Natas et Véro
Natas et Véro,
ce sont les diminutifs de Natasha et Véronique. Deux sœurs adoptives, adoptées
par la même mère.
Comment s’appelait-elle cette mère
? Cela n’a pas importance. Elle avait toujours voulu avoir des enfants et n’en avait jamais eus. Elle avait espéré,
beaucoup espéré, prié peut-être, maugréé,
pleuré, et à la fin elle s’était
résignée. Elle avait dépassé
quarante ans, et puis elle avait eu sa ménopause. Plus d’espoir. Alors, ce qui lui restait, c’était
l’adoption. Et elle l’avait fait; elle était allée à l’orphelinat, c’était par là qu’elle
aurait dû commencer
de toute façon, s’était-elle
dit, et elle y avait vu ces deux petites
de deux et trois ans. Dans l’orphelinat, elles se tenaient
toujours
serrées
l’une contre l’autre
depuis le premier
jour - on croyait même qu’elles étaient
arrivées le même
jour - si bien qu’on avait pris l’habitude de les prendre pour deux sœurs. Pourtant elles ne se ressemblaient pas; l’une était
foncée et l’autre
claire; l’une avait les yeux grands, l’autre
tout petits; l’une babillait et jacassait, et l’autre ne disait
presque rien. Mais dès le premier jour, l’une s’était accrochée
à l’autre et elles étaient restées accrochées; et c’est presque
accrochées l’une à l’autre que la nouvelle mère les avaient amenées
chez elle.
Les deux sœurs avaient grandi,
toujours aussi différentes l’une
de l’autre; l’une élancée, l’autre
trapue, l’une enjouée, l’autre réservée, mais toujours ensemble, toujours
complices, presque siamoises. Natasha et Véronique. « Natas et Véro », comme elle les appelait toujours. Ça devenait presque un seul prénom commun « Natassévéro ». Sans doute les deux petites
sœurs avaient-elles été la joie de sa vieillesse, même si elle ne savait plus trop
comment se réjouir, ni même si de quoi elle aurait
dû se réjouir; l’une souriante et l’autre maussade; partageant les jeux, partageant les rires et les pleurs.
Et puis quand elles ont atteint l’adolescence, leur mère fatiguée de toutes ses années de labeur et de malheur est tombée malade. Elle s’est alitée,
et n’est plus sortie du lit. Les deux
sœurs la soignait, la nourrissait, la changeait.
Jusqu’au jour au Véro a fait ce rêve d’horreur
macabre. Elle y voyait sa sœur
Natas agenouillée sur la poitrine
de son petit ami et elle le tailladait avec une petite fourchette
en argent. Dans son rêve, Natas se retourne et éclate d’un rire, insupportable, diabolique. Véro
s’est
réveillée, en sueur, en larmes, les yeux exorbités; elle criait.
Elle s’agitait, tremblait de tous ses membres
et Natas est vite accourue
pour la prendre dans ses bras... mais d’un geste stupéfiant, incontrôlable, Véro l’a repoussée, rejetée, violemment, avec un cri d’animal à l’agonie. « Ne m’approche pas ! NE M’APPROCHE PLUS ! J’en ai assez de t’avoir toujours collée à moi ! Tu es un
vrai diable ! Va-t-en ! ». Quelque chose, le lien béni s’était brisé.
Quelque chose avait changé, pour toujours. Elle ne lui a jamais pardonné son cauchemar.
Peu après, leur mère est morte.
Et un après-midi que son petit
ami était venu lui rendre visite,
Natas l’a crié à Véro d’en bas de l’escalier en ouvrant la porte. Véro ne voulait
pas descendre, elle ne voulait pas. Natas a insisté bien sûr, doucement, presque tendrement, et son petit ami appelait aussi.
Et quand, enfin, elle est descendue, elle l’a vue, c’était
son rêve ! Natas était là, était là, vraiment, agenouillée sur sa poitrine et le torturait avec sa fourchette en argent ! Elle a hurlé, hurlé, hurlé,
hurlé, hurlé indéfiniment à la mort; et c’est à sa propre mort qu’elle hurlait
ainsi.
Elle est morte en
effet, du pays des vivants. Elle a sombré dans la folie.
Et depuis lors, Natas s’en occupe, doucement, patiemment, comme elle l’avait fait avec leur mère.
Et le pauvre
petit ami se désole,
sans pouvoir se consoler. « Ma pauvre Véro, ma pauvre Véro toute à l’envers ! Dis-moi quelque chose !
Ma pauvre Véro ! » Et Véro ne répond jamais.
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