Cela se passait près d’un lac
Chapitre 17
Est-ce
l’odeur, la bonne odeur du café qui réveille Juliette ? Ou est-ce le bruit que
fait Paul en maniant la cafetière ? Elle étire un bras en dehors de la duvette
pour attraper le réveille-matin numérique posé sur la table de nuit; il y jette
un coup d’œil torve : 05h34. Pourquoi Paul s’est-il levé si rôt ? Par la
fenêtre, elle voit qu’il fait encore sombre, que l’aube en a encore pour une
bonne demi-heure à se déployer avant que la nuit laisse sa place au jour. Mais
elle voit aussi la neige tomber mollement. C’est une fine, très fine neige,
mais régulière et persistante et sans doute partie pour tomber pendant quelques
heures. Bientôt toute la contré de l’Outaouais va disparaître sous une nouvelle
duvette blanc immaculé. Plaisirs et rires d’enfants sont certainement en
perspectives, mais cauchemar des automobilistes et maux de tête pour les agents
de la paix.
Que fait debout si
tôt son policier d’amoureux ? Elle sort un pied puis l’autre du lit, enfile sa
robe de chambre et descend l’escalier.
-Bonjour…
-Heu, bonjour, mon
adorée. C’est moi qui t’ais réveillée ?...
-Peut-être un peu…
Tu te lèves plus tôt que d’habitude…
Paul a toujours été
un lève-tôt. Quand il avait 10-12 ans, il se levait tous les jours, six jours
par semaine à 6h30 du matin, et ce sans aucun problème, pour aller passer le
Montréal-Matin dans le rue de son quartier, avant de revenir à la maison,
déjeuner avec ses frères (sa sœur était encore trop petite et elle dormait encore),
et attraper l’autobus scolaire. Et cette habitude lui est toujours restée. À l’école
secondaire, alors que la grande majorité des jeunes ont la réputation de
veiller le plus tard possible et de ne pas être fonctionnels avant midi, au moins,
il était un peu à contre-courant de sa génération : il aimait se coucher
tôt et se lever tôt. Le cerveau fonctionne mieux quand il est reposé,
répondait-il sans prétention quand on lui faisait des remarques. Bientôt, il avait
pris la routine de préparer ses leçons ou même ses examens le matin, ou bien de
juste lire, et ça lui avait bien servi au CEGEP et durant ses études de
policier.
-Oui… je n’arrivais
plus à dormir… Je suis désolé, je ne voulais pas te réveiller… Je te prépare
une tasse de café ?
-Oui, merci… Ça sent
bon…
Juliette regarde son Paul verser la tasse. Depuis
quelques mois, ils ont pris la décision de vivre ensemble, et c’est elle qui
est venue s’installer chez lui. Elle a toujours sa maison à Lac-des-Sables,
mais ils ont convenu que c’était plus pratique pour lui de rester à Plaisance,
d’où ça ne lui prenait que quinze minutes pour se rendre à son travail. La
maison de Lac-des-Sables leur servirait l’été, et peut-être, espérait-elle une
fois qu’il aurait pris sa retraite, ce qui, espérait-elle encore, ne saurait tarder.
-Merci… C’est la possibilité d’une tempête qui te
stresse un peu ?
-Oui et non… C’est sûr que ça en rajoute une couche
sur une journée qui s’annonce déjà très chargée.
-Ah oui ! C’est aujourd’hui que vous devez aller à
Brébeuf, Roxanne et toi, dans cette enquête sur la mort du journaliste du Courant… Ça te tracasse à ce point-là pour
te troubler le sommeil ?
-Je ne sais pas… Ça va demander une certaine
préparation… Alors avec la neige qui s’ajoute, oui, ça va compliquer les
choses… Mais c’est vrai…
-C’est vrai quoi ?
-C’est vrai que ce sera un peu un saut dans
l’inconnu : on ignore tout ce de qu’on va chercher, et on ignore
totalement ce qu’on va trouver là-bas… Ça fait bien des questions sans réponses.
-Je vois… Fais attention à toi… Faites attention à
vous deux, mais fais attention à toi, mon chéri que j’aime. Je viens tout juste
de te trouver, même si c’était sans vraiment te chercher et je ne voudrais pas
qu’il t’arrive quelque chose. On a encore bien de belles années à passer
ensemble !
-Tu as raison, mon adorée. Je te promets de faire
attention. Ne t’inquiète pas...
Un beau câlin fait toujours du bien.
Paul avait réuni son équipe pour préparer la journée. À
son arrivée il a dû répondre à quelques urgences à cause de l’état des routes, mais
le voilà maintenant, une heure plus tard, qui expose ce qu’il a en tête. Il y a
là tous ceux et celles qui ont participé à l’enquête de la mort « suspecte »
du journaliste Simon-Pierre Courtemanche. La plupart sirotent leur café; ils se
partagent une boite de pâtisserie. Il y a là, assis autour de la grande table,
qui sa tablette, qui son portable posé devant eux, sa fille Roxanne, bien sûr :
Isabelle Dusmenil et Félix Turgeon, ainsi que Sabrina Mila et Benoît Sauriol-Fortier.
Charles Gazaille et Victor Petitclerc sont également
présents; ces deux derniers avaient principalement assumé la garde du chalet
des jésuites au bord du lac Dansereau, là où le corps du journaliste a été retrouvé;
ce lieu n’étant plus désormais considéré comme une scène de crime, les barrières
de sécurité ont été levé il y a deux jours.
-Je crois, dit Paul, que la neige, en
fait, va nous aider dans notre intervention. Vous savez que nous pénétrons en territoire
inconnu. Nous savons que Simon-Pierre Courtemanche menait, depuis plusieurs
mois, une enquête journalistique qui devait, selon ses dire « faire du
bruit ». Malheureusement, il voulait en garder le scoop et ne s’est confié
à personne. Sauf que de forts indices, notamment ce qu’a pu découvrir Yannick
et ce que nous a dit son ex-conjoint, nous font croire qu’il menait cette
enquête à ou près de Brébeuf, à la limite nord-est de notre territoire. C’est
donc ce lieu que nous allons investir. Même comme nous ne savons pas ce que
nous cherchons, nous allons faire une petite mise en scène. Et c’est en cela que la neige va nous servir…
On peut entendre plusieurs murmures
interrogateurs.
-Je m’explique. Comme je l’ai dit nous
partons en territoire inconnu. Nous ne savons pas ce que nous cherchons, ni ce
que nous allons trouver; il faut donc y aller avec, je dirai, circonspection…
Nouveaux murmures interrogateurs.
-Soyez plus clair, patron !...
-Je veux dire qu’il faut y aller avec
prudence, en prenant des précautions. Nous ne savons pas sur quoi portait l’enquête
de Courtemanche : s’agissait-il de simples malversations dans les affaires
municipales, de recel de produits volés, de l’établissement d’un club de
motards ?... Ça peut être n’importe quoi. Alors en même temps, il faut s’attendre
à toute éventualité, et nous devons être en nombre suffisant, mais d’un autre
côté nous ne pouvons nous rendre en trop grande force à Brébeuf, ça pourrait faire
échouer toute l’opération. Il nous faut donc une bonne excuse pour s’installer
à Brébeuf et c’est la neige qui va nous la fournir : nous allons établir
des barrages routiers sous prétexte de conditions de routes difficiles. Deux équipes
seront postées aux deux extrémités du village, avec vérification des voitures
qui en entreront, surtout, et de celles qui en sortiront; vérification des
vitesses en premier, mais aussi des permis valides, des pneus d’hiver, etc… Trouvez
tout ce que vous pourrez trouver, mais en même, vous serez continuellement en
alerte pour intervenir au premier appel. Parce que pendant ce temps, Roxanne et
moi, nous irons faire le tour du village et au moindre signe suspect, on vous
appellera.
Paul fait une petite pause.
-Turgeon et Isabelle vous prendrez le
coin sud de la route 323, et Sabrina et Benoît vous prendrez le côté nord. Vous
faites votre travail de policiers « normaux », mais vous devrez être
prêts à intervenir immédiatement. Compris ?
Quatre voix répondent : « Oui,
c’est compris, chef. »
-Quant à vous deux Charles et Victor,
vous resterez dans les environs. Patrouillez sur la 323, sur la 315, et la 364,
mais sans jamais trop vous éloigner. On pourra avoir besoin de vous n’importe
quand pour poursuivre quelqu’un qui s’enfuirait par exemple. Dans tous les cas,
nous restons en contact permanent.
Les trois auto-patrouilles se sont
dirigées vers le petite village de Brébeuf de façon à ne pas arriver en même
temps, toujours éviter d’éveiller l’attention; d’abord les deux équipes qui doivent
s’installer aux abords du village chargées des contrôles routiers, puis presque
une heure après Paul et Roxanne.
-Tu as l’air songeur, papa.
-Oui, peut-être un peu…
-Tout va bien ?
-En fait, je n’ai pas très bien dormi
cette nuit; je me suis réveillé tôt… J’ai… j’ai comme un poing près des reins…
Je n’ai rien dit à Juliette parce que je n’ai pas voulu l’inquiéter, mais je
crois que je serai dû pour aller faire une visite au médecin.
-Et tu n’as pas très envie d’y aller…
-C’est à peu près ça.
Roxanne reste quelques instants silencieuse;
puis elle se tourne vers son père au volant.
-Et comment ça va tes acouphènes ?
-Ah, tu m’en poses des questions !! Ça aussi,
ça m’embête un peu… C’est toujours là; â ne m’empêche pas de travailler, mais jusqu’à
ça va durer.
Cette fois-ci, Roxanne se contente de
regarder la route qui défile.
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