lundi 14 septembre 2015

Les flammes de l’enfer

6

-Merci. C’est sûr que ça va nous aider.
Simoneau repart sur son quatre roues. Pendant que Martin Sansregret regarde ce dernier s’éloigner, Paul Quesnel reste encore un moment à examiner les cendres du chalet. Il fait le tour du lieu en regardant intensément, attentif à chaque détail. L’officière Beausoleil le suit; elle a sorti son appareil et commence à prendre des photos de la scène sous tous ses angles. Ça et là, les cendres fument encore. Le corps est affalé, allongé sur le ventreComme s’il avait fait une chute. Mais d’où ? Il ne peut quand même pas être tombé du toit ? Est-ce qu’il s’est assommé ?
Paul prend son téléphone. Pourvu qu’elle soit chez elle.
-Oui, allo ?
-Roxanne, c’est moi. Je suis content que tu sois chez toi. J’aimerais que tu viennes me rejoindre.
-…!
-Oui, maintenant.
-…
-Oui, oui, je sais que c’est ton jour de congé. Mais j’ai ici une situation qui sort de l’ordinaire, et je vais avoir besoin de toi pour l’enquête. Il y a eu un incident et ce serait mieux que tu voies la scène comme elle est maintenant.
-…
-Je suis au Parc Natura, tu sais à la sortie de Notre-Dame-de-la-Croix. Tu connais ?
-…
-Bon, et bien, je suis là avec Katya, Turgeon et Jean-Philippe.
-…??
-Mais oui ! Bien sûr que je l’ai pris avec moi. Il faut bien qu’il fasse quelque chose d’utile avant de finir son stage ! Et puis, j’ai un rapport à écrire, moi ! Il faut bien que je trouve quelque chose à y mettre.
-…
-Bon, je t’attends; je serai probablement au poste d’accueil.
-…
-Non, non viens comme tu es.
Paul ferme son appareil. Il soupire.
-Alors, qu’est-ce que vous en dites, inspecteur ? Un accident comme ça ce n’est jamais une bonne publicité pour une place comme Natura !
Paul ignore la remarque de Martin Sansregret. Il compose un autre numéro.
-Allo, Jocelyne ? C’est moi, Paul. Je vais avoir besoin d’un fourgon mortuaire au Parc Natura… Oui, c’est ça… Peux-tu appeler au poste de Gatineau et me le faire l’envoyer… Oui, merci… Non, non, ça ira.
Puis il se tourne vers l’officière Beausoleil.
-Katya, c’est toi qui restes ici pour l’instant; tu surveilles le site et tu ne laisses approcher personne.
-Pas de problème.
Il enfourche son quatre roues.
-Venez-vous en, monsieur Sansregret. Nous n’avons plus rien à faire ici.

De retour au centre du Parc, la pagaille règne toujours. Paul est frappé par le bruit ambiant. Les gens sont toujours agglutinés autour des pavillons administratifs, impatients de partir. Tout le monde parle en même temps; certains hommes haussent la voix en gesticulant, presque hystériques. Les enfants sont terrés dans les voitures, soient apeurés soient surexcités. On en voit plusieurs ne pouvant s’empêcher de pleurer.
-Quand est-ce qu’on va pouvoir partir ?
-Nous autres, on veut pas rester ici !
-C’est inhumain ce que vous faites.
-Nous on a rien fait; on veut partir d’ici !
-On a rien à voir avec ce qui s’est passé; on veut rentrer chez nous !
Si la situation n’était pas aussi tragique, Paul riait de bon cœur de voir Olivier Jean-Jacques se démener avec ses gestes amples et ses mimiques à essayer de calmer tout ce monde. Turgeon s’approche de lui.
-OK, patron, j’ai fait ce que vous m’aviez demandé; on a six noms sur la liste.
-Six ?!
-Oui, six personnes qui ont un casier judiciaire.
-C’est plus que j’aurai cru. OK, fais partir tout le monde. Tu fais partir tout le monde, sauf ces six-là. Tu contrôles les identités et tu leur dis que s’ils ont quelque chose à dire, s’ils ont vu quelque chose d’anormal, ils doivent nous contacter, ou contacter le poste de police de leur patelin. Tu leur donne les coordonnées. Aux six personnes de ta liste, tu leur dit quand ne les retiendra pas longtemps, que je veux leur parler. Moi, je vais faire un appel au micro. Vous monsieur Sansregret, vous pouvez donner l’ordre de rouvrir les grilles.
-Rouvrir les grilles ?
-Oui ! Pour laisser les gens sortir.
Aussitôt que la voix de Paul fait entendre dans l’intercom, le brouhaha se calme. Bientôt, les gens se débandent et se dirigent vers leurs véhicules dans un soulagement général. Le mouvement s’accentue quand ils voient les grilles s’ouvrir et les premières voitures bouger. Les agents Turgeon et Jean-Jacques dirigent la circulation.
-Vous laissez partir tout le monde ?
C’est encore ce Sansregret qui ne cesse de geindre.

-Ben oui. Je ne pense pas que c’est très utile de les garder ici.
-Mais est-ce qu’ils vont revenir ?
-Je ne crois pas que c’est mon problème... Les employés, eux doivent rester sur place; je vais avoir besoin de les interroger. Combien il y en avait aujourd’hui ?
-Une vingtaine : des gardiens, des animateurs, ceux qui sont chargés de la cuisine, ceux de l’entretien, l’accueil, la boutique.
-Je voudrais la liste et leur affectation.
-Est-ce que j’ai le droit de communiquer avec deux autres actionnaires ?
-Bonne question. Probablement, mais attendez un peu : juste par précaution je voudrais qu’un de mes agents assiste à vos coups de téléphone. Vous comprenez, n’est-ce pas ?
-Non, pas vraiment !
-Monsieur Sansregret, il y a eu un mort sur le terrain de votre parc, dans un incendie tout ce qu’il y a de plus suspect; il pourrait même s’avérer que ce n’est pas un accident, et dans ce cas, ça regard la police, et la police c’est moi, si vous ne l’avez pas remarqué.
Les voitures s’en vont les unes après les autres. Il est 18hrs. À l’approche du soir, le calme revient tranquillement au Parc Natura. Les six personnes sur la liste de Turgeon manifeste leur désaccord avec force protestations. Elles témoignent haut et fort de leur colère et de leur frustration. Il s’agit de cinq hommes et une femme qui ne comprennent pas pourquoi on les retient plus longtemps que les autres.
Juste à ce moment, Roxanne arrive à son tour. Elle est en civil, sans casquette, mais a mis son insigne sur sa blouse.
Paul l’appelle : « Par ici, Roxanne ! »
Puis se tournant vers Martin Sansregret avec un demi-sourire :
-Rendez-vous donc utile. Amène-la au lieu du sinistre.
-Moi ? Moi ? OK. OK…
Le propriétaire guide Roxane vers les petits véhicules tout terrain. Ils démarrent.

-Bon, maintenant, voyons ces suspects.

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