samedi 12 décembre 2015


Les flammes de l’enfer

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-Monsieur Doyon, pourquoi avez-vous retenu ces informations ? Pourquoi ne leur avez-vous rien dit ?
-À qui ?
-Aux policiers ?
-Mais personne n’est jamais venu nous interroger ni l’un ni l’autre. La police est venue au village, mais personne n’est venu nous poser des questions !
-Personne n’est venu vous interroger ? Alors que vous étiez comme son deuxième père et sa deuxième mère ?
-Non. Heureusement d’ailleurs. Je ne sais pas ce que j’aurai pu garder, dire ou taire.
Roxanne souligne : « Conserver des informations, ça s’appelle entrave à la justice. »
-Vous pourriez être accusé.
-…
-Et il y a eu mort d’homme !
-Ce que nous ne savez pas, c’est qu’Henri Trudel n’était pas un homme, c’était un tyran. Il terrorisait ses employés et leurs familles. À l’époque il était le directeur de l’usine de copeaux de bois à Turso et c’était terrible : des lock-out sauvages à répétition, des conflits de travail continuels, très durs; il venait venir des scabs au mépris de la loi; il ne faisait aucune concessions, le syndicat essayait juste de sauver les emplois, conserver les acquis et lui il leur faisait vivre un véritable enfer. Les conditions de vie de la population étaient extrêmement difficiles, il y a avait des divorces, des enfants perturbés. La communauté était traumatisée, divisée, au bord de l’éclatement, la violence était partout, la violence conjugale, des bagarres éclataient, vous ne pouvez pas vous imaginer; il y avait même eu deux suicides.
-L’aviez-vous rencontré ?
-Je l’avais souvent confronté quand il venait à Noyan, mais il ne voulait rien savoir; c’était un homme d’affaires impitoyable, redoutable, un requin, un rapace. Il ne respectait rien, sauf le profit. Il avait acheté sa maison sur le chemin Brookdale de quelqu’un qu’il avait lui-même ruiné, qui avait perdu son emploi à son usine et dont les biens avaient été liquidés. Il avait rénové l’ancienne maison, il avait fait creuser un puits, planter des arbres, pour lui c’était un investissement. Il venait passer ses fins de semaine l’été, rarement l’hiver. C’était l’endroit parfait pour faire la fête, des gros partys, c’était isolé; on mettait des tentes, il y avait des musiciens; il était loin de Turso, mais quand même on savait qui c’était; c’était son petit domaine. Trudel, ce n’était pas un homme, c’était un parasite social. Tout le monde le connaissait de réputation dans la région.
-Ti-Gus devait le savoir ?
-Oui, c’est sûr, mais cette nuit-là il n’était pas dans son état normal. Il avait perdu contact avec la réalité.
-Connaissez-vous ces fils ?
-Les fils Trudel ? Non, pas vraiment; seulement par les journaux.
-Vous ne les avez jamais vus ?
-Si, une fois. Ils sont venus à Noyan dans leurs grosses voitures quelques mois plus tard, et ils ont posé des questions à gauche et à droite, mais sans obtenir de réponse bien sûr; personne ne voulaient les aider, tout le monde s’est tu. Même si certaines personnes avaient des doutes sur Ti-Gus, c’est quand même un enfant de la place; et on préférait oublier. Alors ils sont repartis Gros-Jean comme devant.
-Comment auraient-ils retrouvé la trace de Ti-Gus ?
-Je ne sais pas, peut-être par hasard.
-Ça aussi vous auriez pu le dire à la police.
-Nous avons appris les choses au fur et à mesure, en faisant des recoupements, dit René Doyon.
Et sa femme rajoute : « Et nous en avons parlé beaucoup parlé ensemble. C’était un cas de conscience, ce n’était pas facile de nous taire, mais parler c’était condamner notre propre enfant ! Et parler de la visite des frères Trudel, c’était les condamner; il y avait déjà eu une victime, fallait-il en faire d’autre ? Où était la justice ? Ce que Ti-Gus avait fait était mal, c’est vrai, même s’il quand il l’a fait il ne le voulait pas tuer quelqu’un, mais fallait-il faire encore plus de mal ? Le défendre était notre choix, et défendre les autres était aussi notre choix. »
-Je crois que nous allons vous laisser. Sans doute nous reverrons-nous.
-Est-ce que je peux vous demander quelque chose à mon tour ?
-Oui.
-Viendriez-vous aux funérailles demain ?

                Le lendemain, Paul et Roxanne n’était aux funérailles de Gustave Abel à Notre-Dame-de-la-Croix, mais de retour à Gatineau, pour y interroger Daniel Pomerleau cette fois-ci avec un mandat du chef de police de la municipalité.
-Monsieur Daniel Pomerleau, nous avons une ou deux questions à vous poser.
-Qu’est-ce que j’ai fait ?
                -Vous avez fait récemment un séjour au Parc Natura et vous avez dit alors que vous étiez venu avec les frères Josh et Alvin Trudel; vous vous souvenez ?
-Oui, c’est ce que j’ai dit. C’est la vérité. Mais sont pas ici.
-Bien sûr, c’est la vérité. Mais ce n’est pas à eux qu’on veut parler pour l’instant, c’est à vous. Dites-nous, ça fait longtemps que vous les connaissez ?
-Une couple d’années; j’avais travaillé comme surveillant de chantier pour leur père à l’usine de Turso. Quand le père est mort, on a gardé contact.
-Est-ce que vous alliez souvent en expédition de pêche avec eux ?
-Non, c’était la première fois.
-Et l’expédition ne s’est pas passée comme vous le pensiez, n’est-ce pas ?
-Qu’est-ce que vous voulez dire ?
-C’est eux qui ont mis le feu au chalet sur le bord du lac, n’est-ce pas ? Et vous, vous avez surveillée les environs, c’est ça ?
-Je sais rien de ce que vous dites ?
L’inspecteur Loiselle de Gatineau intervient : « Monsieur Daniel Pomerleau, à partir de maintenant, vous êtes en état d’arrestation. Vous avez le droit de vous taire et de réclamer la présence d’un avocat. Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous…
-Mais… mais… C’est pas moi ! C’est eux qui ont tout fait !

-C’est dont les frères Trudel, Josh et Alvin.
-Oui, c’est ça. Ça a leur a pris quelques années mais ils ont fini par retrouver Ti-Gus; par hasard; ils sont allés au Parc Natura l’année dernière et par hasard, ils l’ont vu. Probablement qu’ils ont étaient assez surpris de la voir; ils ne savaient pas trop quoi faire… Ils voulaient lui faire payer la mort de leur père, ou alors lui faire peur. Quand on l’a vu par hasard au Parc Natura, ils se sont dit : « On le tient. Il nous a volé notre père. Il a mis le feu à sa maison pis il a brûlé ! À l’époque, c’était des jeunes adultes qui sortaient de l’adolescence. Ça dû être terrible. Ils aimaient leur père, ils l’admiraient, même s’ils étaient sévère; il avait réussi. Ils ne comprenaient pas ce qui avait pu se passer, ils en voulaient à mort à celui qui leur avait enlevé leur père; ils voulaient le tuer. On ne sait pas exactement comment ils s’y sont mais avec le témoignage de Daniel Pomerleau on devrait arriver à les faire condamner. Ils sont actuellement en détention à Gatineau et seront formellement accusés de meurtre la semaine prochaine.

-Et ça se termine ici.

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