Le crime du dimanche des Rameaux
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-Dis-moi donc, papa… Où est-ce
que t’étais hier soir ? J’ai essayé de t’appeler et ça ne répondait pas !
En partant de chez lui ce lundi
matin-là, Paul Quesnel savait que la réunion de planification hebdomadaire ne
serait pas comme les autres : il fallait faire le bilan des événements de
Noyan, exposer le mieux possible ce qu’on avait trouvé et où on en était
rendus; il fallait décider de la suite des événements et confier des tâches aux
uns et aux autres. En fait c’était surtout le travail de Roxanne qui était tout
à fait capable de le faire, mais il savait que cet « accident » de
Nyaon, c’était une affaire sérieuse. Sa conviction était faite, il n’en avait
pas encore la preuve mais il en avait la ferme conviction : la chute du
pasteur dans l’escalier du presbytère n’était pas accidentelle, on l’avait poussé
intentionnellement; ça s’appelait « tentative de meurtre ». Il
fallait trouver le ou les coupables.
Il s’était levé tôt, même s’il
s’était couché tard; il voulait arriver au poste le plus tôt possible pour préparer
la rencontre. Il commençait à mettre ses idées en ordre quand il s’est fait
apostropher de la sorte par sa fille. Elle était entrée en coup de vent dans son
bureau avec encore son sac à la main, et sans même prendre le temps de lui dire
bonjour elle lui avait demandait où il était hier soir.
-Bonjour à toi aussi, ma chère
fille. Je suis content de savoir que tu t’inquiètes de la santé de ton vieux
père.
-Veux-tu bien…
-Bon, bon… C’est vrai, je
t’avais dit que je rentrais à la maison quand on s’est quittés devant l’église
hier après-midi alors que tu partais pour l’hôpital et effectivement je suis
parti pour Plaisance. Mais à mi-parcours, j’ai rebroussé chemin et finalement
je suis retourné à Noyan.
-Pourquoi ?
-En deux mots, je suis allé au
bar et j’avais éteint mon téléphone. Mais écoute, patiente un peu, je vais tout
raconter pendant la réunion.
Les autres en effet arrivaient dans
la salle de réunion et s’installaient sur les chaises. Roxanne salue Turgeon,
qui l’avait accompagné à Noyan et qui avait assuré la garde. Presque tout le monde
était là : l’équipe de jour et l’équipe de nuit. L’équipe du soir serait
mise au courant plus tard. Seule Jacynthe Hosttelter, l’adjointe-administrative
assurait la permanence.
-Bonjour à tous ! Prenez place.
-Bonjour… Bonjour chef !
-Installez-vous confortablement, ne restez pas debout : la réunion
de ce matin va être un peu spéciale. Nous avons toute une affaire sur les bras,
vous êtes probablement au courant de l’essentiel : une tentative de
meurtre à Noyan sur la personne du pasteur de l’endroit.
Un frémissement parcourt le corps de police : ce n’est pas tous
les jours que le chef emploie ces mots. Paul laisse les exclamations et les
commentaires se calmer.
-Comme c’était Roxanne qui était de service hier, je lui laisse
raconter l’histoire.
-En gros, il y a eu un appel d’urgence au 911 vers 10h30 hier matin
pour un accident qui s’était produit dans une résidence de Noyan. La résidence
était en fait le presbytère et la victime le pasteur de l’église du village. À
l’arrivée des ambulanciers, il gisait dans une mare de sang inconscient et
passablement amoché avec possiblement une fracture de la cervicale. Il a été
conduit à l’hôpital de Buckingham et il n’est pas sorti d’affaire. L’
« accident », ou la « tentative de meurtre » comme l’a dit
Paul, a eu lieu samedi dans la soirée, probablement entre 19h et 21h. Après
inspection des lieux, des indices démontraient clairement qu’un ou des
individus étaient présents dans le presbytère samedi dans la soirée et tout
porte à croire que ce et ces individus ont été impliqués dans
l’« accident », même si toutes les portes de la maison étaient
verrouillées. Après avoir assuré les lieux, et merci aux agents Turgeon,
Gazaille et Petitclerc pour leur aide, nous
avons interrogés trois témoins et l’un deux avait un comportement qui nous
poussent à nous demander s’il a eu un rôle à jouer dans cette affaire. Les
trois témoins étaient les deux personnes qui ont découvert le corps le dimanche
matin Laurent Groulx (c’est lui qui est suspect) et Bertrand Joliat. Laurent
Groulx, en passant, en tant que président du Conseil de paroisse possède un double de la clé du presbytère.
L’autre personne est quelqu’un qui est venu de lui-même, le maire de Noyan, Simon
Abel. Tout le village est en émoi, mais comme c’est une communauté un peu
repliée sur elle-même, il pourrait s’avérer difficile de recevoir des
témoignages. J’ajouterai qu’en fin d’après-midi, je suis allée prendre des
nouvelles de la victime à l’hôpital et j’y ai rencontré une femme, Nancy
Fournier…
Paul regarde sa fille attentivement.
-… qui, sans être sa conjointe, entretient une relation amoureuse avec
la victime. Son aide sera extrêmement précieuse; elle sera l’une des rares
personnes qui nous offrira toute sa collaboration pour résoudre cette affaire
Il reprend la parole.
-Le plus urgent, c’est d’analyser le téléphone et l’ordinateur de la
victime. Yannick tu t’en charges. Ensuite, il faut fouiller dans les archives
pour voir qui, à Noyan, a un casier judiciaire ou qui a eu des démêlées avec la
justice, mettons des trois dernières années. Il y a notamment un certain
« Popeye » qui devrait être facile d’identifier qui paraît assez
louche. Caro et Langlois je vous mets là-dessus. Il faut aussi continuer de
surveiller le site; Gazaille et Petitclerc
vous irez remplacer Marc-Antoine. Puis, il faut retourner interroger
quelques personnes, notamment le groupe de jeunes qui se réunissait
régulièrement dans le presbytère ainsi que toute une série de femmes qui
auraient peut-être eu des relations particulières avec la victime. Peut-être
qu’il s’agit tout bonnement d’un triangle amoureux.
-Non, je ne crois pas !
Paul se retourne vers sa fille.
-Je crois qu’il y a autre chose. Mais bon, ça demeure encore des
hypothèses.
-Bon, on verra plus tard. Pour le reste, voici vos affectations pour la
semaine.
Une fois la réunion terminée, Paul suit Roxanne dans son bureau.
-Alors, raconte…
-Non, toi d’abord.
-Si tu veux...
-Un café ?... Non, tu as dis que tu essayais de diminuer.
-Oui, mais le prendre un café avec ma fille est quand même un plaisir
qui l’emporte sur la crise émancipatrice de ma vessie… Comme je te l’ai dit je
suis retourné à Noyan. Je suis allé au bar Chez Lemay, le rendez-vous de tous
ceux qui veulent boire et s’amuser. Je me suis dit que j’y avais peu de chances
de retrouver les gens que nous avions croisés à l’église le matin, et bien des
chances de glaner quelques commentaires à chaud. Tu sais que quelques verres d’alcool
délie bien des langues. Le dimanche soir, le bar ouvre à seize heures jusqu’à
deux heures du matin. Mais j’ai attendu vers dix-huit pour entrer. C’est bien
entretenu; on ne se cache pas pour passer les joints, mais bon, ce n’est pas un
repère de truands. Et comme je le prévoyais je n’ai vu personne des gens qui
auraient pu m’avoir vu le matin. Sauf, à un moment donné, j’ai vu le maire, ce
Simon Abel, entrer. Il n’a rien pris, à boire je veux dire, mais il a eu une
longue conversation avec celui qui semble être le tenancier-propriétaire; ils
semblaient bien se connaître, mais dans un petit village tout le monde se
connaît. Je m’étais assis à une table dans u coin et je ne pouvais pas les
entendre. À la suite de quoi, il est reparti aussi vite qu’il était venu.
« J’ai aussi vu ce fameux Popeye dont on a souvent mentionné le
nom au cours de la journée. Je ne le connaissais pas mais dès qu’il est entré
sa gang de chums l’a interpelé. Bien des gens voulaient lui offrir à boire mais
il n’a presque rien pris. Un bonhomme baraqué, gros bras tatoués, qui parle
fort; suffisamment fort pour que je l’entende bien. Il était avec quelques-uns
de ces amis et qui le pressaient de questions. Il leur a juré tous ses grands
dieux que ce n’était pas lui, mais que « un jour, il irait serrer la main
à celui qui l’avait fait ». Il est possible qu’il sache quelque chose, ou
qu’il se doute de quelque chose. Est-ce qu’il était là samedi soir ? C’est
possible.
« Enfin, j’ai bien observé l’une des serveuses, une certaine
Micheline dont le nom était revenu aussi au cours des conversations. Elle a
fait son travail comme il se doit, mais comme absente; mon intuition me dit sait
et qu’elle cache quelque chose. »
-Hum, hum… Intéressant. Ce que je vais te dire et que je t’aurais dit hier
soir si tu avais répondu, est aussi intéressant.
Paul sourit de la tendre moquerie.
-Je ne crois pas au triangle amoureux; je crois qu’il y a autre chose.
J’ai eu une longue conversation avec Nancy Fournier, et elle est vraiment
capable de nous aider. Oui, c’est bien la Nancy de la partition, et crois-moi,
ces deux là étaient en amour par-dessus la tête. Ils sortent ensemble depuis le
début de l’hiver, surtout à Montebello, ils ont même venus à Montréal une fois,
mais parfois, lui, il allait dormir chez elle. Comment ils ont fait pour garder
les amours secrètes ? Je ne le sais pas; faut croire que même dans un petit milieu
on peut avoir son jardin secret si on sait s’y prendre. Toujours est-il que
d’après ce qu’elle m’a dit toutes ces histoires de joli cœur coureur de jupons et
de conquêtes amoureuses, ce sont des rumeurs et de la médisance. Sébastien
Saint-Cyr avait un entregent si nouveau, si spontané pour les gens de Noyan,
que les hommes ont cru qu’il faisait du charme à leurs femmes. Et la jalousie a
fait le reste. Je la crois.
-Humm… Si on élimine le triangle amoureux, qu’est-ce qu’il reste comme
motif ? On sait que ça n’allait pas très bien entre le pasteur et son Conseil,
qu’il faisait trop de changements dans les habitudes, que Laurent Groulx
voulait même le voir partir, mais est-ce que c’est un motif suffisant pour
essayer de le tuer ?
-Je ne sais pas. Mais j’ai pensé à une chose. On sait que quelqu’un ou
plusieurs personnes sont venues le voir. Supposons qu’ils voulaient juste lui
donner un avertissement, qu’ils sont venus le trouver pour lui donner un
conseil…
-Ou lui faire une offre qu’il ne pourrait pas refuser.
-Oui, et supposons encore que la rencontre ne ce soit pas passer comme
prévu; qu’il ait réagi, qu’il se soit débattu, qu’il y ait eu des menaces,
peut-être même une altercation, et que durant la « bagarre » il soit
tombé en bas de l’escalier. Les autres auraient eu peur et seraient repartis
sans demander leur reste en le laissant là.
-C’est pas bête. Rappelle-toi l’insistance de Laurent Groulx pour nous
persuader que « c’était un accident ». Certainement qu’il était là
samedi soir. Probablement avec ce Popeye qu’il avait pris avec lui en renfort. On
va leur demander leurs alibis à ces deux là.
« Et il y a autre chose : Nancy m’a dit que Sébastien avait déjà eu un accident, il y a quelques
semaines. Il roulait dans un rang de la région et il est tombé dans le fossé.
-Pas mal; bien joué ma fille. Il faudra creuser ce filon.
-Je m’en occupe. Toi, tu ne t’ennuieras pas aujourd’hui papa : tu commences
par faire la tournée des femmes.
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