficile, les routes sont assez faciles. Ensuite, on est allés à Québec, et puis on a fait les Laurentides, la Piste du Petit-train-du-Nord; et cette année on est allés à Ottawa, par la rive sud pour aller en passant par Vaudreuil, Hawkesbury, Orignal, etc, et là nous sommes sur le chemin du retour. Il nous reste trois étapes avant de revenir chez nous.
-Quand Alexandra a crié, où est-ce que vous étiez ?
-J’étais… juste ici ! dit Martin en montrant un endroit tous près du passage dans les sous-bois qui mène à la route.
« J’ai laissé mon vélo sur place et je suis allé voir moi aussi. J’ai pris Alexandra dans mes bras, qui était comme dans un état de choc. Ça se comprend. Jamais on imaginerait trouver des cadavres dans un endroit comme ici.
-C’est vous qui avez appelé le 911 ?
-Non, c’est Jean-Jacques. Lui et Emma étaient déjà engagés dans la sortie, mais ils ont rebroussé chemin quand ils ont entendu Alex. Diana et Frédérique étaient passés en premier et ils étaient déjà rendus sur la route et quand ils ont entendu nos cris. Frédérique a laissé Diana surveiller les vélos et il est revenu en courant, et lui aussi a tout vu.
-Merci monsieur Brisson.
-Est-ce qu’on va pouvoir s’en aller ?
-Oui, bientôt sans doute; je dois parler aux autres.
-C’est que chaque jour nous avons une étape à franchir; on a fait nos réservations à l’avance à chacune de nos étapes. Si on part trop tard, on ne pourra pas rejoindre Montebello et on va perdre nos réservations.

-N’ayez crainte, monsieur Brison; s’il le faut je demanderai à mes hommes de vous amener jusqu’à Montebello.

mercredi 5 avril 2017

Un lieu de repos

David Fines

Chapitre 1

                On ne s’arrête pas sciemment dans la Vallée de la Petite-Nation, ou alors vraiment c’est exceptionnel. Déjà à l’époque de la vieille route, la 148, qui longe la rivière Outaouais sur son versant nord, sa rive gauche, d’Ottawa à Montréal, on la dépassait sans même s’en rendre compte, sans même y prêter attention. Le seul arrêt qui s’y mérite la moindre attention est le Château de Montebello, mais situé au bord même de l’Outaouais on ne se trouve déjà plus dans la vallée de la Petite-Nation.
On y voyait bien de la route 148 les indications pour la seule attraction touristique digne de ce nom de la région, la Chute-de-Plaisance, mais comme, à l’époque, il fallait pour s’y rendre emprunter une petite route secondaire, puis un chemin de terre, bien des visiteurs rebroussaient chemin. Et depuis que l’autoroute 50 permet de se rendre d’Ottawa à Montréal en moins de deux petites heures, alors cette vallée passe encore plus inaperçue. C’est bien dommage !
Bien dommage parce cette Vallée de la Petite-Nation révèlera bien des surprises à qui voudra bien s’y attarder et la parcourir tranquillement, en musardant au gré de ses langoureux côteaux et des aguichantes sinuosités de ses routes. Tout au nord, on pourra passer quelques jours au centre touristique du Lac Simon aux magnifiques paysages paisibles et retirés; puis et en descendant vers le dus on découvrira soit les restes d’une ancienne scierie qui a été en usage jusqu’au milieu du 20e siècle, ou encore les dernières ruines d’un moulin qui remontent à plus de deux cent ans; on pourra observer en automne, dans une réserve naturelle, près de Verly, une colonie de bernaches, c’est-à-dire, des oies du Canada; ou encore, on pourra s’arrêter, et y faire de savoureuses dégustations, chez des producteurs locaux, qui travaillent à petite échelle, de plus en plus nombreux, de produits du terroir : légumes en tous genres, petits fruits notamment les délicieux groseilles, cultures biologiques, boulangerie artisanale, micro-brassserie, petits restaurants-terrasses…
Et surtout, surtout, ce qui fait maintenant l’attrait de la région, c’est qu’elle se découvre maintenant extraordinairement bien en vélo. Le réseau des piste cyclables s’est considérablement amélioré depuis deux décennies. Plusieurs chemins de traverse et autres sentiers de chasse ont été réaménagés; de nombreux propriétaires ont accepté que les pistes cyclables traversent leurs terres aujourd’hui en friche. Nombreux sont les touristes, les amateurs de nature ou les photographes en tous genres qui parcourent ce réseau de pistes avec bonheur et délectation. Il est vrai qu’il est très particulier. Il n’est nullement plat comme le long et morne Petit-train-du-Nord, qui ne comprend pratiquement aucune dénivellation, ni accidenté comme l’Estrienne dans la région sud du Québec. Au contraire, on y monte et on y descend, on y grimpe et on y dévale, mais ce qui est extraordinaire, c’est que ce sont toujours de petites collines à la portée de tout le monde, à la mesure de tous les mollets. Et tout ça en pleine nature sauvage à travers forêts et bois; la région n’a pas encore été envahie par le développement domiciliaire comme les Laurentides, à qui personne n’envie les difformités, et ne le sera sans doute pas de sitôt, par ses presque banlieues uniformes et artificielles. On n’y retrouve que très peu de maisons d’été ou de nouvelles constructions. Quel calme ! Quelle paix ! Quel décor que l’on pourrait presque qualifier de « paradisiaque ».
Un groupe de six cyclistes quittait d’ailleurs ce matin-là Plaisance après avoir passé la nuit dans le petit ermitage des Sœurs des Saints noms de Jésus et de Marie. Les SNJM, comme elles se désignent communément, (heureusement pour nous !) étaient venues s’installer à Plaisance à la fin du 19e peu après la construction de l’église et de l’école.
L’histoire de Plaisance commence en 1805 avec Louis-Joseph Papineau, seigneur de la Petite-Nation (et comme il a déjà abondamment été question du personnage de Papineau dans la première histoire de Paul et Roxanne « Le crime du dimanche des Rameaux », que vous devez absolument lire si ce n’est pas déjà fait, on ne s’y attardera pas trop.) Disons seulement que c’est lorsqu’il demande qu’on lui construise une maison secondaire dans l’embouchure de la rivière petite-Nation que l’histoire de Plaisance débute.
Quelques autres habitations s’élèvent graduellement autour de celle de Papineau. La construction du chemin de fer en 1877 dans la Petite-Nation permet de construire la première gare dans le village voisin de North Nation Mills permettant ainsi à Plaisance de se développer. En effet, ceci a placé Plaisance comme poste intermédiaire entre North Nation Mills et l’intérieur de terres, ce qui entraîne la construction d’une route afin de transporter les produits de toutes nécessités.
Fidèle à leur mission, les SNJM étaient venues s’occuper de l’école et faire la classe aux enfants de l’agglomération naissante. Marie-Rose Durocher, la fondatrice des SNJM avait vouée sa vie à l’éducation. Marie-Rose Durocher était née sur terre à Saint-Antoine-sur-Richelieu en 1811. Elle a été femme de foi, femme bien incarnée, femme de tendresse et femme d’action. Très jeune, elle avait fait montre d’une empathie et d’un entregent qui étonnaient son entourage. À l’âge adulte, elle a beaucoup œuvré auprès des familles de son temps en vue de donner une éducation complète aux gens de son patelin et des villages voisins; elle portait une attention particulière aux femmes et aux enfants. Comme laïque, c’est-à-dire avant qu’elle ne devienne religieuse, comme chrétienne engagée, elle participera activement à la vie de sa paroisse et s’attardera surtout à visiter les pauvres de sa paroisse. Son dévouement sans faille et surtout la vie simple qu’elle mène suscite l’admiration de tous.
Constatant piteusement l'absence d’écoles en son temps, Eulalie Durocher désirait que toutes les jeunes filles des paroisses puissent recevoir une éducation vraiment chrétienne dans un couvent. Son évêque, Mgr Bourget l’écoutera attentivement et finalement se laissera convaincre. Il permet à Eulalie de réaliser son rêve. En 1843, Eulalie fonde avec deux compagnes, (Mélodie Dufresne et Henriette Céré), la Congrégation des Sœurs des SNJM à Longueuil. La Congrégation est reconnue civilement dès 1845. Sous le nom religieux de sœur Marie-Rose, elle se consacre à l’éducation, surtout religieuse, des enfants. Elle s’éteindra en octobre 1849 et sera béatifiée par le Page Jean-Paul II le 23 mai 1982.
À la mort de Mère Marie-Rose en 1849, six ans seulement après la fondation, trente religieuses œuvrent auprès de 384 élèves dans quatre établissements au Québec.  Dès 1859, douze religieuses sur soixante-douze sont envoyées en Oregon (ouest des États-Unis) pour œuvrer auprès des canadiens-français qui s'y trouvent. Et très vite viennent de nouvelles fondations : en Ontario (1864), dans l'État de New York (1865), en Californie (1868) et au Manitoba (1874).  Et ça n’arrêtera pas, car l’expansion se poursuit en dehors de l’Amérique du Nord : au Lesotho, Afrique (1931) et au Japon (1931-1940), au Brésil et au Pérou (1962), au Cameroun (1970-72) et en Haïti (1975).
Chacune de ces maisons met en valeur l’identité de SNJM qui se déploie selon trois vecteurs : une spiritualité centrée sur les Noms de Jésus et de Marie, une mission éducative à deux volets : l’éducation de la foi et un souci particulier pour les personnes pauvres et défavorisées et un style vie adapté aux engagements particuliers.
La maison de Plaisance ne déroge pas à ces principes. Pendant longtemps les sœurs s’étaient occupées de l’éducation des enfants du village et des environs, de même que le secours aux malades. Au moment où commence cette histoire, l’État du Québec a depuis longtemps pris en main le domaine de l’éducation. Les sœurs avaient donc commencé à ouvrir des cours d’éducation chrétienne à l’église, puis plus tard des sessions sur la croissance personnelle. Elles ne sont plus que cinq dans leur maison et depuis une dizaine d’années elles en ont ouvert les portes. Leur spiritualité est toujours inscrite en haut de la porte d’entrée de leur petit convent : « Je suis venu jeter le feu sur la terre et que désiré-je sinon qu’il s’allume », qui est, comme chacun sait, un verset tiré de l’évangile de Luc (chapitre 12, verset 49).
Leur couvent est devenu avec le temps un lieu de repos et de retraite reconnu dans la région. Si les sœurs ne donnent plus guère de sessions elles-mêmes, plusieurs organisations locales et bien des gens du coin y offrent leurs services : retraites spirituelles, temps d’intériorité, sessions de croissance personnelle, séjours de guérison émotionnelle et affective, cours de connaissance de soi, etc. Les SNJM mettent des salles à disposition de ces divers groupes qui viennent se ressources et offrent aux participants pour un prix raisonnable chambres à coucher et petit déjeuner.
Il est vrai que le lieu est on ne peut plus propice au recueillement et à la méditation. Silence, calme, tranquillité y règnent. Sans oublier que les beautés et les harmonies de la nature environnante élèvent le cœur et l’âme. Avec le temps, les SNJM ont aménagé sur leur terrain qui longe la rivière de la Petite-Nation, un assez long parcours pour de magnifiques promenades dans le calme; c’est un chemin de croix qui n’en a pas l’air, car les « stations » sont formées par des éléments naturels, des arbres, des rochers, une vieille souche, un bras de la rivière, un parterre de fleurs des champs…
Le groupe de six cyclistes qui quitte à l’instant au petit matin le couvent des SNJM, n’a participé à aucune des activités offertes au couvent. Il s’agit de trois couples d’amis qui font en vélo le parcours d’Ottawa à Montréal en une semaine à raison de cinquante à soixante kilomètres par jour. Plaisance a été leur troisième arrêt après le Parc-de-la-Gatineau et Masson-Angers. Ils enfourchent leurs bécanes, en vérifient les freins et les pneus, s’assurent que leurs bouteilles d’eau sont pleines…
Au moment de partir, ils décident de passer par le « chemin de croix » qu’ils n’ont pas pris le temps de voir à leur arriver hier soir. Il y a en effet, leur a dit sœur Madeleine, une petite sortie qui leur permet de rejoindre la route 321 et de là on est tout près de la piste cyclable. La seule recommandation que leur fait sœur Madeleine est de ne pas pédaler dans le parcours mais de le faire à pied. Ils l’apprécieront davantage ainsi.

Ainsi vont-ils, en admirant effectivement la beauté du lieu. Au moment de franchir le petit sentier sous les branches qui rejoint la route, l’une des femmes du groupe aperçoit quelque chose qui l’intrigue. Elle s’approche… et n’en croit pas ses yeux; elle pousse un grand cri : « Oh, mon Dieu ! C’est épouvantable ! Venez voir ! Vite ! »