Les flammes
de l’enfer
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Assis à son bureau, au poste de
la Sureté du Québec à Papineauville, en cette fin d’après-midi, Paul Quesnel
faisait le bilan de l’été qui se terminait. Il estimait que son équipe avait
bien travaillé; ce n’était pas une grande surprise, non, car avec les années il
avait réussi à instituer un bon climat de travail et maintenir un haut niveau de
motivation, et ses agents et officiers avaient adhéré à sa méthode. Il ne
voulait pas être excessivement exigeant avec son équipe; il essayait juste de
tirer le meilleur de chacun « et de chacune ».
L’été était toujours une saison un peu plus compliquée. Plusieurs de
ses agents, particulièrement ceux qui avaient des enfants d’âge scolaire,
prenaient leur congé, leurs vacances. C’était toujours un casse-tête pour avoir
des effectifs en nombre suffisants pour que le travail se fasse de façon
adéquate. Lui, il préférait, depuis plusieurs années, prendre ses vacances en
automne, durant la saison morte. Il pouvait profiter des réductions bien sûr
sur les réservations, mais il a avait aussi la possibilité de pouvoir visiter
des endroits touristiques sans touristes; c’était pour Paul un plaisir inégalé.
Il aimait beaucoup visiter les lieux chargés d’histoire. Il y a deux ans, il
avait fait Venise et l’Italie du nord : Padoue, Verone, Milan, Turin, pour
finir avec Gênes; il avait à peine entr’aperçu la Toscane aux paysages à couper
le souffle et il s’était promis d’y retourner un jour. Et l’année dernière, ça
avait été Versailles et les châteaux de la Loire (il aimait beaucoup Paris,
mais comme il y était déjà deux fois, il voulait voir autre chose de la France) :
Sully-sur-Loire, La-Ferté-Saint-Aubin, Chambord, Beauregard, Chaumont, et ainsi
de suite jusqu’à Angers. À la fin toute
fin, il était remonté jusqu’en Normandie pour passer deux jours au Mont
Saint-Michel qui l’avait grandement impressionné. Cette année, il avait déjà
son billet d’avion pour la Chine. Il s’était fait un itinéraire à partir de Beijing.
En plus de jongler avec l’horaire des congés, Paul devait s’occuper des
stagiaires. Chaque été l’École de police de Nicolet lui en envoyait un ou deux
qu’il jumelait avec l’un et l’autre de ses agents dans les équipes de
patrouilles. Paul devait remplir un rapport de stage avec évaluation, bilan et
commentaires; c’était ce qu’il était en train de faire : finaliser le
rapport de stage de d’Olivier Jean-Jacques… un jeune homme d’une famille d’origine
haïtienne qui avait passé quatre mois dans son équipe. Un policier noir dans la
police de Papineauville ! C’était bien la première fois que ça arrivait ! Ça
avait fait sensation, il faut le dire. Paul était toujours étonné de la somme
effarante de papier qu’il devait noircir, de formulaires à remplir, de rapport
à écrire, de documents à contresigner, qu’il y avait dans le monde de la police;
sans compter les autres nombreuses heures qu’il devait passer devant l’écran de
son ordinateur à lire d’autre rapports, d’autres directives.
Et puis, en été, il y avait toujours plus de touristes dans la région,
des gens qui ne connaissaient pas toujours bien les routes, ce qui causaient
plus d’accident; il y avait plus de fêtes de famille avec leur lot de gens qui
boivent plus que raisonnablement et dont les esprits s’échauffent au soleil. Plus
de jeunes désœuvrés aussi après la fin des classes; ils ne commentaient pas des
crimes très grave, mais le nombre d’infractions, de violations de domiciles, d’actes
de vandalisme, augmentait considérablement sans qu’on puisse tout résoudre.
Et cette année, il y avait eu ce crime commis dans le presbytère
de Noyan, une violente attaque qui avait causé la mort du pasteur. Ce qui avait
passablement perturbé la petite communauté. Après à peine quatre jours, (Ça s’est vraiment bien passé; on s’en est
bien tiré, Roxanne et moi), on avait procédé à l’arrestation de trois
suspects; après l’examen de faits, le coroner avait porté des accusations d’homicide
involontaire au premier et de complicité et de non-assistance à une personne en
danger aux deux autres.
Après l’enquête et la résolution du crime commis contre le pasteur de
Noyan, Paul Quesnel avait décidé de mettre sa fille en congé. Cette enquête
avait été plus éprouvante pour elle que pour lui, elle avait commis une faute
professionnelle, qui avait eu heureusement peu de conséquences, mais surtout il
voulait lui accorder du temps pour essayer de replacer son couple sur la bonne
voie. Roxanne s’investissait beaucoup dans son travail, et cette enquête avait
provoqué le départ de son conjoint Fabio. Paul ne se sentait pas directement
responsable, mais quand même, il aimait sa fille (et était très fière d’elle) et
ça lui faisait quelque chose. Il savait parfaitement ce que la vie de policier
pouvait exiger d’un couple.
Roxanne avait accepté ce congé et était partie à Montréal; et avec l’aide
de quelques amis, elle facilement avait retrouvé Fabio. Il avait retrouvé un
collectif d’artistes marginaux, autour duquel il avait gravité à son arrivée à
Montréal, il y a huit ans. Le groupe qui se faisait appelé « L’Art-relève »
(Roxanne trouvait le jeu de mots douteux) avait pignon sur rue sur Fullum… de
biais avec le poste général de la Sureté du Québec et du pénitencier de
Parthenais ! C’était une ancienne usine de coton (une « facterie ») juste
assez transformée pour des artistes et des créateurs bohèmes, non-conformistes,
indépendants, contestataires et originaux ! Dans les grandes salles immenses ou
les minuscules ateliers individuels, on retrouvait de tout : artistes multimédias
bien sûr, mais aussi, peintres, sculpteurs, graveurs, imagiers, modeleurs, qui
travaillaient toutes sortes de matériel possible et imaginables : le
papier, le bois, le fer, le plâtre, le cuivre, la broche, le métal, le béton, les
plastiques, la céramique, les matériaux composites, les pièces d’ordinateurs,
de bicyclettes, de vieux meubles; certains travaillaient à la spatule, d’autres
au chalumeau, d’autres encore à la tronçonneuse. Tout l’édifice bourdonnait d’activité,
jour et nuit, surtout la nuit. Roxanne sera frappée du gigantisme de certaines
œuvres qui s’élevaient plus haut que deux étages. Certains artistes étaient
leur œuvre elle-même, comme rester sans bouger au coin d’une rue pour dénoncer
l’immobilisme culturel et de la société ambiante. Ou faire couler l’eau d’un
tuyau et en dévier son cours pour symboliser la vacuité des aspirations
modernes. Ou encore de faire des traces de mains mouillées sur un mur de la
ville, tout de suite disparues, pour souligner ce qu’il a d’éphémère dans la
destinée humaine.
On rentrait dans l’édifice par une petite porte dérobée, qui donnait
sur des escaliers en métal qui grinçaient. Roxanne parcourait les salles et les
étages, et elle devait s’avouer qu’elle était fascinée par ce qu’elle voyait. Elle
avait trouvé Fabio en pleine discussion révolutionnaire avec deux ou trois
autres locataires de la place. Il se sentait dans son élément, parfaitement à l’aise
dans cet environnement un peu subversif, qui défendait à travers les arts de
multiples causes sociales et où les pétitions circulaient autant que l’alcool. Et
probablement un peu de drogue, mais sans doute pas trop, pensait Roxanne. Il habitait
les lieux mêmes, comme quelques autres, s’étant fait une chambre d’un petit
réduit, servant de gardien de nuit contre le vol et le vandalisme. Il n’avait
pas de salaire bien sûr, mais il avait au moins un toit sur la tête, et en
attendant il cherchait à se faire engager comme travailleur de rue par l’un des
groupes militant du quartier. Ce qui était sûr c’est qu’il ne reviendrait pas à
Saint-Aimé, où Roxanne habitait et où il l’avait suivie pendant trois ans.
Roxanne avait pris une chambre dans un motel de banlieue et était restée trois
semaines à Montréal, s’intéressant à ce qu’il faisait, à ses aspirations, écoutant
ses discours passionnés sur les diverses formes artistiques et leur pouvoir
évocateur. Elle ne pouvait s’empêcher de l’écouter. Elle l’aimait toujours, et lui aussi l’aimait
toujours. Mais accepterait-il à nouveau de venir s’encabaner au milieu de nulle
part dans un désert culturel et artistique total ? Autant qu’elle accepterait
probablement, elle, de dormir dans un cagibi de rien du tout. Après trois
semaines, ils avaient convenu de se
séparer en bons termes, de rester « bons amis ». Ils iraient chez
l’un et chez l’autre. Elle devait se faire une raison.
Roxanne avait ensuite pris ses vacances. Deux semaines en Jamaïque, une
aubaine qu’elle avait trouvée sur un site de voyages en surfant sur la toile. Elle
devait partir le lendemain; très bien c’est ce qui lui fallait. Elle avait
laissé sa voiture dans le stationnement de l’aéroport et n’était partie qu’avec
un sac de voyage. L’avion avait atterri à Kingston, l’une des capitales les
plus violentes du monde, mais l’autobus venaient prendre les touristes pour
Montego Bay directement à la sortie de l’aéroport. Malgré toute attente elle
avait aimé ce lieu, cette très belle rivière en cascades, qu’on pouvait escalader,
et qui se jetait dans la mer au milieu d’une magnifique plage de sable blanc et
fin. Il ne faisait pas trop embêter par les vendeurs ambulants, sauf quelques
mâles de l’endroit qui lui avaient des avances très peu subtiles, mais elle souriait
intérieurement d’imaginer leurs têtes si elle dévoilait son métier. Elle avait
pris un cours de plongée avec bobonne, et avait appris à descendre et remonter
en palier, à contrôler sa respiration, puis avait passé deux heures de pur
plaisir en haute mer. Elle s’était dit que ces vacances. Somme toute, lui
faisaient du bien. Elle avait envoyé une carte postale à son père, une à sa
mère et une troisième à Pascale, une amie du secondaire, sa meilleure amie.
De retour à Montréal, elle avait sauté dans sa voiture et était
repartie directement vers l’Outaouais. À son arrivée, chez elle, à Saint-Aimé, un
petit bouquet de fleurs l’attendait à la porte avec une carte de Fabio !
Paul pioche toujours sur le rapport d’évaluation de son stagiaire. Son
téléphone sonne. C’est Jocelyne la réceptionniste.
-Patron ! C’est Jean-Claude Simoneau. Le chef des pompiers de Buckingham.
Paul le connaît bien. Il se devait de connaître les responsables de la
sécurité, de la santé de sa région, les maires, les directeurs d’école, même
les travailleuses sociales. Simoneau n’aurait pas appelé pour rien.
-Je le prends.
-Oui, Jean-Claude. Qu’est-ce qui se passe ?
-Écoute Quesnel, amène-toi; je vais avoir besoin de toi. On a répondu à
un appel d’urgence aujourd’hui. On a trouvait un cadavre complètement calciné.
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