lundi 26 décembre 2016

Meurtre à la mosquée
Chapitre 8

Dans la voiture, de police qui la ramène chez elle à Gatineau, Stéphanie Aubut repense à sa matinée. Elle sait qu’elle devra revenir demain ou après-demain pour donner un coup de main à la police dans cette drôle d’histoire de meurtre dans une mosquée. Quand elle racontera à son conjoint Antoine ! Ça va faire la une des journaux c’est sûr ! Effectivement, le soir même, il y aura un reportage au téléjournal local; elle y verra Roxanne faisant une déclaration devant le poste de la Sureté du Québec, mais elle n’en apprendra pas beaucoup plus que ce qu’elle sait déjà.
Mains pour l’instant, comme elle l’a fait avec Stéphanie, Roxanne raccompagne Nawaz Zardai à la sortie après lui avoir fait signer sa déclaration.
                -Merci de votre aide monsieur Zardai. Nous vous recontacterons très probablement.
-C’est épouvantable pour la communauté musulmane ! Déjà qui nous sommes visés chaque fois qu’il y a un attentat terroriste quelque part dans le monde, maintenant le gens vous dire de nous que nous sommes des assassins sanguinaires !
                Au-delà de la porte vitrée, sur le parvis du poste de poste de police, la foule s’est dispersée. Roxanne voit quelques petits flocons de neige pesants voltiger tranquillement jusque sur le perron.
                -Avez-vous besoin qu’on vous raccompagne chez vous ?
                -Non, je suis venu avec ma voiture; elle dans le stationnement.
                -Rappelez-nous si vous vous rappelez de quoi que ce soit de différent, de suspect, d’incompréhensible. Quelque chose d’inhabituel qui se serait passé durant la prière de vendredi. Des fois les souvenirs prennent quelques jours à revenir à la surface.
                -Bien.
                -Vous êtes libre de circuler comme bon vous semble; mais rappelez à votre imam qu’il ne peut quitter la ville sans nous en avertir.
                -Bien je lui répéterai.
                Roxanne ouvre la porte en lui serrant la main. Il s’esquive. Quelques journalistes vont encore le pied de grue.
                -Pour l’instant, nous n’avons rien de nouveau à ajouter. Nous avons identifié la victime, sa famille a été prévenue; c’est un homme d’affaire de la communauté musulmane du nom de Amir Mawami. Nous pouvons dire qu’il s’agit d’une mort violente, mais une autopsie sera pratiquée pour déterminer la cause exacte.
Vif comme à l’accoutumée, Simon-Pierre Courtemanche lui demande : « Et quel serait le motif de ce meurtre ? »
-Comme vous pourrez vous en douter, il est encore beaucoup trop tôt pour répndre à cette question. Toute le pistes sont à explorer.
                -Est-ce que l’imam est considéré comme suspect ?
                -Non, actuellement, il est considéré comme in témoin important mais il n’est pas suspect. Nous l’avions détenu simplement en attendant la venue d’une interprète qualifiée. Nous l’avons relâché une fois sa version des faits recueillie. Maintenant excusez-moi... Mais avant je veux bien sûr lancer un appel à la population en disant que toute personne croyant être avoir une information qui permettrait de faire avance l’enquête, toute personne du quartier, par exemple, qui aurait vu quelque chose de suspect, vous êtes priés de nous contacter, en toute confidentialité, bien sûr.

                Paul a convoqué une réunion dans son bureau pour faire le point. Il y a là déjà Isabelle et Turgeon, Félix de son prénom, ainsi que Yannick, l’expert en informatique de l’équipe et finalement les agents Charles Gazaille et Victor Petitclerc, qui ne sont pas de l’équipe criminelle spécifiquement mais qui sont présents probablement parce qu’ils sont de service cette fin de semaine. Sans plus attendre Paul commence son exposé :
-Vous êtes au courant qu’il y a eu ce qui ressemble à un meurtre dans la mosquée de la ville. D’après les premiers examens le crime a eu lieu entre sept et huit heures. Malheureusement à cause des tergiversations de l’imam on n’a pas pu relever beaucoup de traces. Il y avait du sang sur une bonne partie de la scène du crime et ses environs. Le relevé d’empreintes n’a pas étant concluant, non plus. C’est un événement tout à fait nouveau pour plusieurs d’entre nous. Je vous dire que dans cette enquête nous avancerons souvent en terrain inconnu. Félix, je sais que demain est un jour de congé, mais j’aimerais bien que tu trouves tout ce que tu peux trouver sur Amir Mawami. On sait qu’il a in commerce, il faudrait explorer cette piste, ce qu’il vend, ses filières d’approvisionnement, sa clientèle, ses comptes. Quels ont été ses déplacements depuis deux ans, ses voyages d’affaires ? Quels sont ses associés ? Ses fournisseurs ? Yannick tu l’aideras en fouillant à fond ses ordinateurs. Il faudra aussi fouiller les ordinateurs de la mosquée et du Centre culturel. Je te signerai les mandats nécessaires. Et il y aussi la famille. Comment sont-ils arrivés ici ? Par quels chemins ? Pour quelles raisons ? Y a-t-il des antécédents judiciaires ? Il faut se renseigner sur les fils, et les filles, les écoles fréquentés, leurs emplois, leurs revenus, leurs réseaux d’amis. Toi Isabelle tu t’en occupes; prends Charles avec toi...  Ah oui, il faudrait aussi faire un appel auprès de tous ceux qui étaient là ce soir-là dans la mosquée. Je ne crois pas qu’on obtiendra quelque chose, mais les femmes qui sont en haut dans le balcon, peut-être l’une d’elles a vu quelque chose. C’est pour toi Roxanne. Il faudra aussi rendre visite aux maisons voisines. Est-ce que quelqu’un aurait vu quelque chose ?
                -Il y a aussi le fait que la mosquée est située devant les Galeries de la Rivière.
                -Chercher des témoins parmi les clients du Centre d’achat ? Ça s’est passé un vendredi soir… Ça fait beaucoup de monde qui va et vient, qui entre et sort. Mais bon, oui, on peut lancer un appel à la population… Pour l’instant il y a deux hypothèses : premièrement quelqu’un serait rentré par la porte d’en arrière avec possiblement l’intention de commettre un vol ou une agression. Mais comme il n’y a aucune trace d’infraction, il pourrait y avoir eu un complice qui a ouvert la porte de l’intérieur ou alors c’est que la porte était déjà ouverte.
                -Ou bien, cette personne a cogné et la victime lui a ouvert; donc, ils se connaissaient.
-Deuxième hypothèse : il s’agirait de quelqu’un qui était déjà dans la mosquée, quelqu’un qui assistait à la prière du vendredi, qui aurait vu sortir Amir Mawami et qui l’aurait suivi dans son bureau pour l’agresser, tout vraisemblablement avec une sorte de poignard ou de couteau. On peut supposer que Amir Mawami est parti tout bonnement dans son bureau comme il le faisait tous les vendredis pour compter l’argent et faire ses comptes et que son assassin l’attendait ou alors l’a suivi.
-Ou alors cette personne était déjà dans le bureau et l’attendait.
-Ou même caché dans un des locaux du Centre culturel.
-Il faudra vérifier si ces locaux demeurent verrouillés. En tout cas, ce qui est à peu près sûr, c’est qu’il n’a pas été surpris de le trouver là. Il le connaissait. Mais qui aurait quitté la « chapelle » après lui, c’est ce le témoignage des gens présents à la mosquée devraient nous aider à découvrir.
-En autant qu’ils ne cherchant pas à se protéger mutuellement…
-C’est vrai… Dans tous les cas, parce qu’il n’y a pas de trace de lutte, la victime connaissait son assassin. L’arme du crime, est probablement un long poignard d’environ dix centimètres. Il a été attaqué par en avant, comme s’il faisait face à son agresseur. Il ne semble pas s’être défendu. Il semble qu’il n’a pas crier non plus. Donc, oui autre indice qu’il connaissait son agresseur. Pour l’instant n’a pas retrouvé l’arme du crime. Quant au mobile, on nage ici aussi dans les suppositions. Le vol ? L’assassin serait alors retourné dans la chapelle son crime fait ? Je ne crois pas. Il y a la porte de secours au bout du couloir qui ne s’ouvre que de l’intérieur. Il a très bien pu s’esquiver le crime fait avec son butin, ni vu ni connu; le soir tombait, tout le monde était à l’intérieur. Il faut essayer de trouver si quelque chose a été volé. Et aussi trouver les états de comptes. Ou alors c’était prémédité : la vengeance, un affaire commerciale, ce serait relié au terrorisme international.
-On ne va pas un peu trop loin ?...
-On ne peut se permettre de négliger quelque piste que ce soit.

                Une fois tout le monde parti. Roxanne s’attarde dans la bureau de son père :
                -Alors, maintenant, vas-tu me dire ce qu’il y a ?
                -Quoi ? Qu’est-ce que tu veux dire ?
                -Je veux dire que tu n’es pas dans ton état normal ! Tu bourrasses tout le monde; tu n’as pas été très aimable avec Stéphanie Aubut, l’interprète qui nous sera indispensable; tu t’es débarrassé des conférences de presse, et cetera, et cetera…  Est-ce que tu t’es dispusté avec Juliette ?
                -Non, non, ça va très bien avec Juliette; c’est juste que… c’est tout ça ! Quand je suis entré dans la maison, j’ai vraiment eu l’impression de pénétrer dans un autre monde; il y avait des gens partout, une décoration ostentatoire, des odeurs si fortes, des cris, des hurlements, tout le monde qui parlait en même temps. Devant la veuve, c’était le défoulement total. C’est une communauté que je ne connais pas du tout, tu vois, je n’ai pas de repaire, je ne connais pas les codes. Il faut faire des interrogatoires par interprètes interposées, à quoi ça rime ? Tout est compliqué; c’est une communauté tissée serrée, qui va dire quoi ? Ils vont accuser l’un des leurs pour me faire plaisir ? J’ai l’impression de ne rien contrôler, de ne pas être maître de la situation; je suis un peu beaucoup dépassé….
-Mais, tu n’es pas seul; toute équipe est là avec toi !

-Et puis, il y autre chose… de personnel…

lundi 19 décembre 2016

Meurtre à la mosquée
Chapitre 7

Roxanne raccompagne Stéphanie vers la sortie. En enfilant son manteau, la jeune interprète soupire :
-C’est la première fois que j’aie à travailler avec la police.
-Et alors, comment vous sentez-vous ?
-Je ne sais pas trop; j’ai l’habitude de travailler avec les réfugiés et mon travail consiste à traduire le plus exactement leurs propos; mais je sens que continuellement qu’ils marchent sur une sorte d’étroite frontière entre la vérité à ne pas dire et les mensonges à cacher. Et ici, j’ai eu la même impression.
-Vous croyez que l’imam a menti ?
-Non… je ne peux pas dire ça ! Mais par exemple, parfois le ton de sa voix changeait ou encore le rythme de ses paroles n’était plus le même.
-Dites-moi Stéphanie, si on repasse l’enregistrement, vous pourriez nous dire où, je suppose ?
-Oui; si ça peut vous être utile.
-Certainement. Voici une voiture qui vous attend; il est certain que nous allons vous rappeler.
En ouvrant la porte pour la laisser sortir, Roxanne s’aperçoit que la température a considérablement changé depuis ce matin : la saisit un vent froid et perçant qui fait virevolter les flocons. Le sol est glacé. En repassant vers le hall d’entrée elle voit que la foule des supporters de l’imam Murama s’est légèrement clairsemée, température aidant, mais ils sont encore nombreux, serrés les uns contre les autres, des hommes surtout mais aussi quelques femmes, à attendre sa sortie.
Près de la porte elle voit son père en grande discussion avec l’imam et Nawaz Zardai. Paul semble exaspéré et elle sursaute à son ton presque agressif.
-Monsieur Zardai, je sais que votre religion vous commande de procéder l’inhumation dans les vingt-quatre heures, mais répétez-lui ce que je vous dis pour la vingtième à savoir que je ne peux pas vous rendre le corps de monsieur Mawami avec qu’il y ait eu autopsie; moi, c’est la loi de ce pays qui m’y oblige, et jusqu’à preuve du contraire, la loi a encore préséance sur les prescriptions religieuses ! Maintenant, demandez-lui de quitter les lieux, sinon je n’aurais d’autre choix que de la mettre à l’amende pour refus d’obtempérer. Quant à vous, je vous ai dit que j’avais encore besoin de recueillir votre témoignage.
Nawaz Zardai arrive finalement à persuader son imam à quitter le poste de police, ce qu’il fait visiblement et ostensiblement à contrecœur. Dès que la porte s’ouvre, une clameur s’élève : ce sont les acclamations de la petite foule qui faisait le pied de grue à l’attendre depuis tôt ce matin.
-Bon débarras, maugrée Paul entre ses dents, mais Roxanne l’entend tout de même.

Durant son interrogatoire, Nawaz Zardai répétera, dans un mélange de français et d’anglais, avoir reçu un appel de l’imam vers vingt heures trente; l’imam était en panique, ces propos étaient à moitié incohérents mais il a compris qu’il s’était passé quelque chose avec Amir Mawami, qu’il était blessé gravement, qu’il y avait du sang. Alors il est accouru le plus vite possible et il n’a pas que constaté que Amir Mawami était mort affalé sur la chaise de son bureau, très probablement d’une mort violente. Dès qu’il a vu la scène il a téléphoné aux services d’urgence.
-Donc si je comprends bien, vous aviez à la mosquée, la prière du vendredi, et la mosquée était remplie, je suppose ?
-Oui…
-Donc, il est possible que cette attaque envers monsieur Mawami se soit passée pendant la prière, après qu’il se soit retiré dans son bureau…
-…C’est vrai; je n’avais pas pensé à ça.
-Il faudrait avoir la liste de toutes les personnes qui étaient là hier soir.
-Il y avait là la communauté habituelle ! C’est environ quarante personnes ! Il y avait sans doute quelques personnes absentes, mais la plupart des membres de notre communauté assiste à la prière du vendredi.
-Savez-vous si Amir Mawami venez à la mosquée pendant la semaine ?
-Très probablement; il s’occupait de bien des choses.
-Revenons à la séquence des événements; quand vous êtes arrivé à la mosquée où se trouvait l’imam ?
-Dans le couloir, je crois… Je crois qu’il était appuyé sur le mur la tête entre les mains.
-Il ne disait rien ?
-Non, je ne crois pas; quand il m’a vu entrer…
-Vous avez donc la clé de la mosquée ?
-Oui, j’ai une clé…
-Il faudra me faire une liste de tous ceux qui ont une clé.
-Oh, ce ne sera pas long; nous ne sommes que six. Moi, Amir Mawami, l’imam, le président du Conseil et deux autres membres de la paroisse.
-Bon, il va falloir interroger tout ce beau monde.
Roxanne intervient :
-Monsieur Zardai, est- ce que la porte d’entrée était verrouillée ?
-Non, justement… Je crois que d’habitude c’est Amir qui éteint les lumières et les portes, une fois que tout est fini, mais là, il n’a pas pu le faire.
-Donc, quand l’imam vous a vu entrer… reprend Paul.
-Oui, il n’était plus en panique; il était plutôt dans un état apathique, amorphe. Il m’a guidé vers le bureau.
-Et il n’y avait personne que lui dans la mosquée ?
-Non, bien sûr.
-Et avez-vous remarqué quelque chose d’inhabituel, comme une fenêtre ouverte, ou un meuble déplacé, ou encore des traces d’infraction ?
-Non, tout m’a semblé « normal », à part tout ce sang répandu dans le couloir…
-Et la porte arrière, est-ce qu’il était bien fermée ?
-La porte arrière ? Celle au bout du couloir ? Oui, il me semble qu’elle était fermée.
-Et est qu’il aurait pu y avoir, par exemple, des traces humides ou un peu d’eau au bas de la porte.
-Je ne sais pas; je n’ai pas fait attention.
-Qu’est-ce que vous faites dans la vie, monsieur Zardai ?
-Je suis ingénieur. Je travaille pour une firme conseil à Gatineau.
-Ça fait loin pour aller au travail…
-Mais en fait, je travaille beaucoup de la maison; tout se fait par ordinateur, vous savez. Je ne vais à Gatineau qu’une fois par semaine.
-Parlez-moi de la mosquée… Pourquoi avoir construit une mosquée à Papineauville ?
-Et bien, c’est simplement que la communauté musulmane s’est considérablement accrue dans la région ces dernières années. Il y a déjà une mosquée à Gatineau, mais c’est pour la communauté musulmane chiite et nous nous sommes sunnites. Les chiites et les sunnites sont deux branches de l’Islam et il y a parfois des… différences de vue entre les deux groupes. Au Pakistan, mon pays d’origine 75% de la population est sunnite et 20% environ est chiite, localisés principalement dans la région du nord-ouest du pays près de la frontière avec l’Afghanistan qui est un pays à majorité chiite. Mais dans les années 1990 et même 2000 des tensions entre les deux communautés ont provoqué la mort de plus de 4 000 personnes. Alors, il a été décidé de construire la mosquée sunnite ici un peu à l’écart; d’ailleurs les terrains sont beaucoup moins chers ici et les loyers aussi.
-Tous les membres de la mosquée sont Pakistanais ?
-Non, bien sûr ! Il y a des Iraniens, des Libanais, quelques familles du Yémen, de l’Irak et d’autres de l’Afrique comme des jeunes étudiants; mais à la base c’est la communauté pakistanaise qui a financé la construction de la mosquée. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle s’apelle Badsahi; au Pakistan la Badhahi Mosque, comme on dit en anglais est la deuxième plus grande du pays. Pendant trois cents ans, jusque vers 1980 c’était la plus grande mosquée du monde entier.
-Dites-nous une chose… demande Roxanne; savez-vous si Amir Mawami a fait partie des initiateurs du projet de mosquée ?
-Oui, bien sûr; c’est l’un des principaux fondateurs. Grâce à son commerce, il avait de très nombreux contacts ici et dans bien des pays, et il a été l’un de ceux qui a été le plus efficace dans nos campagnes de financement.
-Il est commerçant ? Dans quel domaine ?
-Il importe des vêtements du Pakistan, qui sont très en demande ici. Il a un magasin ici à Papineauville et un autre à Ottawa je crois.
-Une dernière question monsieur Zardai, ensuite nous vous laisserons repartir, et vous remerciant de votre inestimable collaboraiton. Savez-vous si mousieur Mawami avait des ennemis ?
À cette question, Nawaz Zardai sursaute de façon presque risible.
-Des ennemis ? Quels genres d’ennemis ?
-Ben vous savez, des concurrents commerciaux… ou alors des individus chiites, peut-être ?

-Je ne vois vraiment pas de quoi vous voulez parler ! J’ignore si Amir avez des ennemis et s’il en avait, il ne m’en a jamais parlé !

lundi 12 décembre 2016

Meurtre à la mosquée
Chapitre 6

Après l’avoir débarrassée son manteau qu’elle a accroché dans le vestiaire, Roxanne guide Stéphanie Aubut à travers les couloirs du poste de la Sureté du Québec vers le bureau de son père. Elle s’arrête; de façon surprenante la porte en est fermée. Elle cogne discrètement.
-Oui, entrez.
-C’est moi chef, dit Roxanne en franchissant le seuil; je vous amène l’interprète que nous m’aviez demander de trouver.
-Ah oui ! Faite-la entrer.
Tous les membres du personnel du poste de la Sureté du Québec de Papineauville, agents et employés de soutien, savent bien que Roxanne est la fille de leur directeur, et cela ne gêne aucunement leur travail; mais père et fille ont convenu d’éviter de le montrer ouvertement lors des enquêtes afin d’éviter tout risque que cette situation puisse influencer les témoins ou encore comme ici, quiconque appelé à collaborer.
Pendant que Roxanne se tient légèrement à l’écart, à l’arrière du bureau, Paul invite Stéphanie à s’assoir. Durant quelques instants, il la regarde de pied en cap, puis de la tête au pied, puis de bas en haut à nouveau d’un air dubitatif. Roxanne reste un peu surprise de cette façon un peu inhabituelle de faire. Décidément, il agit bien bizarrement ces derniers temps; je me demande bien ce qu’il a. Il y certainement quelque chose qui le préoccupe. J’espère qu’il ne s’agit de Juliette…  
-Vous avez l’air jeune…
Et sans laisser le temps à Stéphanie de réagir, Paul poursuit : « Mais bon, on va faire avec ce qu’on a sous la main, comme dirait l’autre. Voici l’histoire en résumé. J’ai ici en cellule un imam musulman qui a trouvé une victime, morte, dans les bureaux de sa mosquée, hier soir. Une histoire qui est passée aux nouvelles hier soir et qui repassera probablement aux nouvelles ce midi. Nous ne pouvons pas le garder plus de vingt-quatre heures sans motif valable; c’est pour ça que nous voulons l’interroger maintenant, et aussi pour calmer toute la smala que vous avez-vous en face du poste. Êtes-vous prête ?
-Oui, ça devrait; j’espère seulement qu’il parle un ourdou que je peux comprendre.
-Comment ça ? Vous n’êtes pas interprète ?
-Oui, bien sûr; mais toute langue, comme pour le français, possède différentes versions, et certaines peuvent être plus difficile que d’autres.
Paul se contente de pousser un soupir de découragement.

Stéphanie Aubut est conduite dans une petite salle au fond du couloir, où attendent déjà deux autres personnes en uniforme, un homme et une femme.
-Je vous présente Stéphanie Aubut, notre interprète… Les agents Daniel Turgeon et Isabelle Dumesnil; ils sont responsables de la sécurité et du bien-être de notre imam.
-Bonjour.
-Bonjour.
-Allez le chercher. Dans quel état est-il ?
-Ce qu’on peut dire, patron, c’est qu’il n’est pas de bonne humeur. Il a récriminé une bonne partie de la nuit…
-Et ce matin, il a refusé de manger parce que sa nourriture n’était pas halal. Il n’a pris qu’un jus d’orange.
-Ah, c’est vrai, il a droit à son régime hallal; j’avais oublié. Une autre affaire encore…. Allez le cherchez et amenez le dans la salle d’interrogatoire 1.
Au bout de quelques instants, les deux agents reviennent accompagnés de l’imam Murama. Il ne porte pas les menottes mais il a les yeux vides et l’air épuisé.
-Salam aleikoum, dit Stéphanie.
-Aleikoum salam, répond machinalement l’imam, mais soudain, il s’arrête et lève les yeux de surprise sur Stéphanie.
-Dites-lui de s’assoir ici.
-(…)
-Demandez s’il comprend que nous sommes de la police et que nous voulons lui poser quelques questions sur ce qui s’est passé hier soir dans sa mosquée.
Stéphanie traduit, et aussitôt l’imam se met à parler avec empressement tout en gesticulant des bras et de la tête; Stéphanie essaye tant bien que mal de traduire au fur et à mesure.
-Il dit qu’il n’a rien fait et qu’il n’y est pour rien, et qu’il ne sait rien; qu’il n’était pas là quand c’est arrivé et que c’est une catastrophe, un grand malheur, que c’est la volonté d’Allah, qu’il ne sait pas se qui s’est passé, il est innocent, qu’il ne sait rien…
-Wo, wo, wo ! Comment on dit « Silence ! » en arabe ?
-Pas en arabe en ourdou…
-Tichý
-Titchi, répète maladroitement. Dites-lui de ne répondre qu’aux questions qui lui seront posées.
-(…)
Mais avant même que Stéphanie ait terminé sa question, l’imam recommence le même manège.
-Il dit qu’il ne sait rien, qu’il n’a rien fait, il est innocent, il n’a rien à dire à la police; il n’était même pas là quand c’est arrivé; tout ce qu’il veut c’est de s’occuper de sa mosquée; il veut retourner à la mosquée et qu’Allah est grand et Mouhumad est son prophète !
-On arrivera à rien de cette façon !
Roxanne intervient :
-Madame Aubut, dites-lui de garder le silence quelques instants et qu’il vous écoute.
-…
-Dites-lui que s’il nous écoute, nous le ramèneront à sa mosquée le plus rapidement possible.
-…
-Maintenant dites-le que nous sommes de la police. Dites-lui juste ça.
-… Il demande s’il peut rentrer chez lui.
-Dites-le qu’il ne pourra retourner chez lui après seulement quelques questions.
-…
-Seulement s’il répond aux questions que nous allons lui poser. S’il n’a rien à se reprocher, tout ira bien.
-… Il dit qu’il n’a rien fait.
-Dites-lui de répondre aux questions, gâteau ! s’exclame Paul.
-Je lui ai déjà dit; pas la peine de crier.
-Je n’ai pas crier, mais faites-lui comprendre une fois pour toute doit qu’il répondre à nos questions, sinon on le ramène en cellule.
Stéphanie soupire et lève les yeux au ciel; elle prend un autre ton et essaie de calmer l’imam Murama. Elle lui explique gentiment qui elle est, et ce que les policiers désirent.
-Bon demandez-lui de s’identifier, juste de dire son nom.
-…
-Imam Muhammad Ali Murama.
-Demandez-lui de donner le nom de sa mosquée et son adresse.
-… Mosquée Badshahi, 55 rue Provencher.
-Bon; maintenant : à quelle heure il est arrivé à la mosquée hier.
-À dix heures du matin.
-Est-ce qu’il était seul ?
-Non, le raah numaa du Centre culturel était là.
-C’est quoi ça un raah numaa.
-C’est une sorte de superintendant, celui qui s’occupe du bâtiment.
-Bon ; est-ce qu’il y avait d’autres personnes à ce moment-là à 10 hrs le matin.
-Oui, il y avait quelques autres personnes dans Centre culturel qu’il a saluées.
-Bon, on avance; qu’il nous dise ce qu’il a fait de sa journée, mettons jusqu’à midi.
-…
-Il a ouvert son courrier, regardé ses courriels, et il a fait sa prière de mi-journée qui s’appelle adh-dhour. a
-Bon, et l’après-midi ?
-L’après-midi il a surtout travaillé à la préparation de la cérémonie du soir, le salat-ul-joumou'a.
-OK on avance; à quelle heure est cette cérémonie
-À 19hrs.
-Bon, ça va bien; demandez-lui à quelle heure est arrivé Amir Mawami.
-…
-Comme d’habitude le vendredi soir Amir Mawami est arrivé vers 16 heures environ, trois heures à l’avance.
-À 16 heures ? Pourquoi est-ce qu’il arrive à 16 heures ?
-...
-Parce qu’il est, lui, le raah numaa de la mosquée; en fait c’est le trésorier-sécrétaire et il arrive à l’avance parce qu’il a toujours beaucoup de travail : régler les comptes, payer les factures...
-C’est quoi le budget d’une mosquée.
-L’imam dit qu’il ne le sait pas.
-Bon, demandez-lui s’il a vu quelque chose d’anormal ou d’inhabituel hier soir durant la célébration.
-Il dit que non.
-Est-ce qu’il y avait des gens qui étaient là pour la première fois, par exemple, des étrangers en visite ?
-Il dit que non.
-Est-ce qu’il a remarqué s’il y avait des absents, des gens qui sont toujours et qui n’étaient pas là hier soir.
-Il dit que non.
-Et pendant la célébration, est-ce qu’il entendu du bruit dans les bureaux ou dans les couloirs ?
-Il dit que non.
                -Il dit que non, il dit que non ! D’après lui il ne s’est rien passé tout était normal et on perd notre temps !
                -Je ne fais que répéter ses réponses, moi !
                -Veuillez excusez l’impatience de l’inspecteur Quesnel, madame Aubut, mais il y a eu un vrai meurtre et on voudrait bien trouver une piste.
                -Demandez-lui ce qui s’est passé à la fin de la cérémonie.
                -Après la célébration, il a salué les gens qui partaient; il a parlé avec les uns et les autres. Et quand il était seul il est allé retrouver son « gérant » dans le bureau.
                -Et alors ?
                -C’est là qu’il l’a vu affalé sur sa chaise avec tout ce sang qui coulait de son torse. Il a essayé de le réveiller, mais il n’a pas pu. Il ne savait vraiment pas quoi faire; c’est un grand malheur, c’est un grand. Finalement au bout de quelques minutes il a appelé Nawaz Ayub Zardai, un autre homme bien impliqué dans la communauté.


                -Bon, qu’est-ce qu’on fait ? On le relâche ou le garde ?
                -Il n’y a qu’une seule chose à faire : le relâcher; on ne peut pas le garder.
                -Madame Aubut, demandez-lui s’il a un avocat ?
                -Non, il n’en a pas; est-ce qu’il devrait.
                -Oui, madame Aubut, dites-lui qu’il doit se trouver un avocat le plus tôt possible. Pour l’instant on va lui faire signer sa déposition et on le laissera repartir chez lui mais qu’il ne peut quitter la ville sans en avertir la police.
                -…
                -Il répète qu’il n’est coupable de rien !

                -On va reparler à ce monsieur Zardaï. Madame Aubut, vous êtes libre pour l’instant; on vous rappellera si où a de nouveau besoin de traduction.

lundi 5 décembre 2016

Meurtre à la mosquée
Chapitre 5

                Dans son bureau, Paul attendait impatiemment cette traductrice/interprète que Roxanne devait lui trouver. Il se sentait énervé, irrité, mécontent. Il avait mal et peu dormi la nuit dernière. Rarement une affaire ne l’avait autant déstabilisé. Bien sûr dans ce métier, il faut apprendre à gérer son stress, à contrôler ses émotions; on ne peut se permettre de se laisser manipuler par la colère ou encore moins la peur. Il faut agir et penser de la façon la plus rationnelle possible, pragmatiques, en se basant sur les faits, et parfois sur l’intuition bien sûr. On se doit d’éviter toute impulsivité malsaine. Cela ne veut pas dire que les policiers et les policières sont dénués de tous sentiments humains, bien au contraire; ils ressentent ce que toute autre personne du grand public ressent mais ils et elles se doivent de rester maître de leur personne le plus possible, pour leur propre bien-être tout autant que la meilleure justice soit rendue.
                Avec le temps, Paul pouvait se dire qu’il avait bien géré ses émotions au cours de sa carrière. Mais en ce samedi matin, il se demandait s’il n’était pas en train de perdre pied. Depuis la veille les éléments perturbateurs s’étaient accumulés à vitesse grand V. Tout d’abord ce meurtre dans un endroit aussi inconvenant qu’une mosquée, il n’avait encore jamais vu une telle chose. Ensuite une scène de crime également incongru : un homme qui avait visiblement été poignardé de sang froid dans un simple bureau bien ordinaire, et surtout tout ce sang répandu pas à pas sur le plancher, dans le couloir et presque jusqu’aux portes d’entrée. Puis cet imam semi-hystérique, quasi-incontrôlable que rien ne semblait pouvoir arrêter de crier, de maugréer, de grogner… et, de surcroît dans une langue dont il ne saisissait pas le moindre mot. Que pouvait-il bien raconter dans son charabia incompréhensible ? En voulait-il contre le sort ? Contre la fatalité ? Contre le travail de la police ? Paul ignorait même s’il avait été témoin de quoi que ce soit, s’il pourrait l’aider un tant soit peu à la résolution de ce crime. Tout ça avait fait naître chez Paul un état de malaise et d’irritation qui n’avait pas disparu.
                Et la soirée ne s’était pas terminée ainsi, et les causes de frustration non plus, loin de là. Une fois le périmètre de sécurité mis en place de façon plus étanche, une fois le cadavre emporté à la morgue, une fois l’équipe technique installée à la recherche du moindre indice, il avait dû se rendre dans la famille de la victime pour faire l’annonce de sa mort violente. Nawaz Ayub Zardai, l’homme qui avait appelé les services d’urgence et qui avait réussi tant bien que mal à raisonner l’imam et lui faire comprendre qu’il devrait rester en garde à vue pour une nuit le temps de trouver un interprète qualifié, lui avait spécifié le nom de la victime Amir Mawami, le trésorier de la mosquée et du centre culturel.
                Il demeurait à quelque minutes de là sur la rue des Pigeons dans la partie ouest de la ville. Paul sait que c’est délicat d’annoncer ce genre de nouvelle, et que ce le sera d’autant plus dans ce contexte particulier, mais il faut bien qu’il le fasse. Il est parti avec l’agent Turgeon et monsieur Zardaï qui leur servira d’intermédiaire. La voiture s’arrête devant un duplex de construction récente d’un seul étage. On franchit une petite grille Il y a un terrain gazonné sur le devant qui ne semble pas entretenu régulièrement, des chaises en rotin et quelques jouets en plastique sur la galerie.
                -Allons-y, dit-il aux deux autres.
-D’après moi, la famille est certainement déjà au courant qu’il s’est passé quelque chose à la mosquée, ajoute Nawaz Zardai; ce genre de nouvelles vont vite  dans la communauté.
                -Oui, vous avez raison.
                Paul laisse son interlocuteur sonner à la porte, et à peine celui-ci a-t-il sonné que la porte s’ouvre à toute volée ce qui fait bruyamment sonné le collier de clochettes qui y est suspendu. S’en suit une vive conversation entre lui et une demi-douzaine de personnes, jeunes et adultes, qui ont l’air de le bombarder de questions tous à la fois. Tandis que Turgeon reste sur le pas de la porte, Paul s’approche :
                -Dites-leur de se calmer et de nous laisser entrer.
                La tapage assourdissant baisse à peine de volume. La maison comme telle est spacieuse, mais l’espace est occupé par de boîtes de cartons posées pêle-mêle de ci de là les longs de murs des couloirs, d’objets de toutes sortes, une espèce de surprenant bric-à-brac comme si on se préparait à une gigantesque vente de garage. L’entrée mène au salon où ce sont les meubles qui sont recouverts de vêtements, de foulards, de tissus… Mais ce qui frappe Paul surtout, c’est l’odeur qui règne dans la maison qui semble avoir tout imprégné jusqu’aux tapis et les murs, et qui le saisit immédiatement : un âcre mélange de renfermé, de sueurs humaines, et surtout d’épices : curry, cardamone, cumin, cannelle, paprika… et quoi d’autre ? L’odeur est si intense qu’il a la tête qui tourne légèrement.
Paul pénètre dans le salon face à cette meute suragitée; assise sur l’un des fauteuils, il aperçoit femme en sari violacé en pleurs poussant en hululements strident et perçants. Probablement la veuve.
-Est-ce qu’ils comprennent le français ?
-Les enfants oui, ils le comprennent et ils le parlent. Pour les adultes, ça dépend.
Enfin… la loi 101 aura servi à quelque chose.
Paul élève la voix : Écoutez-moi ! Écoutez-moi !
Un semblant de silence s’installe, dans lequel domine les lamentations de la femme assise dans le fauteuil.
-Je m’appelle Paul Quesnel et je suis le chef de police de Papineauville…
-Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Notre père est-il mort ?
-Laissez-moi parler ! Pour répondre à votre question, il y a une attaque à la mosquée… Bashahi, qui a fait une victime et oui, votre pour l’instant nous croyons que cette victime est Amir Mawami, mais…
Paul ne peut continuer. Le tapage de cris, de pleurs, de lamentations, d’exclamations, reprend avec une intensité renouvelée. Paul essaye de se faire entendre au-dessus du brouhaha.
-Écoutez-moi ! Nous avons besoin d’une personne de la famille qui devra venir à la morgue pour l’identification.
À sa grande surprise, un jeune homme l’a entendu et lui répond calmement :
-Moi, je vais y aller. Je ne crois pas que ma mère soit en état d’y aller, alors je peux vernir à sa place.
Il pointe la femme en sari violacé. Paul se dit qu’en effet il est impossible de lui parler pour l’instant alors qu’elle semble être dans un état hystérique total.
-Et quel est votre lien avec monsieur Mawami ?
-Je suis son fils aîné, Hamza. Je n’habite plus chez mes parents; je suis marié et je demeure avec ma femme dans la maison juste à côté. Je suppose que ça vous prend une personne majeure ?
-Oui, en effet. Alors allons-y. Que faites-vous monsieur Zardaï ? Voulez-vous qu’on vous raccompagne ?
-Nous, je crois que je vais rester ici.

À la morgue, l’identification ne prendra guère de temps. L’équipe chargée de l’autopsie avec préparé le corps. Hamza n’avait pas hésité : « Oui, c’est bien mon père, Amir Mawami », a-t-il sut en baissant légèrement les yeux.
Dans le couloir, vers la sortie, Hamza demande :
-Quand pourrons-nous récupérer le corps ?
-Il s’agit d’une mort violente, il faudra donc procéder à une autopsie. Je dirais : pas avant deux jours.
-Mais… mais, notre religion nous demande de procéder aux funérailles dans les vingt-quatre heures !
-Peut-être, mais la loi nous oblige à pratiquer une autopsie dans tous les cas de mort suspecte; et je ne peux changer la loi.
-Il nous faut procéder à l’ensevelissement dans les vingt-quatre heures qui suivent le décès, c’est ce que nous prescrit le Coran !
Paul sent sa tension monter d’un autre cran :
-Monsieur Hamza, je suis désolé. Adressez-vous à un tribunal si vous le voulez, mais moi je ne peux vous rendre le corps de votre père avant qu’on y ait fait une autopsie !
-Que va dire ma mère ? Et mes oncles ? Et l’imam Murama ?
-Vous savez, l’imam Murama ne dira pas grand-chose, car il doit rester en garde à vue jusqu’à demain.
Le retour s’était effectué dans un lourd silence.

-Et maintenant ? demande Turgeon, qui cherche à ne pas trop brusquer son chef.

-On retourne au poste, et en vitesse. Partons d’ici.

lundi 28 novembre 2016

Meurtre à la mosquée
Chapitre 4

                En raccrochant le téléphone après sa conversation avec Stéphanie Aubut, en ce samedi matin, Roxanne savait qu’elle ne lui avait pas parlé sur le ton le plus aimable. C’est son père aussi qui l’avait énervée ! Même le lendemain matin encore elle ruminait sa mauvaise humeur contre lui et c’est cette pauvre jeune femme qui en avait subi les conséquences. Elle se promettait bien de parler à son père entre quatre yeux le plus tôt possible et subito pronto et ipso facto.
Ça ne lui était pas arrivé très souvent de se fâcher contre son père depuis qu’elle faisait partie de ses effectifs au poste de Papineauville. Il y a un trois ans et demi quand un poste d’adjointe s’était ouvert à Papineauville; de Saguenay où elle travaillait, elle avait postulé sans le dire à son père, et elle avait obtenu le poste. Il en était resté sans voix pendant une bonne partie de la semaine qui avait suivie, sans pouvoir y croire vraiment. Au fond de lui, elle le savait, il était immensément fier, et c’était un immense bonheur que de pouvoir travailler au quotidien avec sa fille ! Il la chérissait au plus haut point.
Paul avait aussi deux fils, qui travaillaient tous deux dans le domaine minier, l’un en Alberta et l’autre en Abitibi. Alexandre, l’ainé, avait étudié en géologie et à la fin de ses études, était parti dans l’ouest tenter sa chance. Il savait que les salaires y étaient considérablement supérieurs. Il travaillait pour Petrocorp, dans l’exploitation de sables bitumineux. Son deuxième fils, Xavier, avait rencontré une fille de l’Abitibi, et il était maintenant facteur à Rouyn-Noranda. Il les voyait peu, particulièrement son Alexandre exilé dans l’Ouest, pour les vacances, les temps des Fêtes, mais c’est surtout qu’il ne savait trop de quoi leur parler. Avec le divorce d’avec leur mère Monique, la vie familiale en avait pris tout un coup et les choses s’étaient inexorablement dégradées. Aujourd’hui, quand ils le voyaient toute conversation avec ses garçons tombait à plat, ce qui les frustrait et les uns et les autres.
Avec Roxanne, c’était tout à fait le contraire : ils pouvaient s’entretenir des heures durant de ce qui les passionnait tous deux : leur travail de représentant de la justice et de l’ordre. Comme on dit, ils étaient sur la même longueur d’ondes ! Surtout que maintenant, son amoureuse de Juliette, une bibliothécaire à la retraite, ne se privait pas de se mêler à leurs conversations, à poser des questions, à demander des éclaircissements sur tel ou tel point, et même parfois, à les surprendre par son intuition.
Roxanne se disait qu’elle aussi appréciait au plus haut point de pouvoir travailler avec son père au quotidien; c’était une source de grande satisfaction. Il se répétait combien elle était privilégiée et combien elle apprenait à ses côtés. Mais là, elle ne savait pas ce qui lui avait pris ! Déjà l’entendre lui demander aussi impérativement de s’occuper de trouver un ou une traductrice qualifiée, l’avait bien surprise. Ce n’était pas dans ses manières de faire. D’habitude, il la consultait, il lui demandait son avis; rarement il lui imposait une tâche de cette façon cavalière !
À cela s’était ajoutée cette conférence de presse improvisée ! Non mais, qu’est-ce qu’il lui avait pris ? Jamais il ne l’avait envoyée ainsi à l’abattoir affronter les journalistes, et surtout sans aucune préparation ! Elle avait dû obtempérer, à contrecœur, et c’est en maugréant entre ses dents qu’elle était partie affronter la troupe de journalistes qui trépignaient d’impatience dehors à la limite des cordons de sécurité. Surtout que l’heure de tombée approchait pour les bulletins de fin de soirée.
Sortant de la mosquée, Turgeon lui indique de se diriger vers la droite. Elle voit du coin de l’œil de nombreux curieux essayant de voir et de comprendre ce qui a pu se passer. Dans le lot mouvant et remuant de journalistes, elle reconnait en première ligne, Simon-Pierre Courtemanche, probablement arrivé avant les autres, un petit homme à moustache, le journaliste des faits divers d’Au courant, l’hebdomadaire de la région de l’Outaouais; elle sait qu’il fait son travail honnêtement, cherchant consciencieusement à bien informer son public le mieux possible. Sans reconnaître exactement les autres journalistes, (la plupart étant des hommes; Roxanne ne voit qu’une seule femme), Roxanne remarque aussi sur les caméras le logo des diverses chaines de télévision. Il y a une légère bousculade; en jouant du coude les membres de la presse se pressent autour d’elle comme une marmaille turbulente et chahutant sans vergogne. Une multitude de bras tenant une aussi grande multitude de micros se tend vers elle jusqu’à l’entourer de toutes parts. Tout le monde parle à la foi. De la main, elle demande le silence et commence sur un ton neutre qu’elle veut le plus possible assuré :
-Bonsoir à vous, Je suis Roxanne Quesnel-Ayotte de la Sureté du Québec et voici ce que nous pouvons vous dire pour l’instant : un appel a été logé aux services d’urgence vers vingt heures trente de soir vendredi, pour un incident à la mosquée Bashahi à Papineauville. Cet appel a immédiatement été transféré au poste de la Sureté du Québec de Papineauville et les agents sont arrivés sur les lieux quelque huit minutes après. Ils ont trouvé un corps inanimé dans une des salles du bâtiment, un corps inanimé et qui portait de marques évidentes de coups. Une ambulance a été appelée le décès a été constaté. Pour l’instant, ce décès est considéré comme une mort suspecte et une enquête a été ouverte.
À peine veut-elle reprendre son souffle que la première question fuse :
-Connaissez-vous l’identité de la victime ?
-Vous comprendrez que nous ne pouvons vous révéler l’identité de la victime parce que nous devons contacter ses proches en pre….
-Est-ce que le corps a été retrouvé dans le salle de prière ?
-Ce que nous pouvons dire pour l’instant, pour ne pas nuire à l’enquête, c’est qu’il a été retrouvé à l’intérieur de ce bâtiment en arrière de nous qui abrite une mosquée et un centre culturel musulman.
-Est-ce qu’on a retrouvé l’arme du crime ?
-Comme je l’ai dit, une enquête a été ouverte et nous en sommes à l’étape de récolter le plus grand nombre d’indices.
-Est-ce que l’imam Murama est considéré comme suspecte ?
Roxanne se tourne vers Simon-Pierre Courtemanche, celui qui vient de poser cette question. Elle pense sans rien en dire qu’il est bien renseigné.
-L’imam Murama est pour l’instant considéré comme un témoin important étant donné que selon toute vraisemblance c’est lui qui a découvert le corps. Nous allons bien sûr procéder à son interrogatoire et ses réponses vont certainement permettre à l’enquête de progresser.
-Est-ce que c’est lui qui a appelé les services d’urgence ?
Et ainsi de suite durant une bonne vingtaine de minutes. Quand enfin le flot de questions s’est tari et que les journalistes sont repartis soit pour écrire un article soit pour terminer leur reportage, Roxanne n’avait qu’une seule envie : retrouver son père pour lui dire et l’étrangler allégrement !... Mais ça devra attendre.

Lorsque la voiture de police qui était venue la chercher la dépose dans le stationnement, Stéphanie Aubut ne s’attendait certainement à voir une telle cohue à son arrivée au poste de la Sureté du Québec de Papineauville, environ une heure et demi plus tard après sa conversation avec Roxanne : il y avait là au moins une cinquantaine de personnes qui gesticulaient, se bousculaient, vociféraient, s’invectivaient et parlaient toutes à la fois dans un désordre parfait et une cacophonie inénarrable. Certaines femmes, le voile sur la tête criaillaient les bras dans les airs et d’autres se frappaient la poitrine. Les hommes lançaient des menaces le poing levé. Le poste de police débordait : il y avait des gens partout, des femmes, des hommes, des enfants, dedans, dans le hall d’entrée dehors, sur le trottoir, dans la rue. Et tous ces gens parlaient un mélange confus et incompréhensible polyglotte dans lequel elle percevait de l’arabe, de l’ourdou, du pendjabi et probablement du pachto. Parfois, on entendait une exclamation en anglais.
Tous ces gens sont des membres de la communauté musulmane venus protester contre le sort infligé à leur imam. Hier soir, pendant que son équipe relevait les indices dans la mosquée et le centre culturel, Paul s’est retrouvé, devant un dilemme : il ne pouvait remettre l’mam en liberté sans avoir eu au préalable son témoignage, et en même temps il ne pouvait l’interroger sans l’aide d’un traducteur professionnel et indépendant. Il s’est finalement résigné à amener l’imam au poste pour une nuit qu’il devra passer en garde à vue. Apprendre par l’entremise de Nawaz Ayub Zardai qu’il serait fait « prisonnier » a alors mis l’imam dans tous ses états. Il n’en était pas question ! Il n’avait rien fait ! Le calmer devenant une tâche impossible, Paul a finalement dû demander à ses agents, ce qu’il déteste faire, de le maîtriser et de l’empoigner pour l’amener dans la voiture et le conduire au poste. Tout cet épisode attristant l’avait mis de mauvaise humeur, et lui faisait entrevoir une enquête dure, longue et pénible, et délicate. Lorsqu’ils avaient pu finalement faire le point avec Roxanne, un peu plus tard, ils avaient conclu qu’il ne fallait pas trop élaborer et que c’était mieux d’attendre au lendemain.
Le lendemain, ils avaient chacun des tâches urgentes à accomplir : Paul était s’enquérir de l’humeur de l’imam Murama et Roxanne s’était plongée dans les répertoires du Gouvernement. Quand elle était venue lui dire sur le pas de sa porte qu’elle avait trouvé une traductrice d’ourdou, Paul l’avait remercié et ce fut tout.
Stéphanie se disait qu’elle aurait bien de la peine à se frayer un chemin au travers une telle densité de foule.
L’un des policiers la conduit vers une porte dérobée et la fait entrer dans le poste. Roxanne lui tend la main.
-Bonjour, je suis Stéphanie Aubut, on m’a téléphoné, il y a une heure.

-Oui, madame, c’est moi qui vous ai appelée; on va avoir besoin de vos services. Venez le directeur Quesnel vous attend.