L’harmonica
(Cette nouvelle est la suite de la précédente.)
Saïd était fier de son
trophée : un bâton à faire de la musique ! Il l’avait reçu d’un soldat qui
en avait joué dans le village.
Un matin, Saïd avait été intrigué par des sons que personne n’avait
jamais entendu dans son village; ça c’est sûr, personne n’avait jamais entendu
de tels sons : métalliques et doux en même temps. Alors il s’était rapproché
pour mieux entendre et surtout pour voir ce qui pouvait provoquer de tels sons.
C’était un soldat ! Un soldat qui soufflait dans une sorte de bâton et qui
produisait ces sons.
Saïd avait toujours vu des soldats dans son village. La plupart d’entre
eux étaient méchants; ils criaient, ils étaient brutaux, ils avaient des armes.
Mais ce soldat-là n’était pas comme les autres : il était à demi-assis sur
le pare-choc de son véhicule et il soufflait dans son bâton à musique. Et Saïd
l’avait regardé jouer, fasciné, hypnotisé, pendant de longues minutes. D’autres
enfants étaient venus le rejoindre; ils formaient un cercle autour du soldat et
ils se poussaient du coude pour mieux voir. Ils le pointaient du doigt en
murmurant et ils ricanaient de cette diversion dans leur quotidien de peur et
de misère.
Et voilà que lorsque le soldat avait fini de jouer, il les avait
regardé et leur avait souri. Il avait dit quelque chose mais personne n’avait
compris. Ses mots avaient fait fuir quelques enfants, surtout les filles. Mais
le soldat avait de nouveau parlé et c’est à lui, Saïd, qu’il avait adressé la
parole. Saïd n’avait pas compris, mais le soldat lui avait tendu le bâton à
faire de la musique… comme pour le lui donner ! Les yeux écarquillés d’une
telle largesse miraculeuse, ne pouvant croire à sa chance inestimable, il s’en était
emparé ! Tout de suite, il avait tourné les talons sans demander son reste, de peur
que le soldat veuille lui reprendre son trésor.
Saïd était allé se réfugier dans un coin de murs un peu à l’arrière de
sa maison et il contemplait son butin. Le bâton était de couleur rouge, avec
des plaques en métal qui luisaient; il le caressait, il le frottait sur sa
joue. Les autres enfants s’étaient rapprochés mais il ne voulait le prêtre à
personne. C’était à lui !
Depuis lors, Saïd ne quittait plus son bâton à musique; fier comme le
roi des rois il l’avait montré à sa mère et à sa grand-mère qui vivait avec
eux. Il l’avait toujours avec lui de peur qu’on le lui vole; à table il le
gardait sur ses genoux de peur de le perdre pendant qu’il mangeait; le soir en
se couchant il le mettait sous le
coussin qui lui servait d’oreiller. Et surtout il en jouait tout le temps. Sa
mère devait le mettre dehors pour avoir un peu de silence dans la maison.
Il avait découvert qu’il suffisait de souffler dedans et les sons en
sortaient ! C’était magique, féerique, merveilleux ! Il avait même trouvé qu’on
pouvait en tirer des sons non seulement en soufflant mais aussi en aspirant.
C’était vraiment prodigieux ! Ce n’était pas la même musique que celle jouée
par le soldat, mais Saïd n’en avait cure; il jouait et c’est tout; en fait, il
soufflait et ça faisait des sons. Quand il jouait il oubliait la guerre, il
oubliait la faim, il oubliait tout; quand il jouait, il oubliait la soif qu’il
ressentait. Il avait les lèvres gercées à force de jouer, mais il était
tellement heureux.
Le plus extraordinaire c’est qu’il arrivait maintenant à faire une
série de notes qui ressemblait à une petite chanson. C’était épatant ! Il
sautillait comme un petit chevreau tout excité. Et tout le monde le regardait
plein d’admiration.
Tous les autres enfants de son âge et même les plus vieux, étaient
jaloux de lui; tous voulaient essayer son bâton à musique. Mais Saïd
hésitait : il avait tellement peur quand le lui vole. Alors quand il le
prêtait, c’était avec d’innombrables conditions et précautions, et pour
quelques secondes seulement.
Saïd n’avait jamais revu le soldat. Peut-être était-il parti en mission
dans une partie du pays. Peut-être était-il retourné en son pays. Il ne savait que
vaguement que les soldats se battaient contre des groupes terroristes en
Afghanistan. Et que cette guerre durerait plus de dix ans et qu’elle ferait
plus de 500 000 morts dans la population. Mais Saïd ne devait pas en voir
la fin de toute façon.
Saïd ne sait pas les soldats
canadiens ont été déplacés en se basant sur la constatation que la région a été
stabilisée. Cet après-midi là, alors qu’il joue gaiement de son harmonica, une
balle d’un tireur embusqué le tue net. Il s’écroule et son sans coule dans le
sable.
« C’est interdit de faire
de la musique ! » grogne une voix quelque part.
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