Les flammes
de l’enfer
19
En ce vendredi matin, Paul se réveille de fort bonne humeur. Hier soir,
il s’est enfermé dans son bureau et il s’est mis à la tâche. Il s’était
commandé un repas de poulet d’une des
rôtisseries de Papineauville – il avait attendu que sa fille ait quitté
le poste de police pour repartir chez elle, elle lui avait dit au revoir d’un
petit signe de la main – et il s’était appliqué à terminer le rapport de stage
d’Olivier Jean-Jacques. Il avait eu beaucoup de choses à souligner : son
sens de l’observation, son sens de l’intuition et de déduction; comment il
s’était parfaitement bien intégré à l’équipe, comment il comprenait vite et
comment il accomplissait bien les tâches qui lui été demandées… Comme il faut
toujours mettre dans un rapport de stage des observations sur ce qui
« peut être amélioré », Paul avait écrit vaguement quelque chose sur
sa condition physique et sur ses routines personnelles, convaincu que ce
n’était que des détails.
Après s’être rasé et habillé, il se sert une tasse de café sur sa
nouvelle machine à dosette que ses enfants, sa fille Roxanne et son fils Xavier
lui avaient offerte l’été dernier (son fils Alexandre quoi vit en Alberta
n’était pas venu au Québec cette année). Il choisit « Mélange corsé »,
qui lui semble tout à fait approprié pour aujourd’hui. Il déjeune d’un jus
d’oranges et de rôties. Il prend le journal et écoute la radio en même temps.
Il aimait bien prendre ses petits déjeuners avec sa femme Monique; c’était une
femme instruite qui enseignait l’histoire au CEGEP, et ils pouvaient parler
ensemble d’une foule de sujets autres que les enquêtes policières. Sans doute
que Roxanne et dans une certaine mesure son fils Xavier qui habite en Abitibi,
à six heures de routes, aimeraient bien qu’il se trouve une nouvelle compagne;
et sans doute lui aussi aimerait bien, mais à la vérité il ne sait pas trop comment faire.
Mettre une annonce dans les journaux ? Il faudrait qu’il dise d’emblée qu’il
est chef de police, de quoi faire fuir toutes les femmes de 17 à 77 ans
cinquante kilomètres à la ronde. Socialiser ? Mais aller où ? Dans les soirées
?… Il n’y avait pas beaucoup de femmes célibataires dans la SQ, et encore moins
de sa génération. S’inscrire à un cours de danse ? De peinture? D’observation
des papillons ? Il avait bien suivi des sessions pour apprendre l’espagnol, ce
qu’il avait apprécié, mais la majorité des gens étaient des couples uniquement
intéressés à apprendre un espagnol de base pour faire des voyages dans le Sud.
Et puis trop de gens le connaissez à Papineauville; il faudrait que ce
soit une femme d’ailleurs, comme de Gatineau par exemple, là où il se préparait
à aller pour rencontrer le pasteur à la retraite René Doyon. Son nom était
revenu plusieurs fois dans l’enquête sur l’incendie mortel du Parc Natura; et
Paul trouvait que son rôle, son rôle dans la nuit des sept incendies du chemin
Brookdale à Noyan il y a quelques années, n’était pas clair. Il avait un lien
certain en les deux événements, et Paul pensait que le pasteur Doyon le
connaissait. Que savait-il de cette nuit il y a sept ans la nuit des incendies
? Avait-il soupçonné Gustave, pour il avait de l’attachement ? Ou pire,
avait-il essayé de le protéger ? Quels étaient ses liens avec sa mère ?
Paul ne lui a pas téléphoné pour prendre rendez-vous. Il préfère voir
ses réactions immédiates, sur le coup, ce qui peut lui en apprendre beaucoup.
Gatineau, ce n’est pas sa juridiction, mais il ne s’agit pas d’une accusation
comme telle, simplement d’une visite exploratoire. Il a averti le chef de la
police de Gatineau pour lui faire part de sa démarche en lui disant bien sûr
qu’il le tiendra informé des suites de son enquête. Paul lui aussi parlé de
Daniel Pomerleau qui habite à Gatineau, qui sera probablement le prochain à qui
il rendra visite, de même que des frères Trudel, l’un qui demeure aussi à
Gatineau et l’autre à Chatham un peu plus au nord.
Juste au moment au où il met la main sur la poignée, il a une
intuition.
Il revient téléphoner à sa fille Roxanne. Il l’appelle sur son
cellulaire.
-Oui, Roxanne, c’est moi; tu es route pour Papineauville, je suppose ?
Écoute, viens me rejoindre à Gaitneau chez le pasteur Doyon. Je te donne son
adresse, c’est sur la rue Daniel-Gosselin. Si tu arrives avant moi,
attends-moi, d’accord ?
Ils sonnent. La maison est jolie sans être grandiloquente. Il y a un
sous-sol et un étage. Elle bordée d’arbres des deux côtés. Une agréable maison
pour prendre sa retraite, pense Paul. Un homme bien mis, rasé de près vient
leur répondre.
-Monsieur René Doyon ?
-Oui, c’est moi.
Paul lui montre sa carte.
-Bonjour, je suis l’inspecteur Paul Quesnel de la Sureté du Québec et
voici l’officière Roxanne Quesnel-Ayotte; est-ce que nous pourrions vous parler
quelques instants ?
-À moi ?... Oui; entrez.
Sa femme vient les rejoindre.
-Aline, ce sont deux officiers de police.
-Je vois. Entrez, assoyez-vous.
-Merci. Monsieur Doyon vous avez été pasteur de l’église protestante de
Noyan. Je voudrais vous parler de Gustave Abel.
-Oui, j’avais appris sa mort par les nouvelles et j’ai aussitôt appelé
sa mère. C’est moi qui vais faire les funérailles, dans l’église catholique de
Notre Dame de la Croix, j’ai demandé la permission au curé Baulne. C’est mieux
ainsi.
-Pendant combien de temps avez-vous été pasteur à Noyan ?
-Pendant seize ans. Je suis arrivé au début des années ’90; la paroisse
était dans un état lamentable. J’ai fait de mon mieux pour la raplomber; je mis
sur pied un groupe de jeunes, un groupe de femmes...
-Vous étiez très lié à madame Cournoyer.
-Pas dans le sens que vous pourriez l’entendre !
-Elle n’était pas de Noyan.
-Non, elle venait de l’Ontario.
-Parlez-moi de son fils.
La femme du pasteur intervient : « Nous l’avons beaucoup
aidé. Vous savez nous n’avons pas pu avoir d’enfants et nous nous sommes
attachés à lui; nous le considérions presque comme notre fils. Comme il avait
toutes sortes de difficultés à l’école tant académiques que de comportement, je
luis ai fait la classe chez nous pendant des années; il écoutait très bien. Il
voulait apprendre. Nous étions très fiers de lui.
-Parlez-moi de cette nuit il y a huit ans lorsque sept chalets ont
brûlé sur le chemin Brookdale.
-Ce soir-là il est revenu sur sa moto, en plein milieu de la nuit;
l’alerte avait déjà été donnée. Il avait les cheveux en bataille, il sentait…
le bois à plein nez. Je lui ai dit d’aller chez lui. Quand la police est
arrivée je pensais bien que c’était pour l’arrêter.
Roxanne intervient : « Madame Cournoyer nous a dit qu’ensuite
vous qui leur avez proposé de déménager.
-En fait, elle voulait partir, elle voulait retourner en Ontario d’où
elle venait, mais je ne croyais pas que c’était une bonne idée pour Ti-Gus; il
aurait pu se retrouver sous l’influence de personnes mal intentionnées et
aurait pu mal tourner. Et puis il ne parlait pas anglais; les choses avaient
bien changé en quinze ans, sa région s’était considérablement anglicisée. Je
lui ai conseillé de s’installer à Notre-Dame-de-la-Croix, c’était hors de
Noyan, et nous pouvions continuer à veiller sur Ti-Gus. Et elle a accepté.
-Et vous l’avez aidée à trouver une maison, à s’installer.
-Oui, de toute façon ça serait arrivé un jour ou l’autre. Bessie ne
s’était jamais habituée à Noyan. Elle y était malheureuse. Son mari l’avait
quittée et elle s’est retrouvée seule avec un enfant. C’était la meilleure
chose à faire.
-Revenons à cette nuit des incendies monsieur Doyon. Vous avez dit
qu’en voyant la police arriver, vous pensiez que c’était pour arrêter Ti-Gus.
Pourquoi ? Vous le croyiez coupable ?
-C’est-à-dire que…
-Il ne sert plus à rien de la protéger maintenant, il est mort, et tout
ce que vous pourrez nous dire pourra nous aider à élucider sa mort.
-Oui, probablement que c’était lui… J’étais hors de moi; je ne pouvais
pas le croire ! Je suis allé chez eux dès le lendemain, nous en avions parlé
une bonne partie de la nuit Aline et moi, à savoir ce que nous devions faire,
et je suis allé lui dire que c’était mal ce qu’il avait fait ! Je lui ai
demandé pourquoi, pourquoi ? Mais il ne le savait pas lui-même, il ne pouvait
rien me dire.
Roxanne demande : « Est-ce qu’il était pyromane ? »
La femme réagit : « Non, non; c’était un gentil garçon. Il avait
une fascination pour tout ce qui brillait, c’est vrai, comme les chandelles,
les lumières de Noël, les montres fluorescentes, mais il n’était pas dérangé,
si c’est cela que vous voulez nous entendre dire… »
-Pardonnez-moi madame, nous voulons juste que vous nous disiez la
vérité.
Le pasteur Doyon reprend : « Quelques semaine auparavant les
jeunes hommes du village lui ont joué un mauvais tour. Il avait une moto, avec
laquelle il se promenait partout, et elle faisait beaucoup de bruit, alors ils
ont, en cachette, saboté son moteur et quand il a fait démarrer sa moto, le
moteur a pris feu. Les gens sont méchants. Il n’a pas été blessé mais il y
avait des réparations majeures à faire.
-Et ça aurait l’élément déclencheur ?
-Je ne sais pas… Oui, c’est possible.
-Dites-moi une chose; d’accord Ti-Gus était en colère et il a voulu se
venger en mettant le feu à des maisons du chemin Brookdale, mais comme vous
dite, madame, il n’était pas dérangé, il a choisi des maisons ou des chalets
inhabités. Sauf pour la maison de monsieur Trudel; il n’a pas vu qu’il était là
?
-Il faut croire que non, les lumières étaient toutes éteintes…
-Oui, on vous écoute…
-En fait, il y a eu un malheureux concours de circonstances. Ce
vendredi-là en s’en venant de Turso à Noyan, Henri Trudel avait reçu une pierre
dans qui avait percé le radiateur de sa voiture; il avait pu se rendre jusqu’au
village mais il avait laissé sa voiture au garage. Un employé du garage était
venu le reconduire; donc il était présent dans la maison, mais pas la
voiture : c’est ce qui a trompé Ti-Gus : monsieur Trudel devait
dormir et quand il n’a pas vu la voiture il a cru qu’il n’y avait personne.
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