Cela se passait près d’un lac
Chapitre 15
Paul avait contemplé cette joute verbale, cette passe d’armes de
haute voltige, entre Jasmin Vincelette et Roxanne, sans intervenir. Elle savait
ce qu’elle faisait. Il connaissait trop bien sa fille pour se fier presque les
yeux fermés à ses intuitions. Elle avait probablement un double but; un premier
qui était de déstabiliser l’adversaire. Une fois déstabilisée, la personne perd
une partie de ses moyens… de ses moyens de défense : le ton du discours se
modifient, les propos même peuvent évoluer et on peut alors s’approcher un peu
plus de la vérité. Et c’est vrai que Jasmin Vincelette était par trop sûr de
lui, qu’il ne cherchait pas à dire la vérité, mais, par bravade, par fanfaronnade,
à leur avaler sa vérité. Aucun
policier n’apprécie de se faire raconter des inepties, ni encore moins de se
faire prendre pour un imbécile, Et Roxanne ne pouvait encore moins que lui le
supporter, et plus impulsive que lui avait décider de le coincer un peu pour
arrêter la comédie. Lui, il arrivait davantage à ses fins par sa détermination,
sa patience, par un cheminement lent et implacablement résolu.
Deuxièmement, elle allait sans doute, très bientôt, lancer à Vincelette
quelques perches, quelques bons jabs bien assénés et on verrait bien quelles
seraient alors ses lignes de défenses et ce qu’ils pourraient en tirer. Il
voyait du coin de l’œil, le visage dur de sa fille, le regard noir et menaçant,
les sourcils froncés. Elle aussi elle
joue bien son rôle !
L’autre en face d’elle n’était pas rouge comme une pivoine, mais
livide comme un zombi. Il s’est levé d’un coup de ressort et jette à Roxanne un
regard meurtrier injecté de venin. Voilà
un homme qui n’a pas l’habitude de se faire contredire ni contraindre.
-Vous racontez n’importe quoi, bout d’la marde !! Vous n’savez pas
de quoi vous parler ! Et puis je n’ai pas d’affaire à répondre à vos questions
!
-Oh que non je ne dis pas n’importe quoi, et oh que oui, vous
devez répondre à nos questions… Je pourrais…
Vincelelette lève les bras, les poings fermés.
-Je vous demande de partir immédiatement !! J’ai accepté de
collaborer avec la police, mais si c’est pour me faire insulter, maudite
affaire… J’ai pas à accepter ça ! Je suis accusé de rien, câlisse !
-Si ce n’est que ça, monsieur Vincelette, on va le faire tout de
suite, ça ne prendra pas de temps ! Je vous accuse du meurtre du journaliste
Simon-Pierre Courtemanche le samedi 13 novembre, ou dans les environs du 13…
-Ça a pas d’allure ! Je proteste !
-Et je vais même vous dire pourquoi vous l’avez tué : parce
que c’est lui qui vous mis dehors, parce qu’il ne voulait plus payer pour vos
frasques ! Et ça vous n’avez pas pu l’accepter !... Vous êtes une personnes
qui ne se refuse rien et vous n’acceptez pas qu’on vous refuse quelques chose. Veuillez
dorénavant vous considérer en état d’arrestation; vous avez le droit de garder
le silence…
-C’est quoi ces fucking de niaiseries-là !! J’peux pas croire que
c’est moi qu’on accuse ! J’ai rien fait !
Et se souvenant, comme d’une bouée de sauvetage, de la présence de
Paul qui s’était aussi levé, il se tourne vers lui :
-Inspecteur, arrêtez cette fol… lie-là ! J’ai rien fait, bout d’la
marde ! J’ai jamais tué personne !
-Bon, bon, je crois qu’on devrait tous se calmer. Monsieur
Vincelette assoyez-vous; restez ici quelques instants, je vais aller parler à
mon officière dans le couloir. Je laisse la porte ouverte.
Roxanne se tourne les talons et se dirige vers la porte. L’autre est
si furieux qu’il est au bord de l’explosion, tremblant des pieds à la tête, les
poings serrés, les mâchoires crispées; il grince entre ses dents.
-J’peux pas croire… j’peux pas croire…
-Clamez-vous monsieur Vincelette; faites-moi confiance. Voulez-vous
bienme faire confiance ?
-Comment faire confiance à la police ? Comment ? Dites-moi le !!
-Assoyez-vous, monsieur, quelques instants. Reprenez votre
respiration. J’en ai pour une minute.
Paul rejoint sa fille dans l’entrebâillement de la porte. Ils
chuchotent quelque peu pour ne pas se faire entendre.
-Je ne pense pas que ce soit lui.
-Non, moi non plus, mais ça fait vingt minutes qu’il nous raconte
son baratin à la guimauve; on n’avancera jamais, si ça continue.
-C’est vrai… Je vais poursuivre l’interrogatoiire; reviens et
reste près de la porte; observe-le.
Ils reviennent l’un après l’autre dans le logement de Jasmin
Vincelette. Roxanne reste près de la porte; elles se place de façon à pouvoir observer
ce dernier, sans que celui-ci ne puisse bien la voir.
-Bon, Jasmin Vincelette. J’ai parlé à ma collègue et on va retirer
ces accusations…
-J’comprends…
-Pour l’instant !..
-Quoi ?? J’comprends pas !?
-Écoutez ! On va vous demander de venir avec nous au poste de
Gatineau pour une prise d’empreintes digitales, c’est juste la routine, et pour
prélèvements d’ADN. Si vous collaborez, ça va allez vite et on vous éliminera
des suspects. Mais il faut nous comprendre : vous êtes peut-être la
dernière personne à avoir vu Pierre-Simon Courtemanche vivant… ça ne fait pas
de vous un suspect, mais, disons… un témoin important.
-Mais j’vous ai dit que ça faisait trois semaines que je l’avais
pas vu… Oui, c’est vrai, c’est lui qui m’a demandé de partir. Ça n’allait plus
entre nous autres. Mais c’est vrai qu’il travaillait tout le temps; il
n’arrêtait pas ! Alors… mois, pour me désennuyer, j’ai, on va dire… je suis
allé quelques fois au casino du Lac-Lamy. C’est juste à côté. D’ici, je peux
même y aller à pied. Pis c’est vrai j’ai perdu d’l’argent. Bon, c’est vrai, on
s’était… pas chicané, mais, il a dit que c’était la dernière fois qu’il fois
qu’il payait, et il m’a demandé de partir. C’était il y a environ un mois. C’est
tout ce que j’peux dire. J’l’ai pas tué pour ça !
-Et vous ne l’avais plus revu après ?
-Non, j’vous jure que non !!
-Lui avez-vous parlé au téléphone ?
-Heu… Oui… J’ai appelé plusieurs fois… J’ai insisté… Mais il
voulait rien savoir. Il voulait plus qu’on se voit. C’était fini…
-Et ça vous a fâché…
-Certain que ça m’a fâché ! Ça faisait quatre qu’on était ensemble
! Je pensais que ça pourrait durer ! Je lui en voulais, mais jamais j’aurais pu
le tuer !... On n’est pas tous des vicieux pis des assassins dans la communauté
gaie, vous savez…
-Je m’en doute…
-La dernière fois…
-Quoi ? La dernière fois…
-La dernière qu’on s’est parlé au téléphone, je lui ai dit que je
voulais venir chercher mes affaires. Pour moi c’était une excuse je voulais le
revoir, lui parler, je suis sûr qu’on aurait pu se raccorder.
Roxanne ne peut réprimer une moue intérieure. Une moue de dégoût
devant une telle mièvrerie, une telle petitesse, devant tant de médiocrité et
de perfidie. Quel spectacle pitoyable vraiment
!
-Ça c’était jeudi il y a une semaine. Il m’a juste dit que je
pourrais venir chercher mes affaires, mais seulement samedi parce qu’il ne serait
pas de toute la journée.
-Ah oui ?...
-Oui… Il m’a dit qu’il devait poursuivre se recherches pour son
enquête « mystère », qu’il allait toucher au but. Comme il en avait
pour toute la journée, je pourrais venir n’importe quand. J’avais encore les
clés de sa maison. Il m’a demandé de prendre mes affaires et de glisser les
clés dans la boite aux lettres en partant. C’est vraiment là que j’ai compris
que c’était fini entre nous.
-Alors vous êtes allé chez lui ?
-Ben oui, j’suis allé. J’avais les clés; j’aurais pu faire ben du
dommage, vous savez si j’avais voulu, j’aurais pu tout volé, mais j’ai juste
pris mes affaires. C’est pas la preuve que je l’ai pas tué, ça ?
-Peut-être…
-J’ai fait mes sacs et mes valises, j’ai pris un taxi pis je suis
venu ici. J’avais pris ce logement pour une semaine seulement, en pensant
pouvoir revenir… Mais je n’resterais pas ici ben ben longtemps, c’est sûr.
De la porte, Roxanne pose la question qui lui brûle les lèvres.
-Jeudi dernier, quand vous lui avez parlé, est-ce que par hasard il
vous a dit où est-ce qu’il s’en allait, pour la journée ?
Jasmin hésite à répondre à Roxanne. Il reste les yeux fixés sur
Paul. Pis après un moment de réflexion.
-J’pense qu’il m’a dit qu’il s’en allait vers ou à Brébeuf; quelque chose dans le genre.
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