lundi 24 novembre 2014

Soixante ans de pen

                Aussi loin que j’me souvienne, j’ai toujours été en prison, au pen. Je n’sais pas trop ce qui s’est passé, mais j’ai du y rentrer très jeune, avant l’âge de raison peut-être. Je n’ai aucun souvenir de ma vie avant.
                Je me plains pas. On me nourrit; j’ai mes trois repas par jour, je mange bien; c’est fade, c’est monotone, ça manque de sel, pis le café est souvent tiède, mais c’est correct. J’ai quelques loisirs, la télévision surtout, je r’garde des films, des jeux, des séries; je r’garde le hockey l’hiver, pis le baseball, l’été. J’peux lire des livres, des journaux, j’ai même droit à des revues cochonnes. Je peux fumer si j’en ai envie, mais il faut que j’paye mes cigarettes avec mon allocation. J’ai des activités; je peux faire du sport dans un gymnase, je peux aller dehors faire une marche; dans la cours du pen il y a même un petit jardin que j’arrose une fois par semaine l’été. Il y avait aussi une piscine, mais elle a été fermée. Faut croire que c’est pour des raisons de sécurité. Je prends ma douche deux fois par semaine. Le matin, je pars travailler; je fais le ménage dans d’autres parties du pen, je nettoie les toilettes, je mets du papier à mains, je lave les planchers, je passe la moppe, je passe la polisseuse, j’astique le bord de fenêtres, je vide les poubelles. Comme il y a pas grand monde à qui parler, j’dis bonjour aux gens que je croise, d’autres prisonniers comme moi ou même des gardiens, sans que je sache faire toujours la différence. Il y a un homme qui me salue toujours et qui me sourit, c’est peut-être l’aumônier, je ne sais pas, j’lui ai jamais demandé. Je rentre à midi pour manger, pour me détendre. Puis le soir, quand j’ai fini mon ménage, je reviens au pen pour la nuit. Il y a peu de gardiens, en tout cas j’en vois pas beaucoup. La prison, c’est pas mal dans la tête. On finit par s’habituer. C’est d’même. Après quarante ans, on le sait; on sait qu’on ne peut pas s’échapper, pas la peine d’essayer; on sait qu’on va finir ses jours en prison; je sais que j’ai commencé ma vie en prison pis que je finirai mes jours en prison; c’est la vie, c’est le destin. J’connais trop ces murs pis ces couloirs pour vouloir en changer. J’pense que je saurais même pas quoi faire dehors. J’pense même que c’est mieux d’même. Je s’rais ben qu’trop dépaysé. Moi dans mon dossier SGD, c’est écrit « sentence indéterminée »; ça veut dire que j’ai eu une sentence pour un crime que j’ai commis mais que je ne sortirai seulement lorsqu’un juge jugera que toutes les conditions seront en place; autant dire jamais.
Ça ne m’empêche pas de dormir, non. Je dors bien. Des fois je m’dis qu’ils ont peur que j’me réveille pas, ils ont peur de que je meure en dormant. Tout ce que j’sais, c’est que j’en ai pour soixante ans. Après un certain âge, on te fait plus travailler. On te laisse tranquille, on te laisse mourir tranquille. On autant que t’es pas trop malade, ça va. Des fois, j’me dis que c’est pas une vie; j’me dis que soixante ans de pen, c’est pas une vie, mais c’est la mienne, je n’en ai pas d’autre, pis dans le fond, est-ce que je voudrais en changer ? J’connais rien d’autre que l’pen. J’me souviens de rien d’avant.  Où c’est que j’pouvais bien être avant ?... J’le sais même pas. Les murs sont repeints régulièrement. J’ai droit au coiffeur qui me coupe les cheveux ben courts; il y a un dentiste; pis j’peux aller voir l’infirmière si j’en ai besoin, elle est ben fine, pis cute à part de d’ça. Je lui dis un beau bonjour mademoiselle avec un beau sourire. Elle a une voix douce; pis elle a des beaux yeux, pis une belle bouche; des fois, j’me revire les yeux pour voir son postérieur. Elle me donne des pilules. C’est vrai que j’ai pas droit d’avoir de femme. Ça c’est dur. Je sais ben que j’étais pas fait pour vivre avec quelqu’un, mais jamais de femmes, c’est dur…
Une fois par année on me prend en photo pour mon dossier SGD; des fois j’souris, des fois je souris pas. Pis qui c’est qui va le regarder. De temps en temps je rencontre le psychologue, pour voir si je ne suis pas devenu fou. Hi, hi, hi. J’lui raconte toutes sortes d’histoires insignifiantes pour me faire plaindre un peu, pis il trouve que j’suis pas fou en fin du compte. J’voudrais surtout pas qu’il m’envoie voir le psychiatre; j’voudrais surtout pas être enfermé avec les fous ! Je vois aussi mon ALC, mon agent de libération conditionnelle, mais qu’est-ce qu’il peut bien me dire ? je ne serais jamais en libération conditionnelle. J’ai pris soixante de pen.

Pis, au fil du temps, je me suis aperçu d’une affaire, j’en ai découvert une comique : je ne suis pas le seul ! Il y a en ben d’autres dans mon cas, ben ben d’autres comme moé qui sont au pen pour ben longtemps. Pis le pire c’est qu’eux autres non plus, ils savent pas pourquoi. Ça s’rait-tu que c’est injuste ? Ça s'peux-tu de venir au monde pour être envoyé au pen ? J’sais pas trop.

lundi 17 novembre 2014

Dix mois

Le jour où les jours ont pris fin annonçait la fin de la vie sur terre.
Les trente personnes qui se trouvaient dans la station orbitale JICA (Joint International Cosmos Adventure) avaient regardé se dérouler les événements au début avec surprise, puis de plus en plus perplexes. Elles avaient essayé de ne pas s’alarmer (après tout elles avaient été sélectionnées pour leurs qualités de leadership, pour leur capacité à dominer leur stress et leur habilité à réagir aux situations d’urgence) mais quand toutes les communications avec la Terre s’étaient éteintes, là elles s’étaient rendu compte qu’il se passait quelque chose de grave.
Dans la station orbitale se trouvaient surtout des scientifiques; et les scientifiques ne se font pas la guerre. Spécialistes en cosmographie, en astronomie et en astrophysique côtoyaient botanistes et experts en exobiologie; médecins, géochimistes et mécaniciens parlaient le même langage et s’entendaient sans problème.
Le commandant de l’équipage avait bien entendu su vite prendre les choses en main.
JICA continuait son irrésistible ballet autour de ce qui avait été la terre. Après plusieurs semaines de tentatives infructueuses, il n’y avait toujours pas ni communications avec la terre si même signes de vie. Les seules images sur les écrans étaient des scènes de destruction, de dévastation, de gigantesques marées noires, de continents morts. Il avait bien fallu se rendre à l’évidence : la terre ne répondrait plus jamais !
La station orbitale comme tel n’était pas en danger et aucun de ces trois dizaines de rescapés ne se sentait que sa vie était menacée. Les immenses panneaux solaires de la station orbitale pouvaient lui fournir suffisamment d’énergie aussi longtemps que brillerait le soleil, c'est-à-dire environ cinq milliards d’années. Les plantations hydroponiques et les cultures bactériennes approvisionneraient ses occupants en nourriture sans problème. Toute l’eau était recyclée, et, par malchance, les réserves venaient à diminuer, on savait comment trouver de la glace sur une comète de passage. On avait décidé de cesser toutes les expériences sur les spécimens d’animaux qu’on avait embarqués à cette fin. Il fallait sauver ce qui pouvait être sauvé.
Un problème tout de même, un vrai, était vite apparu : l’avenir de la JICA et de l’existence humaine ne pouvait plus être assuré que par une nouvelle génération. Il fallait donc faire des enfants.
 Toutes les femmes présentes étaient en âge de procréer. Lesquelles seraient désignées  en premier pour tomber enceinte ? avait posé le commandant. Il y eut de longues et difficiles discussions.
Finalement, c’est aux couples déjà formés qu’on demande alors de se mettre à l’œuvre pour assurer une l’indispensable progéniture. Et devant l’urgence de la situation, ils se disent qu’ils doivent bien accepter.
Quand l’une des femmes devient enceinte, quelques semaines plus tard… on fait la fête dans JICA ! On sort quelques bouteilles de la réserve du commandant. Les deux médecins la suivent avec attention. Puis une deuxième femme quelque trois mois plus tard, se découvre à son tour enceinte. L’espoir grandit. Puis une autre aussi. L’optimisme règne. Entretemps, de nouveaux couples se sont formés. On va leur montrer à ces incapables, ce qu’eux qui forment l’élite de l’exploration spatiale peuvent faire.
Au septième mois, de sa grossesse la jeune femme a quelques complications; elle est prise de violentes nausées. Elle a quelques petits saignements et surtout son abdomen est continuellement secoué de violents de mouvements de bras, de jambes, de la tête. Comme si tous les petits membres du futur bébé se faisaient aller tous à la fois et sans arrêt. Malgré les soins de l’équipe médicale et l’attention de tout l’équipage l’état de la jeune femme ne s’améliore pas. Bientôt, la pauvre ne peut même plus dormir. Elle est épuisée, elle ne peut plus s’alimenter par elle-même. Sa santé se détériore. Son mari et les autres s’inquiètent. Les médecins décident qu’il faut faire naître le bébé en procédant à une césarienne. On met la future maman sous anesthésie et on la conduit à la clinique transformée en bloc opératoire. L’équipe médicale fera de son mieux.

Le médecin est allé voir le commandant :
- Oui, c’est ça, nous avons du détruire le « fœtus ». Et on va immédiatement opérer les deux autres femmes.
Pendant ce temps, la jeune mère se réveille; son mari est à son chevet.
-Qu’est-ce que c’est ? Un garçon ou une fille ? Vite, dis-moi !... 

lundi 10 novembre 2014

Avoir un enfant

                -Oh, et puis on ne vous a pas dit qu’on allait voir un enfant !...
                -T’es enceinte !?
                -Non, pas moi ! Es-tu folle ?? Non, qu’est c’est qu’vous pensez ? On a fait appel à une mère porteuse ! Mais ça faisait vraiment longtemps qu’on en voulait un; on a bien pensé à notre affaire, et puis finalement on s’est décidé. Qui aurait cru ça, hein Ti-Loup ?
 -On pense que c’est vraiment le temps idéal pour prendre la décision, Minou pis moi. On a tous les deux un emploi, avec une bonne pension; on a la maison, les deux voitures, on a encore quelques dettes, mais rien d’ingérable. Il faut pas oublier qu’un enfant ça coûte cher; il faut être capable d’assumer les dépenses. On dit qu’élever un enfant jusqu’à l’université, ça coûterait proche de 500 000 dollars. C’est inhumain de faire des enfants sans pouvoir leur assurer le minimum, sans leur fournir un certain niveau de vie. Il faut pouvoir lui assurer un avenir.
-Pis moi j’pouvais pas perdre une année de salaire, au moins ! pour tomber enceinte. Ça fait que pour trouver une mère porteuse, on a mis une annonce sur internet; vous savez il y a pleins de sites exprès pour ça; pis ça, ça va partout dans le monde. On a trouvé une jeune femme de l’Ontario. Au Québec, il y a bien que trop de tracasseries administratives ! Ça en finit plus, mais nous on a cherché aux États-Unis, les lois sont moins strictes, pis c’est proche. Mais finalement on a trouvé en Ontario. Une fois trouvée la mère porteuse, j’aurais pu aller en clinique de fertilité pour me faire extraire quelques ovules comme on a pensé au début, mais vous savez que c’est, j’ai pas le temps, pis on sait jamais, les conséquences à long terme, tout ça, ça pourrait affecter ma fertilité future, ou même ma santé; j’suis pas si forte que ça quand même. J’voulais pas trop me faire jouer dedans, pis me faire rentrer toutes sortes de seringues, j’sais pas... Non, non ! pis les hormones et les médicaments, moi je ne sui pas trop forte là-dessus. On a acheté des ovules sur internet, pas de n’importe qui, non, non, une jeune femme de Pennsylvanie.
-Des fois que l’ovule  parlerait anglais !
-Ti-Loup !! C’est pas la première fois qu’il la fait celle-là, mais moi j’dis qu’il faut pas faire de farce avec ça ! On sait jamais; ça peut porter malheur. Ça arrive tout congelé dans un paquet exprès, c’est vraiment pratique. Ensuite, là on est allés dans une clinique d’infertilité, Oh ! mais avant ça… vas-y, toi, Ti-Loup.
-Ben,  comme je sais que mon sperme n’est pas de bonne qualité, ça, ça vient sans doute de mes parents, en tous cas c’est quelque chose de génétique, on est allé dans une banque de sperme. Des banques privées, il y a plusieurs à Montréal, il y en avait même une à Brossard, quand on y pense ! On a le droit de choisir le donneur, on connait tout sur lui, son âge, son origine ethnique, ses caractéristiques physiques, combien il mesure, combien il pèse. La seule chose qu’on a pas eu, c’est une photo. Mais on a trouvé quelqu’un qui, dans l’ensemble me ressemble pas mal.
-Là on est parti dans une clinique de fertilité avec la mère porteuse, le spécimen de perme qu’on avait choisi et notre ovule et ils ont tout bien fait ça. Heureusement que tout était remboursé par l’assurance-maladie. Ils ont fécondé l’ovule avec le sperme. Pis le plus beau, c’est qu’on peut tout suivre l’évolution de l’embryon au jour le jour, il y a une même une application sur ton téléphone cellulaire, tu peux tout voir ! Le troisième jour, ils ont introduit le mini embryon de notre futur enfant dans l’utérus de la mère porteuse, qui a subi un traitement aux hormones. Je te dis que la seringue elle est longue comme ça, moi qui a peur des piqûres ! Mais faut ce qu’il faut comme on dit ! Mais tout c’est déroulé numéro un ! La mère porteuse vit sans son appartement en pas tellement loin d’ici et elle va à la clinique une fois par semaine. Tout est légal : on n’a pas triché ! On lui a fait signer un papier comme quoi cet enfant était à nous et qu’elle ne le réclamerait pas. Elle ne recevra que la somme promise.
-On s’est acheté un livre sur tous les prénoms du monde : il fallait lui donner un prénom fort, il faut qu’il parte du bon pied dans la vie, quelque chose comme Pierre-Alexandre ou Charles-Antoine.
-Pendant longtemps on a pensé à Désiré... Mais finalement on a lu dans notre livre que Félix, ça voulait dire : Bonheur. Cet enfant-là va être notre «  bonheur » toute notre vie !

-Tenez voilà une photo de notre futur bébé, on sait déjà que c’est un garçon. On l’a mis sur tous nos sites Facebook. Vous pensez ! Il mérite bien ça. On pourra même assister tous les deux à l’accouchement ! Après tout c’est notre enfant à nous ! Tiens, j’ouvre une autre bouteille pour fêter ça !

lundi 3 novembre 2014

Marie-Marthe a un cancer

                À l’université, Marie-Marthe avait fait comme bien d’autres avant elle et bien d’autres après elle : elle avait commencé des études en psychologie puis avait dévié vers l’enseignement parce qu’elle avait trouvé les études en psycho trop rigides, trop académiques, trop désincarnées. Elle, elle voulait surtout aider les autres, travailler avec les gens. Et quand elle avait fait ses stages, elle s’était aperçu qu’elle aimait ça travailler avec les enfants.
À son premier poste, dans une école de Ville-Émard, une banlieue peu favorisée de Montréal, on lui avait confié une classe de deuxième année. Elle avait devant elle vingt-quatre bout d’choux, à qui elle faisait croître les apprentissages, à qui elle apprenait à lire et à compter; elle leur faisait découvrir tant les rudiments de la langue française, les mots, les syllabes, que les quatre opérations mathématiques; elle leur donnait leurs premiers notions de géographie, et les grands principes du cours d’enseignement éthique et culture religieuse. Elle aimait les voir progresser; elle était fière d’elle.
Marie-Marthe s’était acheté une voiture, une petite maison et les meubles pour la remplir dont un vélo d’exercice dont elle ne se servait pratiquement jamais. Elle avait aussi des étagères pleines de livres. Les fins de semaine, elle sortait avec des amies avec qui elle prenait quelques bières et quelques joints. Elle avait eu des amants, périodiquement et temporairement. Celui qu’elle avait gardé le plus longtemps, c’était François, le père célibataire en garde partagée de l’un de ses élèves, Pascal, un mignon petit garçon. Il était écrivain amateur, musicien de talent, végétarien, pacifiste, militant de gauche et écologiste convaincu. Ça avait duré presque une année complète. Il était venu à la rencontre avec les parents en automne et ils étaient tous les deux tombés sous le charme de l’autre. Ils avaient projeté de partir en vacances les trois ensemble dans les Maritimes en camping pendant les vacances estivales. Mais à la fin juin, il avait fait une dépression dont il ne s’était pas bien remis.
                Elle l’avait bien regretté. Et Marie-Marthe avait poursuivi son train-train quotidien d’enseignante au primaire, semaine après semaine, se dévouant pour des cohortes d’enfants sans jamais ressentir l’envie d’en avoir elle-même. Elle profitait de ces longues vacances pour voyager. Elle était allée en France, en Allemagne, en Suisse, en Italie, en Islande. Un été, elle avait voulu voir l’Australie. Elle passait une semaine par année, chez ses parents en Abitibi, qui se faisait vieux mais qui ne voulaient pas quitter Malartic. Une année, à Noël, elle avait invité toutes ses amies dans un chalet qu’elle avait loué dans les Laurentides pas très loin d’un centre de ski. Ça lui avait coûté une petite fortune, mais elles s’étaient bien amusées.
                Un peu après avoir le cap de la trentaine, c’est le choc : un matin en prenant sa douche, en se préparant pour aller à l’école, Marie-Marthe sent une petite boursouflure sur le côté de son sein gauche. Toute la journée elle est inquiète; pour le faire exprès, les enfants sont plus turbulents que d’habitude. Sur l’heure du midi, elle téléphone pour prendre rendez-vous… dans deux semaines ! Deux semaines à se faire du mauvais sang, deux semaines à stresser !
Elle a toujours fait ses auto-inspections routinières, explique-t-elle au médecin, qui examine ses seins sous toutes les coutures. Il l’envoie passer une mammographie : encore six semaines de plus à s’inquiéter ! C’est la première fois qu’elle passe une mammographie. La technicienne essaye tant bien que mal de la mettre à l’aise lui expliquant ce qu’est la nouvelle technologie numérique, CR. Les résultats lui seront communiqués par son médecin. Un autre mois d’attente. Ce jour-là, peut-être que son médecin est pressé, peut-être a-t-il eu une mauvaise journée, mais c’est presque brutalement qu’il lui annonce le diagnostic de cancer. Elle doit se faire opérer de toute urgence.
Marie-Marthe entend le médecin lui dire qu’elle devra passer une biopsie pour qu’on soit vraiment sûr, et lui signe une ordonnance. La biopsie est un examen envahissant, on lui fait un prélèvement avec une assez grosse aiguille. L’attente des résultats de la biopsie est très angoissante. C’est le premier été depuis longtemps où Marie-Marthe ne fera pas de voyage. Elle réfléchit plutôt à tout ça, assise sur le balcon de sa maison, se disant que la vie est injuste et fragile. Devrait-elle appeler sa mère ? Pourra-t-elle recommencer à enseigner en septembre. Elle a déjà demandé un congé de maladie d’un mois qu’elle devra certainement renouveler. Que se passerait-il s’il lui arrivait quelque chose ?  
Le médecin qui a étudié les résultats de la biopsie a conclu à un cancer de type carcinome lobulaire infiltrant. Elle devra vivre avec un sein en moins. Une mastectomie !
Encore un autre mois d’attente avant son hospitalisation. L’opération se passe bien. Personne ne vient la voir car finalement elle ne l’a dit à personne; sa voisine s’occupera de nourrir son chat, d’arroser ses plantes, de ramasser le courrier.
Le chirurgien vient la voir dans sa chambre le lendemain même, le sourire fendu jusqu’aux oreilles. Elle a bien fait ça. On va faire des analyses. Elle devra prendre des médicaments pendant quelques mois. Quand ce sera cicatrisé, on lui prendra des mesures pour une prothèse. Et pendant les prochains jours ce sera le médecin de gare qui s’occupera d’elle.
                Marie-Marthe devra apprendre à vivre avec un seul sein, comme une demi-femme. Elle dort mal; elle fait des régulièrement des cauchemars. Prendre une douche est un véritablement calvaire. Elle pleure et pleure sans pouvoir s’arrêter. Regarder sa cicatrice est une torture morale à la limite du supportable. À son retour au travail, en novembre, elle sent qu’il y a quelque chose d brisé en elle. Elle essaye tant bien que mal de garder son naturel avec les enfants, mais que les journées lui semblent longue ! Ses collègues remarquent bien qu’elle est différente. Mais elle n’ose pas parler de ce qui lui est arrivé, de ce qu’elle est devenue. Juste une fois, après les heures de classe, en larmes, elle se confie à sa directrice. Elle ne sort plus avec ses copines d’ailleurs la plupart d’entre elles sont maintenant en couple et ont des enfants. Pour Marie-Marthe, c’est fini l’amour, fini la vie; elle n’osera plus draguer comme avant. Quel homme voudra d’elle ? Quel homme la désirera ? Quel homme la regardera dans l’état où elle est ?
 Deux années passent. Marie-Marthe a fini par le dire à ses parents. Elle s’étiole et ils se désolent sans rien pouvoir faire.
Jusqu’au jour où Marie-Marthe reçoit une de lettre la convoquant à l’hôpital.
                -Qu’est-ce qu’il y a ? On m’a découvert un deuxième cancer ?
                Non, ce n’est pas ça; c’est pire, pire que tout ce que Marie-Marthe pouvait imaginer : elle n’avait pas de cancer, on lui a fait l’ablation du sein pour rien. Selon une analyse de l’Institut national de santé publique du Québec la technologie CR fait considérablement grimper les taux de faux tests positifs. On imagine même une hausse de 25% de faux diagnostics positifs par rapport à 3% auparavant. Plus cinq mille femmes au total depuis l’introduction de cette nouvelle technologie.
                Et la biopsie ? Cette nouvelle, il y a un mois, dans le journal lui était passée complètement sous le nez; celle de ce médecin, un oncologue, qui n’aurait pas fait son travail de façon professionnelle. L’ordre des médecins spécialistes a demandé que des centaines de rapports d’autant de patientes soient revus par des confrères. Sa biopsie aurait du être évaluée le docteur Hareguy celui qui n’a pas bien fait son travail; en fait, il n’a pas fait son travail et il a rempli des faux rapports totalement erronée; elles sont 228 femmes dans le même cas.