Les flammes
de l’enfer
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Paul s’était rendu au Parc
Natura sans trop se presser encore tout perdu dans ses pensées à la suite des
discussions de la matinée. Depuis Papineauville, il avait pris la route 108
vers l’ouest jusqu’à Montebello, une quinzaine de kilomètres. Même si la saison
touristique se terminait, les voitures y étaient encore nombreuses car beaucoup
de gens appréciaient la visite de l’ancienne demeure de Louis-Joseph Papineau.
Là, il avait pris la 323 nord qui menait à Notre-Dame-de-la-Croix, puis à
Noyan. Tout de suite à la sortie de Montebello, il y avait une longue montée
qui avaient été refaite quelques années auparavant notamment par l’ajout d’une
voie d’arrêt pour les poids lourds. Durant de longues années, plusieurs
accidents avaient été causés par des camions qui prenaient la descente trop
rapidement. Paul regarde les rangées d’arbres de chaque côté de la montée et
ses pensées reviennent vers sa fille. Il sait que généralement les intuitions
de Roxanne s’avèrent bonnes. Sa théorie se tenait, mais il sent qu’il y a
probablement plus que ça; il y a plusieurs petits brins qui trainent un peu
partout et qu’il faudra bien tirer en cours d’enquête. On n’assassine pas
quelqu’un juste pour se venger d’une simple querelle. Il espère bien, durant
cette deuxième visite au Parc Natura, en apprendre plus sur ce qu’il appelle
« le mystère Sansregret » et sur « l’énigme Gustave
Abel ».
Après un trajet d’une douzaine
de kilomètres, un peu avant d’arriver au village, se dresse l’entrée monumentale
du Parc Natura. Paul s’arrête à la grille. Le
Parc sera fermé pour un certain temps, peut-être jusqu’à la fin de la saison. Oui,
c’est un coup dur pour les propriétaires; ils vont devoir assumer une
importante perte financière. Paul avait regardé les nouvelles la veille; il
y avait eu tout un reportage sur « un incident tragique au Parc
Natura »; Martin Sansregret y déclarait que c’était un « très très
déplorable accident causé par une défaillance du système de chauffage et qu’on
espérait rouvrir le Parc Natura le plus rapidement possible pour permettre à la
population de retrouver l’usage de ce site de divertissement familial
extraordinaire ». À la une des quotidiens ce matin, on pouvait lire :
« Un mort dans un incendie au Parc Natura »; et en sous-titre :
« Criminel ou accidentel ? ». C’est
sûr que ce n’est pas le genre de publicité qu’on aime pour un parc d’attraction
dans lequel on a tant investi. Mais
bon, ce n’est pas mon problème... Un portier est en poste et empêche toute
personne de rentrer; il explique la situation aux quelques clients qui ne
seraient pas au courant du drame et qui se sont rendus sur place pensant y
passer quelques jours.
-Oui, oui, vous serez remboursé, monsieur… Non, nous ne savons pas
jusqu’à quand ce sera fermé... Oui, vous aurez le même spécial que vous avez eu...
Oui, malheureusement, ça pourra être l’année prochaine.
Paul lui fait signe et lui demande de soulever la barrière. Il n’a pas
sitôt éteint son moteur et immobilisé son véhicule que Martin Sansregret se
dirige vers lui à grandes enjambées; Paul le voit arriver accompagné d’un autre
homme.
-Ah, monsieur l’inspecteur, je
vous attendais. Voici Patrick Duhamel l’un de mes associés, le troisième,
Victor Kawlov, arrive dans la journée.
-Bonjour.
-Bonjour.
-Écoutez, monsieur Sansregret… Je dois tout d’abord aller voir mon
homme sur les lieux de l’incendie et ensuite j’aurais besoin de parler à votre
employé qui s’occupe de la répartition.
-Qu’est-ce que vous voulez savoir ?
-Et bien, vous aviez à peu près une trentaine d’employés dans l’équipe
de jour, ce n’est pas la peine que je vois tout le monde.
-Vingt-sept exactement.
-Alors je voudrais parler à la personne qui répartit les tâches.
-C’est Danielle Lescot qui s’occupe de la supervision.
-Très bien.
Paul enjambe un véhicule tout terrain et sans plus tarder se dirige
vers les restes du chalet numéro 15.
-Voici les informations que vous avez demandées, inspecteur : le
nom des employés qui travaillaient hier dans la journée et leurs assignations.
-Merci, monsieur Sansregret, mais je voudrais quand même m’entretenir
avec madame Lescot.
-Moi, vous savez, j’ai fait ça pour vous rendre service, pour vous
faire gagner du temps.
Paul avait interrogé et madame Lescot et la demi-douzaine d’employés qui
étaient dans les environs des chalets au bord du lac. Personne n’avait rien vu
ni rien entendu d’inhabituel, sauf bien sûr une explosion. La bonbonne de gaz du système de chauffage.
-Oui, vers midi, j’ai entendu une explosion, mais j’ai cru que c’était l’écho
de la détonation d’un coup de fusil par un chasseur. Ça m’a semblé un peu plus près
que d’habitude, mais bon, je me suis dit que sur le lac, le son porte loin.
L’un d’eux, Jean-Yves Cadieux avait aperçu quelque chose.
-J’étais chargé de surveiller le lac. Il y a plusieurs vacanciers qui
utilise le lac : en pédalo, en canot, près de la rive, sans oublier, toute
la section des pêcheurs. En faisant ma ronde du matin, j’ai vu l’un des canots
qui sont à louer s’approcher des chalets. Ce n’est pas illégal, alors je n’ai
pas vraiment fait attention. Malheureusement, j’étais loin et je n’ai pas pu
voir le numéro. Je ne sais pas… c’était le 15 ou 16 ou peut-être 18 ou 19.
Paul se demande si ce serait important de vérifier qui avait réservé et
utilisé les canots hier en matinée.
Il avait recoupé les diverses informations sur Gustave pour en dresser
le portrait. Âgé de 26 ans. Gustave travaillait au Parc Natura depuis
l’ouverture, cinq ans auparavant. Un jeune homme fiable et discret introverti,
secret, replié sur lui-même, qui ne parlait guère ni se mêlait avec les autres,
mais il semble qu’il faisait bien son travail. Il ne travaillait jamais avec le
public; il ne pouvait pas s’exprimer suffisamment bien, alors on lui avait
confié des tâches d’entretien dans lesquelles il était très efficace.
Les autres employés, les réguliers en tout cas savaient qu’il avait
droit à certains privilèges. Par exemple, il pouvait faire une sieste en début
d’après-midi. Comme il rentrait plus tôt que les autres employés le matin, on
ne sait pas vraiment à quelle heure, ça lui permettait de finir sa journée. Il
mangeait plus tôt que les autres employés aussi, vers onze heures. Il
choisissait alors un chalet, il y avait presque toujours un non occupés, et il
mangeait son lunch là tout seul et il faisait sa sieste. Le 15 était le chalet
le plus éloigné.
-Mais comment s’est-il rendu au chalet ? Je n’ai pas vu de véhicule aux
alentours.
-Il était un maniaque de la moto, mais il n’avait pas le droit d’en
faire sur les terrains du Parc. Pour les chalets les plus proches, mettons les
1 à 5, on peut y allait à pied. Mais ceux-là sont presque toujours occupés.
Pour les autres, il montait en surplus avec l’un de nous qui s’en allait dans
le coin pour une raison ou pour une autre. Puis quand il avait fini, quand ça
lui tentait, il revenait de la même façon. Il attendait que l’un de nous fasse
sa ronde pour revenir.
-Et hier, c’est vous qui l’avait amené au chalet 15 ?
-Oui, c’est moi. C’est comme un règle non écrite. Quand on fait notre
ronde, on l’amène avec nous s’il nous le demande.
-Et c’est le seul employé qui fait ça ?
-Absolument certain ! Jamais ne je n’aurais le droit de faire la même
chose, et c’est pareil pour tout le monde.
Au même moment, le cellulaire de Roxanne sonne. C’est sûrement papa qui veut savoir où j’en
suis.
-Oui, allo ?
-Heu… Bonjour; je suis Françoise Pittet, la comptable du Parc Natura.
Est-ce que je peux vous parler ?
-Bien sûr.
-Est-ce que cette conversation va rester privée ? Est-ce qu’il y a des
gens autour de vous ?
-Cette conversation est tout à fait confidentielle, si c’est ce que
vous voulez savoir. Qu’est-ce que vous avez besoin de dire ?
-Je ne sait pas vraiment comment le dire... Mais je sais quelque chose
sur Gustave Abel que personne d’autre ne sait.
-Je vous écoute.
-Il n’est pas sur la liste de paye…
-Qu’est-ce que vous voulez dire ?
-Il travaille ici depuis longtemps, probablement depuis le début du
Parc Natura, en tout cas avant que moi je commence, mais il n’a jamais été sur
la liste régulière de paie. Je le sais car c’est moi qui comptabilise les heures
de chaque employé et qui gère les dépôts directs. Et lui il ne reçoit ni chèque
ni dépôt direct. Jamais.
-Qu’est-ce que ça veut dire ?
-Je ne sais pas exactement. Soit il est bénévole, et il fait tout ce
qu’il fait sans être payé mais ça, ça m’étonnerait beaucoup; soit il est payé
en espèce, sous la table.
-Qui d’autre est au courant ?
-Certainement, l’un ou l’autre des trois
propriétaires, Sansregret, Duhamel et Kawlov. C’est impossible qu’ils ne le
sachent pas.
-Pourquoi vous me dites ça maintenant ?
-J’étais au Parc hier quand l’
« accident » s’est produit, mais personne n’est venue me voir. J’ai
vu la police arriver et j’ai compris que c’était grave. Aujourd’hui on m’a dit
de rester chez nous, parce que le Parc est fermé et que je ne fais pas partie
du personnel essentiel. C’est moi qui suis chargée de payer tous les comptes et
de m’acquitter des factures du Parc Nature, et sans dire qu’il s’y passe
quelque chose d’illégal, mais il y a souvent des opérations comptables pour
réduire les dépenses au maximum, des manipulations pour payer le moins d’impôts
et le moins de taxes possibles. De la fiscalité créatrice, en quelque sorte.
Tant que ce n’est rien d’illégal, je fais ce qu’on me demande de faire. Mais là,
il y a eu mort d’homme, et je me suis dit que ça pourrait peut-être vous aider.
J’ai appelé au poste de la SQ à Papineauville et on m’a dit de vous rejoindre
sur votre cellulaire.
-Oui, madame Pittet, ça va très certainement nous aider. Vous avez bien
fait de téléphoner. Je vous remercie beaucoup. Je vais peut-être même avoir
encore besoin de vous.
Allo les lecteurs:
RépondreSupprimerComment, personne ne réagit aux aventures de Paul et de Roxanne??? Cette nouvelle enquête est encore plus passionnante que la précédente.Suis je la seule à le constater? DOMI