Les petits enfants
Chapitre 18
-Je
vais revenir car ça va me prendre des outils, un marteau ou un tournevis, pour
ouvrir le coffre.
-Vous
pouvez briser la serrure si vous voulez, ça ne me dérange pas.
-Vous
êtes sûr ?
-Ouais,
c’pas grave; de toute façon il faudrait que je jette tout ça; ça ne sert plus à
rien. J’aurais dû déjà m’en débarrasser. Quand on était jeune, mon frère pis
moé… Y’est en prison, vous savez…
-À
Kingston ?
-Oui…
Pour trafic de drogues...
-Qu’est-ce
que vous alliez dire sur votre frère et vous quand vous étiez jeune ?
-Tout
le monde au village nous connaissez. Pour vrai, tout le monde connaissait tout
le monde et tous les parents connaissaient les enfants des autres. Et beaucoup
des autres enfants venaient chez nous parce que c’était comme un Parc
d’amusement; on pouvait jouer à cachette toute la journée. Pis mon père avait
toujours des bonbons ou des friandises pour tout le monde. Ma mère nous
trouvait fatigants, mais mon père ça lui faisait rien… Il aimait les enfants…
Il aimait la compagnie…
-Mais…
-Mais
rien, je sais pas pourquoi j’vous raconte ça; ça n’a rien à voir avec ce que
vous cherchez… Avec mon frère pis moi, il était différent; c’est tout; c’était
pas toujours drole... J’dois avoir un marteau à quelque part. J’vais aller le
chercher.
Jocelyn
Bibeau disparaît dans l’escalier qui mène au sous-sol et Roxanne l’entend
déranger quelques boîtes.
Il
remonte avec un marteau dans la main.
-Le
v’là !
Pendant
un court instant, Roxanne hésite : est-ce
que c’est la bonne chose à faire ?
-Allons-y.
On va ouvrir ce maudit coffre.
Il
commencer taper rageusement sur la serrure de la vieille malle, qui résiste.
Roxanne demeure un peu surprise de voir cet homme corpulent déployer
tout-à-coup une telle énergie.
-Tabaslac
! On va-tu en v’nir à bout ?
-Je
peux vous remplacer si vous voulez ?
-Non,
non, ça va; j’vais l’avoir, la maudite.
Il se remet
à taper férocement. La serrure tient bon mais les ferrures commencent à
fléchir. Encore quelques coups bien placés et le tout cèdera.
-Enfin
! On l’a eue !
Il
dépose le marteau sur le sol. Lentement il ouvre le lourd couvercle de la malle
sur un amoncellement de papiers, de dossiers, de carnets de comptes, de
registres pêle-mêle. Ça sent l’humidité et la moisissure à plein nez. Pendant
quelques instants il farfouille dans le tas.
-C’est
n’importe quoi ça !
-Oui…
-Vous
allez fouiller tout ça pour trouver quoi… quelle année encore ?
-1978.
-Bonne
chance.
Roxanne
finira par trouver. En deux heures et demi, elle a sorti un à un les dossiers,
les documents, les divers carnets et registres en mettant de côté tout ce qui
concernait l’année 1978, ainsi que plusieurs photos, surtout des groupes avec
leurs trophées de chasse. Régulièrement, Jocelyn Bibeau montait l’escalier pour
voir où elle en était rendue. Il lui a apporté un café instantané qu’elle a
accepté avec un sourire, puis quelques biscuits à demi brisés, et enfin juste
un verre d’eau pour « l’aider avec la poussière ». Quand elle a voulu
tout replacer du mieux possible dans la malle, Jocelyn Bibeau lui a dit de s’arrêter.
-Laissez
faire ! J’vais tout mettre ça au feu. C’est même pas la peine de me rapporter
ce que vous prenez.
-Une
dernière question, monsieur Bibeau; votre frère, Roger, quand il était jeune à
Lac-des-Sables, est-ce qu’il était impliqué dans le trafic de drogues ?
-J’sais
pas trop… Il en vendait un peu, mais c’était surtout du pot.
-Et
est-ce qu’il a été impliqué dans un accident, disons une bagarre ou même un règlement
de compte ?
-Non,
non jamais; Lac-des-Sables était un village tranquille; trop tranquille; il ne
se passait jamais rien.
Après
avoir correctement remercier Jocelyn qui lui a répondu par un sourire sincère
et gêné, elle emporte avec elle ce qu’elle a trouvé et le dépose dans sa
voiture. Elle démarre avec un dernier signe de la main quitte Pontneuf avec, en
tête, beaucoup de matière à réflexion.
Elle
rentre dans son bureau au poste de la Sureté du Québec à Papineauville. Et
aussitôt elle se met à éplucher son butin.
Elle
trouve rapidement la liste et le nom des clients : 155 visiteurs durant
l’été. Pour une petite auberge d’une
dizaine de chambres, c’est beaucoup, si on compte que la saison totalise
environ 150 nuits. Certains sont venus pour une fin-de-semaine, la plupart
pour une semaine ou même plus mais rarement. Il y quelques relevés de carte de
crédit, des talons de chèques, mais il semble à Roxanne que la plupart des
clients payaient comptant. Ça faisait beaucoup d’argent en circulation; et ça
n’a pas attiré les convoitises ?
Roxanne
trouve aussi des reçus d’achats des marchandises et du matériel, la nourriture,
les produits d’entretien. Elle se fait la remarque que selon ces reçus il y a
eu très peu de dépenses. Probablement que
beaucoup d’achats ont été payés en espèce ou même sous la table, donc pas
comptabilisés.
La
très grosse majorité des clients étaient des hommes évidemment; Roxanne
découvre que seule une dizaine de femmes ont séjourné à l’auberge « Chez
nous, c’est chez vous » cet été-là. Ça
devait être pas mal la même chose les autres années. Je me demande si l’inconnu
du chantier a séjourné à l’auberge. Et comment savoir si l’un des clients a
manqué à l’appel. Je ne peux quand même pas essayer de rejoindre les 155
personnes et leur demander s’ils sont tous revenus chez à la maison sains et
sauf ?
Roxanne
en est là dans ses recherches, lorsque Isabelle cogne à sa porte.
-Ça y
est j’ai terminé !
-Ah,
bonjour Isabelle. Terminé d’éplucher les archives de Lac-des-Sables ?
-Oui,
ma chère.
-Alors,
c’était fructueux ?
-Ce
que j’ai trouvé ce sont les magouilles habituelles dans ce genre de petit
milieu, la connivence entre les élus et le monde des affaires; le traficotage
dans les attribution, même dans les chiffres des budgets; chacun voulait s’en
mettre plein les poches. Mais ce qui peut être intéressant c’est qu’il y avait
un groupe d’opposition à la nouvelle route, un groupe minoritaire, mais bruyant :
des expropriés surtout, mais aussi un groupe de jeunes qui trouvaient que le
chantier offrait très peu de nouveaux emplois aux jeunes chômeurs du coin, mais
engageait plutôt des ouvriers spécialisés qui venaient d’ailleurs.
-Oui…
-Alors
que jamais personne auparavant ne se présentait aux sessions du conseil, ils
sont venus plusieurs perturber les délibérations et une ou deux fois ça a
brassé pas mal.
-De la
violence ?
-Du
brasse-camarade en fait; et probablement qu’il y a eu des menaces de
représailles ou d’autres choses… Et toi ?
-Pas
grand-chose; j’ai retrouvé les papiers de l’auberge principal de ces années-là
et j’ai même trouvé la liste des clients de l’été, mais là je suis un peu
coincée : je ne sais pas trop où toutes ces recherches, les tiennes et les
miennes vont nous mener. Il va falloir consulter mon paternel, sans doute !
-Minute
papillonne ! Il arrivé quelque chose d’intéressant ce matin : le rapport
du laboratoire médico-légal !
-Et tu
ne me l’as pas dit !
-Tu ne
me l’avais pas demandé !
Roxanne
fait des gros yeux à sa collègue.
-Écoute-moi.
Il s’agirait d’un homme dans la trentaine, en bonne santé, mesurant entre un mètre
60 et 1,65; on a trouvé quelques restes de quelques cheveux bruns. Il était
bien alimenté et ne semblait pas souffrir de maladie. Une ancienne facture à un
doigt, un petit bout d’os qui s’était détaché, probablement en faisant du sport
ou une chute de vélo. Il lui manquait une dent du côté droit, qui est tombée ou
mieux qui a été arrachée sans doute une dizaine d’années auparavant; on peut le
savoir car les autres dents ont eu le temps de prendre un peu de place. Il
n’avait pas de malformation apparente sauf une jambe légèrement plus courte que
l’autre, mais personne n’a les deux côtés exactement proportionnés. Il était
couché sur le ventre, donc avec quelques micro fractures aux côtes causées par
sa chute. Et maintenant le plus beau : ce n’est pas la chute qui l’a tué,
il était mort avant ! On le sait par les fractures de côtes. Mais il n’est pas
mort non plus de mort violente : il n’y a pas eu de mauvais traitement, il
n’y a pas de coups apparents : pas de blessure, pas de trace sang. La mort est
dû à autre choses, un cause « douce », si on peut dire, qui ne laisse
pas de trace : strangulation, étouffement, suffocation, syncope, crise
cardiaque, infarctus…
-Ou noyade…
-Ou
noyade.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire