Le crime du dimanche des Rameaux
(Avertissement : Ce
chapitre a été écrit sous le coup de l’inspiration sans révision ni correction.
Veuillez donc faire preuve d’indulgence pour les fautes et les erreurs de
frappe.)
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Au milieu du 19e
siècle, pratiquement tout l’espace le long du Saint-Laurent, tant sur sa rive
sud qu’au nord, avait été colonisé. Les forêts avaient disparues, le territoire
avait été défriché, les plaines labourées puis ensemencées; les récoltes
étaient bonnes. De vastes seigneuries comme celles de Joly de Lotbinière du
côté sud ou celle de Berthier au nord permettaient de répondre aux besoins
alimentaires de populations entières.
Le problème était que la
population continuait de s’accroître, et l’espace vital commençait à manquer.
Sur la rive sud on ne pouvait pas aller beaucoup plus loin. Non seulement il
n’y restait plus beaucoup de terre en friche, mais un grand nombre de familles
« loyalistes » (c'est-à-dire fidèles à la couronne britannique)
étaient venues des colonies du sud s’installer dans ce qui s’appelait alors les
« Eastern Townships » sur des terres que leur avait généreusement et
magnanimement octroyées le roi George III, troisième monarque de la famille de
Hanovre, à la suite de l’indépendance des treize colonies, connues maintenant
sous le nom des « États-Unis d’Amérique ». Ces Loyalistes étaient
venus se réfugier juste au-delà de la frontière dans l’espérance inébranlable
de pouvoir revenir et de reprendre possession de leurs biens mobiliers et
immobiliers, très bientôt et le plus tôt possible. Mais ce retour ne se fera
jamais. Il y avait donc toute une population anglophone qui occupait et
dominait l’espace dans toute la région sud du fleuve géant jusqu’à la nouvelle
frontière.
Pour résoudre le problème du
manque d’es pace et de terres, le gouvernement du Haut-Canada avait donc ouvert
le « Nord », une immense région toute en hautes collines et en
rivières : les Laurentides, qu’on nommait de manière beaucoup plus imagée
« Les Pays d’en haut ». On enverra dans cette nature sauvage et
vierge d’une beauté saisissante dans ce « neigeux désert où vous vous
entêtez à semer des villages » comme le chantera un siècle plus tard, le
grand poète parmi les grands, des générations de petites gens harnacher les
cours d’eau et dompter la terre et devenir agriculteurs de pères en fils (et
les femmes et les filles suivaient). Hélas, c’était une terre tout-à-fait
impropre à la culture, ingrate et improductive, pauvre en nutriment et
richissime en cailloux de toutes tailles, qui étaient d’ailleurs parmi les plus
vieux de la terre.
La plupart de ces gens,
célibataires ou couples, provenaient des familles trop nombreuses déjà établies
le long de la vallée du Saint-Laurent. Mais d’autres avaient immigré des
« vieux pays », de la France, de la Belgique, de la Suisse, de
l’Irlande. Quelques mois avant l’année 1870, quelques-unes de ces familles
d’immigrants attendaient patiemment sur les terrains du manoir de Montebello,
domicile du seigneur de la Petite-Nation, Louis-Joseph Papineau, que le maître des
lieux ait statué sur leur sort.
Le père de Louis-Joseph, qui
s’appelait Joseph, avait acquis la seigneurie, le long de la rivière Outaouais,
en deux transactions en 1801, puis en 1803, du Séminaire de Québec à
monseigneur de Laval en avait fait don en 1680. Les deux principales rivières
de la seigneurie étaient la Petite-Nation et la rivière du Lièvre.
Joseph Papineau avait fait
construire, comme convenu, un moulin, puis une scierie, des habitations, des
étables; un magasin général avait ouvert. Il avait engagé une centaine de
bucheron de la Nouvelle-Angleterre dont une trentaine s’installera à demeure
dans la région. Joseph vendit sa seigneurie à son fils Louis-Joseph en 1817,
l’année du mariage de celui-ci. Cet homme de loi et d’ambition qui deviendra l’un
des chefs de file de la Rébellion des Patriotes de 1837-38 poursuivit le
développement de la seigneurie, particulièrement durant la dernière partie de
son existence. Libéral, libre-penseur, visionnaire, il n’hésite pas à ouvrir
ses terres à tous les hommes de bonne volonté, juifs, protestants, anglophones,
au grand dam (et un peu par provocation) des curés catholiques et de leurs
supérieurs.
Ainsi, il a reçu des familles
venues de loin et a écouté leurs doléances. D’origine huguenote, elles n’ont
trouvé nulle place où s’installer; depuis leur arrivée dans le Nouveau-Monde,
on n’a fait que les rejeter et les repousser toujours plus loin et avec
toujours plus de hargne. Les temps étaient difficiles pour les minorités
religieuses dans une France redevenue royaume avec Louis-Napoléon.
Depuis quelque temps, Papineau
désire établir un nouveau village à la limite extrême nord de sa seigneurie.
Ces familles – elles sont cinq – qui ont fui les royales persécutions vont lui en fournir et le prétexte et le moyen.
Il les enverra donc défricher un nouveau territoire, planter de nouvelles
cultures et faire progresser la civilisation à 40 kilomètres sur le bord d’un
cours d’eau qui s’appellera bientôt la « Petite-Rouge » (en
opposition avec la « Rouge » à l’Est la majestueuse rivière de tous
les possibles dans laquelle elle se jette). Papineau veut mettre toutes les
chances de son côté. C’est pour cela que doivent attendre les familles – les
Dagenais, les Abel, les Demeritt, les Brouillet et les Joliat – sur les terrains
du domaine : Papineau est en grande consultation avec son intendant. Il
veut envoyer avec ces Huguenots au moins une demi-douzaine d’autres familles
prêtes à tenter l’aventure.
Finalement, six autres jeunes couples partiront : Godin, Besson,
Desjardins, Fournier et deux Groulx, les frères Jacques et Émile et leurs
épouses. Ça leur prendra trois jours pour arriver à destination guidés par
l’intendant, et quelques hommes d’escorte, qui s’est occupé des denrées, des
bêtes ainsi que du transport des outils et des machines agricoles nécessaires à
un établissement durable. Pour les Européens, c’est l’aboutissement d’une
interminable odyssée; c’est l’arrivée tant attendue dans la Terre promise. Ils
ne peuvent s’empêcher de chanter des psaumes au grand étonnement des
« Canadiens ». « Que Dieu se montre seulement, Et l’on verra
dans un moment… »
La toute première chose à faire est la construction des maisons, qui
sont en fait plus des cabanes en bois rond de même que le défrichage des
premiers terrains. La saison est trop avancée pour les semailles, mais on
commence tout de même un jardin et au moins la terre sera prête pour le
printemps prochain. On vivra sur les provisions fournies par le seigneur. On ne
pourra jamais assez le remercier. Mais les colons ne pourront jamais le faire
vraiment : Papineau mourra l’année suivante.
Après les maisons, on veut bâtir les bâtiments communs, ce n’est pas la
matière première qui manque : des entrepôts, un poste de commerce, une
salle commune, puis une école, une église…
Une église ? La construction d’une chapelle fait naître une certaine
perplexité dans la communauté. Si les couples catholiques-romains sont en plus
grand nombre, les protestants, du fait de leurs progénitures sont bien plus
nombreux en nombre d’individus. Une église catholique serait logique disent les
uns; un temple protestant va de soi, rétorquent les autres. On n’en vient pas
aux coups, mais l’acrimonie est au cœur de chacun. Si bien que pour éviter que
la zizanie vienne tuer dans l’œuf cette tentative de cohabitation et
d’installation, on s’accorde finalement qu’on construira une église au premier
religieux qui leur rendra visite.
Et au printemps suivant, averti de cette possibilité de nouvel
établissement, l’évêque de Québec envoie un prêtre dans ce petit hameau du nord
de la Petite-Nation. Ça tombe bien, une petite fille est née en mars, premier
enfant d’Émile Groulx et de sa femme Azélie. Les parents veulent la nommer
Julie, du nom de la femme de leur maître Louis-Joseph. Le curé célèbre sa
première messe et cérémonie de baptême en plein air sous un soleil radieux de
cette fin juin. Il gesticule à qui mieux-mieux pour se débarrasser des
moucherons et mouches noires qui le déconcentrent et déconcertent tout à la
fois, et empêtré dans ses oripeaux sacerdotaux, il fait penser, aux yeux de ses
ouailles, à un cocasse épouvantail.
Le pauvre curé, enragé et rendu fou par les bestioles de tous genres
qui l’ont dévoré une bonne partie l’été, se sentira obligé de repartir avec
armes et bagages avec le retour de l’un des convois de ravitaillement. Même
s’ils partagent la mine déconfite de leurs compagnons papistes, les huguenots
ne se réjouissent pas moins de ce départ imprévu.
L’hiver passe. Et le printemps revient sans que ne revienne quelque
religieux que ce soit. Puis, au milieu de l’été, survient un être
bizarre : un grand homme efflanqué portant une hotte – il a fait tout le
voyage depuis Montebello à pied avec sa hotte sur son dos –, et dans cette
hotte des livres ! Mais pas n’importe quels livres : des Bibles ! C’est un
« colporteur » de la Mission évangélique canadienne-française, un
protestant. S’il reste on lui bâtira une église… et prêchant et évangélisant,
il reste.
Quelques années plus tard, en 1875, quand est venu le temps de trouver
un nom pour ce nouveau village, qui comptait alors quatre-vingt personnes –
à majorité protestantes, plusieurs
s’étaient convertis et les autres non – certains des plus fervents voulaient le
baptiser « la Nouvelle-Genève »… pour se raviser en optant plus
modestement pour Noyan, du nom de la ville natale de Jean Calvin en Picardie,
le grand réformateur français.
Ce qui fait Noyan a eu son église protestante sans que n’y soit jamais
construit d’église catholique de son histoire (c’est d’ailleurs la seule
municipalité du Québec de ce genre) entouré des plusieurs villages
catholiques : Notre-Dame-de-la Croix, Pierreville, Saint-Julien… Et Noyan
peut s’enorgueillir de toute une lignée quasi-ininterrompue de pasteurs,
fervents et enflammés, qui ont fait vibrer les murs de bois et les vitraux de son église.
Sébastien Saint-Cyr était le dernier en liste, quelque cent quarante
ans plus tard. À la fin de ses études et après son ordination dans l’Église
unie, on lui a proposé d’aller occuper le poste de pasteur à Noyan.
* * *
Moins d’un an après le début de son ministère, le matin du dimanche des
Rameaux, on a retrouvé Sébastien Saint-Cyr sans vie dans son presbytère,
lourdement affalé par terre comme s’il avait été jeté au bas de l’escalier qui
mène au sous-sol.
Cher David
RépondreSupprimerBravo pour ce nouveau défi !
Yvette
Salut David.
RépondreSupprimerRemarquable discipline et canalisation de créativité : bravo!
Et tu sembles y avoir pris goût aussi, avec ce nouveau projet.
Denis
Bravo jeune homme.
RépondreSupprimerL'aventure la plus fascinante en ce domaine est celle de deux auteurs profs de littérature : Boileau-Narcejac. Chacun écrivait un chapitre et à la fin de son chapitre mettait l’autre auteur dans le pétrin.
Ce sont vraiment des maîtres du suspense. Voir Les Diaboliques, Les visages de l’ombre, Et mon tout est un homme etc.
Meilleurs vœux,
André