La quête
Il en était rendu au point où il
ne pouvait plus se rappeler depuis combien de temps il marchait; une semaine ?
deux ? davantage ? Il marchait, il marchait dans la neige, presque nuit et jour.
Il ne s’arrêtait que pour dormir un peu quand il devenait trop exténué pour
continuer. Il savait qu’il devait continuer; il sait que le but n’est plus très
loin, tout proche, de l’autre côté de la prochaine dune, de la prochaine
crevasse, après la tempête qui s’en venait. La neige l’éblouit; le soleil lui brûle
les yeux, mais il continue; un pas, deux pas, trois pas, un pied devant
l’autre, des pieds qu’il traîne plus qu’il ne soulève; mais le but est là il le
sait. Il ne regarde qu’en avant, mais il sait que tous les côtés, ce n’est que
de la neige, la blancheur de la neige à l’infini, il n’y a ni ombre, ni
végétation, ni quelque construction que ce soit, rien que la neige, mais il
sait qu’il doit continuer, toujours, jusqu'au but ultime.
Une dernière dune et il voit…
encore la neige jusqu'à l’horizon, mais, loin d’être découragé, il sourit car
il sait qu’il approche; c’est une certitude en lui : il approche de ce
qu’il cherche. Il a froid, il ne sent plus ni ses mains ni ses jambes, mais il
continue car chaque pas si difficile qu’il soit, si douloureux qu’il soit, le
rapproche de son but. Il ferme les yeux, et en même temps il ne veut pas les
fermer pour ne pas manquer son but qui est tout près. Toujours droit devant.
Marcher quand l’exaltation et l’effroi ne font plus qu’un.
Il a affronté tous les temps :
le vent, la bourrasque, les rafales, les tempêtes, les chutes de neige, la
poudrerie qui l’avait fouetté au sang. Mais il a continué; il sait que c’est ce
qu’il doit faire : aller jusqu'au bout; il ne peut plus revenir en
arrière. Il a toujours aimé l’hiver. Il a toujours aimé la neige. Il a toujours
aimé le froid. A-t-il voulu le conquérir ? A-t-il voulu être le plus fort ? Que
voulait-il prouver ? Non, que voulait-il trouver ?...
Quand il est parti, on l’a traité de fou; on a dit qu’il reviendrait
dans deux jours. Non, il ne pouvait pas revenir ! Il ne peut pas !
Qui est-il, où est-il où va-t-il dans cette immensité désertique,
implacable ? Il ne peut plus revenir en arrière; c’est trop tard, il a fait son
choix et il l’accepte, mais il sait que le but est tout proche, qu’il en vaut
la peine. Il y a comme une voix au fond de lui qui lui a dire de partir et la
même voix lui dit de continuer; la voix lui dit que le but n’est plus tellement
loin maintenant.
Il ne pense qu’à ça, au but qu’il poursuit. C’est une obsession qui
l’habite entièrement, qui le hante. Il y a longtemps qu’il a arrêté de compter
ses pas, ou encore ses respirations. Ce serait d’ailleurs faire outrage à son
but.
Il s’arrête quelques instants pour reprendre son souffle. Pas trop
longtemps, pas trop longtemps, alors que c’est tout proche, alors le but est
là, alors que c’est bientôt que vont se terminer autant la souffrance que
l’espérance.
Il reprend sa quête; il reprend son chemin qui n’en est pas un, mais
qui le mène là où il doit aller. Quand il est parti, il savait qu’il devait
aller droit devant lui, vers l’horizon, et c’est ce qu’il aller droit devant,
sans arrêter; et même si l’horizon semblait toujours s’éloigner, semblait
inatteignable, il savait qu’il devait atteindre son but.
Voilà c’est la dernière dune,
oui c’est elle, c’est la dernière des dernières; il le sait; il en est
convaincu, comme si la voix le disait que cette fois c’est la bonne; les derniers pas, les dernières souffrances,
après cette dernière montée, il n’y aura plus ni larmes, ni pleurs, ni peines,
ni douleurs, que la joie, que l’extase, que la plénitude, peut-être une grande
lumière qui le réchauffera. Oui, ça y est, ça y est.
Trois pas, deux; plus qu’un…
Il est rendu au sommet. Et il
tombe à genoux.
Il sait alors qu’il est rendu au
bout de sa quête...
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