Les balayeurs des cœurs perdus
Ce matin-là, comme tous les
matins, alors que le soleil pointe à l’horizon, l’équipe de garde des balayeurs
des cœurs perdus s’est préparée; c’était comme d’habitude. Chaque sous-équipe a
pris ses balais et s’est mise en route pour balayer les cœurs perdus durant la
nuit. Chaque balayeur – et j’emploie le masculin même s’il y a quelques femmes
dans l’équipe des balayeurs des cœurs perdus – a enfourché non pas son balais
mais son tricycle en sifflotant, car ils sont écologiques les balayeurs des
cœurs perdus, équipé d’un balais, d’une pelle et d’un grand bac bleu. Ils quadrillent
la ville et la parcourent dans tous les sens, allant dans tous les coins, tout
en sachant bien, les balayeurs des cœurs perdus, qu’il y a certains quartiers
où il y a bien plus de cœurs perdus à balayer que d’autres.
Mais ce matin-là, contrairement
à d’habitude, contrairement à tous les autres matins, c’est toute une surprise
qui attendait les balayeurs des cœurs perdus ! Les balayeurs des cœurs perdus n’ont
rien trouvé à balayer ! Stupeur et consternation ! Ébahissement et étonnement !
Stupéfaction et ahurissement ! Ni dans les rues, ni sur les trottoirs, ni dans
les ruelles, ni même dans les parcs, ni même dans les fonds-de-cours. Rien; on
a regardé deux fois plutôt qu’une dans les fossés, sous les buissons, dans tous
les coins et les recoins. Pas le moindre petit morceau minuscule de cœur perdu
à balayer !
Tout penauds et vexés, désarçonnés
et décontenancés, confus et piteux, qu’ils étaient les pauvres balayeurs des
cœurs perdus. Ah oui, ils étaient bien ennuyés les balayeurs des cœurs perdus !
Ah oui, elles étaient bien ennuyées les balayeuses des cœurs perdus !
Alors ils sont revenus vers le
centre de répartition, en se retournant continuellement juste au cas où, les
yeux rivés vers le sol, et espérant, espérant encore qu’ils n’avaient pas la
berlue, qu’ils ne rêvaient pas, qu’ils n’étaient pas en prise avec une
hallucination collective.
Qu’est-ce que voulez messieurs-dames
? Qu’est-ce que voulez que je leur dise pour les consoler ces pauvres balayeurs
des cœurs perdus ? Qu’est-ce que voulez que je leur dise pour leur remonter le
moral?
Peut-être tout simplement, après tout, que les cœurs perdus sont passés
de mode. Ce sont des choses qui arrivent, n’est-ce pas ?
Peut-être bien que je devrais
leur dire qu’ils devraient se recycler les balayeurs des cœurs perdus. Peut-être
qu’ils devraient se mettre à balayer les rayons fanés qui tombent du soleil sur
les trottoirs et sur les rues, et dans les parcs et les arrière-cours depuis
quelque temps. Ça, ça serait très utile après tout : on ne l’a peut-être pas
remarqué, mais ils tombent en nombre de plus en plus grand chaque jour et
personne ne fait rien !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire