lundi 12 octobre 2015

Les flammes de l’enfer

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La réunion du matin qui s’était prolongée jusqu’à dix heures, se terminait enfin. Par la fenêtre, on pouvait voir les arbres de la proche forêt; certaines branches, exposées au vent du nord, des érables, des peupliers et des bouleaux, rougissaient déjà. Mais Paul ne regardait pas dehors. Pensif, silencieux, il semblait contempler avec déréliction sa demi-tasse de café qu’il avait laissée refroidir. Bah… de toute façon, il faut que je boive moins de café; ça me tombe sur la vessie. Ils avaient bien cogité ensemble toute la matinée, mais malheureusement il n’entrevoyait toujours aucune piste solide, aucune qui ne faisait l’unanimité. Certains pensaient que finalement c’était véritablement un accident comme tout portait à le croire, – et Paul, qui avait plutôt tendance à pencher de ce côté, pas du tout parce qu’il y croyait mais ça lui permettait ainsi de pousser les autres, ceux qui pensaient autrement, dans leurs derniers retranchements; se faire l’avocat du diable lui permettait de les obliger à apporter des arguments qui le convaincrait du contraire; et d’autres, comme Roxanne ou Olivier, qui avait surpris Paul par ses bonnes questions (C’est maintenant qu’il termine son stage qu’il commence à être efficace, celui-là), optaient plutôt sur la thèse d’un crime qui aurait été camouflé en accident. Les partisans de cette thèse avaient honnêtement soutenu leur point de vue mais cependant sans la conviction suffisante pour rallier tout le monde. C’était plus une intuition que quoi que ce soit d’autre. Roxanne avait bien tenté de persuader les autres et éventuellement de se persuader elle-même que Martin Sansregret, le directeur, cachait quelque chose; non pas qu’il était Ie coupable, mais fort probablement qu’il était au courant de quelque chose, d’un détail capital mais qu’il le gardait pour lui. Son attitude ne lui revenait tout simplement pas.
-Pour moi, il sait quelque chose; il peut être au courant, par exemple, d’une altercation, une querelle, qui aurait eu lieu récemment entre deux ou trois de ses employés, ou une mésentente, un désaccord. Peut-être que les employés en question en sont venus aux coups et qu’on a dû les séparer; peut-être qu’il voulait les sanctionner, mais il ne pouvait se permettre de leur renvoyer parce qu’il est lui-même, responsable de la dispute. Peut-être que comme c’est encore la haute saison, il a besoin de tout son personnel, et peut-être a-t-il laissé faire et qu’il attendait la fermeture du Parc pour agir et qu’il ne s’attendait à ce que ça dégénère de cette façon. Il sait qu’il aurait dû agir et qu’il ne l’a pas fait, et maintenant, il s’en mord les doigts.
-Ça peut quand même être un accident : disons, qu’il y a vraiment eu altercation, comme tu dis, et que quelqu’un a voulu rendre la monnaie de sa pièce à Gustave Abel; il a voulu lui faire peur et ça a mal tourné.
-Peut-être; mais il se peut aussi que Martin Sanregret ait vu ou entendu quelque chose hier au moment même de l’incident : il a peut-être entendu une explosion, ce ne serait pas impossible, ou il a peut-être vu un employé suivre Gustave jusqu’au chalet quelques minutes avant que le feu ne se déclare …
-Ça pourrait même être un client !
-Ou même un client, oui c’est possible, mais Martin Sansregret garde alors cette information pour lui.
-Il garderait cette information capitale pour lui ? Ça s’appelle entrave à la justice !
-Il garderait l’information pour lui, pour ne pas nuire à la « bonne » réputation de son Parc, parce qu’il a une peur bleue que le scandale éclate; c’est ça qu’il craint le plus. Ce Parc Natura, c’est comme son bébé !
-Surtout qu’il n’arrête de répéter que ce ne peut être qu’un accident, que ça devient presque maladif, ou compromettant. Tu t’en es rendu compte toi-même.
-C’est même pathétique.
Effectivement, la dernière conversation qu’il avait eue avec Martin Sansregret la veille, avait laissé Paul bien déconcerté. Non seulement, il n’avait rien appris de nouveau, mais il avait eu l’impression de parler à un sourd. Il avait eu droit au même baratin insipide des investissements qu’il avait faits lui et ses associés et sur l’immense transformation de l’environnement qu’ils avaient accompli Oui, dans le fond, Paul devait se l’avouer, ce n’était pas impossible que ce Sansregret ait quelque chose à cacher.
-Si c’est le cas, si, reprenons raisonnement de Roxanne, quelqu’un a suivi Gustave jusqu’au chalet, pour ensuite, mettons, l’assommer et déclencher un incendie, peut-être dans ce cas y a-t-il eu d’autres témoins ?
-Mais il y a toujours des va-et-vient dans ce Parc, des gens qui vont dans toutes les directions, comment quiconque pourrait s’apercevoir d’un tel détail ?
-Pas dans la clientèle, c’est à peu près sûr, mais, oui, je crois, qu’il peut y avoir eu des témoins parmi les employés, de quelque chose d’insolite. Nous savons que pour qu’un tel parc de divertissement fonctionne, il faut suivre les règles; les employés ont leurs habitudes, il y a une routine, des tâches à accomplir chaque jour; s’il s’est passé quelque chose, quelqu’un a pu s’en apercevoir mais sans vraiment y faire attention.
-Et aussi, s’il y a eu une altercation, que ce soit il y a quelque temps ou même la journée même, il faut que quelqu’un ait vu quelque chose... Ça peut être Sansregret, mais ça peut n’importe qui. Bon, je retourne là-bas et je m’occupe d’interroger les employés. Turgeon tu viens avec moi ?
-Très bien, patron.
-Et toi Roxanne ?
-Moi, je crois que je vais fureter du côté du Canadian Tire de Papineauville. Je dois vérifier deux ou trois détails qui me chicotent.
-D’accord. Et toi Olivier ?
-Moi patron, je pourrais peut-être fouiller le passé de Gustave Abel ?
-Bonne idée ! Décidément, tu me donnes plus de matériel que j’en ai besoin pour écrire mon rapport !
-Pardon ?
-C’est rien. Il semblerait que ce Gustave Abel a toujours vécu dans la région; s’il a été mêlé à quelques affaires louches, on le saura. C’est une piste qu’il ne faut certes pas négliger. Alors, allons-y !

Comme elle l’avait dit, Roxanne s’était rendue à Papineauville au Canadian Tire, le grand magasin quincaillerie. On y trouvait de tout : les articles de plein-air et de camping, des tentes, des sacs de couchage, ou de jardinage, des tuyaux d’arrosage au fertilisant, ou de sport, depuis chaussures aux ballons en tous genres et tout ce qu’il faut pour s’équiper des pieds à la tête pour jouer au hockey, des outils, des items de cuisine, des jeux, et bien sûr la gamme complète des pièces d’autos. Il y a déjà toute une clientèle qui déambule dans les allées; les articles d’hiver, pelles, sacs de sel, crampons à pneus, souffleuses à neige, produits d’isolation, sont déjà en vente. Elle se rend dans le département de camping en cherchant quelque chose de bien précis. Dans les étals dégarnis, elle finit par trouver ce qu’elle cherche. Elle regarde la boite de l’appareil de chauffage au gaz sous toutes ses coutures; elle en lit les instructions. CAMPING GAZ CR 5000 Thermo Radiateur à gaz - Convecteur gaz - Chauffage d'appoint à catalyse CR 5000 Thermo - Sans flamme pour une plus grande sécurité, analyseur d'atmosphère : l’appareil se coupe si une présence de CO2 ou de CO est détectée - Panneau catalytique protégé par une grille… Fabriqué au Mexique.
Un appareil de chauffage d’appoint pour chalet fabriqué au Mexique ! On aura tout vu en ces temps de commerce international. Elle aperçoit un employé.
-Excuse-moi ! Je cherche à en savoir plus sur ce produit. On peut mettre cet appareil dans un chalet, n’est-ce pas ?
-Oui, madame, c’est excellent comme chauffage d’appoint. Il ne sent pas et il se met à chauffer très vite.
-Ça marche au gaz; je suppose qu’il faut mettre une bobonne à quelque part.
-En fait, oui; il y a un compartiment à l’arrière pour mettre la bonbonne et c’est un modèle unique, on ne peut pas y mettre un autre modèle. C’est cette bobonne-là qui convient, la bleue, de 13 kilos.
-Dites-moi une chose : est-ce que c’est sécuritaire ?
-Sécuritaire ? Oui, tout à fait; il y a une grille qui empêche d’approcher de l’élément chauffant. On ne voit pas la flamme.
-Mais disons, est-ce que ça peut exploser ?
-Exploser ? Non, absolument pas; il y a un système de fermeture automatiquement en cas de fuite de gaz.
-Mais, admettons que ce système de sécurité de fermeture automatique tombe en panne ou soit défectueux, est-ce que ça pourrait exploser ou, mettons, prendre en feu ?
-SI vraiment le système de sécurité est défectueux, oui, le gaz pourrait s’échapper; mais dans ce cas-là, on finirait par le sentir et on s’en apercevrait avant que ça devienne dangereux.
-Mais admettons que je dorme ou alors que je sois immobilisée ou encore que je sois absente, est-ce qu’il pourrait exploser ?
-Si vraiment, vous faites partir votre appareil avant de quitter et que le système de chauffage ne parte pas et si vraiment le système de fermeture automatique est défectueux, oui, alors là, il se pourrait que le gaz s’échappe; mais encore une fois vous le sentirez en revenant chez vous.
-Donc, ça pourrait arriver dans ce cas-là, par exemple, que s’il y a une étincelle, ça explose…
-Yoyoyoye ! Oui, peut-être, mais c’est une chance sur un million : il faudrait vraiment être malchanceux… ou alors le faire exprès !
-Je vous remercie beaucoup.
-Y’a pas d’quoi. Vous voulez l’acheter ? Voulez-vous une livraison ?
-Non, non merci. Je voulais juste me renseigner pour faire un choix éclairé
-C’est bon.

Oui, en effet, c’est bon, c’est très bon.

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