Le crime du dimanche des Rameaux
(Avertissement : Ce
chapitre a été écrit sous le coup de l’inspiration sans révision ni correction.
Veuillez donc faire preuve d’indulgence pour les fautes et les erreurs de
frappe.)
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Paul Quesnel était le responsable du poste de la Sureté du Québec à
Papineauville. Il aimait son travail. Il était né dans la région, en fait à
Plaisance le village voisin, et avait étudié dans la grande ville de Gatineau –
à cette époque elle s’appelait Hull. Il occupait son poste depuis plus de vingt
ans. On lui avait souvent offert de travailler dans une grande ville, à Hull ou
à Montréal. Mais il avait fait un séjour quelque mois à Sherbrooke et il avait
tellement passé son temps à lutter contre le crime organisé et les gangs de
motards, notamment les Hell’s Angels, qu’il en avait vite eu sa claque. C’était
dangereux, mais ce n’était pas juste le danger qui l’avait rebuté, ni le
stress. C’était la fade impression de ne jamais pouvoir en venir à bout.
C’était toujours à recommencer; on arrêtait cinq revendeurs de drogues et dix
autres apparaissaient dans la semaine; surtout qu’il était presque impossible
de coincer les gros trafiquants. Avec les Hell’s, c’était pareil. Le
recrutement ne leur posait aucun problème; leur banque de « prospects »
semblait inépuisable. Qu’est-ce qui pouvait bien attirer les jeunes hommes dans
cette vie de criminalité, de violence et de meurtres ? Pour Paul Quesnel
c’était un vrai mystère. Plus il avait côtoyé, et combattu, les gangs
criminalisés, plus il avait l’impression du côté des perdants. Il avait préféré
partir avant de faire une dépression et était revenu dans la région de son
enfance. Oui, il était bien à Papineauville, il n’avait pas à se plaindre.
Quand il devait résoudre un crime, un vol, une infraction, il sentait qu’il
faisait quelque chose d’utile, que grâce à lui, la justice prévalait. Paul
Quesnel croyait en la réhabilitation, en la récupération des fautifs. Il avait
suivi une formation en justice réparatrice qu’il avait utilisé une petite
demi-douzaine de fois en vingt ans.
Une fois, il s’en souvenait la caisse populaire avait été dévalisé.
Grâce aux caméras de surveillance, on avait pu identifier les trois jeunes
hommes qui avaient commis le vol, trois jeunes d’Ottawa, et on avait facilement
mis le grappin dessus. Une autre fois, un homme désespéré, nouvellement séparé
de sa femme, s’était barricadé en menaçant de s’en prendre à ses enfants. Il y
avait eu un sérieux accident de motoneige, une collision frontale, qui avait
fait deux morts et une blessée grave, la femme était restée paraplégique; et
l’été d’avant, deux pêcheurs s’étaient noyés au Lac-Simon.
Paul Quesnel avait dépassé la
mi-cinquantaine. La retraite pointait. Il aimait son travail. Il avait vu deux
policiers mourir en service, mais lui n’avait jamais été sérieusement blessé.
Certains après-midis il en remerciait le ciel à demi-voix dans son bureau vitré
de la rue des Chênes d’où il pouvait voir une bonne partie de la municipalité
de Papineauville. Le territoire à couvrir était très étendu. Presque deux mille
cinq cents kilomètres carrés, vingt-sept villages et municipalités. Il avait
assez à s’occuper. Il avait trois équipes de patrouilleurs en permanence et
trois voitures de réserve; un groupe d’une quarantaine d’hommes, et de femmes,
qu’il connaissait chacun et chacune personnellement; à qui il fallait ajouter
le personnel administratif, une douzaine de personnes, secrétaires,
réceptionnistes, archivistes, statisticien, informaticien.
Mais ce dont Paul était le plus fier, c’était de travailler avec sa
fille, Roxanne. Paul avait aussi deux fils, mais les deux travaillaient dans le
domaine minier, l’un en Alberta et l’autre en Abitibi. Le premier, Alexandre,
avait étudié en géologie et à la fin de ses études, était parti dans l’ouest tenter
sa chance. Il savait que les salaires y étaient considérablement supérieurs. Il
travaillait pour Petrocorp, dans l’exploitation de sables bitumineux. Son
deuxième fils, Xavier, avait fini son CEGEP et s’était fait engagé par Postes
Canada. Il avait alors rencontré, dans un bar, une fille de l’Abitibi qui
étudiait en médecine dentaire, et il était maintenant facteur à Rouyn-Noranda.
Ni l’un ni l’autre n’avait des enfants.
Roxanne, elle, sa fille ainée, avait voulu étudier à l’institut de
techniques policières à Nicolet avant de se spécialiser par une maîtrise en
enquêtes criminelles à l’université de Montréal. Une décision qui avait surpris
toute la famille ? Avait-il été son modèle ? Et il y avait trois ans, quand un
poste d’adjointe s’était ouvert à Papineauville, elle avait postulé sans le
dire à son père, et avait obtenu le poste. Pour Paul, ça avait été toute une
surprise ! Travailler avec sa propre fille !
Paul savait qu’il n’avait pas été un « père parfait ». Lui et
sa femme Monique avait divorcé alors que les enfants étaient encore petits, à
une époque où la garde partagée n’était pas aussi systématique. Il avait des
« droits de visite », une fin-de-semaine sur deux, et durant les
vacances estivales et à Noël. Mais bien des fois une urgence se déclarait la
fin-de-semaine et il devait faire garder les enfants ou encore les ramener,
honteusement, chez leur mère. Heureusement qu’avec l’âge ils avaient pu se
garder tous seuls et Roxanne la grande sœur s’occupait très bien de ses deux
jeunes frères, Alexandre et Xavier. Ce n’était pas lui qui avait choisi les
noms de ses enfants mais Monique. Ils s’étaient aperçu qu’ils avaient chacun un
« x » dans leur nom et cela leur plaisait beaucoup. Quand ils lui
faisaient une carte d’anniversaire ou pour la fête des pères, ils s’amusaient à
signer « X X X » et c’était à la fois comme une conjuration, un code
mystérieux, secret, presque inquiétant, qui lui seul aurait pu déchiffrer et
résoudre, et à la fois trois becs de complices adorables qui lui étaient
destinés, rien qu’à lui.
L’adaptation de Roxanne à son nouveau
poste n’avait été facile. Tout d’abord, c’était une femme; ça n’avait
pas beaucoup d’importance pour les autres policiers – les mentalités
changeaient tranquillement dans la police – mais cela avait intrigué bien des
gens. Ils ne savaient pas trop comment réagir, surtout les hommes !, devant une
femme, une jeune femme de surcroît, d’un mètre soixante-dix avec une queue de
cheval qui représentait l’autorité en matière policière et pénale. Bien des
victimes demandaient à témoigner devant une « vraie police ».
Ensuite, le fait qu’elle soit jeune, trente-et-un ans, n’arrangeait pas
les choses. Elle faisait plus jeune que son âge avec un visage poupon, une
personne si douce qui n’aurait pas fait de mal à une mouche. On ne la prenait
pas toujours au sérieux. Mais elle était habituée, et savait fort bien comment
surmonter l’impression qu’elle laissait et puis, à force, son sérieux et
efficacité avaient fini par convaincre la population.
Enfin, tous les deux son père et elle avaient appréhendé le fait de
travailler ensemble dans le même poste régional de la SQ. Ils n’étaient
complètement opposés mais ils étaient quand même de deux générations
différentes. En fait, qu’ils se connaissaient peu l’un l’autre, Paul ayant été
un père absent, et Roxanne une fille déterminée qui ne lui avait pas demandé ni
sa permission ni ses conseils pour faire carrière, les avait sans doute
beaucoup aidés, plus qui ne le croyaient. Cela leur avait évité bien des
aprioris. Ils s’étaient mutuellement découverts. Paul la regardait travailler
avec une certaine admiration bien dissimulée et était fréquemment surpris de sa
vivacité d’esprit et de son intuition. De l’autre côté, Roxanne s’était bien
promis de ne jamais être la copie de son père et pourtant elle avait trouvé
que, par rapport aux autres hommes de sa génération qu’elle avait côtoyés ces
dernières il était loin d’être le plus stupide et sans le lui dire elle
apprenait beaucoup en l’observant et profitait grandement de son expérience.
Ce dimanche matin-là était le dimanche des Rameaux mais ça ne voulait
absolument rien dire à Paul Quesnel. Il n’est jamais allé à l’église, sauf pour
se marier, et ce n’est pas une expérience qui l’aura marqué. Ses enfants ne
sont pas baptisés et ils s’en portent très bien. Il était chez lui dans sa
maison entre Papineauville et Plaisance en train de prendre son premier café de
la journée. Il avait trouvé cette maison une dizaine d’années auparavant et il
l’avait achetée, avec les bâtiments de ferme, du fils d’un vieil homme qui
venait de mourir. Les enfants n’en voulaient croyant que ce n’était qu’une
ruine. C’est vrai qu’il avait du faire une bien des rénovations, du sous-sol au
grenier en passant par les fenêtres et les galeries, mais tranquillement la
maison était devenue très habitable et très confortable. Et la vue imprenable
qu’il avait sur l’Outaouais, il ne s’en lassait pas; il pouvait voir l’Ontario
de l’autre côté sur une vingtaine de kilomètres
de Autre avantage : elle
était située à une minute de la nouvelle autoroute 50. De là il pouvait rouler
vers l’ouest, attraper l’autoroute 5 vers le nord qui se poursuivait en route
105 jusqu’à Grand-Remous. Là il faisait halte pour boire un café et faire le
plein d’essence. De Grand-Remous, si la route était belle et s’il roulait bien,
il était à Rouyn en trois heures.
Paul se sentait en bonne santé, ne forme; il savait qu’il buvait trop
de café; il devrait diminuer. Ça faisait partie de ses bonnes résolutions
chaque année (heureusement qu’il n’a jamais commencé à fumer), mais il ne
savait pas comment faire. Il s’était récemment acheté une nouvelle machine
Nespresso, qui faisait le café à partir de dosettes. On pouvait mettre toutes
les saveurs possibles et imaginables : capuccino, noisette, vanille française,
latte machiato, irish coffee, viennois, colombien, praline aux pacanes,
citrouille et épices, green moutain à la cannelle, riche, corsé, mélange
nantucket…
De sa fenêtre il voit les eaux l’Outaouais qui coule. Aujourd’hui il va
faire un peu de ménage dehors. L’hiver est bel et bien terminé et il doit
ramasser les branches cassées sur le terrain, passer le râteau pour bruler les
feuilles de l’automne dernier; retourner la terre du potager. Sortir et
installer le tuyau d’arrosage. Son téléphone cellulaire se met à sonner. Il
n’est même pas onze heures. Il voit s’afficher le numéro de Roxanne; il sait
que c’est elle qui est de garde au poste, mais elle ne l’appellerait chez qu’en
cas d’urgence. De vraie urgence.
-Oui, allo ?
-Papa ?... C’est moi; je crois que je vais avoir besoin de toi.
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