Cela se passait près d’un lac
Chapitre 12
Le
lendemain, Paul et Roxanne sont en route pour Gatineau. Les vents se sont
calmés. La neige a cessé la veille après-midi et elle a enchanté toute la
vallée qui longe la rivière des Outaouais. Toutes les forêts sont maintenant
peuplées de sapins qui jouent aux fantômes immobiles, silencieux et menaçants.
Les vallons ressemblent à d’immenses doudous immaculés qui cacheraient aux yeux
des humains survivants un autre monde pesamment endormi. Même la rivière
participe à la féérie avec ses blocs de glaces qui se détachent de ses rives
pour voguer au gré des remous vers le large, et avec ses volutes de brume comme
autant de signaux codés pour les amants éternels de l’hiver. De temps en temps,
aux détours des virages et des descentes de l’autoroute Paul jette un regard
autour de lui pour admirer les vues de carte postale qui se succèdent.
Mais Roxanne ne contemple pas les beautés du paysage
qui défilent. En posiition de passagère, elle a le nez plongé dans son ipad qui vient de lui signaler qu’elle
a reçu un nouveau message.
-Tiens un message de Yannick.
-Ah oui ?
-Il dit que « par hasard », il a fait une
recherche instragram de la photo de Jasmin Vincelette; parmi toutes les photos
qui sont sorties, il a trouvé trois egoportraits intéressants : le premier sur
le pont d’un bateau de croisière avec un coucher de soleil en arrière-plan, le
deuxième dans un bar de danseurs nus dans le Village gai de Montréal et un
autre au Casino du Lac Leamy avec des billets de banque dans les mains.
-Le casino de Gatineau !?
-Tout juste, mon chef. Et dans les trois portraits on
le voit sourire de toutes ses dents, et dans les trois portraits, il a un verre
à la main.
-Une sorte de rituel.
-En tout cas une pause qu’il affectionne… Il aime la
belle vie, c’est sûr, et peut-être les émotions fortes.
-Comme le sado-masochisme ?
-Je ne sais pas; commençons pas voir ce que la fouille
de la maison de Courtemanche à Gatineau nous apportera.
-Je me souviens du temps où la ville s’appelait « Hull ».
-« Hull » ? Quel drôle de nom !...
-Longtemps, la ville s’est appelée « Hull ».
La majorité des municipalités de l’Outaouais a été fondée par des hommes
d’affaires et des négociants anglophones venus faire fortune dans le commerce
des ressources naturelles, comme la fourrure… et surtout, le bois; une ressource
inépuisable dans les forêts immenses de la région. Au tournant du 20e
siècle, on trouvait des noms de villes comme : Aylmer, Templeton,
Buckingham et bien sûr Hull. Hull devenue prospère grâce à ses industries,
notamment de pulpe; il y en a eu, à une certaine époque, jusqu’à une
demi-douzaine qui fonctionnaient en même temps. Mais tout ça a changé. Tout ces
industries ont disparu; la seule qui reste encore en activités est celle de
Turso, mais elle est vieille et vétuste.
-Et qui était ce monsieur « Hull » ?
-Il n’y a jamais eu « monsieur Hull ». De
façon paradoxale la ville doit son nom à un jeune cultivateur de la région de
Boston !... Philemon Wright qu’il s’appelait. Après la révolution, il avait les
États-Unis pour s’établir à Montréal, c’était en 1797.
-Ce devait être un loyaliste.
-Oui, certainement. Le Canada, qui n’était pas encore
le Canada, mais une colonie anglaise,
lui semblait plein de promesses. À Montréal, il rencontre un individu qui se dit
être propriétaire d’une grande étendue de terre le long de la rivière
Outaouais. Wright, qui avait tout vendu ses propriétés au Massachussetts, saute
sur ce qu’il croit être une aubaine et achète les terres en question… pour
s’apercevoir bientôt que les titres étaient faux !
-Tiens donc !
-Mais après bien des péripéties et des démarches
auprès du Gouvernement, il finit par les acquérir légalement. Comme il était
natif de Hull, dans le comté de Kent en Angleterre, - c’était ses parents qui
avaient immigrés dans le Nouveau-Monde - il a appelé sa concession du patronyme
de son enfance. Donc, tu vois, il n’y a jamais eu de « monsieur Hull »
qui aurait donné son nom à la ville.
-Comment tu sais tout ça, toi ?
-Et bien, écoute… je sais que ça peut vous sembler incroyable
mais il y avait moyen de s’informer avant l’ère du numérique.
-Hmm…
-Comme Hull-Gatineau est située tout en face de la
capitale du Canada, de l’autre côté de la rivière Outaouais, elle a très
avantageusement profité de sa situation; le Gouvernement fédéral y a construit de
nombreux édifice à bureaux, ces centres de ressources, des musées; de très nombreux
fonctionnaires fédéraux y habitent. C’est en 2002 que les villes de Hull, d'Aylmer, de Buckingham, de Gatineau, de
Hull et de Masson-Angers - ainsi que la Communauté urbaine de l'Outaouais- ont été fusionnées pour former la nouvelle ville
de Gatineau.
-Merci pour toutes ces informations, mon chef…
Paul sourit en regardant sa fille du coin de l’œil.
-Je crois que nous voici arrivés
Paul stationne la voiture devant une petite maison dans le secteur
Aylmer sur la rue Poupart. Une maison de brique rouge qui semble n’avoir rien
de particulier : un rez-de-chaussée, un étage, certainement un sous-sol;
pas de garage pour voiture mais une allée sur le côté. Il y a des rideaux
fermés aux fenêtres. Une petite galerie avec un escalier aux rampes en fer
forgé. La maison doit avoir une cinquantaine d’années. La neige recouvre le parterre
mais il ne semble pas qu’il ait été aménagé d’une façon ou d’une autre. L’équipe
d’expertise de prises d’empreintes et de traces d’ADN est venue la veille. Il y
a des rubans jaunes de sécurité pour délimiter le terrain. Un policier en
uniforme de la police de Gatineau qui Paul ne connaît pas monte la garde. Paul sort
sa carte et se présente.
-Bonjour… Je suis Paul Quesnel directeur du poste de la Sureté du
Québec à Papineauville et voici l’officière Roxanne Quesnel-Ayotte. Nous sommes
responsables de l’enquête de la mort de l’occupant de la maison, Simon-Pierre
Courtemanche. Nous voulons t jeter un coup d’œil.
-Pas de problème, capitaine.
Il déverrouille la porte d’entrée qui donne sur un petit vestibule.
Roxanne, qui connaît les lieux, commente.
-Le rez-de-chaussée se compose d’un salon et d’une cuisine; dans
le salon, je n’ai vu rien de particulier; une paire de pantoufles au pied d’un
fauteuil.
Paul jette un coup d’œil. Une télévision 45 pouces est posée sur une
petite table dans un coin, et de l’autre côté un système de son avec radio et
une série de CD : Paul Daraîche, Renée Martel, Guylaine Tangay, Cindy Bédard,
Patrick Norman, Irvin Blais, les Cow-boys fringants…
-Ça a tout l’air qu’il aimait le country.
Paul voit également sur un
pouf à côté du fauteil, une pile de revues en vrac, l’Actualité, La Semaine, Études internationales, Politique, À Babord,
Relations, Fugues… prêtes à être consultées.
-Tout un amalgame !!... Des revues de sciences politiques et sociales,
d’art et spectacles et de la communauté LGBT !
-Il s’intéressait à beaucoup de chose, il faut croire.
Roxanne reprend ensuite ses explications.
-Dans la cuisine cependant, il y avait les reliefs de son petit
déjeuner, une tasse de café dans l’évier et des restes de rôties sur le
comptoir, et, viens voir, le journal du samedi resté ouvert sur la table.
-Il était donc parti assez tôt le matin…
-Oui, et très certainement pour poursuivre cette « enquête »
qui le préoccupait tellement.
-…Pour ne plus revenir…
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