La bougie qui ne voulait pas s’éteindre
Il existe au Danemark
une très jolie coutume de Noël qui date du XIIIème siècle. En ce pays, quand on
fête la naissance du Sauveur, le soir du 24 décembre, chaque famille se fait un
devoir d’allumer des bougies sur l’arbre et aussi partout dans la maison pour
éclairer la nuit et célébrer Noël. Voici pourquoi.
Aabenraa est aujourd’hui
une grande ville moderne, mais au temps de notre histoire ce n’était qu’une
bourgade de pêcheurs et de marchands qui vivait du commerce que lui permettait
son fjord profond. L’hiver, cette année-là, était rude, comme il peut l’être
souvent en ce pays du Nord et les activités portuaires en étaient
considérablement ralenties. On se
préparait donc pour la Noël (« Jul » comme on dit en danois). On n’échangeait pas de cadeaux comme
on le fait aujourd’hui, mais on savait parer le village, danser sur les places
et festoyer en famille.
À Aabenraa, comme dans d’autres
villes danoises, la sécurité des rues, le soir, était assurée par le veilleur
de nuit (vaegter) qui avec son fanal
et son bâton, accompagné de son chat, passait dans les rues en chantant de sa
voix tonitruante pour avertir voleurs et autres filous de sa présence - on peut
d’ailleurs voir sa statue sur la vaegterpladsen
à Aabenraa . Durant cette période de l’année, le veilleur de nuit rythmait ses
pas de chants de Noël qui étaient repris de maison en maisons par les gens
qui, ce soir-là, comme à l’accoutumée se préparaient à aller à l’église pour la
grande célébration de la Nativité.
Les femmes se coiffaient
de leur fichu, les enfants entrechoquaient leurs sabots en frétillant d’impatience.
Il faut dire que la reine Margrethe, adorée de ses sujets, possédaient un
château à Aabenraa et qu’elle y résidait presqu’à l’année longue, ne se rendant
à København, la capitale, que pour raisons d’État. Dans l’église de la ville on
avait construit deux alcôves sur le côté afin de permettre à la reine et sa
famille et aux notables du lieu d’assister aux offices religieux, tout en étant
admirée, de ses sujets. Et les gens savaient que la reine ne saurait
manquer la messe de Noël.
Les gens du village
montaient dans la neige, en petits groupes, jusqu’à l’église; ceux des
alentours y venaient en carrioles à skis en s’emmitouflant sous les couvertures
et les fourrures. Tous et toutes se faisaient une joie de célébrer la venue de
l’enfant-Dieu.
Tous… sauf Knud-le-grincheux,
comme on l’appelait, et jamais homme n’avait mieux porté surnom.
Knud-le-grincheux n’aimait rien du tout de ce qui s’appelait fête, réjouissances,
célébration. Il ne pensait qu’au travail dur sur la terre et marmonnait à tout
venant de la frivolité des gens à cette époque de l’année. Ses enfants et sa
femme devaient marcher droit et n’osaient guère contester. Ils vivaient dans
une chaumière à l’extérieur du village et voyaient peu souvent les autres gens. Or donc, ce
soir-là, ils allèrent se mettre au lit comme
d’habitude.
Ce n’était pas Knud ne
croyait pas à la venue de Dieu sur la terre en un petit enfant -quand même il
ne fallait pas se moquer des choses saintes - mais il ne pouvait supporter la vue des gens qui danseraient et
chanteraient sur le parvis de l’église après la grande messe. Alors il gardait
les siens à la maison malgré les visages défaits des enfants. Après avoir raconté
l’histoire du bébé Jésus, de sa mère, des bergers, des anges et des rois, à la
fin du repas, la mère avait couché les enfants; maintenant elle s’affairait à
ranger la salle à manger, tandis que Knud fumait sa pipe en regardant par la
fenêtre la neige qui tombait pesamment.
-Le vent va se lever; il
y a une tempête en route, dit-il.
En effet, une tempête se
préparait; déjà la nuit était noire comme du charbon, et au loin on pouvait
voir le début de la poudrerie sous les premières bourrasques. D’ici peu, une
heure au plus, toute la région allait subir les assauts d’une terrible tempête.
Hochant la tête, sa
femme approuvait; en soupirant elle pensait à tous ces gens qui reviendraient
chez eux dans la tempête. « J’espère qu’il n’arrivera rien de fâcheux à
personne, » se disait-elle. Sa tâche terminée, elle alla dans la chambre
pour se coucher.
C’est alors que Knud se
lève pour éteindre la bougie et faire de même. Il souffle : la flamme ne fait
que vaciller; il souffle une deuxième fois : même chose. Alors il fait plus
attention, il souffle droit sur la flamme avec vigueur : mais la bougie ne
semblait pas vouloir s’éteindre !
« Est-ce drôle que
ce phénomène, » se dit Knud-le-grincheux, ou plutôt Knud-l’étonné.
Il se met à souffler et
souffler et souffler de plus en plus fort, de tous côtés, dans tous les sens,
mais rien n’y fait; il s’enrage, il gesticule, il grimace, il grogne, il peste,
il postillonne, il halète, il est tout rouge… le pauvre Knud-l’abasourdi ! mais
la bougie refuse catégoriquement de s’éteindre.
« Par la mâle mort,
dit Knud tout haut, qu’est-ce que ce mystère ? Serait-ce le démon ? » se
demande-t-il sentant une bouffée d’angoisse lui monter à la gorge. Il appelle
sa femme et lui montre la bougie ensorcelée.
-Laisse-la ! il ne faut
pas tenter le diable, murmure-t-elle en pieuse croyante de son temps.
Mais Knud
répond :
-Ah, mais ça ne va pas
se passer comme ça! Je veux que ma chandelle s’éteigne. Ne serais-je plus
maître dans ma maison ?
Il décide de l’étouffer
et il prend un boisseau et le met à l’envers sur la bougie… mais, phénomène
encore plus étrange, la clarté de la flamme transparaît à travers les fentes du
boisseau et éclaire toute la pièce.
Ni Knud, ni sa femme ne
se sentent très rassurés et la tempête qui fait rage maintenant au-dehors
ajoute à l’aspect fantomatique du moment. Quand, tout-à-coup, ils tournent la
tête en entendant qu’on frappe à la porte. Serait-ce le diable ?
Ils se regardent,
craignant de faire quoi que ce soit; ils retiennent même leur souffle. Mais on
frappe à nouveau, quatre coups vigoureux cette fois-ci.
« Ouvrez, ouvrez,
dit une voix. De grâce ouvrez-moi ! »
La mère se décide enfin
et, prenant la bougie d’une main, va ouvrir la porte qui laisse pénétrer un
grand coup de bourrasque et une étrange apparition : un être de grande taille,
tout couvert de neige des pieds à la tête, dont même les traits du visage sont
cachées sous une couche de neige.
-Tak, Tak, mange tak; merci, merci beaucoup, dit l’homme en s ‘approchant
de l’hâtre; il secoue ses vêtements et commence à se réchauffer.
-Qui êtes-vous ?
questionne Knud d’un ton qui se veut assuré mais qui cache mal sa perplexité.
-Je suis un voyageur
égaré et fourbu. Je vais de ville en ville pour porter des messages et des
missives. Je me rendais à Aabenraa depuis Sodenborg et je me suis fais prendre
par la tempête. Ah, quel temps !
-Sodenborg ! mais c’est
à 30 bonnes lieues d’ici !
-Je sais, mais aucune
distance n’est trop grande pour les porteurs de bonnes nouvelles : j’allais
annoncer à une dame de la ville que sa jeune cousine avait eu un adorable bébé,
et que tout s’était passé on ne peut mieux. D’ailleurs j’étais
parti de bon matin pour me rendre à destination à la tombée du jour, mais j’ai
été retardé parce que j’ai du secourir un pauvre voyageur qui avait été
assailli par des brigands. Je l’ai trouvé sur le bord du chemin alors qu’il
gisait à demi-mort depuis je ne sais combien de temps; le pauvre homme ! Et le
temps de m’en occuper et de le mener à une auberge des environs, je me suis mis
en retard et je me suis vu pris par la plus terrible tempête que j’ai vue
depuis longtemps.
Knud et sa femme ne
perdait pas un mot de ce récit.
-Mais voila que pensant
être définitivement perdu dans la tempête - et je recommandais déjà mon âme à
Dieu - j’ai aperçu au loin la lumière de votre bougie. Un vrai miracle ! Je
craignais que tout le monde serait à l’église ou bien déjà couché, mais non,
grâce à vous, parce que vous avez pris soin de laisser votre bougie allumée,
vous m’avez sauvé de la mort. Merci,
merci.
Et l’étrange messager
dans sa joie et sa reconnaissance se met à embrasser Knud et sa femme qui n’osent
trop parler ni trop se regarder. Knud regarde la bougie sur la table et sent
une étrange sensation l’envahir.
-Ah ça, reprend le
voyageur, il faut que je vous remercie. Oui, oui vous m’avez sauvé la vie !
Et aussitôt, il sort de
son havresac des coussins brodés, un tapis, des moufles et des jouets pour les
enfants, un châle délicat pour la mère et même un petit tonnelet
de bière pour Knud. Celui-ci et sa femme regardent toutes ces surprises
avec des larmes dans les yeux.
-Voila pour vous montrer
ma reconnaissance, et c’est encore trop peu pour votre bougie allumée dans la
nuit; mais je vois que la tempête s’est calmée. Je dois porter ma bonne
nouvelle à bon port.
-Comment vous appelez-vous
? demande Knud.
Mais personne ne répond,
la porte s’est déjà refermée. Par la fenêtre, Knud voit une trace de pas dans
la neige qui disparaît dans la nuit étoilée.
Depuis lors, dans tout
le Royaume du Danemark, chaque Noël, on allume des bougies dans la nuit, et on
fête la joie de donner et de recevoir.
Excellente, ta nouvelle !
RépondreSupprimerYvette