SPT
Lorsque Stéphane était au secondaire, quelques-uns des garçons de sa
classe s’étaient engagés dans les « cadets ». Il ricanait lorsqu’il
les entendait en parler. Pour lui et ses amis, ce n’était une espèce de club
avec des rituels débiles pour scouts attardés qui s’amusaient à parader comme des paons dans leurs uniformes, qui échangeaient des
promesses à la vie à la mort, et surtout, surtout qui devaient suivre une
discipline de fer, qui devait obéir aveuglément à des ordres stupides
férocement hurlés un supérieur maniaque, imbécile et sans-cervelle. Oui, il
fallait être complètement débile pour vouloir en faire partie.
Stéphane ricanait bien… sauf que, parfois, dans les couloirs de
l’école, ou dans la cour de récréation, quand les garçons de sa bande n’étaient
à proximité, il tendait l’oreille lorsque les cadets parlaient de nombreuses
activités dynamiques qu’ils faisaient en groupe, que ce soit les compétitions
sportives, les cours qu’ils avaient ensemble sur le leadership, sur l’estime de soi ou sur la connaissance de soi,
ou les activités de civisme dans la communauté auxquelles ils prenaient part;
ou à la rentrée scolaire, lorsqu’ils racontaient leur séjour très intense et
très stimulant qu’ils avaient fait au Camp d’été du Centre d’instruction de
Bagotville au Lac-Saint-Jean ! Un autre aspect de ce qu’il entendait sur les
cadets l’intéressait particulièrement : les cadets ce n’était pas juste
pour les garçons, il y avait aussi des filles ! Faire du camping avec des
filles, faire du sport avec des filles, faire des excursions avec des filles
!... il y avait de quoi en rêver la nuit.
Stéphane avait vraiment ouvert grand ses oreilles quand certains
d’entre eux avaient dit qu’ils se préparaient à entrer à l’École de musique des
cadets de Saint-Gabriel-de-Valcartier près de Québec ! Des lieux magiques qu’il
aurait bien aimé visiter lui aussi.
Car ce que Stéphane aimait par-dessus tout c’était de « faire de la musique »,
c'est-à-dire gratter sa guitare dans le garage de la maison paternelle. Il s’était
fait offrir une guitare électrique et des amplificateurs et avec deux ou trois
autres de ses amis, Ken, un bassiste, Louis, un joueur de batterie, Pinotte, un
autre guitariste, ils s’entraînaient fort plusieurs soirs par semaine. Ils
jouaient la musique des Rolling Stones en premier lieu, puis U2, Nirvana, Black
Sabbat, Nickelback, Evanescence, Hoobastank, Sum 41… Puis,
graduellement, ils ont commencé à composer leur propre musique. À force de
persévérance, ils obtiendront un premier contrat pour animer les soirées au bar
The Red Clover dans le quartier
Villeray. Personne ne les écoutait, et ils n’étaient pas payés beaucoup, mais pour
Stéphane, ils étaient au faîte de la gloire.
Ce contrat sera leur premier et leur dernier, à part une prestation au
bal de fin d’année à l’école. Car le genre de musique qu’ils privilégiaient
n’encourageait peu les invitations. Après l’expérience du Red Clover, le groupe s’est défait et Stéphane est resté seul,
désœuvré. Pas de métier, pas de travail, pas d’expérience, sans diplôme
d’études secondaires, il ne savait pas quoi faire de sa vie. Il s’est trouvé un
petit emploi d’emballeur dans une épicerie.
Jusqu’au jour où est venu chez lui pour une visite, son oncle Jean-Guy,
le frère de sa mère, qui était aumônier militaire. Stéphane se sent
agréablement surpris de le voir. Il lui pose des questions sur son métier.
« La carrière militaire, c’est la plus belle de toute ! Pour un
jeune, il n’y a rien de mieux pas juste pour former le caractère, mais aussi
pour faire quelque chose de bien de sa vie. Il y a la camaraderie, les voyages,
le dépassement, le sens du service. Tu devrais essayer ça, Stéphane.
-J’peux pas, j’ai même pas fini mon secondaire.
-Pour t’enrôler, tu as besoin d’un secondaire IV terminé. C’est ce que
tu as, n’est-ce pas ? Et puis, si tu t’engages l’armée te payera tes études ! Tu pourras
compléter ton éducation, faire ton CEGEP, même avoir une formation
universitaire ! Puis, tu vas voir d’autres pays; comme on dit, les voyages
forment la jeunesse !
-Mais ça doit être dur !
-C’est vrai qu’il y a une partie challenge, physiquement il faut être
en forme, mais ce n’est pas la seule chose qui compte : il faut avoir une
tête sur les épaules aussi pour faire partie de l’armée ! C’est tout aussi
exigeant mentalement.
Stéphane réfléchit. Il se souvient très bien de l’enthousiasme que
manifestaient les cadets de son école, il n’y a pas si longtemps.
-Pis en plus, peut-être que tu pourras faire de la musique, toi qui
aimes ça.
-Ouais, j’pourrais y penser.
-Puis si tu veux qu’on s’en reparle, tu sais comment me rejoindre !
C’est ainsi que, la graine ayant été semée, quelques semaines avant ses
vingt ans, Stéphane se rend dans bureau d’enrôlement des forces armées. Très
intimidé par l’édifice et l’aspect solennel des lieux, il se retrouve devant un
sergent qui l’intimide encore davantage, chargé de lui faire passer une
première entrevue.
« Ce qui rend le Programme de base des forces armées
vraiment unique, c’est qu’il offre des expériences
qu’on ne peut obtenir nulle part ailleurs! Il stimule ton intérêt pour
les activités de la Marine, de l’Armée ou de l’Air des Forces armées
canadiennes (FAC). À cette fin, nous offrons une instruction dynamique dans un
environnement de soutien et d’efficacité où le changement constitue un élément positif
et essentiel.
-J’aimerai bien être
mécanicien dans l’armée de terre.
-Lorsque tu t’enrôles dans la Force régulière, tu dois y servir pendant
quelques années. La durée de ton service dépend de la demande pour tes
aptitudes ainsi que de la durée de ton instruction. En règle générale, le
minimum est de trois ans. Cependant, si tu t’enrôles par
l’entremise des programme d’études universitaires ou collégiales payée, les
Forces paieront tes frais de scolarité au niveau universitaire ou collégial, tes
livres et ton matériel scolaire, en plus de te verser un salaire et de te
procurer des avantages sociaux pendant que tu fréquentes l’établissement. En
contrepartie du paiement de tes études, les Forces te demandent de servir dans
leurs rangs durant un certain temps après l’obtention de votre diplôme. On
calcule la durée du service comme suit : deux mois de service pour chaque mois
d’études subventionnées.
« Les quatre mots-clefs de tout engagement dans les Forces armées
sont : Loyauté,
l’expression de notre dévouement collectif envers les idéaux des forces armées pour
l’ensemble de ses membres ; Professionnalisme,
la réalisation de toutes les tâches avec fierté et diligence ; Respect mutuel : le fait de traiter autrui
dignement et équitablement; et Intégrité :
le courage et l’engagement pour illustrer la confiance, la sincérité et
l’honnêteté.
Stéphane ne sait trop que
dire : c’est trop beau pour être vrai.
Le mois d’après, il revient
pour passer un examen médical complet déterminant pour son engagement et ses options
de carrière. Il sait qu’il n’est pas très en forme, mais il croit être
en bonne santé. On lui demande de revenir ensuite viennent des tests d’aptitude
et de culture générale; son français n’est pas très bon, il le sait.
Enfin viennent les tests physiques, ceux que redoutent le plus
Stéphane; dans ce domaine-là également il se sait moyen. Mais il veut y
arriver. Les tests terminés, Stéphane est épuisé.
Sur le chemin du retour, il ne
croit guère à ses chances. Il a, en principe, réussi toutes les épreuves, mais
est-ce que se résultats sauront convaincre les recruteurs ?
Deux semaines plus tard, il reçoit une lettre avec l’en-tête des Forces
armées canadiennes. Il s’enferme dans sa chambre pour l’ouvrir plein
d’appréhension. Il a réussi : c’est sa lettre d’engagement ! Il ne peut
s’empêcher de sauter de joie. Il doit se présenter en septembre au Collège des
Forces armées de Saint-sur-Richelieu pour commencer son instruction de base. Il est important d’être en bonne forme physique avant d’entreprendre l’instruction
de base. Stéphane fait du vélo tout l’été; il va à la
piscine; dans sa chambre, il fait des push-up
et des set-up trois fois par jour.
Le camp de Saint-sur-Richelieu est un grand ensemble de bureaux
administratifs, de maison pour les officiers, de casernes, de terrains de
sports extérieurs, d’entrepôts, de gymnases, de salles de cours et
d’auditoriums; il y a jusqu’à un musée de l’histoire militaire du Canada et une
petite école pour les enfants qui vivent sur la base de même qu’une chapelle
œcuménique. Sans doute que mon oncle jean-Guy est déjà venu ici, se dit
Stéphane. Il n’a pas assez d’yeux pour tout voir. Ça lui prendra plus que la
visite de bienvenue pour se rappeler de tout. Ce même jour, il fait la
connaissance des autres jeunes de sa promotion. Dans sa chambrée, ils sont
huit, tous impatients, Stéphane comme les autres, d’entreprendre leur
instruction de base. Des jeunes de son âge venant de divers horizons,
idéalistes comme lui; il s’aperçoit que certains ont même moins d’éducation que
lui…
L’instruction de base de toutes jeunes recrues consiste surtout à
améliorer leur condition physique. Les séances
d’entraînement (aérobie et musculaires) se font, au début, de trois à cinq par
semaine, pour devenir à la fin, quotidiennes et de plus en plus intenses.
-Au cours de la première semaine de l’instruction de base, vous passerez
un test visant à évaluer le niveau de votre condition physique. Vous devez
réussir ce test pour poursuivre votre instruction de base. Le test comprend
trois épreuves : un sprint de 80
mètres pendant lequel il faut adopter la position
couchée tous les dix mètres; une traction de sacs de sable sur une distance de vingt
mètres, qui consiste à transporter un sac de sable de vingt kg tout en tirant
au moins quatre sacs de sable sur le sol; une course-navette sur vingt mètres
pour mesurer la capacité aérobique. Si vous n’atteignez pas les
trois objectifs de l’évaluation de la condition physique, mais que vous
réussissez au moins une des trois épreuves, vous pourrez suivre un programme
d’entraînement au sein de la Compagnie de préparation des guerriers de l’École
de leadership et de recrues des Forces canadiennes. Vous aurez un maximum de 90
pour atteindre les trois objectifs du test. Si vous ne réussissez pas à
atteindre ces trois objectifs au bout de 90 jours, vous serez libéré des Forces
armées canadiennes.
Stéphane sait qu’il va réussir;
il s’est bien assez entraîné durant l’été.
Après cinq semaines, il reçoit
la permission des instructeurs de voir ses parents qui pourront désormais lui
rendre visite la fin de semaine et les jours de congé. À la première visite, sa
mère a de la peine à le reconnaître tant il a forci et grandi; mais son regard
et son air ne sont plus les mêmes non plus : on y voit un sérieux
impressionnant, une résolution nouvelle qui s’épanouissent. En partant, c’est
un peu gênée qu’elle l’embrasse sur les deux jours tandis que son père lui
serre simplement mais vigoureusement la main. Ils partent.
Une bonne
condition physique est essentielle du service militaire. Une bonne moitié de ses journées est consacrée
aux marches et à l’entraînement physique. Le reste du temps, Stéphane et ses
camarades suivent des cours sur les compétences essentielles et les
connaissances militaires de base : le maniement des armes, les premiers
soins, et les valeurs d’éthique. Les soirs sont consacrés à l’entretien de
l’équipement personnel et des quartiers, sans oublier la préparation des cours
du lendemain. Et bien sûr, on rit allégrement des gaffes des uns ou des autres;
certains se défoulent avec des imitations de tel ou tel officier. Son voisin de
lite Antoine est particulièrement doué. On fait aussi de la musique :
harmonicas, flutes, accordéons et guitares sortent de dessous les lits; c’est,
pour « Stéf » (comme le surnomme maintenant ses camarades),
l’occasion idéale de faire valoir. Ses petits talents, son entregent et
surtout son désir de plaire, font vite de lui l’animateur des soirées de la caserne. Un soir que ses camarades l’acclament à tout rompre,
il sait que l’armée sera sa vie.
Quelle fierté que la sienne lorsqu’il revêt l’uniforme pour la première
fois ! Les séances périodiques
d’entraînement physique se poursuivent et les préparent aux exercices en
campagne. Stéphane apprécie particulièrement les exercices de campagne qu’ils
doivent faire beau temps mauvais temps. Ils exercent leurs habiletés militaires
pratiques comme le tir, l’utilisation de cartes et d’une boussole et font des
marches sur différentes distances en tenue de combat complète en portant armes
et havresac. Parfois les exercices durent plusieurs jours et ils doivent
construire leurs propres abris, cuisiner leur repas, assurer les tours de
veille.
-La réussite
de l’instruction de base dépend de votre contribution à l’effort collectif. Si
vous n’êtes pas en bonne forme physique, votre rendement dans les exercices en
campagne sera médiocre et vous ne serez pas un bon coéquipier.
Le « parcours du combattant » comprend des épreuves physiques comme l’escalade de
parois de deux mètres et de quatre mètres et d’un filet de quatre mètres, ainsi
que la traversée d’une tranchée de quatre mètres de largeur, accroché à des
barres de suspension.
Il finira par être capable de
courir sur des distances de plus en plus longues, jusqu’à six kilomètres. Mais
la natation, pourtant un élément clé de l’instruction de base, demeure le point faible de Stéphane. Il doit arriver à sauter à l’eau en portant un
gilet de sauvetage et à nager sur une distance de cinquante mètres au milieu
des courants. Il s’entraîne aussi avec pugnacité à faire la culbute à l’eau
sans veste de sauvetage, à nager sur place durant deux minutes puis tout de
suite après nager sur une distance de vingt mètres.
L’entraînement est dur. Durant ces six mois, il s’agit de se mettre
dans la meilleure forme physique tout en réussissant bien aux études. Les gars
ont des cours d’histoire militaire et les grandes batailles, d’histoire du
Canada et sa participation aux différentes guerres. Ils reçoivent quelques notions de stratégie
Il parcourt la géopolitique mondiale. Ils
apprennent à reconnaître les différents
types armes. Ils apprennent la discipline et elle devient un automatisme
pour eux. Stéphane doit souvent faire de gros efforts de mémorisation pour tout
retenir. Il constate avec un mélange de déception et d’orgueil, que de temps en
temps, l’un de ceux qui avait commencé en automne avec lui a abandonné, ou pire
a été renvoyé chez lui.
Lui, il
persévère dans ses études, termine son secondaire et complète une formation de
mécanicien. Son « instruction de
base » est en voie de se terminer. Lorsque instructeur lui fait passer
l’évaluation finale, il peut aussi bien et même mieux que certains de
coéquipiers effectuer les exigences qui lui sont demandées : une marche forcée de treize kilomètres en tenue de
combat complète sur des terrains accidentés, courir jusqu’à six kilomètres,
réussir des tests poussés d’extensions des bras et de redressements assis,
réussir des tests de natation, et enfin escalader des murs et traverser des
fossés dans le cadre de courses à obstacles. Il réussit toutes les épreuves
haut la main, même celles de natation. Il devient fantassin.
Bientôt, lui et son nouveau
bataillon, reçoivent de leur colonel la nouvelle tant attendue : pour leur
première opération ils seront envoyés en Haïti, pour maintenir l’ordre après le
tremblement de terre et aider à la reconstruction du pays. Le cœur battant, il voit le jour du départ
approcher. Ce jour-là, ces parents viennent lui dire au revoir. L’un et l’autre
le sert dans ses bras. Son oncle Jean-Guy est venu aussi. Il lui sert la main
en homme et lui dit à quel point il est fier de lui.
-Fais honneur à l’uniforme que tu portes.
L’orchestre joue l’hymne national que tous les soldats et les membres
des familles entonnent en chœur.
Stéphane part à la découverte du monde. Il n’avait jamais pris l’avion
auparavant. Au décollage, il est un peu nerveux, surtout que les quatre
puissants moteurs du pesant CC-130 Hercules vrombissent bruyamment et que
l’avion même semble vibre de toutes ses tôles. Le vol dure quatre heures.
Stéphane se détend un peu grâce à l’entrain des autres soldats et aux
encouragements des anciens, mais il ne peut rien avaler. Le sergent insiste et
il prend quelques bouchées du poulet BBQ qu’on leur a servi. Il passe son temps
à regarder par les hublots essayant d’apercevoir soit la terre soit la mer.
L’atterrissage est un autre moment stressant. Stéphane a mal au cœur et
on distribue à la troupe de la gomme à mâcher. Quand il sort de l’avion il ne
peut s’empêcher de tirer la langue à cause de la chaleur suffocante. Mais tout
de suite on les appelle pour le déchargement des vivres, du matériel, des armes
et des munitions, de l’équipement médical, des bagages personnels… Puis la
troupe s’entasse dans des camions et le long cortège se rend au camp.
Stéphane se retrouve dans un contingent qui comprend aussi des Belges
et des Congolais; tous des soldats qui parlent français.
-Soldats ! Bienvenue au camp de
base de la MINUSTAH. La MINUSTAH a été
établie le 1er juin 2004 par la résolution
1542 du Conseil de sécurité. Cette
Mission de l’ONU a succédé à une force multinationale intérimaire qui avait été
autorisée par le Conseil de sécurité en février 2004 après le départ en exil du
Président Bertrand Aristide au lendemain d'un conflit armé qui s’était étendu à
plusieurs villes du pays. Le tremblement
de terre dévastateur du 12 janvier dernier a fait plus de 220 000 morts, dont 96 personnes employées par l'ONU. Le 19 janvier, le Conseil de
sécurité, dans sa résolution
1908, a approuvé la recommandation du
Secrétaire général portant sur l'augmentation des forces de
la MINUSTAH sur le terrain pour aider ce pays à se relever, à se
reconstruire et à retrouver le chemin de la stabilité. Depuis la MINUSTAH s'est employée à
continuer d'exercer son mandat , consistant à : restaurer un
climat sûr et stable; appuyer le processus politique en
cours; renforcer les institutions
gouvernementales et les structures d'un État de droit; promouvoir et à protéger les droits de
l'homme à Haïti.
Quel contraste entre le campement et la pauvreté environnante ! Des
familles entières vivent dans des camps de tentes, sans aucun confort, sans eau
courante, attendant la construction de leur maison. Et il y a des enfants
partout ! Cette mission en Haïti n’a pas un très haut niveau de risques; c’est un peu comme faire la police,
mais avec une autorité reconnue par tous.
Les officiers disent au régiment de Stéphane qu’ils représentent
l’autorité des Nations-Unies et les valeurs du monde libre. Leur mission sera
d’aider un peuple accablé à se relever vers la liberté et la prospérité. Ils
auront à patrouiller les rues de Port-au-Prince et les environs pour réduire
les pillages, à contrôler la sécurité des camps de réfugiés, à aider à la
construction d’hôpitaux, d’écoles et de bâtiments administratifs, à transporter
des denrées de premières nécessité tout en maintenant des contacts avec la
population locale basés sur le respect et la justice.
Stéphane fait ses premières expériences sexuelles, entraîné par le
reste de son groupe dans des lieux consacrés à cet effet. La jeune fille qui
l’attend dans la cambre a de jolis traits. Elle est à demi-nue et sa peau –
toute noire ! – est légèrement humide de sueur. Ces seins sont tout ronds,
plantureux. En quelques minutes tout est terminé. Mais les fois suivantes, il
saura en profiter davantage.
Stéphane apprend à boire aussi, de la bière surtout et du rhum qui
coule en abondance. Il se met à fumer également. Dans se moments libres,
Stéphane fait un peu de musique avec un groupe improvisé; il se défoule sur sa
guitare. Il écrit à sa famille, il envoie des photos. Cette première mission
doit durer un an. Après six mois, il a droit à un congé de trois semaines.
Quand ses parents le voient à l’aéroport, ils n’en reviennent pas. Il a
tellement changé ! Il est transformé ! Plus posé, plus sérieux. Plus costaud
bien sûr. À la maison, son frère antimilitariste le nargue, mais Stéphane sait
comment lui répondre et comment ne pas
répondre.
Il sort dans les bars de son quartier avec d’anciens amis. Il retrouve
Ken et Louis. Pinotte, lui, est parti « faire de l’argent » en
Alberta. C’est lors de l’une de ces soirées qu’il rencontre Julie.
« Qu’est-ce que tu fais dans la vie ?
-Je suis militaire.
Plus qu’impressionnée, elle ouvre de grands yeux.
-As-tu déjà été blessé ?
Sans se faire prier Stéphane lui raconte ses « exploits »,
tout en sirotant une bière. Ils parleront longtemps et passeront la nuit
ensemble. Quand il repart pour sa base à la fin de son congé pour s’en
retourner en Haïti, ils se promettent de s’écrire chaque semaine. Ce qu’ils feront.
-Vous vous demandez peut-être quelle influence aura la carrière dans le
domaine militaire que vous avez choisie sur votre famille. Quand ils ne
participent pas à un exercice d’entraînement ou à une opération, la plupart des
militaires travaillent des journées régulières de huit heures, avec du temps
libre après le travail pour passer avec la famille et les amis. Vous aurez la
possibilité de louer des logements sur la base, ou d’acheter ou louer une
maison dans les environs. Comme dans n’importe quel autre emploi, vous voudrez
sûrement avoir une maison qui réponde aux besoins et au budget de votre famille.
Stéphane revient d’Haïti. Lorsqu’il est affecté à la base de Petawawa
en Ontario, quelques mois plus tard, Julie et lui se marient pour pouvoir être
ensemble. Elle le suit et s’installe avec lui sur la base dans un appartement
qui devient le leur. Une Zoé leur naîtra l’année d’après.
-Vos enfants auront toujours accès aux meilleures écoles, soit sur la base
ou dans les environs. Ici encore, le choix des écoles pour vos enfants est
toujours le vôtre. Et quand vous déménagez, ils continueront d’obtenir la même
qualité d’éducation quel que soit le pays ou la province où vous serez affecté.
Au printemps, Stéphane et son régiment sont envoyés dans la région du
Richelieu où l’état d’urgence a été déclaré à cause d’inondations dévastatrices.
Ils remplissent des sacs de sable, construisent des digues, portent secours aux
sinistrés, aident au nettoyage et à la reconstruction. Les gens leur apportent
du café, des sandwiches; ils veulent se faire prendre en photo avec les
soldats.
Pour sa deuxième mission, Stéphane est envoyé en Afghanistan. Julie vient
tout juste de lui apprendre qu’elle est de nouveau enceinte. Ça lui tente moins
de partir, mais ce sont les ordres. Les adieux sont beaucoup plus difficiles
cette fois-ci.
-Les Forces offrent également plusieurs programmes pour aider votre famille
quand vous êtes déployé ou affecté à une mission d’entraînement loin de la
maison par l’entremise de son réseau de centres de ressources pour les familles de militaires. On
en trouve un sur chaque base canadienne : ces centres sont dotés de
professionnels formés pour aider à répondre aux besoins de votre famille. Ils
offrent également des services comme des services d’orientation professionnelle
pour les conjoints, et des programmes de garderie et de loisirs pour les
enfants.
Les but des forces armées canadiennes en Afghanistan est de
déloger les groupes terroristes d’al-Quaïda. Elles sont déployées dans la
région de Kandahar.
-Sous le régime des talibans, il
était interdit aux filles d’aller étudier; les femmes n’avaient pas le droit de
travailler, de sortir de la maison sans être accompagnées de leur mari, de
recevoir des soins. Elles devaient toujours porter la burqa en public. Elles
pouvaient être battues si leurs chevilles étaient visibles; elles étaient
lapidées si elles avaient des relations sexuelles hors mariage. Pour les punir,
on pouvait leur couper les lèvres, les oreilles, les violer publiquement, ou
autres violences en tous genres. Les viols de masse restaient impunis. Le
cinéma et la musique étaient interdits. Il était interdit de rire en public. Il
faut en venir avec cette barbarie.
Les soldats canadiens ne restent pas inactifs. Les premières semaines,
ils doivent s’habituer au climat; il y a de la poussière partout. Ils ont des
cours intensifs pour apprendre l’histoire du pays, quelques rudiments de la
langue pachtoune. L’une de leurs tâches principales est de s’occuper de l’hôpital
de Kandahar. Les jours et les patrouilles se suivent mais ne se ressemblent
pas : une journée à serrer des mains, l’autres à essuyer des coups de feu.
Un après-midi, tout est plus calme que d’habitude. Est-ce le calme
avant la tempête ? Pendant un halte, à l’ombre d’un édifice à demi en ruine,
Stéphane sort de sa poche son petit harmonica et joue quelques notes de Sur le pont d’Avignon. Ce qui a
instantanément un effet magique. En quelques instants, deux dizaines d’enfants
se rassemblent autour de lui en se donnant du coude. Ils rient à ces sons
étranges à leurs oreilles. En un concert improvisé, Stéphane joue Meunier tu dors, Le tournesol, Do, le do…
Les autres soldats vont le guet, mais il n’y a rien de suspect. Stéphane vit comme
un rêve. L’appel du rassemblement le ramène à la réalité.
« Ça s’appelle un harmonica.
Les enfants se débandent; sauf un petit garçon qui regarde intensément
son harmonica.
« Tu le veux ? Tiens je te le donne; j’en rapporterai un autre de
mon pays.
L’enfant se sauve son trésor dans ses mains.
En Afghanistan, Stéphane va connaître la vraie guerre; celle des
bruits, des explosions, des tirs, du feu, des cris, de la peur au ventre, des
morts, des ordres hurlés que personne ne comprend. La tâche de son unité est de
participer à la construction d’une route en dur de Kaboul à Kandahar, la troisième plus grande ville du pays : un parcours de 80
kilomètres. Les routes de terre sont excellentes pour les attentats et celle-ci
doit être asphaltée coûte que coûte. Les anciens énumèrent aux nouveaux la
longue des dangers qui les guettent.
À sa deuxième sortie, le véhicule blindé dans lequel il se trouve
saute : un pneu a éclaté. Stéphane est
légèrement blessé. Il passe deux jours à l’hôpital. Son commandant vient le
voir pour le féliciter et l’aumônier pour le réconforter. Chaque jour les
soldats surveillent et protègent les travailleurs. Le travail n’avance pas
vite.
Un autre jour, alors qu’ils
marchent l’un derrière l’autre, à quelque distance du chantier. Stéphane, voit
son ami Benoît sauter sur un mine antipersonnel et éclater en morceaux à
quelques mètres en avant de lui. Il hurle, il tire dans tous les sens, il
appelle à l’aide. La patrouille cherche les coupables dans les villages
voisins. Stéphane est comme enragé. Les soldats défoncent des portes, des civils
sont tués, ils tirent sur des enfants. On fait des prisonniers. Stéphane est
légèrement blessé une deuxième fois. Il est rapatrié pour une permission. Il
retrouve sa Julie, sa petite Zoé, et le bébé Coralie. Il essaye de refaire le
plein d’énergie, mais il doit repartir avant.
En Afghanistan, ces supérieurs le remarque pour son calme et la
pugnacité qu’il déploie. On lui offre de faire partie de la FOI : Force
opérationnelle interarmées.
-La Force opérationnelle
interarmées est une unité d’élite composée d’un personnel choisi selon des
critères bien particuliers. Les forces armées canadiennes lui confient des
missions de confiance qui nécessitent de la détermination et une rigueur sans
faille la rigueur devant être réussies avec discrétion. On
n’accepte pas le défaite.
Après un entraînement particulier Stéphane est intégré dans la FOI. Il
doit apprendre toute une série de codes à utiliser tant dans les communications
en mission que dans ses rapports. Il sait manier de nouvelles armes, plus
sophistiquées. Durant les deux dernières années de sa mission, son quotidien
sera de trouver des renseignements à tout prix, quitte à de torturer les
prisonniers au besoin. C’est le prix de démocratie et de la liberté.
Mars 2014 marque le départ des derniers soldats canadiens du sol
afghan. Sur quarante mille soldats
canadiens déployée, 158 morts. Une guerre qui a duré douze ans et qui n’est pas
terminée. Les trois dernières années sont consacrées à la formation des troupes
locales. C’est vrai qu’aujourd’hui 24% des filles (par rapport à seulement
0,5%) et 60% des enfants au total vont à l’école, mais tout cela est bien
fragile. Un conflit qui aura couté plus de vingt milliards de dollars. C’est la
peur au ventre que la population voit partir les soldats étrangers.
Stéphane revient de la guerre; il se sent fatigué d’une lassitude qu’il
refoule. Il retrouve sa petite famille sans joie. Il reste tout la journée à
regarder la télévision, remâchant ses souvenirs, étouffant ses émotions. Il
essaye de faire un peu musique, mais il n’a plus la dextérité qu’il avait, et
d’ailleurs ça ne lui dit plus rien. Il est bien allé trois ou quatre fois aux
séances de décompression et de soutien psychologique animées par des
travailleurs sociaux, mais sans que cela lui vraiment effet. Il n’y a que
l’alcool qui le soulage quelque peu. La drogue, il n’aime aps trop ça.
Le 9 mai 2014, la population
canadienne est appelée à une commémoration.
-Depuis octobre 2001, plus de 40
000 membres des Forces armées canadiennes et civils ont été déployés en
Afghanistan afin de promouvoir la sécurité, le développement et la gouvernance.
Malheureusement , plusieurs Canadiens ont consenti l’ultime
sacrifice pour atteindre ces objectifs, et plusieurs autres ont été blessés
dans l’exercice de leurs fonctions. Aujourd’hui, partout au Canada, nous
honorons la mémoire de ces hommes et ces femmes et rendons hommage à ceux et
celles qui sont revenus. Rassemblons-nous pour observer, partout au pays, deux
minutes de silence pour rendre hommage aux hommes et aux femmes qui ont perdu
la vie ainsi qu’à ceux et celles qui sont revenus.
Stéphane y est allé à contre cœur. Sur le chemin du retour, il garde
une mine renfrognée. Julie ose une remarque.
-Peut-être que tu souffres du "syndrome
post-traumatique", lui suggère Julie un matin où il se sent plus déprimé
encore. Tu ne serais le seul : 17% des soldats en souffrent, tu sais. J’ai
entendu parler d’un organisme, les Wounded
Warriors, qui s’occupe de ça. Ça pourrait t’aider à passer par-dessus.
Cette réflexion fait bondir Stéphane hors de ses murs de silence.
-Jamais j’irais là ! Tu comprends rien, toi. Si j’ vais là les
officiers vont dire que je suis malade et j’vais tout perdre; j’vais tout
perdre ma pension. Ils peuvent même me mettre dehors. T’auras plus rien pour
vivre. C’est ça que tu veux ?
Alors c’est l’escalade : les cris succèdent aux sautes d’humeur et
les menaces vont place aux crises de colère. Il se fâche contre Julie; pour un
rien il s’énerve contre les filles. L’ambiance à la maison devient toxique.
Quand Julie raconte les déboires à sa sœur au téléphone celle-ci ne
peut s’empêcher de la mettre en garde.
Julie le défend : « C’est qu’une mauvaise passe. Il va passer au
travers. »
-Tu le défends encore et tu ne veux pas voir la vérité; ça devient
dangereux pour vous trois.
-Jamais il ne menace les
enfants; et je sais que jamais il ne me touchera.
-On dit ça, jusqu’à l’inévitable…
L’inévitable se produit.
Alors que Julie est partie se promener dans les rues du petit quartier
familial, par une belle journée de juin
ensoleillé, avec Zoé et Coralie, Stéphane prend son arme de service et guette
son retour. Julie revient avec les enfants. Il entend la porte d’entrée
s’ouvrir. Juste au moment où Julie pénètre dans le salon, Stéphane se tire une
balle dans la tête.
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