Le crime du dimanche des Rameaux
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-Tu comprends, ça a l’air que tout ça est un énorme malentendu : ton
agresseur du chemin Vinoy, c’est le père de Jessica, c’est la même personne ! Voilà
ce que je crois qui s’est passé : après avoir appris que sa fille s’était
faite avortée, et persuadé que le pasteur était celui qui l’avait mise
enceinte, il a voulu se venger. Le pasteur n’était pas beaucoup aimé par bien
de gens de Noyan, on lui reprochait d’être trop moderne, de trop changer les
choses, d’être trop prêt des jeunes; il y avait ces soirées du vendredi qu’on
ne pouvait pas contrôler. Toutes ces histoires sur les nombreuses femmes qu’il
aurait séduites et avec qui il aurait eu des relations illicites, on le sait,
ça ne tient pas debout. Mais pour que cette médisance ait pris cette
importance, il fallait qu’il y ait plusieurs personnes qui lui en veuillent,
sinon les gens ne s’en seraient pas occupés. Et Jérôme Abel était de ceux-là; comme Laurent Groulx d’ailleurs.
Alors, Jérôme, comme j’ai dit, persuadé que c’était Sébastien qui avait mis sa
fille enceinte, il a mûrement mijoté son plan. Il l’a suivi sa voiture,
peut-être même qu’il l’a suivi pendant plusieurs jours avant de trouver la
bonne occasion, et sans doute que le pasteur ne s’en est jamais aperçu.
Jusqu’au jour où le bon moment est arrivé, sur le Chemin Vinoy : il s’est
rabattu sur lui le nombre de fois qu’il fallait pour la faire verser dans le
fossé. Ça s’appelle voie de fait grave ou agression armée et peut-être même
tentative de meurtre. Le plus étrange c’est que le pasteur n’a pas porté plainte;
peut-être que Jérôme Abel se douter qu’il ne le ferait pas, je ne sais pas.
-Tu oublies une chose, papa : Jessica a dit qu’elle avait voulu
protéger Denis devant son père, c’est pour ça qu’elle a laissé sa réponse en
suspens, mais peut-être qu’elle cherche encore à protéger son Denis. C’est
peut-être lui et non son père qui a attaqué Sébastien samedi soir ?
-J’ai pensé à cette hypothèse mais je ne crois pas que ce soit le cas.
On a rencontré ce Denis au restaurant et je me dis qu’entre lui et Sébastien,
Jessica devait avoir davantage confiance au pasteur qu’en ce jeune inconstant.
En outre, Sébastien aurait pu se défendre contre Denis. En plus, puis je suis
persuadé qu’il y avait plus qu’une personne qui lui ont rendu visite.
-Oui, je le crois aussi. Au moins deux : Laurent Groulx et Popeye.
Alors, on y va ?
-Attends, je dois aller prévenir Nancy.
-Qu’est-ce que tu vas lui dire ?
-La vérité ! Que le pasteur est au plus mal et qu’elle doit tout
laisser là pour se rendre immédiatement à l’hôpital. On ne peut la laisser dans
l’ignorance. Elle l’aime; elle a le droit de savoir.
Paul n’était pas venu seul à Noyan : se doutant de ce que lui et
Roxanne allait faire, il avait venir deux autres voitures. Il fait signe aux
agents Félix Turgeon et Gabriela Sugni de les suivre jusque devant la demeure
de Jérôme Abel.
-Jérôme Abel, je vous arrête pour voie de fait grave ayant causée de
lésions corporels contre la personne de Sébastien Saint-Cyr. Vous pouvez
demander l’assistance d’un avocat; en attendant tout ce que vous direz pourra
être retenu contre vous.
-Quoi ? Quoi ? J’ai rien fait !
-Monsieur Abel, nous vous soupçonnons d’avoir frappé sa voiture avec la
vôtre pour le faire tomber dans le fossé. Veuillez vous tourner, nous allons
vous passer les menottes.
-Vous avez aucune preuve !
-Nous détenons des preuves que votre voiture est bel et bien celle qui
a heurté celle du pasteur. En plus de ça, nous sommes en train de chercher les
preuves pour vous accuser de la tentative de meurtre de samedi soir de l’avoir
pousser dans son escalier. Vous êtes en état d’arrestation.
-Samedi j’étais à la maison, chez moi !
-Qui peut en témoigner ? Votre femme, votre fille ? Elles ne sont pas
des témoins crédibles. Allez tournez-vous sans opposer de résistance.
-J’ai rien à voir avec l’attaque de samedi !
-Jusqu’à preuve du contraire vous êtes notre principal et seul suspect.
-J’ai rien à voir avec cette
attaque; pour l’autre histoire c’était un accident. Mais je suis jamais allé au
presbytère.
-On sait que c’est vous !
-Vous n’avez pas de preuve !
-Ne vous inquiétez pas, on va en
trouver. Vous autres, venez m’aider !
-C’est pas moi, c’est pas moi !
-Roxanne ! Arrête un peu… Va
m’attendre un peu dehors, OK ? Je voudrais parler seul à seul avec monsieur
Abel.
-Pourquoi ? C’est notre coupable
!
-Va m’attendre près de la
voiture; il ne s’enfuira pas ton
coupable.
-D’accord, mais fais ça vite !
J’ai hâte d’en finir avec cette histoire de meurtre !
-Venez, monsieur Abel, venez vous asseoir, il faut que je vous dise
quelque chose d’important… Il faut que vous compreniez une chose. Vous n’avez
pas de casier judiciaire n’est-ce pas ?
-Non !
-C’est là que je veux en venir : une tentative de meurtre peut
vous valoir vingt ans de prison, pis c’est de ça que l’officier qui est venue
vous arrêter vous accuse; tandis que pour une simple agression, vous pouvez
avoir moins de deux ans, surtout pour une première offense. Je la connais
Roxane, elle ne lâchera pas le morceau; comme elle l’a dit, elle tient son
coupable, elle va tout faire pour trouver des preuves. Pis vous savez, elle est
jeune, elle veut faire ses preuves; elle est ambitieuse, et pour bien se faire
voir de ses supérieurs, ça lui prend un coupable. Je le sais : elle ne
lâchera pas le morceau…
-J’étais pas au presbytère samedi soir.
-Je veux bien vous croire, monsieur Abel, mais à ce que je vois vous
n’avez pas un alibi très très solide. Et puis, je fais une hypothèse, c’est
juste une idée comme ça; qu’est-ce qui nous dit qu’après l’attaque en voiture, que
vous admettez, mettons que quand vous avez-vous que ça n’a pas
« marché », vous n’avez pas recommencé une autre fois ?
-J’vous dit que c’est pas moi.
-Ce n’est pas moi qu’il faut convaincre : il vous faudra en
persuader le juge !
-Qu’est-ce que j’peux faire ?
-Monsieur Abel, j’vais faire un deal avec vous : vous me dites
c’est qui, et moi, en retour, je vous garantis que je vais baisser vos
accusations de voie de fait grave et de tentative de meurtre à celle d’une
simple agression. Une simple agression, pour une première offense, c’est moins
de deux ans, peut-être même un sursis. C’t’un bon deal, non ?
-…
-Vous avez l’choix, c’est risquer vingt ans ou moins de deux ans...
-C’est Popeye qui l’a fait ! Il s’en est vanté partout ! Je l’ai
entendu !
-Seriez-vous prêt à en faire une déposition ?
-Oui, c’est lui, je le jure ! Il l’a avoué que c’était lui !
Ayant confié Jérôme Abel aux agents Turgeon et Sugni qui vont le
conduire au poste de la SQ à Papineauville, Paul et Roxanne se dirigent vers la
maison de Lucien Besson suivi de la deuxième voiture.
-Lucien Besson, dit Popeye, je vous arrête pour voie de fait grave
ayant causée de lésions corporels et tentative de meurtre contre la personne de
Sébastien Saint-Cyr. Vous pouvez demander l’assistance d’un avocat; en
attendant tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous.
-Quoi ? Qu’est-cé qui s’passe.
-Veuillez vous tourner pour qu’on vous passe les menottes.
-Comment ça les menottes ? J’ai rien faite, moé !
-Lucien Besson, n’opposez pas de résistance, sinon nous serons obligés
d’employer la force. Nous sommes quatre et s’il le faut…
-J’ai rien fait, j’vous dis, c’est la vérité !
-Pourquoi tu ne leur dis pas la vérité !
Paul et Roxanne tournent les yeux vers l’arrière du salon, d’où venait
la voix.
-Micheline, mêle-toi pas de d’ça !
Paul intervient.
-Au contraire, mêlez vous-en. Vous êtes Micheline Garon, je suppose.
-Oui.
-Vous êtes la conjointe de Lucien Besson, surnommé Popeye.
-Oui, c’est ça.
-Dites-moi alors : c’est quoi la vérité ?
-La vérité, c’est que Popeye n’est pas coupable.
Pendant un moment, personne ne dit rien. Paul, tout comme Roxanne,
regarde cette jeune femme au visage fermé. Il est fasciné par son expression. Elle dit la vérité.
-Micheline, si vous nous racontiez ce que vous savez.
-C’est Laurent, son oncle Laurent, qui lui a tout manigancé. Quand il
lui a téléphoné, jeudi soir, lui a
demandé de le retrouver en début de soirée, samedi, devant la salle
communautaire, parce qu’il avait quelque chose de ben important à lui dire.
Lui, il reviendrait de sa journée de golf.
(Je sais mais cet alibi ne tient
pas : il pourrait avoir quitter le golf quinze minutes plus tôt, rouler un
peu plus vite et se retrouver devant le presbytère alors qu’on le croyait
encore en chemin.)
-Alors, Popeye s’est rendu au rendez-vous, comme toujours; il a
toujours écouté son oncle, il a toujours fait ce qu’il lui a demandé de faire;
il lui obéit comme petit chien. Il s’est pas posé de questions. C’est ça son
problème; c’est pour ça qu’il veut pas vous dire la vérité, parce que son oncle
lui a dit de la fermé. Mais, moi je n’ai rien à cacher. Alors, il est allé au
presbytère. Et là effectivement, Laurent l’a retrouvé. Mais quand Laurent est
arrivé, il a comme hésité; il ne savait plus si c’était une bonne idée. Son
idée c’était de faire peur au pasteur pour qu’il s’en aille, qu’il déguerpisse
! Il l’haït assez ! Il voulait juste lui faire peur, puis il voulait utiliser
Popeye pour ça, il avait besoin de ces gros bras. Mais en arrivant, il a hésité,
il ne savait plus quoi faire; peut-être que tout d’un coup il a eu peur que
Popeye devienne violent, après ce qui s’était passé ici… J’veux dire, il y a
deux semaines, quand le pasteur est venu ici.
-…
-C’est là qu’ils ont vu que quelqu’un rôdait déjà autour du presbytère.
-Quelqu’un d’autre ?!
-Oui, c’est ça. Popeye était encore dans la voiture, et Laurent était
appuyé contre la fenêtre, e t là il a vu quelqu’un caché dans le groseillier.
Il y a un gros buisson de groseilliers dans la cours du presbytère, puis il y
avait quelqu’un de caché derrière. C’était Raymond Besson.
-L’homme à tout faire ?!
-Oui.
-Dans le groseillier ?
-En fait en arrière. Il espionnait le pasteur. Alors Laurent l’a
empoigné, pis sans rien dire il a fait signe à Popeye de venir. Personne n’a
sonné. Raymond avait sa clé. Il a ouvert la porte et ils sont entrés. Ils
entendaient de la musique en bas. Laurent a appelé : « Pasteur
Saint-Cyr ! » Il est monté il était vraiment surpris de les voir, c’est
certain, mais il n’a pas eu le temps d’ouvrir la bouche. Raymond est devenu
comme fou, il a pris sa guitare des mains et il l’a fait tournoyé au-dessus de
sa tête pis il l’a cassée contre la rampe de l’escalier. « Tiens, prends
ça ! Pis laisse Nancy tranquille ! » Popeye a voulu le retenir, mais il
était comme paralysé par la stupeur. Laurent aussi a figé. Le pasteur a voulu
rattraper sa guitare mais il est tombé dans l’escalier. Il a tout déboulé. Ils
ont entendu un bruit, des cris. Il était étendu, inconscient. Raymond a jeté la
guitare sur lui. Alors, Laurent l’a pris par le bras et l’a vite fait
ressortir. Popeye a suivi; il était comme un zombi. Ils ont ramené Raymond chez
lui, il était venu à pied; il n’habite pas trop loin. Laurent lui a dit de se
coucher et de faire le mort. Puis il a ramené Popeye chez lui en disant la même
chose. Ils espéraient qu’il était juste blessé. C’est ça qui est arrivé.
-Comment vous savez tout ça, Micheline ?
-C’est Popeye qui me l’a raconté… Quand vous êtes venu au bar Lemay
dimanche soir, je vous ai tout de suite remarqué… Ben ouais, vous savez depuis
le temps que je travaille dans ce genre de place-là, il y a pas grand-chose qui
m’échappe. J’ai fais semblant de rien. Mais j’ai senti que vous rôdiez trop près
de mon homme. Alors quand il est parti, je suis sortie la porte d’en arrière et
je suis allée lui demander ce qu’il savait de cette histoire. Je sais qu’il
n’est pas parfait, mais je tiens à lui; c’est vrai qu’il a des défauts, mais il
a aussi des qualités. Je vis avec lui, et malgré tout ce qu’on peut dire,
j’pense qu’avec le temps on peut arriver à se faire une bonne p’tite vie. J’veux
pas qu’il lui arrive du mal. J’veux pas qu’il aille en prison. Quand j’suis
sortie il m’a raconté ce qui s’était vraiment passé. Il m’a juré que c’était
vrai. Je l’ai laissé repartir à la maison, et je suis revenue tranquillement
dans le bar.
-Et personne ne s’est aperçu de votre absence ?
-Les filles m’ont vue, c’est sûr… Mais c’était comme quand une de nous
autres s’en va fumer une cigarette dehors. On dit rien. On est toutes des
filles de la même gang. On s’tient.
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