lundi 28 août 2017

Un lieu de repos
Chapitre 17
               
Roxanne voit Jean-Yves Galarneau, le directeur du collège, se troubler à cette dernière intervention de son père, et se raidir sur sa chaise. Il est clair qu’il se s’attendait pas à ce genre de question. Que va-t-il répondre ?
-Je… je… je ne comprends le sens de votre question…
-Vous ne pouvez pas ne pas savoir que les deux victimes, Antoine Meilleur et Madeleine Chaput sa conjointe, ont été retrouvées mortes sur l’un des bancs du Sentier du Pèlerin au monastère des sœurs Très-Saints-Noms-de-Marie-et-Joseph de Plaisance. La supérieure de cette petite communauté s’appelle Gisèle Saint-Germain. Alors je voudrais simplement savoir si vous la connaissez, je veux dire si vous la connaissiez avant que toute cette histoire n’éclate dans les médias.
-Je… je… Comment… Que croyez-vous…
-Je ne crois rien, monsieur Galarneau, je vous demande seulement si vous connaissez personnellement sœur Gisèle Saint-Germain.
-Oui… oui… Vous avez raison, nous nous connaissons depuis plusieurs années.
Paul regarde intensément son interlocuteur. Roxanne quant à elle remarque que le sous-directeur Honorée Lépine semble lui aussi dans ses petits souliers.
-Racontez-moi donc… Comment avez-vous fait connaissance ?
-C’était il y a bien des années… Il y a plus de quarante ans. Nous étions tous les deux novices dans nos communautés respectives… Le noviciat sera à nous faire une idée juste et définitive sur notre vocation et nous avons, au cours de notre noviciat, plusieurs retraites pour réfléchir à tout ça. Elles pouvaient être d’une semaine ou deux, et nous avions un thème propre à la vie communautaire sur lequel nous devions nous pencher, réfléchir, et prier dans le but de mieux cerner notre vocation. Nos deux communautés ont voulu innover en permettant à des jeunes hommes et des jeunes femmes appelés à la vie communauté de vivre ces retraites ensemble. Il y avait aussi des raisons pratiques, parce que comme les vocations étaient en forte baisse à cette époque, ni l’une ni l’autre n’avait plus assez de postulants pour former un groupe de taille adéquate. Mais aussi, c’était une expérience qui allait bien dans l’air du temps, dans l’ouverture des communautés religieuses. Enfin bref, nous avons eu cette rencontre dans un centre de retraites dans les Laurentides; pendant une semaine nous avions eu pour thème : qu’est-ce que l’amour ? C’était durant l’été 1972.
-C’était un thème inspirant…
                Le directeur hausse la voix : « N’y voyez rien de mal ! Ce n’est pas du tout ce que vous pensez ! L’amour chrétien est un amour universel pour toutes les créatures de Dieu; c’est un amour altruiste, généreux, désintéressé; c’est un don de soi total; c’est très exigeant. C’est indispensable pour entre dans la vie communautaire. Il n’y a rien de charnel dans cet amour et il n’y a rien de charnel entre noue !
                -Donc, c’est à cette retraite en 1972 que vous avez fait la connaissance de sœur Gisèle Saint-Germain…
                -Oui, elle n’était pas « sœur » encore; elle était novice comme moi.
                -Et…
                -Et il ne s’est rien passé ! Rien du tout ! Je ne sais pas pourquoi vous me poser des questions sur cette histoire ! C’est du passé !
                Au contraire d’Honoré Lépine qui ne tient plus en place, qui semble vouloir être ailleurs à tout prix, Paul garde son calme.
                - Gisèle Saint-Germain devait avoir un certain charme, et peut-être que vous en aviez aussi. Vous vous êtes sans doute souris, vous vous êtes peut-être même arrangés pour vous retrouver tous seuls, un soir ou deux, pour mieux vous connaître… Je vous crois, monsieur Galarneau, quand vous me dites qu’il ne s’est rien passé. Mais ce que je crois aussi, c’est que vous avez toujours gardé contact l’un et l’autre.
                -C’est vrai; nous avons fait bien attention, mais on arrivait à s’envoyer des vœux pour Noël, pour Pâques, et ça nous faisait plaisir. Ensuite on s’est croisés dans des rencontres nationales ou internationales. Quand le pape Jean-Paul II est venu au Québec nous étions tous les deux dans l’équipe d’animation des jeunes; pendant un semaine nous avons travaillé côte à côté. Et maintenant avec l’internet, nous correspondons régulièrement.
                -Dites-moi une chose, monsieur Galarneau, vous saviez donc qu’Antoine Meilleur et Madeleine Chaput venaient passer du temps pour se reposer à l’ermitage des sœurs de Plaisance ?
                -Au début non. Les premières fois qu’ils sont venus, c’était avant qu’Antoine entame les poursuites judiciaires; ils venaient comme si de rien n’était. Sœur Gisèle ne savait même pas que c’était un de nos anciens élèves. Ce n’est que lorsqu’on en a parlé dans les médias qu’elle m’a informé du fait qu’ils faisaient des séjours réguliers chez elle.
                -Comment avez-vous réagi ?
                -Je ne comprenais pas… D’un côté sœur Gisèle me disait que tout se passait bien, qu’ils agissaient correctement, même s’ils n’étaient pas très bavards; elle me disait qu’ils semblaient apprécier leurs séjours au Centre de repos de Plaisance, et de l’autre côté, il nous poursuivait en justice; il nous attaquait brutalement, impitoyablement; il disait des choses ahurissantes. Comment il pouvait dire des choses si méchantes, si malveillantes sur nous alors qu’il appréciait ce que les sœurs faisaient pour eux. Je ne comprends toujours pas... C’est un peu schizophrénique comme attitude, n’est-ce pas ?
                -Monsieur Galarneau, je suis policier, je ne suis pas psychologue; alors je vais laisser le diagnostic aux experts.
                -Oui, c’est vrai…
Roxanne intervient en se penchant vers l’avant :
-Quand avez-vous vu sœur Gisèle pour la dernière fois ?
-Quand nous nous sommes vus… C’était probablement l’année dernière. C’était au plus fort de la tempête juridique. J’avais besoin de me confier à quelqu’un; alors elle m’a donné rendez-vous à Montréal pour m’écouter et me remonter le moral. On a passé un après-midi ensemble. J’avoue que ça m’a fait du bien.
-Mais vous êtes en contact régulier… Est-ce qu’elle vous a téléphoné, par exemple, pour vous informer de notre visite chez elle ?
-Oui, en effet, elle m’a téléphoné le soir même de votre visite. Mais elle n’a rien fait de mal ! Elle n’a rien divulgué de compromettant !
-Qu’est-ce qui aurait pu être compromettant ?
-Je veux dire qu’elle m’a seulement raconté comment ça s’était passé, des questions que vous lui aviez posées, des recherches que vous aviez faites. Elle n’a fait aucun commentaire sur le pourquoi de tout ça.
-Et je suppose que vous allez la rappeler pour lui faire un compte-rendu de notre visite chez vous.
Le directeur a subitmeent l’air accablé; ses épaules se sont affaissées, il parle d’une voix faible.
-Oui... c’est vrai.
Roxanne, tout comme Paul, voit Honoré blêmir. Ses doigts serrent la table d’une manière convulsive.
-Est-ce que… est-ce que j’ai répondu à toutes questions ? demande Jean-Yves Galarneau faiblement.
-Pour l’instant oui, répond Paul. Mais je vous préviens qu’il est presque assuré que nous reviendrons au cours de notre enquête.

Les deux hommes, Paul et Roxanne, se lèvent presque en même temps. Jean-Yves Galarneau et Honoré Lépine accompagnent le père et la fille jusqu’à la porte. Roxanne remarque dans le couloir une énorme horloge à pendule qu’elle n’avait par vue en venant. Quelle belle antiquité ! Ça doit dater d’au moins deux cent ans ! Sur le perron, ils se serrent la main. Les deux hommes rentrent aussitôt.
-J’ai l’impression que monsieur le directeur et son sous-directeur vont avoir une bonne discussion ! Il y a de l’orage dans l’air.
Miguel del Potro est là qui les attend avec Sabrina Portal. Ils montent sans dire rein ajouter dans les voitures et reviennent à petite vitesse au portail d’entrée et y rejoignent Isabelle Dusmenil et Daniel Casgrain. C’est à des deux derniers que Paul s’adresse :
« Je suis désolé pour vous; je vous ai fait venir dans le cas où il y aurait eu des arrestations, mais ce ne sera pas pour aujourd’hui.
-Comment ça s’est passé ?
-C’était le directeur et le sous-directeur. C’est surtout le directeur qui a parlé. On a établi qu’il y avait un lien, disons particulier, entre lui et la supérieure du convent de Plaisance, mais c’est tout. Est-ce que l’un ou l’autre est coupable de quelque chose ? Impossible à dire pour l’instant.
Il se tourne vers Miguel del Potro.
-Pouvez-vous surveiller les allées et venues de la maison pour les prochains jours ?
-Certainement; je peux aussi mettre son téléphone sous écoute, ou encore aller fouiller dans ses courriels personnels.
-Oui… ce n’est peut-être pas une mauvaise idée... Allons-y pour l’écoute et l’investigation des courriels. Je viendrais signer les documents nécessaires. En attendant, il est plus que l’heure d’aller manger. Qu’est-ce qu’il y a comme place bonne bouffe et discrète ici à Granby ? Il paraît que la ville est reconnue pour la qualité de sa gastronomie.
-Je vous conseille la Brûlerie sur la rue de la Gare. C’est tout près d’ici et il y a encore des tables extérieures même s’il commence à faire frais. Et puis, le restaurant est juste à côté de la rivière, il y a un beau coup d’œil.
-Va pour la Brûlerie.

Paul reviendra à Papineauville tout seul. Durant le repas Miguel Del Potro s’est montré être un hôte charmant. Paul et Roxanne ont raconté de façon plus détaillée leur visite au collège de Granby et il a su poser des questions pertinentes. Puis de façon subtile, il a proposé à Roxanne de venir remplir la documentation nécessaire et qu’ensuite ça vaudrait la peine qu’elle visite cette ville où elle n’était jamais venue auparavant; offre qu’à la surprise de Paul, elle avait accepté sans hésité. C’est vrai qu’elle est encore en congé, elle ne devait reprendre son service que la semaine prochaine. Miguel s’était engagé à la ramener à Montréal au terminus d’autobus.
Paul regarde l’autoroute 10 qui se déroule devant lui.

-Ah bien, quand je vais raconter ça à Juliette ! Je me demande ce qu’elle va en penser !

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