La mort, la naissance
« Noël pour moi, c’est pas une naissance, c’est une
mort. La mort de mon ami Gilles. Oui, c’était mon chum, on voulait habiter
ensemble. On s’était rencontrés en d’dans. Oui, qu’est c’est qu’tu veux, c’est
ça, je sors de prison. Ai pas peur, j’suis pas un bandit.
J’suis sorti il y a trois mois, mais c’est pas juste du pen que j’veux sortir,
c’est pour ça que j’m’en retourne chez nous, ben disons, chez mes parents, à La
Pocatière. Toi, tu vas jusqu’à Québec, marci d’m’avoir embarqué, ça m’fera déjà
la moitié du chemin de fait, pis on aura fait un p’tit bout d’chemin ensemble.
Ça va être toute une surprise chez mes parents de m’voir arriver. Hey ! ça fait
quinze ans que j’ai pas passé le Jour de l’an avec eux autres; oui, depuis ma première
fugue à seize ans. J’suis parti sur l’pouce pour Montréal, pareil comme aujourd’hui
où je r’viens chez nous sur l’pouce; la police m’a ramené deux ou trois fois,
mais ça allait toujours de pire en pire. On pouvait pas s’entendre ensemble. J’ai
été au Patro Le Prévost, au centre Goéland, à Boscoville, même au centre Le Pré
à Huberdeau. Partout j’ai rencontré du bon monde, des maudits épais avec, mais
ben des animateurs ou des T.C. de bonne volonté. Ça m’a pas empêché de finir à
Bordeaux pour deux ans; ç’a été terrible. Tu veux savoir pourquoi ? Pour une
histoire de drogue.
« Tu sais quand t’as 17-18 ans pis qu’tu vas pus à l’école,
pis qu’tu peux pas te trouver une job… T’sais,
moi j’trouve ça drôle ! d’un côté la t.v., la publicité, toutte le monde te dit
: "Awoyez, les jeunes, lâchez votre fou, c’est d’votre âge; prenez du bon
temps, faîtes-vous du fun…"; pis de l’autre côté cette même société, les
parents, l’école, les centre sociaux nous disent de faire de nous autres des
bons p’tits gars, des bonnes p’tites filles, de pas gaspiller, alors qu’on a
même pas le minimum pour survivre, de s’garder occupés alors qu’y a aucune
place qui nous est donnée, de s’placer les pieds, de s’trouver une job qu’on
aime, mais fuck! y’en a pas d’job !
Excuse-moé d’sacrer, mais y’en a pas d’job, pis quand y’en a, c’est des jobines,
du temps partiel, du temporaire, t’es sous-payé, exploité, tu t’fais sacrer
après, tu peux être slaqué n’importe quand…
« O.K. , y existe
des programmes du fédéral, du provincial; big deal, c’est tellement déconnecté
de la réalité, y’a aucune coordination, pis les conditions d’admission sont
tellement complexes. C’est ben loin de c’qui faudrait vraiment : une politique
globale valable d’emploi pour les jeunes. En tout cas, j’sais que j’peux pas
changer le système, mais moé je sais que je veux m’en sortir. On est obligé de
vivre avec, mais j’veux pas être traité comme un trou d’cul, comme un moins que
rien, comme un pourri…
« Gilles, il s’est fait descendre comme un chien.
Gilles aussi s’était faite embarqué pour une histoire de drogue; qu’est-ce tu
veux faire avec 250 piasses par mois ? Toute l’année passée, on a-tu entendu des
histoires de corruption, pis de pots-de-vin, crisse ! Ça a tu du bon sens ?
Y’en a-tu qui s’en sont mis dans les poches ! Avec notre argent en plus; pis après
ça l’économie va mal ! Ouais ... pour un rapport qui finira sur les tablettes. Y
a quelque chose de pas correct là-d’dans; y a quelque chose d’injuste dans
cette société.
« Alors là, avec 250 piasses, t’en a même pas assez
pour manger à ta faim, pour s’faire un peu d’argent à dépenser, parce que, c’est
ça qu’y a, toute autour de nous autres nous pousse à dépenser, à acheter, pis
tout le monde dépense, tout l’monde achète, les jeunes comme les vieux; alors,
on s’embarque dans des p’tites gamiques : le vol, le recel… mais le plus facile
pis le plus payant, c’est la dope. T’en fais d’l’argent avec ça. Le best, c’est
les polyvalentes, surtout celles des coins riches; moé, j’allais à Jacques-Rousseau
sur la Rive-Sud ou encore au CEGEP Édouard-Montpetit. C’est pas parce que les
jeunes en prennent plus, c’est parce qu’ils ont plus d’argent pis on leur fait payer plus cher. Les
jeunes, c’est surtout des drogues douces qu’ils voulaient, ils ont un peu peur
du chimique, mais les vieux, les profs, les hommes d’affaires, les travailleurs
d’la construction c’était presque tout l’temps d’la coke.
« C’est là que j’me suis fait pogner pis j’ai eu douze
mois à Bordeaux. Mon chum Gilles y avait eu deux ans. Vers la fin, il pouvait
sortir les fins-de-semaine, mais où c’est qu’tu voulais qu’il aille ? On t’sacre dehors pour deux jours, sans argent, sans rien, sans
place pour seulement coucher; personne pour t’accompagner, pour t’aider un peu.
J’sais pas moi, j’ai pas fait beaucoup d’études, mais y m’semble qu’c’est pas
humain de traiter un jeune de vingt ans d’même. Qu’est-ce tu veux, Gilles y r’tournait
voir ses anciens chums. C’était les seuls qu’il connaissait, les seuls qui l’respectaient,
les seuls avec qui il pouvait jaser, vivre un peu, avoir un peu d’fun. Là on
lui a demandé d’entrer d’la dope en d’dans. Les gardiens disaient rien. Mais
une fois il l’a gardée pour lui. Ça fait que quand y est sorti pour Noël, ils l’ont
tiré; la veille de Noël, y a trois jours.
« Moi, ça m’a ben affecté, ça m’a vraiment fait d’quoi.
On n’est pas des bandits. Tu vois, les gens vont lire ça dans
l’journal : "Un règlement de compte
dans le milieu de la drogue" pis ils vont applaudir, ils vont être contents.
"Tant mieux, tant mieux, qu’ils s’entretusent toute entre eux-autres, pis
on s’ra ben débarrassés." Mais est-ce qu’on peut se réjouir de la mort de quelqu’un
? Moi, j’ai pleuré, le jour de Noël, sur la mort de Gilles; au moins y avait
une personne au monde qui aura pleuré sur sa mort.
« C’est pas que j’avais jamais vu la mort de proche.
Non, y a deux ans, j’avais fait un pacte de suicide avec mon chum de c’temps-là,
Yvon qu’y s’appelait. On s’était g’lés à mort pis on avait décidé de s’empoisonner
aux pilules. Lui, y y est resté, pis pas moi. Pourquoi ? J’sais pas, peut-être
que l’Bon Dieu veillait sur moi, mais y aurait pu tout aussi ben veiller sur
Yvon avec.
« Moé, c’qui m’a sauvé j’peux dire, c’est d’avoir
rencontré un aumônier de prison, le père Jean qui s’appelait. Le pen, c’est
l’enfer, tu peux pas t’imaginer. Jamais j’voudrais y retourner. J’te raconte
toute c’que j’ai vécu. Mais le père Jean, y m’a sorti de l’enfer. Lui, c’était
un vrai; y savait écoutait les gars sans jamais nous juger, jamais. Il savait
nous faire espoir en nous-mêmes. Il nous traitait comme des êtres humains, pas
comme des animaux, comme des moins que rien. Un jour, y m’a même demandé de
servir la messe avec lui ! Hey, tu t’rends tu compte ? Un pourri comme moé !
C’est lui qui m’a dirigé vers l’Aumônerie communautaire quand j’allais sortir
du pen. Là, j’ai rencontré Laurent, le coordonateur. J’peux dire que lui pis le
père Jean, y m’ont sauvé la vie. Ils ont
été des pères pour moi. C’était toute un milieu de vie l’Aumônerie
communautaire. On nous sert à manger, on fêtait les anniversaires, on avait des
groupes de discussions; même que le dimanche y’avait de messes, mais personne
n’était obligé d’y aller. Comme j’avais pas d’appartement, pas de place où
aller, c’est Laurent qui m’a conseillé de retourner voir mes vieux parents pour
pas retomber dans mon ancienne gang…
« T’sais au Québec, 20% des suicides sont des suicides
de jeunes, mais tu comprends quand t’es pus rien, pis qu’t’as pus rien dans le
monde, quand tu comptes plus pour personne, quand tu t’lèves le matin, pis qu’tu
sais qu’tu sais qu’t’as absolument rien à faire de ta journée, t’as pas d’argent,
t’as pas d’job, t’as pas d’famille, quand tu sais qu’t’es t’un être tout-à-fait
inutile, quand on n’a plus aucune possibilité d’action dans le monde, on se
détruit soi-même, on retourne les armes contre soi-même, pour se venger. Les
jeunes, on leur dit de profiter d’la vie, d’avoir du fun, de découvrir le
monde, mais après ça on les traite de paresseux, de marginaux, de sans-coeur,
de drogués, de délinquants… j’ai pour
mon dire que tous ces phénomènes négatifs de la jeunesse, alcool, drogue,
délinquance, violences, quand tu penses que 15% des accidents mortels sur les
routes ce sont des jeunes, ben tout ça ce sont des réponses à un monde
impersonnel, malade, bureaucratique, qui ne leur attribue aucune place bien à
eux.
« J’sais pas quel âge que t’as; t’as p’t-être juste dix
ans de plus que moi, mais j’vais dire une affaire : les adultes, ils ont peur
des jeunes; j’sais ben, c’est pas nouveau. Ce sont plus des enfants gentils,
obéissants et ils les voient comme des rivaux, des menaces; devant eux, ils se
rendent compte que c’est eux qui sont rendus vieux. Je l’sais, moé, mes parents
ils étaient comme ça : fais-ci, fais-ça, fais pas ci, fais pas ça, c’est surtout
pas d’l’amour; rendu à 12-14 ans, ça peut pus marcher d’même. C’est Gilles
Vigneault qui a raison: "C’est votre tour de vous laisser parler d’amour."
Là je r’tourne à Lapoc. Peut-être
au commencement, je s’rai obligé de me r’mettre sur l’B.S., mais si c’est juste
pour quelque temps, ça m’dérange pas. Mais moi, j’voudrais monter que’que chose
: une Auberge de Jeunesse, ça pourrait marcher, y en a pas entre Québec pis
Rivière-du-loup, ou bien une boutique d’artisanat auto-gérée par des jeunes du
coin. Avec toutes les subventions qu’on donne à gauche pis à droite, y’en
restera p’tête un peu pour moé. J’veux vraiment r’commencer à neuf. L’année passée,
je l’ai passée en prison, pis mon meilleur chum, un vrai chum, y s’est fait
tirer.
« J’sais pas comment ça va s’passer à Lapoc. J’espère
que mes parents me fermeront pas la porte au nez. Moi, j’ai changé pas mal
depuis quinze ans et surtout depuis la mort de Yvon et de Gilles. Peut-être qu’ils
ont changé eux-autres avec. Ça s’rait un beau cadeau pour commencer l’année… »
Salut David. J'aime beaucoup ton style, ce langage cru et direct des "poqués de la vie". Espérant que tes histoires nous ouvrent l'esprit et le coeur à ces réalités humaines, à ces personnes trop souvent invisibles qui croisent notre route. Qu'on les regarde comme des êtres humains à part entière. Beau clin d'oeil au travail si humain de l'Aumônerie communautaire. J'ai partagé sur ma page FB et compte bien placer une note dans les ressources du prochain no de SDF (15 janv,) M'en va lire ton 2e ;))
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