Un lieu de repos
Chapitre 17
Roxanne voit Jean-Yves Galarneau, le directeur du collège, se troubler
à cette dernière intervention de son père, et se raidir sur sa chaise. Il est clair qu’il se s’attendait pas à ce
genre de question. Que va-t-il répondre ?
-Je… je… je ne comprends le sens de votre question…
-Vous ne pouvez pas ne pas savoir que les deux victimes, Antoine
Meilleur et Madeleine Chaput sa conjointe, ont été retrouvées mortes sur l’un
des bancs du Sentier du Pèlerin au monastère des sœurs
Très-Saints-Noms-de-Marie-et-Joseph de Plaisance. La supérieure de cette petite
communauté s’appelle Gisèle Saint-Germain. Alors je voudrais simplement savoir
si vous la connaissez, je veux dire si vous la connaissiez avant que toute
cette histoire n’éclate dans les médias.
-Je… je… Comment… Que croyez-vous…
-Je ne crois rien, monsieur Galarneau, je vous demande seulement si
vous connaissez personnellement sœur Gisèle Saint-Germain.
-Oui… oui… Vous avez raison, nous nous connaissons depuis plusieurs
années.
Paul regarde intensément son interlocuteur. Roxanne quant à elle remarque
que le sous-directeur Honorée Lépine semble lui aussi dans ses petits souliers.
-Racontez-moi donc… Comment avez-vous fait connaissance ?
-C’était il y a bien des années… Il y a plus de quarante ans. Nous
étions tous les deux novices dans nos communautés respectives… Le noviciat sera
à nous faire une idée juste et définitive sur notre vocation et nous avons, au
cours de notre noviciat, plusieurs retraites pour réfléchir à tout ça. Elles pouvaient
être d’une semaine ou deux, et nous avions un thème propre à la vie
communautaire sur lequel nous devions nous pencher, réfléchir, et prier dans le
but de mieux cerner notre vocation. Nos deux communautés ont voulu innover en
permettant à des jeunes hommes et des jeunes femmes appelés à la vie communauté
de vivre ces retraites ensemble. Il y avait aussi des raisons pratiques, parce
que comme les vocations étaient en forte baisse à cette époque, ni l’une ni l’autre
n’avait plus assez de postulants pour former un groupe de taille adéquate. Mais
aussi, c’était une expérience qui allait bien dans l’air du temps, dans l’ouverture
des communautés religieuses. Enfin bref, nous avons eu cette rencontre dans un
centre de retraites dans les Laurentides; pendant une semaine nous avions eu
pour thème : qu’est-ce que l’amour ? C’était durant l’été 1972.
-C’était un thème inspirant…
Le directeur hausse la
voix : « N’y voyez rien de mal ! Ce n’est pas du tout ce que vous
pensez ! L’amour chrétien est un amour universel pour toutes les créatures de
Dieu; c’est un amour altruiste, généreux, désintéressé; c’est un don de soi
total; c’est très exigeant. C’est indispensable pour entre dans la vie
communautaire. Il n’y a rien de charnel dans cet amour et il n’y a rien de
charnel entre noue !
-Donc, c’est à cette retraite en
1972 que vous avez fait la connaissance de sœur Gisèle Saint-Germain…
-Oui, elle n’était pas
« sœur » encore; elle était novice comme moi.
-Et…
-Et il ne s’est rien passé !
Rien du tout ! Je ne sais pas pourquoi vous me poser des questions sur cette
histoire ! C’est du passé !
Au contraire d’Honoré Lépine qui
ne tient plus en place, qui semble vouloir être ailleurs à tout prix, Paul
garde son calme.
- Gisèle Saint-Germain devait
avoir un certain charme, et peut-être que vous en aviez aussi. Vous vous êtes
sans doute souris, vous vous êtes peut-être même arrangés pour vous retrouver
tous seuls, un soir ou deux, pour mieux vous connaître… Je vous crois, monsieur
Galarneau, quand vous me dites qu’il ne s’est rien passé. Mais ce que je crois
aussi, c’est que vous avez toujours gardé contact l’un et l’autre.
-C’est vrai; nous avons fait bien
attention, mais on arrivait à s’envoyer des vœux pour Noël, pour Pâques, et ça
nous faisait plaisir. Ensuite on s’est croisés dans des rencontres nationales
ou internationales. Quand le pape Jean-Paul II est venu au Québec nous étions
tous les deux dans l’équipe d’animation des jeunes; pendant un semaine nous
avons travaillé côte à côté. Et maintenant avec l’internet, nous correspondons
régulièrement.
-Dites-moi une chose, monsieur
Galarneau, vous saviez donc qu’Antoine Meilleur et Madeleine Chaput venaient
passer du temps pour se reposer à l’ermitage des sœurs de Plaisance ?
-Au début non. Les premières
fois qu’ils sont venus, c’était avant qu’Antoine entame les poursuites
judiciaires; ils venaient comme si de rien n’était. Sœur Gisèle ne savait même
pas que c’était un de nos anciens élèves. Ce n’est que lorsqu’on en a parlé
dans les médias qu’elle m’a informé du fait qu’ils faisaient des séjours
réguliers chez elle.
-Comment avez-vous réagi ?
-Je ne comprenais pas… D’un côté
sœur Gisèle me disait que tout se passait bien, qu’ils agissaient correctement,
même s’ils n’étaient pas très bavards; elle me disait qu’ils semblaient
apprécier leurs séjours au Centre de repos de Plaisance, et de l’autre côté, il
nous poursuivait en justice; il nous attaquait brutalement, impitoyablement; il
disait des choses ahurissantes. Comment il pouvait dire des choses si
méchantes, si malveillantes sur nous alors qu’il appréciait ce que les sœurs
faisaient pour eux. Je ne comprends toujours pas... C’est un peu
schizophrénique comme attitude, n’est-ce pas ?
-Monsieur Galarneau, je suis
policier, je ne suis pas psychologue; alors je vais laisser le diagnostic aux
experts.
-Oui, c’est vrai…
Roxanne intervient en se penchant vers l’avant :
-Quand avez-vous vu sœur Gisèle pour la dernière fois ?
-Quand nous nous sommes vus… C’était probablement l’année dernière. C’était
au plus fort de la tempête juridique. J’avais besoin de me confier à quelqu’un;
alors elle m’a donné rendez-vous à Montréal pour m’écouter et me remonter le
moral. On a passé un après-midi ensemble. J’avoue que ça m’a fait du bien.
-Mais vous êtes en contact régulier… Est-ce qu’elle vous a téléphoné,
par exemple, pour vous informer de notre visite chez elle ?
-Oui, en effet, elle m’a téléphoné le soir même de votre visite. Mais
elle n’a rien fait de mal ! Elle n’a rien divulgué de compromettant !
-Qu’est-ce qui aurait pu être compromettant ?
-Je veux dire qu’elle m’a seulement raconté comment ça s’était passé,
des questions que vous lui aviez posées, des recherches que vous aviez faites.
Elle n’a fait aucun commentaire sur le pourquoi de tout ça.
-Et je suppose que vous allez la rappeler pour lui faire un
compte-rendu de notre visite chez vous.
Le directeur a subitmeent l’air accablé; ses épaules se sont
affaissées, il parle d’une voix faible.
-Oui... c’est vrai.
Roxanne, tout comme Paul, voit Honoré blêmir. Ses doigts serrent la
table d’une manière convulsive.
-Est-ce que… est-ce que j’ai répondu à toutes questions ? demande
Jean-Yves Galarneau faiblement.
-Pour l’instant oui, répond Paul. Mais je vous préviens qu’il est
presque assuré que nous reviendrons au cours de notre enquête.
Les deux hommes, Paul et Roxanne, se lèvent presque en même temps.
Jean-Yves Galarneau et Honoré Lépine accompagnent le père et la fille jusqu’à
la porte. Roxanne remarque dans le couloir une énorme horloge à pendule qu’elle
n’avait par vue en venant. Quelle belle
antiquité ! Ça doit dater d’au moins deux cent ans ! Sur le perron, ils se
serrent la main. Les deux hommes rentrent aussitôt.
-J’ai l’impression que monsieur le directeur et son sous-directeur vont
avoir une bonne discussion ! Il y a de l’orage dans l’air.
Miguel del Potro est là qui les attend avec Sabrina Portal. Ils montent
sans dire rein ajouter dans les voitures et reviennent à petite vitesse au portail
d’entrée et y rejoignent Isabelle Dusmenil et Daniel Casgrain. C’est à des deux
derniers que Paul s’adresse :
« Je suis désolé pour vous; je vous ai fait venir dans le cas où
il y aurait eu des arrestations, mais ce ne sera pas pour aujourd’hui.
-Comment ça s’est passé ?
-C’était le directeur et le sous-directeur. C’est surtout le directeur
qui a parlé. On a établi qu’il y avait un lien, disons particulier, entre lui
et la supérieure du convent de Plaisance, mais c’est tout. Est-ce que l’un ou l’autre
est coupable de quelque chose ? Impossible à dire pour l’instant.
Il se tourne vers Miguel del Potro.
-Pouvez-vous surveiller les allées et venues de la maison pour les
prochains jours ?
-Certainement; je peux aussi mettre son téléphone sous écoute, ou
encore aller fouiller dans ses courriels personnels.
-Oui… ce n’est peut-être pas une mauvaise idée... Allons-y pour l’écoute
et l’investigation des courriels. Je viendrais signer les documents
nécessaires. En attendant, il est plus que l’heure d’aller manger. Qu’est-ce qu’il
y a comme place bonne bouffe et discrète ici à Granby ? Il paraît que la ville
est reconnue pour la qualité de sa gastronomie.
-Je vous conseille la Brûlerie sur la rue de la Gare. C’est tout près d’ici
et il y a encore des tables extérieures même s’il commence à faire frais. Et
puis, le restaurant est juste à côté de la rivière, il y a un beau coup d’œil.
-Va pour la Brûlerie.
Paul reviendra à Papineauville tout seul. Durant le repas Miguel Del
Potro s’est montré être un hôte charmant. Paul et Roxanne ont raconté de façon
plus détaillée leur visite au collège de Granby et il a su poser des questions
pertinentes. Puis de façon subtile, il a proposé à Roxanne de venir remplir la
documentation nécessaire et qu’ensuite ça vaudrait la peine qu’elle visite
cette ville où elle n’était jamais venue auparavant; offre qu’à la surprise de
Paul, elle avait accepté sans hésité. C’est vrai qu’elle est encore en congé,
elle ne devait reprendre son service que la semaine prochaine. Miguel s’était
engagé à la ramener à Montréal au terminus d’autobus.
Paul regarde l’autoroute 10 qui se déroule devant lui.
-Ah bien, quand je vais raconter ça à Juliette ! Je me demande ce qu’elle
va en penser !
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