Meurtre à la mosquée
Chapitre 3
-Tilitilitilitilitilitilitilitili….
-Pourquoi faut-il toujours que ce foutu téléphone
sonne quand on est sous la douche ? Il doit y avoir une conspiration quelque
part.
-Agathe est-ce que tu peux répondre ? C’est sans doute
papa qui appelle.
-Mais maman, je regarde mes émissions !
-Je sais, mais dis à papa que je suis dans ma douche.
-Hon, hon, hon, hon… Allo ! Papa ! Maman est dans la
douche !
-…
-Maman ! C’est pas papa. C’est une femme.
Mais qui est-ce
que ça peut bien être si tôt un samedi matin ?
-Allo ! (En fait, intérieurement, Stéphanie, avait
plutôt dit : À l’eau ! )
-Madame Stéphanie Aubut ? C’était en effet une voix de
femme jeune qui essayait de se faire pardonner de la déranger un samedi matin.
-Oui, c’est moi.
-Bonjour, je suis Roxanne Quesnel-Ayotte, officière de
la Sureté du Québec au poste de Papineauville; je suis désolé de vous déranger
si tôt le matin. Je vous appelle de la part du directeur Paul Quesnel et pour
le secteur des homicides. On aurait besoin de vous en tant qu’interprète.
Le cerveau de Stéphanie se met finalement en branle,
mais elle n’arrive pas à saisir parfaitement.
-Le secteur des homicides ? De Papineauville ? Je ne
comprends pas.
-Vous êtes bien madame Stéphanie Aubut, n’est-ce pas ?
-Euh, oui…
-Nous avons trouvé votre nom et numéro de téléphone dans
le répertoire de l’Agence fédérale de l’immigration pour laquelle vous servez
d’interprète qualifiée au besoin.
-Oui, c’est vrai; mais c’est pour traduire de l’ourdou
au français.
Stéphanie avait fait une maîtrise en littérature ourdou
à l’Université de Montréal puis un doctorat et avait forcément appris à parler cette
langue durant ses études. Elle s’était intéressée à cette civilisation lors d’un
voyage en Indes qu’elle avait fait pendant ses années au CEGEP. Mais la civilisation
indienne lui avait vite parue trop complexe dans son ensemble et elle s’était concentrée
sur l’ourdou, parlé dans le nord de l’Inde et une bonne partie du Pakistan. Plus
de 165 millions de personnes utilisent l’ourdou pour communiquer et c’est la
langue maternelle de près de 80 d’entre elles. Ainsi, depuis la fin de sa
maîtrise, elle servait d’interprète pigiste pour Immigration Canada dans bien
des cas de personnes qui demandaient le statut de réfugiées pour rentrer au
pays. Ce n’était pas toujours facile, car il y avait beaucoup d’idiomes et
d’accents différents, mais avec le temps au cours de ces cinq dernières années elle
était devenue de plus en plus appréciée. Depuis deux ans, Jeannot et elle
avaient déménagés à Gatineau située en face de la capitale Ottawa, de l’autre
côté de la rivière des Outaouais, car c’est là qu’avaient lieu la plupart des
entrevue.
Roxanne poursuivait.
-Oui, c’est exactement ce dont on a besoin; nous avons
avec nous un imam qui a passé la nuit chez nous au poste de la Sureté du Québec
à Papineauville… Et nous voulons l’interroger au plus vite concernant une
histoire de meurtre. Alors on a besoin d’une interprète qualifiée qui ne soit
pas de la famille.
-Et pourquoi moi ? Et maintenant ?
-Pourquoi vous ? Parce que les interprètes de l’ourdou
sont assez rares, et oui, maintenant : il s’agit d’un meurtre qui a eu
lieu hier soir et il est urgent de procéder à l’interrogatoire de ce témoin.
-Mais je ne peux pas venir maintenant. Je suis seule à
la maison avec deux jeunes enfants et de plus…
-Est-ce que vous avez une gardienne habituelle ?
-Oui, c’est sûr, mais…
-Et bien essayez de la rejoindre et demandez-lui de
venir; tous vos frais seront rajoutés à votre rémunération. Il y a déjà une
voiture de la Sureté du Québec en route pour venir vous chercher.
-Bon, bon; je vais voir ce que je peux faire.
Donnez-moi vos coordonnées… Je téléphone à la gardienne et j’attends la
voiture.
-Parfait, madame; on vous attend.
Roxanne raccroche l’appareil légèrement contrariée.
Oui, elle est désolée d’avoir déranger cette pauvre Stéphanie Aubut tôt le
samedi matin, mais la fin de la soirée avait été passablement mouvementée et
elle avait peu et mal dormi. Le médecin légiste était arrivé et avait confirmé
ce que tout le monde savait que l’homme poignardé était mort; l’autopsie
devrait confirmer qu’il était décédé du ou des coups de poignard qu’il avait
reçu. Puis les infirmiers se s’étaient occupés du corps et l’avaient transporté
à la morgue plutôt qu’à l’hôpital. Elle avait ensuite passé au peigne fin avec
Isabelle et Turgeon le lieu du crime, le bureau dans lequel on avait trouvé le
corps, dans l’espoir d’y trouver des indices. Elle avait fait un relevé des
empreintes sur les poignets des deux portes, celle du bureau et celle qui
donnait sur l’extérieur; Il ne fallait pas négliger cette piste. Mais la scène
du crime avait tellement été bouleversée par les interventions de l’imam, qu’elle
accomplissait cette tâche plus par acquis de conscience que par conviction.
Pendant ce temps son père avait terminer l’interrogatoire
de monsieur Nawaz Zardai.
-Donc hier soir, vendredi, comme d’habitude,
vous aviez une rencontre de prière ?
-Oui, sans
doute savez-vous que le vendredi est pour nous les musulmans un jour aussi
important que le dimanche pour les chrétiens ou que le sabbat pour les juifs. Vendredi
en Islam est un jour de fête très important. D’ailleurs il y a une sourate dans
le Saint Coran qui lui est consacrée pour montrer son importance. Ainsi, la prière du vendredi est une prière collective; elle se tient chaque
vendredi… en fait, elle devrait se tenir au début de l’après-midi, mais dans beaucoup de pays
occidentaux, à cause des horaires de travail, on l’a déplacée en début de
soirée. Tout le monde participe à cette prière, tous les membres de la
communauté. Pour les hommes, cette prière du vendredi est obligatoire, et pour
les femmes elle est souhaitable.
-Les femmes se tiennent
au balcon qui leur est réservé, c’est ça ?
-Oui, en effet.
-Ce sont donc les hommes
qui sont dans la salle principale du rez-de-chaussée ?
-Oui, c’est exact.
-Alors Amir Mawami
a facilement pu sortir pour s’en aller dans le bureau on l’a retrouvé durant la
prière.
-La prière du vendredi se caractérise par divers
rituels de génuflexions et des prières proprement dites, mais surtout par un
sermon prononcé par le prédicateur, par l’imam de la mosquée. Amir profitait
souvent de cette prêche pour faire ses comptes dans son bureau.
-Faire ses comptes ?...
-Oui, il arrive
fréquemment que les gens arrivent à la mosquée avec leur dû, la zakat, qui est
une aumône que l’on donne pour l’entretien de la mosquée et pour secourir les
pauvres; et plusieurs personnes apportent leur dû en espèce… C’est comme ça. Et
Amir Mawami est celui qi les récolte et les compte.
-Et il y a beaucoup d’argent
?
-Je ne sais pas
exactement… Plusieurs centaines de dollars probablement; il faudrait vérifier
dans les comptes de la mosquée. Vous croyez que le vol pourrait être le motif
de ce crime ?
-Pour l’instant je ne
sais rien, mais il ne faut rien exclure.
Ensuite Paul avait fait comprendre à moitié en anglais
et à moitié par geste à l’imam Murama qu’il devrait venir avec lui au poste de
la Sureté du Québec. Il essayait de lui faire comprendre qu’il n’était pas
suspect, mais qu’il était préférable pour l’enquête qu’il ne parle avec
personne de la communauté pour ne pas que son témoignage et le leur soit
faussé. Ça n’avait pas fait son affaire à l’imam quand il avait compris qu’il
devrait aller au poste de police, il avait protesté avec force gesticulations
et vociférations; il avait appelé Nawaz
Ayub Zardai à sa rescousse, mais celui-ci ne pouvait guère lui venir en aide ni
contredire la police.
Et la soirée n’était pas terminée, certes non !
Un attroupement s’était formé devant la mosquée de
curieux attirés comme des mouches par les gyrophares, sans compter que la
nouvelle avait commencé à circuler dans la communauté musulmane. Et de plus,
les journalistes étaient qui exigeaient des informations de la part de la
police.
Paul avait délégué sa fille pour répondre à leurs
questions.
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