Meurtre à la mosquée
Chapitre 6
Après l’avoir débarrassée son manteau qu’elle a
accroché dans le vestiaire, Roxanne guide Stéphanie Aubut à travers les
couloirs du poste de la Sureté du Québec vers le bureau de son père. Elle s’arrête;
de façon surprenante la porte en est fermée. Elle cogne discrètement.
-Oui, entrez.
-C’est moi chef, dit Roxanne en franchissant le seuil;
je vous amène l’interprète que nous m’aviez demander de trouver.
-Ah oui ! Faite-la entrer.
Tous les membres du personnel du poste de la Sureté du
Québec de Papineauville, agents et employés de soutien, savent bien que Roxanne
est la fille de leur directeur, et cela ne gêne aucunement leur travail; mais
père et fille ont convenu d’éviter de le montrer ouvertement lors des enquêtes
afin d’éviter tout risque que cette situation puisse influencer les témoins ou
encore comme ici, quiconque appelé à collaborer.
Pendant que Roxanne se tient légèrement à l’écart, à l’arrière
du bureau, Paul invite Stéphanie à s’assoir. Durant quelques instants, il la
regarde de pied en cap, puis de la tête au pied, puis de bas en haut à nouveau
d’un air dubitatif. Roxanne reste un peu surprise de cette façon un peu
inhabituelle de faire. Décidément, il
agit bien bizarrement ces derniers temps; je me demande bien ce qu’il a. Il y
certainement quelque chose qui le préoccupe. J’espère qu’il ne s’agit de
Juliette…
-Vous avez l’air jeune…
Et sans laisser le temps à Stéphanie de réagir, Paul
poursuit : « Mais bon, on va faire avec ce qu’on a sous la main,
comme dirait l’autre. Voici l’histoire en résumé. J’ai ici en cellule un imam
musulman qui a trouvé une victime, morte, dans les bureaux de sa mosquée, hier
soir. Une histoire qui est passée aux nouvelles hier soir et qui repassera probablement
aux nouvelles ce midi. Nous ne pouvons pas le garder plus de vingt-quatre
heures sans motif valable; c’est pour ça que nous voulons l’interroger
maintenant, et aussi pour calmer toute la smala que vous avez-vous en face du
poste. Êtes-vous prête ?
-Oui, ça devrait; j’espère seulement qu’il parle un ourdou
que je peux comprendre.
-Comment ça ? Vous n’êtes pas interprète ?
-Oui, bien sûr; mais toute langue, comme pour le
français, possède différentes versions, et certaines peuvent être plus
difficile que d’autres.
Paul se contente de pousser un soupir de
découragement.
Stéphanie Aubut est conduite dans une petite salle au
fond du couloir, où attendent déjà deux autres personnes en uniforme, un homme
et une femme.
-Je vous présente Stéphanie Aubut, notre interprète… Les
agents Daniel Turgeon et Isabelle Dumesnil; ils sont responsables de la
sécurité et du bien-être de notre imam.
-Bonjour.
-Bonjour.
-Allez le chercher. Dans quel état est-il ?
-Ce qu’on peut dire, patron, c’est qu’il n’est pas de
bonne humeur. Il a récriminé une bonne partie de la nuit…
-Et ce matin, il a refusé de manger parce que sa
nourriture n’était pas halal. Il n’a pris qu’un jus d’orange.
-Ah, c’est vrai, il a droit à son régime hallal; j’avais
oublié. Une autre affaire encore…. Allez le cherchez et amenez le dans la salle
d’interrogatoire 1.
Au bout de quelques instants, les deux agents
reviennent accompagnés de l’imam Murama. Il ne porte pas les menottes mais il a
les yeux vides et l’air épuisé.
-Salam aleikoum,
dit Stéphanie.
-Aleikoum salam,
répond machinalement l’imam, mais soudain, il s’arrête et lève les yeux de
surprise sur Stéphanie.
-Dites-lui de s’assoir ici.
-(…)
-Demandez s’il comprend que nous sommes de la police
et que nous voulons lui poser quelques questions sur ce qui s’est passé hier
soir dans sa mosquée.
Stéphanie traduit, et aussitôt l’imam se met à parler
avec empressement tout en gesticulant des bras et de la tête; Stéphanie essaye
tant bien que mal de traduire au fur et à mesure.
-Il dit qu’il n’a rien fait et qu’il n’y est pour
rien, et qu’il ne sait rien; qu’il n’était pas là quand c’est arrivé et que
c’est une catastrophe, un grand malheur, que c’est la volonté d’Allah, qu’il ne
sait pas se qui s’est passé, il est innocent, qu’il ne sait rien…
-Wo, wo, wo ! Comment on dit « Silence ! »
en arabe ?
-Pas en arabe en ourdou…
-Tichý
-Titchi, répète maladroitement. Dites-lui de ne
répondre qu’aux questions qui lui seront posées.
-(…)
Mais avant même que Stéphanie ait terminé sa question,
l’imam recommence le même manège.
-Il dit qu’il ne sait rien, qu’il n’a rien fait, il
est innocent, il n’a rien à dire à la police; il n’était même pas là quand
c’est arrivé; tout ce qu’il veut c’est de s’occuper de sa mosquée; il veut
retourner à la mosquée et qu’Allah est grand et Mouhumad est son prophète !
-On arrivera à rien de cette façon !
Roxanne intervient :
-Madame Aubut, dites-lui de garder le silence quelques
instants et qu’il vous écoute.
-…
-Dites-lui que s’il nous écoute, nous le ramèneront à
sa mosquée le plus rapidement possible.
-…
-Maintenant dites-le que nous sommes de la police.
Dites-lui juste ça.
-… Il demande s’il peut rentrer chez lui.
-Dites-le qu’il ne pourra retourner chez lui après seulement
quelques questions.
-…
-Seulement s’il répond aux questions que nous allons
lui poser. S’il n’a rien à se reprocher, tout ira bien.
-… Il dit qu’il n’a rien fait.
-Dites-lui de répondre aux questions, gâteau ! s’exclame
Paul.
-Je lui ai déjà dit; pas la peine de crier.
-Je n’ai pas crier, mais faites-lui comprendre une
fois pour toute doit qu’il répondre à nos questions, sinon on le ramène en
cellule.
Stéphanie soupire et lève les yeux au ciel; elle prend
un autre ton et essaie de calmer l’imam Murama. Elle lui explique gentiment qui
elle est, et ce que les policiers désirent.
-Bon demandez-lui de s’identifier, juste de dire son
nom.
-…
-Imam Muhammad Ali Murama.
-Demandez-lui de donner le nom de sa mosquée et son
adresse.
-Bon; maintenant : à quelle heure il est arrivé à
la mosquée hier.
-À dix heures du matin.
-Est-ce qu’il était seul ?
-Non, le raah numaa du Centre culturel était là.
-C’est quoi ça un raah numaa.
-C’est une sorte de superintendant, celui qui s’occupe
du bâtiment.
-Bon ; est-ce qu’il y avait d’autres personnes à ce
moment-là à 10 hrs le matin.
-Oui, il y avait quelques autres personnes dans Centre
culturel qu’il a saluées.
-Bon, on avance; qu’il nous dise ce qu’il a fait de sa
journée, mettons jusqu’à midi.
-…
-Il a ouvert son courrier, regardé ses courriels, et
il a fait sa prière de mi-journée qui s’appelle adh-dhour. a
-Bon, et l’après-midi ?
-L’après-midi il a surtout travaillé à la préparation
de la cérémonie du soir, le salat-ul-joumou'a.
-OK on avance; à quelle heure est cette cérémonie
-À 19hrs.
-Bon, ça va bien; demandez-lui à quelle heure est
arrivé Amir Mawami.
-…
-Comme d’habitude le vendredi soir Amir Mawami est
arrivé vers 16 heures environ, trois heures à l’avance.
-À 16 heures ? Pourquoi est-ce qu’il arrive à 16
heures ?
-...
-Parce qu’il est, lui, le raah numaa de la mosquée; en
fait c’est le trésorier-sécrétaire et il arrive à l’avance parce qu’il a
toujours beaucoup de travail : régler les comptes, payer les factures...
-C’est quoi le budget d’une mosquée.
-L’imam dit qu’il ne le sait pas.
-Bon, demandez-lui s’il a vu quelque chose d’anormal
ou d’inhabituel hier soir durant la célébration.
-Il dit que non.
-Est-ce qu’il y avait des gens qui étaient là pour la
première fois, par exemple, des étrangers en visite ?
-Il dit que non.
-Est-ce qu’il a remarqué s’il y avait des absents, des
gens qui sont toujours et qui n’étaient pas là hier soir.
-Il dit que non.
-Et pendant la célébration, est-ce qu’il entendu du
bruit dans les bureaux ou dans les couloirs ?
-Il dit que non.
-Il dit que non, il dit que non
! D’après lui il ne s’est rien passé tout était normal et on perd notre temps !
-Je ne fais que répéter ses réponses,
moi !
-Veuillez excusez l’impatience de
l’inspecteur Quesnel, madame Aubut, mais il y a eu un vrai meurtre et on
voudrait bien trouver une piste.
-Demandez-lui ce qui s’est passé
à la fin de la cérémonie.
-Après la célébration, il a
salué les gens qui partaient; il a parlé avec les uns et les autres. Et quand
il était seul il est allé retrouver son « gérant » dans le bureau.
-Et alors ?
-C’est là qu’il l’a vu affalé
sur sa chaise avec tout ce sang qui coulait de son torse. Il a essayé de le
réveiller, mais il n’a pas pu. Il ne savait vraiment pas quoi faire; c’est un
grand malheur, c’est un grand. Finalement au bout de quelques minutes il a
appelé Nawaz Ayub Zardai, un autre homme bien impliqué dans la communauté.
-Bon, qu’est-ce qu’on fait ? On
le relâche ou le garde ?
-Il n’y a qu’une seule chose à
faire : le relâcher; on ne peut pas le garder.
-Madame Aubut, demandez-lui s’il
a un avocat ?
-Non, il n’en a pas; est-ce qu’il
devrait.
-Oui, madame Aubut, dites-lui
qu’il doit se trouver un avocat le plus tôt possible. Pour l’instant on va lui
faire signer sa déposition et on le laissera repartir chez lui mais qu’il ne
peut quitter la ville sans en avertir la police.
-…
-Il répète qu’il n’est coupable
de rien !
-On va reparler à ce monsieur Zardaï.
Madame Aubut, vous êtes libre pour l’instant; on vous rappellera si où a de
nouveau besoin de traduction.
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