Cela se passait près d’un lac
Chapitre 22
Roxanne
aurait bien voulu répondre tant au propos de Miguel qu’au ton de sa voix, mais
elle sent sa tête s’appesantir et en quelques secondes elle retombe dans un
sommeil réparateur, en ne laisser échapper quelques marmonnements interrogatifs
indistincts.
Pendant quelque minutes,
Miguel regarde dormir celle que son cœur aime, Roxanne Quesnel-Ayotte, dans les
draps blancs de ce lit d’hôpital. Ses cheveux qu’elle porte attachés quand elle
est en service lui retombent sur ses épaules en ondulations auburn en encadrant
le beau visage tendu. Ses lèvres tout comme ses paupières sont légèrement
crispées, mais tranquillement à mesure que sa respiration se fait plus calme et
plus régulière, elles se détendent aussi.
Miguel se dit
qu’elle aime cette jeune femme, combien il l’aime, même s’ils ne se connaissent
que depuis quelques mois. Peut-être pourront-ils bientôt se mettre en couple, à
Plaisance, à Granby, ou dans une autre ville, dans un autre ailleurs, en
Abitibi, par exemple. Il aimerait bien qu’elle soit la mère de ses enfants.
Mais tous les deux font un métier, certes passionnant, mais dangereux. Les
événements de la veille le prouve on ne peut mieux. Et l’on sait que les taux
de séparation, de divorce, ou même de dépression ou encore de violence conjugale
sont plus élevés chez les policiers que dans la population générale. Jusqu’à
deux à trois plus élevés.
Et nos enfants ? Pourront-ils élever « normalement » des
enfants dont les deux parents vivent dangereusement ? Et en plus des risques inhérents
du métier, mais il y aura aussi le stress de nos deux vies professionnelles. Peut-on
leur faire vivre ça ? l faudra faire bien attention. Et ils auraient en plus un
grand-père policier...
Les pensées de
Miguel se concentrent sur Paul. Il veille Roxanne depuis que Paul est sorti de
la salle d’opération, vers minuit, il y un peu plus de cinq heures. Il a laissé
Juliette à son chevet. Comment va-t-elle
? Commetn va-t-il ?
Il dépose un délicat
baiser sur le front de son aimée et sort doucement de la chambre. Il marche
dans le couloir. C’est encore tranquille sur l’étage mais bientôt les patients
vont s’éveiller et le remue-ménage du matin va commencer : laver et
changer les patients qui en ont besoins, distribuer les déjeuners, faire la tournée
des médicaments, puis ce sera la visite des médecins…
Il s’arrête au
poste.
-La patiente 822
s’est réveillée quelques instants, mais elle s’est rapidement rendormie; tout
semble normal.
-Ah bon… Est-ce
qu’elle a parlé ?
-Oui, on a échangé
quelques mots, mais elle s’est vite rendormie.
-Je vais aller
contrôler ses signer vitaux.
-Moi, je vais voit
son père et je reviens ensuite.
Miguel se dirige
vers l’ascenseur, il doit monter au sixième. Oh, j’irai sans doute plus vite par l’escalier. Il franchit les
trois étages deux par deux. Il cherche Juliette; elle n’est pas dans la salle
d’attente. Il la trouve est dans la salle de réveil. Il y a lits mais pour l’instant,
il n’y en que deux d’occupés; dans l’autre il voit un jeune homme
polytraumatisé. Probablement un accident
de la route. Une vraie plaie. Jeunesse + alcool + vitesse excessive = un
cocktail mortel ! Quand donc comprendront-ils ? Sans doute jamais.
Juliette le voit
arriver. Elle lui fait un petit signe de la main. Il ne se sont vus que deux
fois auparavant. Les deux fois dans la maison de Paul à Plaisance. Ils ont en
commun d’être le « nouvel » amour, l’une de père et l’autre de la
fille. Ça leur fait un lien particulier, une sorte de complicité. Et
maintenant, ils ont un autre point commun : ils sont tous les deux là à
veiller la personne aimée, l’un au troisième, une jeune femme qui a reçu un
violent coup sur la tête, et l’autre, encore plus mal au point…
Le piège tendu avait fonctionné. Les serres d’Edmond Picard servaient
officiellement à la culture des tomates, c’est comme ça qu’elles avaient été
présentées à la municipalité de Brébeuf.
Edmond Picard s’occupait surtout de l’aspect administratif, pour que
tout ait l’air normal et légal. Mais les serres servaient aussi à la culture du
cannabis à grande échelle. Paul-Henri Noiseux était responsable de l’entretien,
de voir à fait pousser les plants, à gérer la température, l’humidité, le terreau.
Quant aux frères Couture, Normand et Marc-André, leur rôle c’était d’écouler
les stocks, approvisionner le marché de toutes les Laurentides, de Saint-Jérôme
(l’une des villes les plus dangereuses du Québec) à Mont-Laurier, deux cents
kilomètres au nord, un bon territoire en développement plein de potentiel. Ils
pouvaient même alimenter au besoin l’Abitibi ou quelques secteurs d’Ottawa. C’est
ce qu’il avait fait au printemps dernier. L’un des informateurs d’Ottawa du journaliste
Simon-Pierre Courtemanche l’avait averti, lui parlant de mouvements inusités
dans le trafic du cannabis. Il n’avait pas voulu publier la nouvelle tout de
suite mais voulait tout d’abord creuser l’affaire pour être sûr de son fait. Il
avait aisément découvert que les nouveaux fournisseurs étaient les deux frères
Couture, qui avaient une demeure à Saint-Michel. Courtemanche avait longtemps
fouiné et passé et repassé par tous les petits chemins de Saint-Michel, mais il
n’avait rien trouvé qui pouvait servir d’entrepôt ou d’usine de fabrication.
Puis un jour ils les avaient suivis et la piste
aboutissait à Brébeuf. Après quelques jours de recherche il avait bien vu que
l’endroit idéal pour une culture de produit illicite ne pouvait être que les
serres d’Edmond Picard, mais il voulait en être sûr. Il avait même déduit que
le lieu devait avoir une autre issue, un chemin de traverse au milieu des
forêts qui évitait aux frères Couture de passer par la grande route, car il
n’avait jamais croisé aucun camion ou fourgonnette, pouvant transporter la
marchandise vers les marchés de Saint-Jérôme et d’ailleurs. Une nuit, dans la
nuit du vendredi à samedi, il avait laissé sa voiture au bord du chemin et été
allé voir à pied. Il n’y avait aucune lumière; tout était éteint. La porte du
petit bureau adjacent n’a pas été un obstacle pour quelqu’un habitué aux
filatures.
Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’au-dessus de ce petit
bureau, sur le toit, il y avait une plateforme qui donnait sur l’entrepôt même,
qui servait pour les sacs d’engrais. C’est là aussi que dormait Noiseux. Il
s’était aménagé un lit pliant, pour surveiller les lieux jour et nuit. Le bruit
de la porte l’avait réveillé, puis il avait vu le faisceau de la lampe de poche
du journaliste. Du haut de son promontoire, il avait empoigné un sac de 22
kilos et l’avait balancé sur la tête du journaliste, qui s’était affaissé. Puis
il lui avait sauté à pied joint pour l’immobiliser. Il s’était foulé la
cheville en tombant et n’avait pas pu se relever immédiatement.
Quand en fin, il peut se relever, il crie après l’intrus :
-Alors, tu pensais m’avoir, mon fouineux !?
Mais il n’obtient pas de réponse. Et pour cause. Le
sac écrase le visage de Simon-Pierre Courtemanche qui ne pouvant plus respirer
est mort étouffé.
À leur arrivée, les frères Couture n’ont pas été très
contents de voir le corps sans vie du journaliste; ils ont décidé de le jeter
dans le lac Dansereau, où il sera découvert par le père Jean-Marc Bouchard, le
lendemain.
Mais en même temps, il se sont dits que ce serait une
bonne parade les prochains intrus. Quand Paul était venu les voir à leur maison
de Saint-Michel, ils ne savaient que ce serait qui tomberait dans leur piège.
Ils étaient arrivés aux serres par le chemin de traverse à partir de
Saint-Jérôme. Ils avaient vu la voiture de Paul et de Roxanne. Chacun était à
son poste. Noiseux sur la plateforme, Normand dehors vers la droite (le côté que
prendre Roxanne) et Marc-Henri de l’autre côté, pour parer à toute éventualité.
Noiseux fera le même chose pour Paul que pour Simon-Pierre Courtemanche. Aux
cris de Roxanne Marc-Henri s’était précipité et c’est lui qui l’avait assommée d’un
coup de bâton de baseball. Si Paul et Roxanne n’avait pas prévu être attendus,
les malfrats eux n’avaient pas prévu eux l’arrivée rapide des renforts.
Mais Paul a passé de longues minutes sous le sac
d’engrais, son cerveau a manqué d’oxygène. On l’a opéré d’urgence pour soulager
la pression sur le cerveau, et on l’a ensuite placé dans un coma artificiel.
Miguel murmure.
-Bonjour Juliette…
-Bonjour Miguel. Juliette s’est réveillée ?
-Oui, tout va bien; elle a dit quelques mots… pour
demander des nouvelles de son père. Comment va -t-il ?
-On m’a dit que l’opération s’était bien passée; on a
retiré une bonne quantité de sang de la boîte crânienne. On m’a dit que sa vie
n’est plus en danger, mais pour le reste on ne pouvait rien dire de plus. C’est
à peu près sûr qu’il aura des séquelles; mais lesquelles et combien sérieuses ?...
On ne pourra le savoir qu’à son réveil.
Dans sa chambre, Roxanne se réveille.
Miguel n’est
plus là. Il va certainement revenir bientôt et me donner des nouvelles de papa…
Pauvre papa ! Est-ce la fin de sa carrière ? C’est possible; en tout cas de sa
carrière active… Est-ce ce qu’on va le remplacer ?... Il faudrait que je retrouve
cette Anne-Sophie et que je l’aide à son sortir. Si elle veut vraiment devenir
policière, on l’aidera, c’est certain…
FIN