Le crime du dimanche des Rameaux
19
-Comment ça aller faire la tournée des femmes ?... Tu viens de dire que
d’après Nancy, il n’y avait rien de vrai dans ces racontars !...
-C’est vrai, mais tu serais le premier à me dire qu’il faut fouiller
chaque piste jusqu’au bout aussi mince soit-elle. Nancy Fournier peut aussi se
tromper, ou alors dans le pire de cas, le pasteur était vraiment un coureur de
jupon et il le lui aura bien caché, ou bien elle veut protéger quelqu’un; c’est
peu probable, mais disons… je suis sûre que ton charme cinquantenaire te rendra
irrésistible aux yeux de ces dames.
-Oui, si tu veux. Et toi, tu ne manqueras pas de mettre tous les
garagistes et les mécaniciens dans ta petite poche.
-Qu’est-ce que tu veux… chacun ses atouts !
Paul et Roxanne avait pris l’habitude, lors d’une enquête, de
s’échanger les lieux d’investigation pour aller là où on ne les attendait pas;
elle allait dans les milieux plus masculins comme les garages ou les chantiers
de construction, et lui dans les milieux plus féminins comme les centre de
service sociaux ou les écoles. Ça mettait les gens en confiance et surtout ils
baissaient leur garde : faire face à quelqu’un qui ne semblait rien y
connaître rendaient les gens beaucoup moins méfiants. Et Paul et Roxanne
s’étaient aperçus que ça fonctionnait très bien.
Il n’y avait qu’un deux garages à Noyan, en plus d’une autre station
service qui ne servait que de l’essence. Ça
va faciliter les recherches. Roxanne s’arrête au premier, juste à côté de
la quincaillerie. Les deux portent des
affiches au nom de Besson. Probablement le même propriétaire ou alors dans la
même famille. Elle se stationne et entre par la porte de côté qui mène au
bureau. Elle entend les hommes qui s’interpellent, elle entend des bruits
d’outils qui frappent le métal, un moteur qui tourne. Un jeune homme vient la
trouver.
-Est-ce qu’on peut vous aider, madame ?
-Bonjour, je suis l’agent Quesnel-Ayotte de la Sureté du Québec. Je
voudrais vous poser une ou deux questions à propos d’une réparation que vous
auriez faite il y a environ un mois.
-Ah oui ? Qu’est-ce qu’on a fait de pas correct ?
-Non, non rien. Ça n’a rien à voir avec votre travail. Je voudrais
savoir si c’est vous qui avez réparé une Honda
Fit de couleur bleu il y a environ un mois.
-La voiture du pasteur ?
-Oui, c’est ça !
-Oui, c’est bien ici ! Hey, j’vous dis qu’elle était pas mal
maganée : elle avait tout le devant démoli. Pis c’était compliqué; il a
fallu faire venir des pièces de Gatineau.
-Est-ce que je peux voir les papiers d’évaluation des dommages et de
réparation ?
-Oui, mais pour ça il faut que j’demande à mon boss…
Le jeune homme se penche vers l’intérieur du garage.
-Alain !... Alain !... Viens icitte une minute ! Y’a une police qui veut
te voir !... Il arrive; ça s’ra pas long.
Entre un homme plus âgé, s’essuyant les mains dans un chiffon qui n’est
pas très propre non plus.
-Bonjour; Alain Besson. Je n’vous sers pas la main, sinon j’pourrais
salir vos mains avec d’la graisse, ça n’ira pas avec votre rouge à oncle.
-Bonjour monsieur Besson; est-ce que c’est vous le propriétaire ?
-Non, moi je suis le gérant; le propriétaire, c’est Laurent Groulx.
-Laurent Groulx ?... Je ne savais pas qu’il s’y connaissait en
mécanique.
-Non, non; c’est mon oncle. Il m’a passé l’argent que j’avais besoin
quand j’ai acheté le garage il y huit ans.
-Je voudrais voir les papiers d’évaluation et de réparation des
dommages à un véhicule accidenté et apporté chez vous il y a environ un
mois : une Honda Fit bleue.
-Ah oui, la voiture du pasteur ! Pourquoi vous voulez voir ça ?
-Simple routine; vous savez qu’il a eu un accident et on cherche à
mieux connaître la victime.
-Bon, bon; les voilà. J’vous dis que la voiture était maganée :
elle avait tout le côté gauche défoncé, tout un choc !, le pare-choc à moitié
arraché, le capot aussi; il a fallu changer le pare-brise aussi… En tout cas,
tout est là.
-Comment c’est arrivé ?
-Il paraît qu’il y avait une plaque de glace sur laquelle il aurait
dérapé, pis il est tombé dans le fossé.
-D’après ce que je vois, le véhicule a été remorqué. C’est vous qui
vous en êtes chargé ?
-Ben, pas moi personnellement, mais il a téléphoné ici, ça fait qu’on a
envoyé le towing. Est-ce que c’est
toé Ti-Guy qui y est allé ?
-Oui, boss, c’est moé; c’était sur le chemin Vinoy.
-Est-ce que ce serait possible de me montrer l’endroit ?
-Ben, vous savez, c’est lundi matin, pis les lundis matins, c’est pas
mal occupé.
-Ça me rendrait bien service, vous savez; je ne connais pas du tout le
coin, pis comme je me connais je vais me perdre sans même trouver l’endroit.
-OK, vas-y, Ti-Guy, mais fais ça vite ! Il y a d’l’ouvrage en masse.
-Merci; je vous le ramène tout-de-suite.
Paul avait commencé par dresser la liste de toutes les
« belles » qui avaient supposément succombé aux charmes de Sébastien
St-Cyr; il n’avait que des noms ou des prénoms ou même moins que ça : les
jumelles Godin, la veuve Demeritt, la ou les maîtresses d’école, peut-être celle
des premières années, la coiffeuse Sonia, Micheline, Jessica… Qui donc pourrait
bien l’aider dans ses recherches ? Et
pourquoi notre sympathique maire ? Il se rend donc aux bureaux de la
municipalité.
Nancy Fournier est assise à son bureau, mais la tête n’y est pas. Elle
n’arrive pas à se concentrer. Elle a téléphoné à l’hôpital pour avoir des
nouvelles et on lui a dit que l’état de Sébastien était stationnaire, grave
mais stable; il est toujours dans le coma. Perdue dans ses pensées, elle n’a
pas vu entrer Paul.
-Bonjour, je suis Paul Quesnel, inspecteur pour la Sureté du Québec, je
voudrais voir le maire Simon Abel; est-ce qu’il est là ?
-Oui, il est dans son bureau; je vais lui dire que vous êtes là.
Elle sort et revient tout-de-suite après.
-Vous pouvez venir; il va vous recevoir.
-Bonjour inspecteur Quesnel ! Alors, est-ce que votre enquête avance ?
-Tranquillement, mais j’ai encore bien des questions.
-Si j’peux vous aider !
-Ben, c’est que je n’arrive pas à me faire une idée sur qui était le
pasteur.
-Qu’est-ce que vous voulez dire ?
-Ben vous voyez, par exemple, avec son président du Conseil, Laurent
Groulx, je suppose alors qu’ils avaient intérêt à collaborer. Et j’ai
l’impression que Laurent Groulx ne l’aime pas trop.
-C’est plus qu’une impression; il le déteste. Avec Laurent comme
président, ça a toujours bien marché. Avec le pasteur Doyon, y a jamais eu de
problèmes. Mais avec Sébastien St-Cyr, tout a changé !
-Tout a changé, qu’est-ce ça veut dire ?
-Parce que lui c’est un p’tit jeune qui pense tout savoir. Il vient
d’la ville, il a fait des études, alors il pense qu’il connaît tout !
-Pis, il m’a dit des choses sur… les femmes
-Les femmes ?
-Oui ! que Sébastien Saint-Cyr, c’était un coureur de jupons. J’aimerais
bien savoir si c’est vrai que le pasteur Saint-Cyr a fait la cour à quelques-unes
de ses paroissiennes ?
-J’vous crois ! L’hiver passé, il a passé une nuit avec les jumelles
Godin.
-Pouvez-vous me dire où elles habitent.
-Les jumelles ? Sur le rang des saules.
-Pis j’ai entendu parler de la veuve DeMerritt. Où est-ce qu’elle vit
celle-là ?
-Elle vit toute seule dans sa maison à l’entrée du village; son numéro
c’est 224…
-Pis j’ai besoin du nom d’une certaine coiffeuse…
-C’est Sonia Guimond; elle, vous aurez pas d’misère à la trouver.
-Il y a aussi une maîtresse d’école, celle des premières années.
-J’pense qu’il s’agit de Florence Anctil.
-Pis enfin, une certaine Micheline.
-Micheline Garon ?... Celle-là, c’est dangereux de s’en approcher.
-Ah oui ? Pourquoi ?
-C’est la conjointe de Popeye; et des fois il peut être mauvais… Ah ! ça
devait finir par arriver !
-Qu’est-ce qui devait finir pas arriver ?
-Ce que j’veux dire, c’est que personne savait comment tout ça aller
finir !
-Comment s’appelle-t-il vraiment ce « Popeye » ?
-Il s’appelle Lucien Groulx, mais personne l’appelle comme ça.
Tandis qu’il s’en retourne vers sa voiture, Paul entend des pas
derrière lui. Il se retourne et voit la jeune femme qui lui a répondu quand il
est entré.
-Inspecteur ! Inspecteur ! Je suis Nancy Fournier. J’ai rencontré une
agente de la SQ hier à l’hôpital. J’ai un message pour elle.
-Avant tout, je voudrais dire que je suis triste de ce qui vous
arrive; je compatis avec vous.
-Merci; ne me faites pas pleurer…
-Qu’est-ce que c’est le message ?
-Ben voilà… Dites à Roxanne que
je veux lui parler. Je ne lui ai pas dit tout la vérité.
C'est bien construit, ton roman : il y a toujours un suspense à la fin du chapitre.
RépondreSupprimerYvette