Le crime du dimanche des Rameaux
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Pendant quelques instants, Paul fait rouler dans ses doigts les petits
et très fins éclats de bois brillants. Il les approche de ses yeux.
« Qu’est-ce que c’est ?
-Je t’explique. Quand je suis arrivée, les paramédics étaient déjà là
et essayaient de ranimer le blessé; il était gravement blessé. Il était étendu
dans la flaque de sang que tu vois en bas de l’escalier et en plus sa guitare
gisait à côté de lui toute brisée, à peu près comme tu la vois maintenant, même
si les ambulanciers l’ont déplacée pour avoir plus d’espace. On pouvait
facilement croire qu’il était tombé avec sa guitare, par exemple en trébuchant
en haut de l’escalier, et qu’elle s’était cassée dans sa chute. Mais ça, ce que
tu tiens là, ce sont des éclats de bois de la caisse de résonnance de la
guitare, qui sont en haut de
l’escalier. Ils sont comme dissimulés dans le tapis. Ce n’est qu’en remontant
d’en bas que j’ai pu les voir dans le bourres du tapis, quand j’ai eu les yeux
au même niveau que le sol.
-Ce qui veut dire ?
-Ce qui veut dire, dit Roxanne en se relevant et en montrant
successivement le haut et la bas de l’escalier, que quelqu’un a frappé la
guitare sur poteau de la rampe – tu vois, on voit petite une petite marque dans
le bois – dans le but de la briser puis cette personne l’a jetée en bas dans le
sous-sol; ce qui veut dire que cette personne a jeté la guitare en bas de
l’escalier probablement après l’avoir poussé, lui.
-Ça se tient…
Le père et la fille restent silencieux quelques instants.
« Qu’est-ce que tu as trouvé d’autre ?
-Il y a eu un témoin !...
-Un témoin ?!
-Oui, un petit chat…
-Un petit chat ?!...
Roxanne est partie déjà dans la cuisine chercher le chaton de Sébastien
Saint-Cyr. Repu, il se laisse prendre et se met même à ronronner. Roxanne le
présente à son père avec un petit sourire moqueur.
« Je te présente Témoin.
-Et bien, à moins d’apprendre le langage des chats, ce n’est pas ton
« Témoin » qui va nous éclairer beaucoup.
-Attends, il y a autre chose.
Roxanne redevient sérieuse. Toujours avec le chaton dans les mains,
elle descend au sous-sol en faisant signe à Paul de la suivre.
-Regarde sur le lutrin… Il était en train de composer une chanson pour
une certaine Nancy, sa blonde ? sa fille ? une amie ? une « Nancy »
qui n’existe pas ? Toujours est-il que c’était hier tout juste après souper. Il
était en bas en train de composer et on a sonné à la porte; il est monté en
gardant sa guitare à la main pour aller répondre. Là il y a eu discussion
peut-être même altercation et « on » lui a pris sa guitare et
« on » l’a frappée sur le poteau de la rampe, peut-être a-t-il
cherché à s’interposer; puis « on » l’a poussé dans l’escalier et
« on » a jeté la guitare en bas. Enfin, ce ou ces visiteurs sont
repartis et l’ont laissé tout seul.
-Ça se tient, mais tu vas peut-être un peu vite, Roxanne. Il faut
commencer par interroger les témoins…
-Mais il n’y a pas de témoins !
-Il faut interroger ceux qui l’ont trouvé ce matin.
-Ça va nous prendre un centre de crise.
-Oui… Et il faut aussi chercher ce qui pourrait nous mettre sur une
piste. Paul pointe vers le bureau : « Il prendre faut son ordinateur
et son téléphone cellulaire et les apporter à Yannick pour qu’il en fasse
l’examen. Il y a peut-être aussi un agenda dans ses affaires où il notait
ses rendez-vous. »
-Je vais trouver un endroit pour les interrogatoires.
-Bien, et moi je m’occupe de ramasser les appareils.
Pendant que Roxanne remonte les escaliers, Paul regarde
l’ordinateur : il est sur le mode « Veille ». Il sort une paire
de gants en plastique de sa poche et les enfile. Il éteint le portable, le
ferme et le débranche. Il prend aussi le cellulaire sur le bureau. Il cherche
ça et là pendant quelques instants, mais ne trouve rien d’autre d’intéressant;
puis, il fait quelques pas dans le sous-sol. Machinalement, il vérifie la
porte : elle est verrouillée de l’intérieur. En haut de l’escalier, il
vérifie aussi la porte arrière : elle est aussi verrouillée de
l’intérieur.
Il sort et demande à l’agent Turgeon de lui apporter une valise à récupération.
Il y place l’ordinateur et le téléphone. Se dirigeant vers sa voiture pour
aller y déposer la valise, il voit sa fille négocier avec un homme qui a l’air
assez agité. Bien des gens sont partis, mais d’autres arrivent et repartent, si
bien qu’il y en a toujours une vingtaine autour des lieux. Roxanne s’approche
de lui.
« Les interrogatoires peuvent avoir lieu dans la salle
communautaire.
-Bien.
-Il y a deux personnes qui sont entrés dans le presbytère et ont trouvé
le pasteur. Je crois qu’on devrait commencer par monsieur Bertrand Joliat.
La salle communautaire de l’autre côté de l’église; de face, le
presbytère est à droite et la salle à gauche. Elle sert surtout pour la fête du
village en juillet, aux danses du samedi soir, aux rencontres du Club de
cartes, aux soupers-spaghetti de financement. Il y a deux machines
distributrices, un comptoir mobile, des hauts parleurs. Des chaises et des
tables pliées sont empilées le long des murs. Tout l’arrière de la salle est
occupé par une estrade. Trois chaises ont été disposées en demi-cercle dans un
coin.
Monsieur Joliat entre un peu beaucoup intimidé.
-Assoyez-vous, dit Roxanne qui s’assoit en face lui. Paul reste debout
et va se placer hors du champ de vision de monsieur. Je m’appelle Roxanne
Quesnel-Dumont, officière de la Sureté du Québec, et voici l’inspecteur Paul.
Nous aimerions vous poser quelques questions sur ce qui s’est passé ce matin.
On veut juste essayer de bien comprendre le déroulement des événements. Ça va ?
-Oui, oui…
-Racontez-nous ce que vous savez.
-Et bien, c’est simple. Ce matin quand je suis arrivé à l’église…
-C’était vers quelle heure ?
-Vers 10h20 à peu près, le culte commence à 10h30.
-C’est bon, vous pouvez continuer.
-Bon, quand je suis arrivé avec ma femme, le pasteur Saint-Cyr n’était
pas encore dans l’église. C’est assez spécial parce que d’habitude il arrive
toujours à l’avance. Personne ne savait pourquoi. Tout le monde se posait des
questions. Pis là, vers 10h30, Laurent, j’veux dire Laurent Groulx, c’est le
président du Conseil de paroisse, pis moi j’suis un conseiller. Alors il me dit
qu’il faut aller voir et il me dit de venir avec lui. J’ai dit oui, y’avait
vraiment quelque chose qui marchait pas. On est allés au presbytère, pis là
Laurent a sonné. Il a cogné aussi. Comme personne ne répondait, il a sorti sa
clé et ouvert la porte…
-Laurent Groulx a la clé du
presbytère ? demande abruptement Paul
Bertrand Joliat se retourne un peu décontenancé.
-Ben oui, c’est normal. C’est lui le président du Conseil. Il a la clé
de l’église aussi.
-Est-ce que quelqu’un d’autre a les clés ?
-Ben oui, Raymond, Raymond Besson.
-Et pourquoi ?
-C’est lui qui s’occupe de l’église, c’est l’homme d’entretien. Il est
très fiable.
Roxanne intervient : « Qu’est-ce que vous avez fait une fois dans
le presbytère ?
-Laurent a crié pour appeler le pasteur… On entendait rien. Pis toute
de suite on l’a vu en bas de l’escalier tout affalé sur le plancher du
sous-sol. On est vite descendu, mais on n’a pas voulu le toucher. On était sous
l’choc… Je suis encore sous l’choc !...
-Et ensuite ? Qui a appelé les secours ?
-On était comme figés. Là, Laurent m’a dit que lui allait rester avec
lui pis d’aller demander à quelqu’un d’appeler l’ambulance… J’suis sorti à
l’épouvante, pis j’ai dit qu’il fallait appeler une ambulance.
-Qui a téléphoné au 911 ?
-C’est le jeune Odette Cusson, elle a toujours son téléphone cellulaire
avec elle. Là tout le monde s’est mis à poser des questions, à s’agiter, à
crier, même à brailler. Tout le monde me demandait ce qui s’était passé, mais
moi j’pouvais juste dire c’que j’avais vu : le pasteur en bas de
l’escalier du sous-sol dans une mare de sang. J’ai dû répéter ça au moins vingt
fois. Quand les ambulanciers sont arrivés, j’étais encore de raconter. Ils nous
ont demandé où aller pis moi je les ai amenés au presbytère. Là, ils m’ont dit
empêcher le monde d’entrer, mais la police est arrivée tout de suite après.
-Merci beaucoup monsieur Joliat de votre collaboration. Ça nous est
très utile. Vous pouvez rentrer chez vous et aller vous reposer. Je vous
demande seulement de ne pas quitter le village ces prochains jours; on aura
peut-être encore besoin de vous.
Monsieur Joliat se lève et se dirige vers la porte.
Soudain, Roxanne l’interpelle : « Dites-moi, monsieur Joliat, une
dernière question : connaissez-vous Nancy ? »
-Nancy Fournier ? Bien sûr ! Tout le monde la connaît, c’est la
secrétaire de la municipalité. Elle était même là ce matin.
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