Le crime du dimanche des Rameaux
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« Comme ça, c’est ici que
l’accident a eu lieu ?
-Oui, madame; il a glissé sur
une plaque de glace, pis il est tombé dans l’fossé.
-Donc, si je comprends bien, il
est arrivé par là, de l’est, ça c’est l’est, n’est-ce pas ?
-Ouais…
-Puis il roulait dans ce sens-là
et vers ici il y avait de la glace et il a dérapé ?
-Probablement.
Ils ont roulé environ douze
kilomètres pour ce rendre là. Roxanne regarde attentivement, essayant
d’enregistrer dans son cerveau tous les détails du lieu, l’état de la route,
les courbes, le paysage; c’est un coin passablement désert, constate-t-elle.
Elle ne voit pas d’habitations dans les environs. Il y a quelques nuages; les
arbres des collines se balancent doucement sous la brise. Elle entend des
oiseaux chanter
-C’est lui qui a appelé ?
-Je suppose que oui; il d’vait
avoir son cell; c’est Picard qui a répondu et c’est moi que le boss a envoyé
avec le towing.
-Tus as bien du rire de lui.
-Ben, en fait, j’voulais pas
trop rire… mais il faut l’faire quand même : pas un chat sur le chemin, de
la glace normale, un hiver normale, une journée normale, pis se ramasser dans
l’fossé, ça prend ben un gars d’la ville ! Il n’avait pas l’air fier de lui.
-Une journée normale, ça veut
dire qu’il n’y avait pas de tempêtes, ni de vent, de poudrerie ?
-Une belle journée d’hiver !
-Pourquoi tu dis que la glace
était normale ?
-Ben, c’est que quand j’t’arrivé
avec la remorqueuse, j’suis arrivé dans le même direction, pis j’ai pas
remarqué qu’y avait ben d’la glace dans l’chemin; parlez-moi du rang des
Saules, ça en hiver, c’est pas allable, c’est toujours bloqué; mais le chemin
Vinoy, j’ai rarement vu ça.
-Peut-être qu’il allait trop
vite.
-Ouais, ça doit être ça. Ou
alors il faisait pas attention.
-Dis-moi donc comment était placée
la voiture; comment tu l’as trouvée ?
-Elle était là à moitié couchée sur le côté, à quelques pieds des
arbres; la neige avait pas amorti les chocs.
-Il n’y a plus de traces.
-Non, c’était il y plus d’un mois, c’était encore l’hiver à c’moment
là.
-Il y a une chose que je ne comprends pas, peut-être que tu peux me l’expliquer.
J’ai lu dans le rapport que le côté gauche était défoncé. Je me serais plutôt
attendu que ce soit le côté droit, vu qu’il est tombé dans le fossé à droite de
la route.
-Je sais pas comment il a fait son compte. Peut-être qu’il a tourné sur
lui-même pis qu’il a accroché quelque chose, mais qu’il a terminé son rallye
dans l’fossé.
-Qu’est-ce qu’il faisait quand tu es arrivé ?
-Rien; il devait guetter mon arrivée, parce que de loin quand il a entendu le moteur du
towing, il m’a fait signe d’arrêter.
-Et il n’y avait personne d’autre dans le coin.
-Non, non, il était tout seul !
-Je suppose que le pasteur a embarqué avec toi quand tu as remorqué sa
voiture.
-Ben oui.
-Comment il était ?
-Comment ça, comment il était ?
-Oui, est-ce qu’il fait quelque chose ? Est-ce qu’il a dit quelque
chose ?
-Pas grand-chose; il semblait comme pas là. Comme j’ai dit, il devait
pas être fier de lui. Ah oui, je souviens, il a fermé les yeux, pis il est
resté à jongler. Moi, j’ai essayé de lui poser quelques questions, mais il
répétait juste par oui ou non. Et puis quand on est arrivé, il m’a demandé de
le débarquer chez lui; il a dit qu’il avait besoin de se reposer, qu’il
passerait au garage demain pour l’estimation; j’ai dit que c’était correct pis je
l’ai débarqué au presbytère; pis il m’a dit merci. Moi j’ai continué jusqu’au
garage avec la voiture.
-Merci Guy, on va rentrer maintenant.
Les visites aux « femmes » du pasteur n’avaient pas donné pas
grand-chose. Paul commençait à en avoir un peu marre. Au moins, ça lui faisait
mieux connaître ce coin là de son district, à aller comme ça de gauche à
droite. Les jumelles Godin étaient deux vieilles filles qui avaient toujours
vécu ensemble une vie assez monotone; elles étaient en mal de sensations fortes
dans leur vie et il était évident qu’il était impossible que le pasteur St-Cyr
ait pu « succombé à la tentation » cette nuit de tempête de l’hiver
dernier. Si elles n’avaient pas dormi de la nuit, ce n’était pas qu’à cause de
leur imagination. La veuve DeMerritt était une sorte de « vieille dame
indigne » qui rejetait toute convention sociale; elle avait presque
soixante-dix et faisait son jogging tous les matins d’hiver, et du vélo en été.
Elle parlait fort, gesticulait et avait un humour assez décoiffant… tout un
phénomène ! mais encore une fois, Paul ne pouvait imaginer le pasteur se
vautrer dans le lucre et la luxure avec elle. Il avait trouvé la coiffeuse chez
elle, le salon étant fermé le lundi. Elle lui avait offert une tasse de café
(instantané !), qu’il avait refusée; une jolie femme, certes, cette Suzanne
Guimond, bien mise, avec de belles manières, habituée à travailler avec le
public, mais sans ni l’éducation, ni la culture de Sébastien St-Cyr; ils
étaient à peu près du même âge. Une candidate potentielle pour une aventure ,
mais rien dans sa conversation n’avait pu mettre la puce à l’oreille de Paul… Il
avait terminé son « enquête » avec la maîtresse d’école, qu’il avait
retrouvée sur l’heure du midi; Florence Anctil lui avait dit ne connaître qu’à
peine le pasteur, toute étonnée de se voir mêlée à cette histoire, même si elle
s’en désolait. La piste de
« chercher la femme » est donc à abandonner définitivement. Il faudra
trouver un autre mobile. Paul regarde sa montre : il est maintenant
passé une heure de l’après-midi; il décide qu’il est temps d’aller casser la
croûte. Il fait quelques pas en direction de la Grosse marmite.
Il reste Micheline, la serveuse
du bar… Une jolie femme qui se présente bien, attirante, un peu trop maquillée,
mais il y a des hommes qui aiment ça. C’est à peu près sûr qu’elle cache
quelque chose. Mais quoi ? Quel a été son véritable rôle ? Et comment l’aborder
de manière efficace ? Sans attirer les soupçons, sur son conjoint ce fameux
« Popeye » Lui, il ne semble pas commode.
Et cette Jessica ? Elle
m’intrigue; elle semblait vraiment affectée par l’accident du pasteur. Mais
elle n’a que quinze ou seize ans. Y a-t-il eu une amourette entre elle et le
pasteur ? Quel est son rôle dans cette histoire? Ah, et puis il faut que
j’appelle Roxanne pour lui parler de Nancy. Quelle est cette vérité qu’elle n’a pas toute dite ?
Paul sort son téléphone pour appeler sa fille. Juste à ce moment-là,
comme pour faire exprès, il sonne.
-Paul Quesnel.
-Salut chef, c’est Yannick.
-Alors, tu as trouvé quelque chose ?
-Oui, peut-être. J’ai commencé par fouiller son téléphone. J’ai retracé
tous les appels sortants depuis les trois derniers mois, environ 300, 294 pour
être exact. Une moyenne de trois par jour. Normal. Ça n’a pas été trop
difficile de faire les recherches, mais écoutez bien ça chef, êtes-vous bien
assis ? Tous les appels sont, disons, « explicables », aux bureaux de
l’Église à Ottawa, à des paroissiens, à ses parents, plusieurs coups à une
certaine Nancy Fournier de Noyan, des commandes de fournitures de bureaux… tous
les numéros, disons, concordent, tous
sauf un, qui ne marche pas dans les activités d’un pasteur.
-Qu’est-ce que tu veux dire ?
-Il y avait un appel, seul de son genre, qui datait d’il y a cinq
semaines; j’ai vérifié et imaginez-vous qu’il a fait un appel à une clinique
d’avortement à Buckingham. Surprenant, hein chef ?...
-…!!??
-Chef, chef ? Êtes-vous là ?
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