Trahisons
Chapitre 7
La semaine qui a suivi la
découverte du corps de Jessica Lemieux noyée dans la Petite Rouge a
probablement été la pire de toute l’histoire du petit village de Ripon. Les
émotions étaient à leur comble, le désarroi était généralisé, l’incompréhension
et la perplexité tenaillaient chacun des habitants, les jeunes en premier et
les adultes tout autant. Toute vie « normale » était interrompue; personne
ne pouvait s’activer à son quotidien comme si de rien n’était. On parlait de
cette affaire à toute heure du jour et de la nuit, dans les maisons, dans les
cours, dans la rue, dans les magasins. À la quincaillerie Lemieux, le travail a
cessé. Une pancarte collée sur la porte dit qu’elle est « Fermée
temporairement ». Les employés ont été avertis de rester chez eux. Les
quelques clients qui y viennent regardent en vain à travers la porte sans
pouvoir percevoir le moindre signe de vie.
Une atmosphère lugubre règne également à la résidence familiale
Roy-Delorme, celle de Joannie. Ses parents ont attendu quelque peu à la morgue
de Papineauville. Puis Paul est venu les chercher. Un simple drap blanc
recouvrait le corps de leur fille. Quand l’employé de la morgue a soulevé le
drap, pas de doute, c’était bien elle, leur petite fille, leur fille chérie,
leur trésor. Vision horrible ! Ni le père ni la mère n’ont pu retenir leurs
cris et leurs sanglots de désespoir. Et maintenant, il leur fallit s’occuper
des funérailles, des funérailles de leur petite fille. Où et quand serait-elle
exposée ? Quand aurait lieu la cérémonie ? Quelle lot choisir dans le cimetière
? Et quelle pierre tombale ? Quel cercueil leur conviendrait ? Quels bouquets
de fleurs ? Quels vêtements choisir ? Fallait-il faire imprimer des petits
signets ? Avec quelle photo de Joannie ? Combien de voitures dans le cortège ?
Quel sera le meilleur buffet ?
Comme dans un était second, les parents prennent une après ces
décisions, sans vraiment s’apercevoir de tous ces gens, amis, voisins,
connaissances, qui vont et viennent dans la maison en un constant tohu-bohu
étourdissant.
-C’est l’autopsie qui révèlera si oui ou non elle est morte noyée, donc
si elle vivante ou déjà morte quand elle est tombée à l’eau.
Paul faisait un exposé de la situation à l’équipe concernée dans son
bureau.
-C’est maintenant un cas de mort suspecte. Ça m’étonnerait que
l’autopsie puisse déterminer si elle a été poussée ou non, même si on découvre
des fractures aux avant-bras, il sera probablement difficile de dire si c’est
parce qu’elle a voulu se protéger ou si c’est à cause de la corde du courant. Mais
tout ce que l’autopsie pourra nous dévoiler sur son état physique avant cette
chute nous sera utile… Le périmètre autour de la chute a été agrandi pour inclure
le lieu de la découverte du corps; il faut passer ça au peigne fin. Je t’en
charge, Dandonneault, et ton équipe. Je vous rejoindrais le plus tôt possible.
« Maintenant la question du téléphone cellulaire. On sait qu’elle
l’avait quand elle est partie de chez elle le vendredi soir, mais on ne l’a pas
trouvé sur elle. La question est : est-ce qu’on le lui a enlevé ? Est-ce
qu’elle l’a perdu au moment de sa chute ou dans la rivière ? Les quatre hommes
de la section de Jean-Daniel Turgeon, c’est votre boulot. Vous me fouillez
minutieusement le fond de la rivière en commençant par la chute.
-Et moi ? demande Roxanne.
-Toi, je t’envoie à l’école de Joannie; elle doit être en ébullition.
Je sais qu’on a envoyé une équipe spéciale de psychologues et de travailleurs
sociaux pour aider les jeunes à s’exprimer et à passer à travers. Avec leur
aide, tu collecteras le plus d’informations possibles sur Joannie, auprès de
ses amies notamment. Prends Isabelle avec toi.
La polyvalente Jules-Chiasson à
Lachute, construite dans le années 1970, est un bâtiment terne et plat, composé
d’un rez-de-chaussée et d’un étage, sans saveur et sans odeur, aux murs
parsemés de graffitis. Il y a bien eu ces dernières années un gros effort fait
pour la rendre plus attrayante en améliorant l’aménagement extérieur : un
vaste espace vert agréable et relativement bien entretenu, l’entourait d’un
écrin de verdure et de nature; malheureusement, le gazon était strié de
cicatrices grises des nombreux raccourcis qu’empruntaient les élèves et souvent
de nombreux déchets – verres en plastique, contenants en styromousse, feuilles
de papier… – se retrouvaient sous les arbres ou autour des marches des divers
escaliers. Ce qui contrastait avec le fait que l’école s’était donnée une
vocation environnementale avec programmes précis de compostage et surtout de
récupération de papier, des piles, des cartouches d’imprimantes, anciens
ordinateurs, cellulaires, etc…
Le directeur en est monsieur
Raymond Riendeau, un homme qui frôle la soixantaine d’années, donc une personne
avec l’expérience nécessaire pour bien s’acquitter de ses responsabilités, en
en même temps qui doit prendre sa retraite l’année prochaine et qui a hâte d’y
arriver.
-Oui, votre demande est légitime,
mademoiselle, mais vous devez comprendre le niveau d’émotion de nos étudiants. Ils
sont plus de 500 ! De cinq niveaux, sans compter les cheminements particuliers.
On a fait appel à la commission scolaire pour des avoir l’aide de psychologues
supplémentaires. Tous les étudiants qui le veulent peuvent aller les consulter
pour leur parler, et plusieurs en profitent pour ne pas aller en classe, et
plusieurs autres ne se sont même pas présentés ce matin. De toute façon, l’horaire
des cours a été suspendu. Il était impossible à notre corps professoral de
dispenser quelque enseignement que ce soit dans un tel contexte.
-La mort de Joannie est considérée
comme suspecte; nous devons trouver des informations qui nous permettront de
l’éclaircir, par exemple, pourrait-il s’agir d’un suicide ? Ou un meurtre ?
-D’un meurtre ?
-Toutes les hypothèses sont
examinées, il nous est primordial de pouvoir rencontrer les camarades de classe
de Joannie, de même que ses professeurs.
-Pour ses professeurs vous
devriez commencer par son titulaire, Pascal Samson. Il pourra aussi vous dire
qui étaient les amis proches de Joannie.
Sans être ouvertement efféminé, Pascal Samson est manifestement homosexuel.
-Non ! Joannie ne se serait
jamais suicidé. Elle était une bonne élève, elle travaillait bien; elle aimait
l’école, elle aimait la vie; je pense même pouvoir dire qu’elle aimait sa vie. Le
matin elle semblait toujours de bonne humeur; le professeur titulaire passe les
vingt premières minutes de la journée avec son groupe, pour une petite mise en
train, pour échanger les information de la journée, pour faire la liste des
absences. Le groupe titulaire de secondaire cinq est important, car ce sont les
plus vieux de l’école. Il faut leur accorder une certaine importance. Joannie n’était
pas celle qui se faisait le plus remarquer mais d’après ce que j’ai pu voir, elle
s’intégrait bien au groupe.
-Parlait-elle aux autres ?
-Oui, il me semble bien qu’elle parlait à tout le monde; elle
participait aux discussions en tout cas. Elle ne semblait pas chercher à s’isoler,
si c’est ce que vous voulez savoir; en tout cas je ne l’ai jamais vue se
disputer avec d’autres élèves.
-Avait-elle changé récemment ?
-Changer ? À moi, il ne m’a rien paru de tel. Mais je ne suis ici que
depuis deux ans; certainement que d’autres la connaissent mieux que moi, par
exemple madame Tessier, une des professeurs de français qui est ici depuis… disons
depuis plusieurs années et qui connaît tout le monde.
-Si Joannie avait changé cette
année ? Oui, c’est vrai, elle avait changé. Je la connais depuis qu’elle est
arrivée en secondaire un. Avant, c’était une jeune fille « normale »
qui s’intéressait aux garçons, à la mode. Cette année, oui elle était différente,
comme plus adulte, plus mature; plus réservée, plus sûre d’elle-même aussi.
Plus discrète aussi, il me semble, moins expansive. Oui, probablement qu’elle
se livrait moins facilement. C’est vraiment terrible ce qui lui est arriver
-Savez-vous ce qui a pu provoquer
ce changement ?
-Non, j’avoue, que je n’ai pas
cherché à savoir. L’année dernière, elle avait eu des problèmes, des petites
choses avec son père, qui la couvait trop. Mais vous savez, elle n’est pas dans
mon groupe titulaire, j’en ai assez de miens ! Et je ne l’ai pas en français
cette année. Je me dis que oui, elle avait changé, surtout parce que vous me
posez la question. Une fois, par exemple, en début d’année, je l’ai croisée
dans le couloir; elle m’a dit simplement bonjour comme il faut poliment, sans
plus. Je lui ai demandé comment ça aller, ce qu’elle avait fait l’été, dernier,
mais elle a répondu évasivement, comme s’il y avait quelque chose qu’elle cachait,
alors qu’elle avait toujours été spontanée, expansive avec moi.
-Saviez-vous vous qu’elle
s’était impliquée dans une secte protestante ?
-Non, je ne le savais pas, je
l’ignorais; on ne s’est pas parlé beaucoup depuis le début de l’année. Vous
pensez que c’est relié ?
-Je ne sais pas, D’après vous
qui étaient ses meilleures amies ?
-Ah, ça c’est facile. Bien sûr
Melissa Lemieux, puis Sharon Guidon, et deux autres Cynthia St-Viateur et
Carinne Valois. Elles formaient un groupe uni.
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