La
lettre d’amour
Mon amour,
Tu n’es plus, tu n’es plus là. Jamais plus je ne te pourrai te serrer dans mes bras, te prendre en mes bras, jamais plus te caresser, jamais
plus t’embrasser. Jamais plus je ne te baiserai de ma bouche, comme tu disais, avec volupté, avec délectation. Moi qui t’aimais tant, moi qui t’aime
tant encore et pour toujours, moi qui signais la plupart de mes
lettres et de mes courriels par « Tendresse pour toujours », me voilà seule avec ma tendresse
inassouvie, abandonnée, esseulée. Où es-tu mon amour, où es-tu mon seul amour
?
Pourquoi est-ce arrivé ? Pourquoi faut-il
que les accidents
bêtes, absurdes, insensés,
inadmissibles arrivent, et nous enlèvent
à jamais les êtres qu’on aime ? Pourquoi faut-il que ça m’arrive à moi ? Pourquoi fallait-il que tu meures mon amour ?... Tu revenais d’Ottawa; tu y avais fait une de tes conférences et ateliers que tu animes
si bien sur la conscientisation et l’action sociale.
C’était pour une bonne cause;
pourquoi a-t-il fallu qu’une
tempête se déclare
en plein mois d’avril ? Pourquoi a-t-il
fallu qu’un fardier quitte sa voie sur l’autoroute et que toi tu sois justement là à cet instant précis,
à cette seconde précise
? Et voilà, ça a été l’accident, fatal, brutal, total; un autre camion a frappé ta voiture et l’a culbutée dans le fossé,
et toi, tu as lutté, avec tes multiples fractures, tu as lutté douze heures entre la vie et la mort... Quand tu me ramenais chez moi, le soir de nos rencontres et que tu me laissais au coin de la rue, je te disais « Sois prudent »,
et tu me répondais « Pour toi, bien sûr ». Je sais que tu as été prudent
pour moi. Mais voilà, d’autres ne l’ont pas été, ou alors le temps, ou la vie.
As-tu pensé à moi mon amour pendant que tu luttais
pour survivre, pour ne pas mourir ? Est-ce égoïste,
ou présomptueux que de me le demander
? Pensais-tu plutôt
à tes filles ? À la beauté de ce monde, de ce monde que tu aimais tant, auquel tu devais dire adieu ?
*
* *
Tu n’es plus, tu es mort, mon amour.
J’ai appris que c’est
ton frère aîné Michel qui est allé « reconnaître le corps » comme on dit. La police avait retracé tes parents et leur
a annoncé que tu avais eu « un grave accident ». Aussitôt ta mère a téléphoné à ton frère en pleine nuit et il est parti avec ton neveu pour l’hôpital... tu étais encore
en train de lutter à ce moment-là, mais à leur arrivée tu étais mort. C’était fini; c’était
fini...
Je reviens de l’enterrement. Il a eu lieu cet après-midi et je suis venue ici après, dans ton appartement dont tu m’as donné une clé, pour...
je ne sais pas; pour te dire au revoir ? pour essayer
de comprendre ? pour vainement me faire croire que ce n’est pas vrai, que ce n’était qu’un cauchemar
? pour t’y retrouver
comme si de rien n’était,
et tu aurais été là, tu m’aurais
ouvert la porte et tu m’aurais accueillie tout sourire avec force baisers
et tendresses, avec un verre de champagne, un petit repas, un bouquet
de fleurs, un poème, ou toute autre surprise tant tu étais si habile et moi si friande
?... Je ne sais pas. J’ai voulu venir une dernière fois, passer
une nuit avant que ton frère
ne vienne demain avec je ne sais pas qui d’autre
vider l’appartement et faire le tri de tes affaires.
Ils étaient tous là, tu sais, à l’enterrement, tes parents, tes frères, ta sœur qui pourtant selon ce que tu me disais ne vient plus souvent aux rencontres de familles, tes amis, les quelques rares
que je connaissais, et de nombreux
autres que je ne connaissais pas. Et tes collègues de travail étaient
là aussi, eux et elles qui pourtant
t’avaient si « maltraité », comme tu
me le racontais. Mais j’avais
trop de peine pour leur en
vouloir d’être là. Et beaucoup
de gens ont pleuré,
mon amour, mon amour... et moi aussi,
tu dois bien t’en douter, moi aussi qui pleure
si facilement, je pleurais sans pouvoir m’arrêter, assise toute abasourdie, désemparée, au fond de l’église sur le dernier
banc, comme une étrangère, comme si je n’avais rien à faire là, comme si j’avais
honte d’être là, alors que sans doute aurais-tu voulu me savoir tout en avant, juste
à côté de toi, te tenant la main une dernière fois, et t’embrassant même une dernière fois, même devant tout ce monde rassemblé, avant
de partir.
À côté de cette urne sans nom qui
contenait tes cendres, il y avait une photo de toi tout sourire, si beau, si
beau. Et je pleurais quand je te regardais et je pleurais quand je ne te
regardais pas, de peur que tu ne disparaisses. Moments de grandes douleurs, de
grandes peines; moment d’ « incommensurable solennité », comme
tu aurais dit. Pourquoi fallait-il que la pasteure ne dise que des banalités,
que des généralités qui étaient autant d’offenses à ce qu’a été ta vie, ta vie
de beauté, de passion, d’amour ? Heureusement la musique, sans être un baume sur
nos plaies ouvertes, purulentes, a bercé nos âmes inconsolables : un peu
de Bach, le magnifique Ave Verum, une
ballade des Beatles, et ce chant « Jésus, je voudrais te chanter sur ma route, jusqu’à l’aube du jour où
ton peuple sauvé… » que tu aimais tant.
*
* *
Quelques rangées en avant de moi,
il y avait une femme aussi qui pleurait à chaudes larmes, et j’ai reconnu Anna-Sophia,
la mère de tes filles chéries, que je n’avais jamais vue encore mais dont tu
m’avais parlé, cette Anna-Sophia qui avant moi t’avait tant aimé. Je me suis
presque avancée pour la prendre en mes bras et nous nous serions consolées
l’une l’autre.
C’était ça qui était si difficile :
personne à qui dire ma peine, personne avec qui partager ma douleur immense,
personne ! Impossible d’exprimer ma souffrance ! Interdit de crier, de hurler
mon désespoir ! Je devais refouler mes pleurs, ce qui était impossible, et contenir
mes cris. Parfois je regardais tes filles, à côté de leur mère, tes « deux
mignonnes adorables » comme tu disais, ou encore « plus-que-mignones
plus-qu’adorables » que j’aime presque autant que mes enfants. Elles
pleuraient elles aussi, tu peux t’imaginer, sans savoir pourquoi la vie et la
mort leur avaient volé leur papa, ce « papa aux 1 000 sourires », ce papa qui les aimait
tant, qui les adorait, qui leur racontait et leur inventait de si merveilleuses histoires. Ce papa magicien de la vie qui changeait l’habituel en
extraordinaire, en fantaisie
féerique, qui transformait, comme j’aimais à te l’écrire
parce que c’était vrai, les occasions bien ordinaires en véritables jours de fête. Je regardais tes deux grands enfants
aussi, et ton fils surtout
était comme éberlué, abasourdi, comme nous tous, consterné, comme égaré, démoli, hébété de peine et de colère.
J’aurais voulu, et heureusement ta mère s’en est chargée,
le prendre dans mes bras et le serrer, pour peut-être te serrer à travers lui; je te disais souvent
que j’étais égoïste,
et toi tu me disais que non, que c’est juste que je savais me faire plaisir.
Quand Anna-Sophia est sortie avec
les filles, elles m’ont vue et spontanément, sans pouvoir me retenir plus
longtemps, je les ai étreintes sur mon cœur; est-ce que je les reverrai ?, et
la moitié de l’église m’a vue et Anna-Sophia s’est certainement demandé qui
j’étais, mais à ce moment-là, je m’en fichais bien, je ne pouvais faire
autrement et tout ça s’est passé si vite, si vite.
Comme si vite a passé le reste,
comme sans doute notre histoire d’amour.
Au cimetière aussi tout a été si
vite, alors que transis et grelottants malgré les premiers rayons du soleil du
printemps entre les nuages nous nous serrions les uns contre les autres autant
pour nous réchauffer que pour nous soutenir une dernière fois et ensuite ce fut
tout… Les gens se sont dispersés, même si personne ne voulait partir.
Finalement ton frère a rappelé que les gens étaient invités à une réception
chez tes parents. Tu te doutes bien que je n’y suis pas allée. Je suis venue
ici, dans ton chez toi. J’ai appelé chez moi et lorsque Michel, mon conjoint, a
répondu, je lui ai dit, sans même lui laisser le temps de placer un mot, de ne
pas m’attendre, qu’il ne me cherche pas, que je ne rentrerais que demain et
qu’il ne pose pas de questions.
*
* *
Il ne s’en est jamais douté; tu
sais que je ne lui ai jamais rien dit; il ignore qu’en secret, j’ai été et que
je suis amoureuse de toi, que je suis folle de toi depuis un an. Il ne sait
même pas que tu existes, mon amour… mais il le saura demain. Oui, il saura
tout, ou presque disons, demain,
quand je reviendrai à la maison.
Tu es mort mon chéri, juste au moment où j’avais décidé,
enfin, de tout lui dire, de lui dire la vérité sur ma double
vie, sur ma vraie vie, sur ma vie d’amante
heureuse et bienheureuse, ma vie d’amoureuse ravie, radieuse,
comblée, ma vie d’amour fou et de passion folle avec toi, ma
vie avec toi plus belle que les plus beaux rêves. Je lui aurais tout dit ce qu’il
devait savoir; et à la fin,
je lui aurais dit que je le quittais, que je ne croyais plus que je pouvais l’aimer encore et
que c’est toi que j’aimais. Ensuite je serais
partie vivre avec toi, et une nouvelle vie de bonheurs multiples et de joies multipliés aurait
commencée. J’attendais ton retour pour te le dire, et voilà que tu n’es plus là.
Mais maintenant, j’ai décidé que je lui dirais quand même tout, à Michel. Est-ce que je peux retourner
chez moi maintenant ? dans mon train-train, dans mes habitudes, dans mon confort doucereux, dans ma routine
qui me semblerait mièvre à vomir ? Je sais qu’après toute
ma vie n’est pas si fade, si insignifiante et toi tu m’admirais dans tout ce que je faisais à l’école et ailleurs. Mais, est-ce que je peux vraiment retrouver
un mari tiède et une maison froide,
alors que tu m’as fait voir à quoi ressemble
le paradis, alors que m’as fait découvrir ce qu’est la vie vécue abondamment, à profusion, à satiété, alors que j’ai goûté goulûment au bonheur ineffable, au bonheur indicible, magnifique, féerique, grandiose ?... Voilà que je t’imite en alignant les synonymes.
Tu étais si plein de talents.
Tu jouais avec les mots comme tu jouais avec la vie, pour le tout simple
plaisir de la chose. Et quand il le
fallait, tu inventais
des mots, comme grattouiller, comme chocolativore, comme rigolotiser, galactitique, fonctionneur, ou comme enamourer le monde, qui devrait devenir le plus beau mot de la langue française, qui signifie remplir
le monde d’amour,
ce que tu faisais tellement et tellement bien. Tu m’écrivais des lettres, des poèmes, des histoires. Tu composais de la musique pour moi, tout en disant que tu n’étais
ni compositeur ni poète, mais pour moi c’était des mélodies enchanteresses, des vers envoûtants. Tu faisais de vulgaires courriels des œuvres d’art fleuries
et ornementées d’arabesques littéraires ensoleillées. Et ainsi, petit à petit,
à force de persuasion et d’insistance, tu m’as fait découvrir la beauté. Tu m’as fait découvrir plusieurs
choses, mais tout d’abord la beauté, la beauté vraie autour de nous et en nous... en commençant par la mienne.
Tu me disais que j’étais belle, toute belle, comme on le dit à une jeune mariée, moi qui déprimais
dans ma quarantaine bien ordinaire, et tu insistais
même pour me le faire répéter,
pour
me faire dire que je suis belle, et les mots me venaient
si difficilement. Mais c’est toi qui étais beau. Je te trouvais
irrésistiblement beau avec ta barbe
sel et sel, comme tu disais. Tu me montrais du doigt la beauté du monde, un vol de bernaches qui passaient audessus de ta maison ou qui se posaient
sur la rivière et nous restions là de longs moments à les contempler autant dans les airs que sur l’eau; la beauté
de la rivière qui coulait sans même se préoccuper de nous, ou celle des fleurs sauvages
sur ses rives; la beauté des feuilles
d’automne mortes pour que renaisse
la nature ou même celle des si banals jardins des banlieues
que tu enjolivais d’un coup de ta baguette magique.
Je souris en me souvenant que tu
faisais toujours attention de ne pas marcher sur les sentiers où les passants
insouciants avaient piétiné l’herbe jusqu’à le faire disparaître autant parce
que tu te préoccupais de l’environnement que pour « ne pas marcher dans
les sentiers battus ». Tu m’as fait découvrir
l’art, la beauté
suprême des œuvres d’art, les ritournelles
subtiles d’une symphonie de Golabeck, comme la première
que tu appelais « la symphonie des sourires
» parce que littéralement tu voyais et me faisais voir les notes
se sourire les unes aux autres; les beautés mystiques des incroyables et géniales
modulations de l’Ave verum de Mozart;
les chocs majestueux et grandioses des concertos pour piano de Beethoven; les hallucinantes plaintes de la 2eme
symphonie de Gorechi; les coloris déconcertants d’un tableau de Gauguin comme Nave Nave Moe - Délicieux mystère, ou les espiègleries exquises à demi cachées d’un Renoir. Chaque visite d’un musée, ou chaque sortie au concert
ou au cinéma avec toi, ou la lecture de Gaston
Miron ou de Jacques Prévert, ouvrait à chaque fois un nouvel univers de découvertes, de plaisir et de délectation. Lorsque tu amenais les filles au Jardin botanique, tu transformais la journée en une expédition aux antipodes les plus reculées, dans l’insolite le plus étonnant,
dans l’exotisme le plus fascinant. Tu étais même en train de me guérir de ma frayeur
des araignées... c’est dire.
La joie irradiait de toi; la spontanéité était pour toi un mode de vie, la gaieté, un univers infini,
où l’on entend les rires
co(s)miques des galaxies.
Tu m’as fait découvrir comme jamais je ne l’aurais pu toute seule la beauté
précieuse, fine, délicate,
suave, incomparable des rires des enfants,
« des chefs-d’œuvre d’orfèvrerie », disais-tu. Tu m’as fait découvrir les transports débridés
que procurent la joie, et tu m’as fait découvrir le plaisir irrépressible de rire; tu me faisais
rire, aux éclats.
J’aimais ton sens de l’humour, ton sens inné de l’autodérision, ton sens unique
de la répartie qui me charmait
et me désarçonnait en même temps. Tu riais de bon cœur de toutes
les façons, sans jamais
te prendre vraiment
au sérieux. Dans un coup de klaxon intempestif, tu entendais de joyeux vœux d’anniversaire. À mes retards,
si nombreux, tu répondais par des mimiques
qui me pliaient en deux. Je me souviens de nos incontrôlables fous rires que tu déclenchais à partir de rien dans la voiture,
dans un parc ou en plein restaurant. Nous adorions marcher
de longues heures
dans les parcs, nous asseoir sur les rochers des bords du fleuve sur les bancs publics pour nous bécoter, comme le chante Brassens de façon si vraie.
Il n’y avait rien de faux en toi. Tu mordais
dans la vie en la goûtant avec volupté, avec un évident
plaisir sans cesse renouvelé, comme dans un fruit délicieux, juteux, délectable dont tu te pourléchais les lèvres. Chaque jour pour toi était copieux, précieux, important, rempli
de promesses et d’émerveillements et tu voulais
en faire profiter
le monde entier avec une prodigalité intarissable. Tu t’émerveillais comme
un enfant de tout ce qui t’arrivait. Tu étais si généreux, si généreux de toi-même, si généreux envers tes enfants, les petits comme les plus grands, et si généreux envers moi qui n’en méritait certainement pas tant. C’était
une grâce de te voir évoluer.
Et tu m’as fait découvrir
Dieu, en tout cas une image de Dieu qui m’intéressait, qui m’a accrochée, moi qui ne me posais plus de questions
sur l’existence de Dieu depuis longtemps. Tu n’étais pas très religieux, mais il y avait en toi une spiritualité profonde et vraie. Tu me parlais de ton Dieu librement, comme d’un maître créateur, créateur
de la beauté et de la joie, comme d’un artiste aimant la vie, comme un amoureux,
un amant presque, de cette humanité et de cette terre si belle. Un « Dieu d’amour et de tendresse », comme tu le disais si justement.
Et surtout, mon amour,
tu m’as fait découvrir et vivre l’amour et la tendresse, comme jamais aucune femme, j’en suis sûre, n’a pu le vivre avant moi. Nous avons vécu
« les couchants les plus beaux » pour reprendre un vers
d’un de tes poèmes, ceux qui nous ont menés
aux confins des extases les plus sublimes, des enivrements les plus fabuleux.
Nous n’avons pas fait l’amour
souvent. J’ai si longtemps hésité,
si longtemps tardé avant d’accepter, à cause des stupides
conventions sociales, des stupides contraintes qui n’existaient que dans ma tête.
Toi, tu m’as attendue; tu as attendu
que je sois prête, en me
comblant d’une douceur
et d’une tendresse
infinie, d’une plénitude
de baisers et de
caresses. Et pourtant combien je te désirais, combien j’avais envie
de toi, combien j’avais envie que tu me fasses l’amour
et lorsque j’ai finalement, si tard, si tard, vaincu mes résistances, c’était encore
plus beau, plus magnifique. Encore meilleur que je me l’étais imaginé. Comme j’étais
heureuse dans tes bras. Comme tu m’as rendue heureuse. Tu m’as fait découvrir
la sensualité, la béatitude physique,
comme je n’aurais
jamais cru que c’était possible.
Je ne croyais que des sensations comme celles que tu me faisais vivre pouvaient exister.
Tu pouvais me caresser des heures durant.
Tu disais que tu cherchais à connaître chaque centimètre carré de ma peau, les moindres recoins
de mon intimité, les moindres
replis de mon être et moi, sans pudeur, je m’abandonnais à toi, je te laissais
faire, je me laissais faire,
envoûtée, ensorcelée, presque
sans bouger, presque sans remuer,
craignant de rompre
le charme, la magie - encore - ne pouvant en croire même mon corps, ne pouvant croire
les ivresses que tu me faisais vivre, des excitations que tu faisais vibrer
de ma peau, de mes nerfs, de mes sens, d’un simple effleurement de tes doigts d’un simple
lapement de ta langue. En ces moments-là, je planais, comme je disais, en des ailleurs
insoupçonnés.
*
* *
Mon amour, pourquoi fallait-il que tu meures ?
Je ne voulais pas que tu meures.
Je ne croyais pas que je pleurerais autant mon amour, si tu me voyais,
tu sais comme je peux pleurer et bien là, je bats des records olympiques, et sans doute pour me faire sourire
tu rapprocherais tes plantes pour que
je les arrose. Je vais rester ici ce soir, dormir dans ton lit qui aurait bientôt été notre lit, et qui cette nuit pour la première et la dernière
fois sera le nôtre. Je dormirais, sans beaucoup fermer l’œil, avec toi, et, je l’espère, je serai bien. J’ai récupéré
les photos de nous deux, celles
que tu avais prises de moi; j’ai aussi pris les disques
que tu affectionnais tout particulièrement, François Dompierre, Sylvain
Lelièvre, Pachelbel, Gorecki,
Golabeck, et celui de Philippe
Leduc qui contient
la pièce Katarina qui était notre
préférée; toute ta collection
des Beatles; et toutes ces femmes
compositrices que tu affectionnait : Clara Schumann, Hildegarde von
Bingen, Fanny Mendelssohn, Cécile Chaminade jusqu’à Ginette Bellavance; et quelques livres aussi,
les livres de poésies. J’ai ouvert ton ordinateur et j’ai transféré
à mon bureau, puis effacés,
tous les courriels que je t’avais
envoyés, et j’ai trouvé mes lettres que j’emporterai avec moi, de même que les poèmes
inachevés qui étaient sur ton bureau. Il ne restera
plus beaucoup de traces de moi, peut-être
pour que notre amour demeure,
au-delà de la mort, ce qu’il a toujours été, un amour
secret. J’ai repris mes quelques vêtements,
ma brosse à dents, la chemise de nuit rose,
couleur qui me va le mieux, que tu m’avais
offerte juste pour le plaisir de me l’enlever, me disais-tu. Et puis, eh oui, j’ai arrosé les plantes. J’aimais
tellement ta façon t’en prendre soin, tu me faisais
alors penser au petit prince
avec sa rose, toi qui étais écologique en tout. J’aimais tellement aussi ta façon très personnelle de faire le ménage.
Tu m’avais appris à voir le ménage comme un acte quasi-sacré, même dans les tâches les plus ennuyantes, les plus barbantes, pour rendre le monde plus beau. Moi, qui détestais
le repassage, tu en avais fait « une expérience liturgique ».
J’ai rangé la vaisselle
que tu avais lavée avant de partir,
doucement en prenant mon temps. Ensuite, je suis allée jeter un coup d’œil dans les chambres de filles, chacune décorée selon leur
personnalité qu’elles occupaient une semaine sur deux, et j’y ai ramassé les quelques livres et jeux restés comme
en suspens. Tu étais si fier d’elles.
Tu adorais les voir s’épanouir. Tu aimais leur vivacité, qui leur venait
indubitablement de toi, leur intelligence que tu savais si bien stimulé. Tu étais si fier de leur indépendance d’esprit, ce que tu leur avais montré mieux
que quiconque.
Pourquoi ?
S’il n’y avait pas les enfants
je croirais que tu étais un ange venu sur terre comme ceux de Wein
Wenders. Et sans doute étais-tu
un ange. C’est la seule explication que j’ai trouvée.
Qui d’autre qu’un ange pouvait
être si proche
de Dieu, si proche de la beauté de Dieu comme tu l’étais? Tu as été un ange descendu du ciel pour moi, pour me voir, pour me faire voir le ciel,
c’est sans doute pour cela que nous aimions longuement regarder
les étoiles, et puis tu y es reparti. Et pour cela,
pour que tu y retournes, il faut que moi je reste seule.
Et c’est comme ça, juste comme ça et seulement comme ça que je l’accepte, que je peux l’accepter. Peut-être
que certains soirs ou certains
matins, si je fais silence
en moi, si je tends bien bien l’oreille, j’entendrai ton
grand rire vif et brillant
traverser le ciel.
Au revoir mon amour. Je
t’aime.
Tendresse pour toujours.
Belle lettre à la fois douloureuse et énergisante.Qui en est l'auteur? Dominique
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