mardi 1 décembre 2015

Les flammes de l’enfer

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La route pour revenir de Notre-Dame-de-la-Croix à Papineauvilleest sinueuse, vallonnée, bordée de grands arbres de chaque côté; Paul la connaît bien. Même si l’automne est un peu en retard on aura droit à de belles couleurs de l’automne.Ça me fait penser qu’il faut que je finisse d’arranger le jardin.Par radio, Paul demande les dernières nouvelles : un accident mineur sur la 148, un acte de vandalisme dans le petit cimetière de Ripon, une fugue signalée à la polyvalente de Papineauville, un incendie dans le rang Morin à Fasset. Je commence à en avoir ma claque des incendies !...Bon, récapitulons : on n’en a pas la preuve définitive, mais c’est sûr que Gustave, Ti-Gus, a mis le feu à huit chalets et maisons de campagne sur le cheminBrookdale il y a huit ans et c’est à peu près sûr que sa mort est reliée à cette série d’incendies. Mais alors,comment ? Quel est le lien entre les incendies d’il y a huit ans et celui de cette semaine ? Et pourquoi maintenant, pourquoi huit ans plus tard ? Et pourquoi au Parc Natura ?... Il nous manque un chaînon à quelque part. Par où chercher ? Peut-être qu’on n’a pas assez creusé la piste des autres employés.
Roxanne qui le suit réfléchit elle aussi intensément. En fait, peut-être que j’aurais pu pousser d’avantage cette question de drogue. Sansregret a réagi très rapidement; trop ?Il a répondu quant à la consommation dans son parc, mais est-ce que ce serait que ça Gustave aurait découvert ? Il connaît tous les secrets de la région il ne faut pas l’oublier; aurait-il découvert, lors de l’une balades en moto, une plantation de marijuana illicite sur les terrains du Parc Natura ? Est-ce que c’est avec ça qu’il faisait chanter Sansregret? Au prochain interrogatoire il faudra tirer sur ce fil... Mais de ce que nous avons appris de Gustave, ce ne serait pas son genre de faire chanter quelqu’un. Et puis ni papa ni moi nous croyons Sansregret directement coupable de la mort de Gustave… J’y pense… est-ce que ça pourrait être un autre employé ?
À l’entrée de la Papineauville,Paul, obéissant aux signaux, ralentit. La route est réduite à une voie avec circulation en alternance. Elle est en complète réfaction parce que la municipalité a autorisé l’agrandissement du centre d’achats; on va en doubler la superficie, et il y aura un plus grand stationnement, une nouvelle configuration de la route. L’épicerie sera plus grande et de nouveaux établissements commerciaux vont s’établir. Heureusement que Papineauville est trop petite pour le Wallmart et les Costo de ce monde.
À leur arrivée au poste de police, Roxanne et Paul sont accueillis par Simon-Pierre Courtemanche, un petit homme à moustache, lunettes et petit bedon d’une quarantaine d’années, le journaliste des faits divers d’Au courant, l’hebdomadaire de la région de l’Outaouais. Paul le connaît bien; il fait son travail honnêtement, cherchant autant que possible à bien informer son public sans pour cela harceler outre-mesure les autorités. C’est un passionné des réseaux sociaux. Il se vante d’avoir 2 000 amis sur son compte Facebook.
-Alors, vous revenez à deux du Parc Natura ! Est-ce que le Sansregret a craché le morceau ? Est-ce qu’il va y avoir des accusations ? Il va être mis en garde à vue ?
-Peux-tu t’en occuper Roxanne ?
Mais cette dernière s’esquive subrepticement : « Inspecteur Quesnel, c’est vous le patron ! » laissant son père un peu déconfit.
-En fait, oui, on arrive du Parc Natura et oui, nous avons interrogé monsieur Sansregret, si vous voulez tout savoir monsieur Courtemanche. Mais pour l’instant non, il n’y a pas d’accusations de portées et monsieur Sansregret est un témoin et non pas un suspect.
-Mais il y a eu mort d’homme; est-ce qu’il s’agit d’un homicide ?
-Je répète ce que j’ai déjà dit, c’est que l’incendie dans lequel est mort Auguste Abel de Noyan est suspect, mais pour l’instant nous ne pouvons confirmer ni dans un sens ni dans l’autre. Nous ne croyons pas que c’est simplement un accident, mais de là à conclure que c’est un homicide, il y a un pas…
-Quel est le rôle de Martin Sansregret ?
-Je ne sais pas.
-Monsieur l’inspecteur !
-Honnêtement, je ne sais pas exactement. C’est lui le directeur et l’un des propriétaires du Parc Natura. Son témoignage est important.
-Avez-vous d’autre suspects en vue ?
-Pour l’instant, il n’y aucun suspect en vue.
-Qu’avez-vous appris sur la victime, Gustave Abel ?
-C’était un gars sans histoire. Il était natif de Noyan et il a déménagé à Notre-Dame-de-la-Croix il y quelques années avec sa mère avec qui il vit seul. D’après ce qu’on m’a dit, il travaillait au Parc Natura depuis l’ouverture.
-Quelles étaient ses fonctions ?
-Il était un homme à tout faire; diverses personnes ont confirmé qu’il était très habile de ses mains.
-Est-ce que le Parc Natura va rester fermé longtemps ?
-Je ne sais pas. Au moins jusqu’à la conclusion de l’enquête.

Après en avoir terminé avec le journaliste, Paul se dirige d’un pas décidé vers son bureau, mais Jocelyne l’accoste :
-C’était qui cette espèce d’énergumène ?
-Qui ça ?
-L’espèce de sans allure que vous nous avez envoyé, patron ? Énervé comme ça s’peut pas, les baguettes en l’air ! Il ne fallait pas le prendre à rebrousse-poil. Il voulait tout faire à toute vitesse. On a dû recommencer laprise d’empreintes deux fois tellement il bougeait. Puis il parlait fort.
-Est-ce qu’il s’est mal comporté, est-ce qu’il t’a manqué de respect ?
-Non, non, pas vraiment; mais c’était tout un numéro, une vraiepaquet de nerfs : il ne tenait pas en place; stressé, énervé, crispé comme ça s’peut pas.
-Hmm… Comme s’il avait des choses à cacher ?
-J’sais pas trop. Plutôt comme très emmerdé d’être là. C’est quelqu’un qui n’a pas l’habitude de se faire donner des ordres. Et puis, qui n’a pas de temps à perdre.
-Merci Jocelyne. Je suis désolé pour toi. Est-ce qu’il y des messages ?
-Tout est sûr votre bureau. Rien d’urgent.
Paul s’assoit à son bureau. Il en lève sa veste. Il ferme les yeux. Il sent qu’ils ont progressé aujourd’hui, mais il n’y a toujours pas de piste sérieuse.
-Patron, avez-vous quelques instants ?
Roxanne et Olivier apparaissent à sa porte. Paul fait des gros yeux à sa fille qui se cache derrière Olivier, mais elle se contente de sourire.
-Oui, bien sûr; entre Olivier.
Ils s’installent en face de lui. Roxanne encourage son jeune collègue.
-Vas-y Olivier, raconte-lui ce que tu as trouvé et que tu m’as partagé. Écoute papa, ça va t’intéresser.
-En fait, j’ai trouvé d’autres renseignements sur la série d’incendies à Noyan d’il ya huit ans. J’ai fouillé un peu et j’ai trouvé le nom et les adresses des autres suspects, ceux qui à l’époque avaient été interrogés par la police; ils étaient six, six jeunes hommes : Marc Guidon, Johnny Willburn et Éric Dagenaistous trois de Noyanet ensuite les frères Stéphane et Yvan Fortin de Saint-Émile-de-Norfolk.
-Répète ça; tu as bien dit Éric Dagenaisde Noyan?
-Oui, Éric Dagenais; vous le connaissez ?
-Non, non, mais imagine-toi que depuis cematin, il y a le nom d’un monsieur Dagenaisde Noyan quiest apparu dans cette histoire; son nom est mêlé àla construction du Parc Natura. Il est décédé depuis longtemps, mais il était fermier et son ancienne terre jouxte le Parc, et il y aurait eu une borne d’arpentage qui aurait déplacée ou quelque chose comme ça. Il faudrait voir s’il n’y a pas un lien entre le propriétaire de cette terre-làet ce jeune Dagenais, Éric.Ce pourrait être un petit-neveu ou un arrière-cousinqui aurait découvert l’entourloupette de la borne, peut-être, et qui aurait voulu se venger ?…
-Déjà frustré d’avoir été faussement accusé ou du moins soupçonné d’avoir mis le feu, il aurait voulu se venger, et d’autant plus quand il découvre le traficotage de bornes, d’avoir en plus été dépossédé de ce qui lui revenait : un droit acquis sur le lac.
-Exactement. C’est peut-être ça le lien entre les deux événements ! Peut-être au début, il ne savait pas qui avait allumé sur le chemin Brookdale, mais quand il apprend d’une façon ou d’un autre que c’est le même individu qui lui a causé du tort deux fois, c’en est trop.
-Il faudrait voir s’il était sur place au Parc Natura, le jour de la mort de Gustave.
-Je crois que Turgeon pourrait avoir cette information. Je ne savais pas trop par où commencer, alors il a passé au crible la liste de clients présents pour me donner le nom de ceux qui avaient déjà un carnet judiciaire.
-Et patron, j’ai aussi le nom des propriétaires des sept maisons qui ont cramé sur le même rang :Laurent Leblanc, Théodore Groulx, Guillaume Godin, RenhartHoslter, Peter Smythe, Paul Buckannon;tous des hommes, trois d’entre eux sont de Noyan, les autres viennent de Laval, Saint-Ephrem en Ontario et Buckingham…
Olivier marque une pause.
-Continue.
-Et j’ai trouvé le nom que celui de la personne qui est décédée dans l’incendie de sa maison : un certain monsieur Henri Trudel qui n’était pas de Noyan mais de Turso.
-Trudel, Trudel… ce nom-là me dit quelque chose… Où est-ce que j’ai entendu ce nom-là ?...     
-Récemment ?
-Oui, c’est jours-ci.
-Au Parc Natura ?
-Oui, probablement.
-Ce n’est pas l’un des trois propriétaires en tout cas.
-Non, je sais. Mais quelqu’un a mentionné ce nom, j’en suis sûr.


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