Les flammes
de l’enfer
8
-Alors qu’est-ce que tu en as pensé ?
Le père et la fille étaient dans son bureau de Paul, le lendemain matin
de leur visite au Parc Natura. Ils se savaient l’un et l’autre
préoccupés : l’investigation ne semblait rien donner, ne semblait aller
nulle part. Ils n’avaient aucune piste; leurs nombreuses questions demeuraient
sans réponse. Les interrogatoires de la part de Paul des quatre autres « suspects »
n’avaient pas donné de résultats tangibles. Comme il devait commencer quelque
part, il avait décidé de ne retenir que les personnes ayant un casier
judiciaire et de laisser partir les autres; c’est ce que Turgeon avait cherché
par l’ordinateur de la voiture. Mais ça n’avait rien donné; les alibis ou la
description des emplois du temps n’étaient pas toujours des plus convaincants,
mais Paul ne pouvait les arrêter sans quelques soupçons. Après les deux
premiers témoins, celui de Katia Frigon accusée il y a cinq ans pour usage de
faux, une fraude dans le cabinet de comptable pour lequel elle travaillait
comme secrétaire, crime pour lequel elle avaitécopé deux ans avec sursis, et
celui de Daniel Pomerleau condamné pour vol à main armé à trois ans de
pénitencier, il avait fait venir Benjamin Morissette.
-Dites-nous ce que vous avez vu ?
Paul disait « nous » de parce qu’il avait fait demander à
Olivier Jean-Jacques d’assister tout en ce faisant discret aux interrogatoires.
Au moins, ça me sera utile à moi, ça me
permettra d’écrire quelque chose dans ce foutu rapport.
-C’est à cause de mon dossier que vous m’interrogez ? Je sais ce que
vous pensez. Qui a bu boira, et un criminel reste un criminel toute sa vie.
Oui, j’ai été condamné, mais c’est fini cette histoire, ça fait plus de dix
ans. C’était une erreur de jeunesse ! Aujourd’hui je suis un autre homme. J’ai
une femme et deux beaux enfants.
-Monsieur Morissette, vous êtes devenu un citoyen respectable !
L’interlocuteur ne peut s’empêcher de rire.
-Vous êtes comiques dans la police ! Citoyen respectable !! J’aurais
tout entendu ! Si on m’avait dit qu’un jour une police me traiterait
de « citoyen respectable », j’lui aurais ri en plain face !
-Je sais que cette « histoire » comme vous dite est une
histoire ancienne, mais parlez m’en donc un peu.
-Qu’est-ce que vous voulez que j’vous dise ? Quand j’avais vingt
j’étais dans une gagne criminelle. Elle n’existe plus maintenant, les Satan’s Jockers
qu’ils s’appelaient. On avait notre base à Gatineau; on faisait de l’extorsion,
de la prostitution, du trafic de drogues. C’est pour ça que j’ai fait du temps
en d’dans : on m’a pogné avec vingt kilos de coke sur moi. J’ai fait cinq
ans en prison. Mais, pour tout vous dire, ça m’a servi de leçon; j’étais au
pénitencier de la Macaza. Là, c’était pas mal beau; en pleine nature ! Pis on m’a
bien aidé. J’ai pas voulu continuer dans la criminalité. J’ai terminé mon
secondaire; j’ai même fait quelques cours de Cegep. Pis ensuite, j’suis allé
vivre à Montréal, dans un milieu que j’connaissais pas. J’ai fait six de maison
de transition; y m’ont aidé à m’trouver une job de gardien de nuit. Pis
maintenant, j’habite un bungalow à Laval avec ma femme pis nos deux enfants. Elle
est aide-infirmière à la Cité de la Santé.
-Comment s’appellent les enfants ?
-Samantha, ma fille, pis Marco mon garçon.
-C’est ave eux que vous êtes venu au Parc Natura ?
-Oui. C’est la deuxième année qu’on vient. Mais là, là, j’sais pu si on
va r’venir.
-Benjamin, je sais que ton « histoire », c’est du passé, mais
j’aimerais ça que tu m’aides. As-tu remarqué quelque chose de pas normal
aujourd’hui ou même hier ?
-J’ai rien remarqué, non. On a fait nos affaires; on est allé à la
pêche.
-Sur le lac, t’as pas remarqué des choses inhabituelles ?
-Comme quoi ?
-Mettons, comme des pêcheurs qui n’auraient pas eu l’air de vrais
pêcheurs ?
-J’vois où c’est qu’tu veux en v’nir… Non, j’ai rien vu… En tout cas,
c’est pas moé votre coupable. Ça fait dix ans que j’ai lâché le trafic de
drogues, si c’est que vous voulez savoir !
Les autres « suspects » de la liste de Paul avaient à peu
près tous la même histoire. Oui, il avait commis une faute; mais c’était du
passé.
-J’vous l’dis, moi, Mademoiselle, c’est un accident. Ça coûtera rien au
Parc parce que les assurances vont payer, mais ça va faire fuir la clientèle. Pour
moi il est venu faire sa sieste dans le chalet, c’était une habitude qu’il
avait; pis là, il s’est endormi. Pis la chaufferette à gaz a pris feu, pis là
il dormait trop fort. Il arrivait toujours de bonne heure Gustave Abel. Sans
doute que la boucane l’a étouffé, pis il est mort sans s’être réveillé. -C’est
ce que l’autopsie va vérifier.
-Une autopsie, pourquoi une autopsie ? Le corps est tout carbonisé !...
Roxanne regarde les spécialistes de l’équipe de la récupération des
cadavres mettre le corps dans le sac noir. Ils sont quatre qu’elle ne connaît
pas. Déjà qu’ils ont dû venir à pieds sur plus d’un kilomètres, ils vont devoir
porter la civière jusqu’à leur véhicule resté au début du chemin. Tout à coup,
elle enregistre un détail.
-Comment avez-vous dit qu’il s’appelait ?
-Bernard Chicoine ?
-Oui, c’est moi. J’ai rien fait.
-Dites-moi ce que vous êtes venu faire au Parc Nature.
-Moi, c’est pour la chasse ! J’suis avec mon chum Lawrence, pis on a
passé trois jours dans l’bois. Là on avait fini; on s’en allait. Pis là on est
pas mal tannés. On voudrait ben s’en aller.
Accusations de violence conjugale; deux condamnations, deux fois
six mois.
-Où habitez-nous, monsieur Chicoine ?
-Au Lac-Simon.
-Au Lac-Simon. Mais il n’y a pas un ZEC de chasse au Lac-Simon, pis
même deux je pense ?
-Ouais... ouais… c’est vrai; mais, mettons que Lawrence et moi on
voulait essayer autre chose.
-Ça serait pas parce que vous avez eu, mettons, des problèmes dans un
des ZEC là-bas ?
-Qui c’est qui vous a dit ça ?
-Personne; je pose une question.
- Ouais... ouais… c’est vrai; on a pogné une chicane. C’tait à cause
d’un chevreuil qu’on avait tué moé pis Lawrence. Pis là y’a des ostie d’épais
de sans allure qui on dit que c’était eux autres qui l’avait tué. Mais c’tait nous-autres.
Ils nous estinaient, ça fais que…
-Ça fait que vous l’avez menacé avec vous arme.
-Ouais... ouais… Mais là, c’tait pas d’ma faute; pis en plus qu’est
c’est qu’ça vient faire ? Ça a pas rapport ?
-Ici, au Parc Natura, où se trouve le terrain de chasse par rapport au
lac ?
-J’sais pas trop. J’connais pas toute la place. J’sais que la chasse,
c’est par là-bas.
À chaque fois, il donnait sa carte en recommandant de téléphoner au cas où les gens se
souviendraient de quelque chose, mais il n’avait guère d’espoir.
Arrivée au centre d’accueil sur son véhicule tout terrain suivi de
l’infatigable Martin Sansregret, Roxanne salue Turgeon.
-Où est mon père ?
-Là-dedans; il fait des interrogatoires. Il est avec Oliver.
-…?
-C’est ben ce que je me dis.
Lorsque que Bernard Chicoine sort, elle se met à l’embrasure de la
porte. Elle échange un regard d’encouragement avec Olivier.
-Il faudrait aller prévenir sa famille.
-Oui, c’est vrai.
- Sa mère, c’est sa seule famille. Elle habite ici à
Notre-Dame-de-la-Paix. C’est Sansregret qui m’a renseignée. Tu veux que je m’en
occupe.
-Oui, s’il te plaît. Prends Turgeon avec toi; son uniforme t’aidera à
te faire ouvrir.
-Je te laisse avec les interrogatoires ?
-Oui, il m’en reste trois; je ne sais pas ce que ça va donner. Pour
l’instant je patauge. Et puis, il me reste encore les employés.
-On se voit plus tard.
-Peut-être plutôt demain, au poste. J’en ai encore plus deux ou trois
heures ici. Je ne sortirai pas tout de suite.
-Je peux revenir après, si tu veux ?
-Non, non ça va, je t’ai déjà assez dérangée comme ça.
Paul ne peut pas s’empêcher de se sire que c’était probablement l’une
des raisons de la rupture du couple de Roxanne : être prête à répondre à
toute urgence à toute heure du jour et de la nuit, ne pas avoir d’horaire
régulier, finir souvent tard le soir et rentrer fatigué à la maison. La vie devient
vite toute chamboulée. Lui n’avait personne qui l’attendait, mais elle arrivait
souvent en retard pour le repas, et il ça énervait beaucoup son Fabio. Pourtant pour un artiste comme lui, bohême,
rêveur, voyageur… il n’avait pas toujours la notion du temps. Il pouvait
commencer une œuvre un jour et ne plus la retoucher avant six mois. Mais il
tenait à être ponctuel, et la vie dans la police ne permettait pas à Roxanne de
l’être. Résultat, maintenant Fabio vivait à Montréal. Allez, il faut que je fasse venir les autres.
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