Soixante ans de pen
Aussi
loin que j’me souvienne, j’ai toujours été en prison, au pen. Je n’sais pas trop ce qui s’est passé, mais j’ai du y rentrer
très jeune, avant l’âge de raison peut-être. Je n’ai aucun souvenir de ma vie avant.
Je
me plains pas. On me nourrit; j’ai mes trois repas par jour, je mange bien; c’est
fade, c’est monotone, ça manque de sel, pis le café est souvent tiède, mais
c’est correct. J’ai quelques loisirs, la télévision surtout, je r’garde des
films, des jeux, des séries; je r’garde le hockey l’hiver, pis le baseball,
l’été. J’peux lire des livres, des journaux, j’ai même droit à des revues
cochonnes. Je peux fumer si j’en ai envie, mais il faut que j’paye mes
cigarettes avec mon allocation. J’ai des activités; je peux faire du sport dans
un gymnase, je peux aller dehors faire une marche; dans la cours du pen il y a
même un petit jardin que j’arrose une fois par semaine l’été. Il y avait aussi
une piscine, mais elle a été fermée. Faut croire que c’est pour des raisons de
sécurité. Je prends ma douche deux fois par semaine. Le matin, je pars
travailler; je fais le ménage dans d’autres parties du pen, je nettoie les
toilettes, je mets du papier à mains, je lave les planchers, je passe la moppe,
je passe la polisseuse, j’astique le bord de fenêtres, je vide les poubelles.
Comme il y a pas grand monde à qui parler, j’dis bonjour aux gens que je croise,
d’autres prisonniers comme moi ou même des gardiens, sans que je sache faire
toujours la différence. Il y a un homme qui me salue toujours et qui me sourit,
c’est peut-être l’aumônier, je ne sais pas, j’lui ai jamais demandé. Je rentre
à midi pour manger, pour me détendre. Puis le soir, quand j’ai fini mon ménage,
je reviens au pen pour la nuit. Il y a peu de gardiens, en tout cas j’en vois
pas beaucoup. La prison, c’est pas mal dans la tête. On finit par s’habituer.
C’est d’même. Après quarante ans, on le sait; on sait qu’on ne peut pas s’échapper,
pas la peine d’essayer; on sait qu’on va finir ses jours en prison; je sais que
j’ai commencé ma vie en prison pis que je finirai mes jours en prison; c’est la
vie, c’est le destin. J’connais trop ces murs pis ces couloirs pour vouloir en
changer. J’pense que je saurais même pas quoi faire dehors. J’pense même que
c’est mieux d’même. Je s’rais ben qu’trop dépaysé. Moi dans mon dossier SGD,
c’est écrit « sentence indéterminée »; ça veut dire que j’ai eu une
sentence pour un crime que j’ai commis mais que je ne sortirai seulement
lorsqu’un juge jugera que toutes les conditions seront en place; autant dire
jamais.
Ça ne m’empêche
pas de dormir, non. Je dors bien. Des fois je m’dis qu’ils ont peur que j’me réveille
pas, ils ont peur de que je meure en dormant. Tout ce que j’sais, c’est que j’en
ai pour soixante ans. Après un certain âge, on te fait plus travailler. On te
laisse tranquille, on te laisse mourir tranquille. On autant que t’es pas trop
malade, ça va. Des fois, j’me dis que c’est pas une vie; j’me dis que soixante
ans de pen, c’est pas une vie, mais c’est la mienne, je n’en ai pas d’autre, pis
dans le fond, est-ce que je voudrais en changer ? J’connais rien d’autre que
l’pen. J’me souviens de rien d’avant. Où
c’est que j’pouvais bien être avant ?... J’le sais même pas. Les murs sont
repeints régulièrement. J’ai droit au coiffeur qui me coupe les cheveux ben
courts; il y a un dentiste; pis j’peux aller voir l’infirmière si j’en ai
besoin, elle est ben fine, pis cute à part de d’ça. Je lui dis un beau bonjour
mademoiselle avec un beau sourire. Elle a une voix douce; pis elle a des beaux
yeux, pis une belle bouche; des fois, j’me revire les yeux pour voir son postérieur.
Elle me donne des pilules. C’est vrai que j’ai pas droit d’avoir de femme. Ça
c’est dur. Je sais ben que j’étais pas fait pour vivre avec quelqu’un, mais
jamais de femmes, c’est dur…
Une fois par année
on me prend en photo pour mon dossier SGD; des fois j’souris, des fois je
souris pas. Pis qui c’est qui va le regarder. De temps en temps je rencontre le
psychologue, pour voir si je ne suis pas devenu fou. Hi, hi, hi. J’lui raconte
toutes sortes d’histoires insignifiantes pour me faire plaindre un peu, pis il
trouve que j’suis pas fou en fin du compte. J’voudrais surtout pas qu’il
m’envoie voir le psychiatre; j’voudrais surtout pas être enfermé avec les fous
! Je vois aussi mon ALC, mon agent de libération conditionnelle, mais qu’est-ce
qu’il peut bien me dire ? je ne serais jamais en libération conditionnelle.
J’ai pris soixante de pen.
Pis, au fil du
temps, je me suis aperçu d’une affaire, j’en ai découvert une comique : je
ne suis pas le seul ! Il y a en ben d’autres dans mon cas, ben ben d’autres
comme moé qui sont au pen pour ben longtemps. Pis le pire c’est qu’eux autres
non plus, ils savent pas pourquoi. Ça s’rait-tu que c’est injuste ? Ça s'peux-tu
de venir au monde pour être envoyé au pen ? J’sais pas trop.
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