mardi 12 janvier 2016

Les petits enfants
Chapitre 2
Lac-aux-Sables se situait hors de la seigneurie de la Petite-Nation, le domaine d’antan du grand Patriote Louis-Joseph Papineau et c’était le dernier village à l’extrémité nord du territoire sous la juridiction de Paul Quesnel. Paul Quesnel était le chef du poste de police de la Sûreté du Québec de Papineauville depuis quinze et en quinze, il n’était peut-être allé à Lac-aux-Sables qu’une demi-douzaine de fois. Ce petit village a toujours été reconnu pour son atmosphère tranquille, propice au délassement et au repos; vraiment il ne s’y passe pas grand-chose. L’été, oui, sans doute était plus actif avec l’importante augmentation de la population, toutes ces personnes qui revenaient passer quelques semaines dans leur maison au bord du lac, invitant chaque année famille et amis, auxquels, avec le temps, s’étaient ajoutés les copains et les copines des enfants devenus grands, puis les petits-enfants. Des fêtes de famille d’une quarantaine de personnes festoyant autour d’un barbecue sur la plage n’étaient plus rare. De plus, il fallait ajouter tous les visiteurs qui venaient pour les activités nautiques, pour la pêche, pour la chasse; et depuis peu les cyclistes. En partant d’Ottawa, on pouvait faire un extraordinaire circuit, un large demi-cercle qui montait tout d’abord vers le nord-est jusqu’à Saint-Jovite; toute cette première partie grimpait pas mal, et là on reprenait la piste du petit Trains du nord, sur les parcours même de l’ancien chemin de fer du visionnaire curé Labelle. La piste redescendait en pente douce et en harmonieuses courbes vers Montréal. Les vélotouristes s’arrêtaient une nuit dans l’un des deux hôtels, des fois ils avaient leur propre tente et s’installaient sur un terrain de camping. Pendant quelques temps on avait pensé installer une auberge de jeunesse, mais le projet avait été abandonné parce qu’on avait jugé qu’il y avait trop de risques de perturber la légendaire tranquillité du village.
Contrairement aux autres villages de la vallée, Lac-aux Sables n’a pas de Festival annuel. La région s’enorgueillit des festivals de la Patate à Notre-Dame-de-la Croix, du festival du brochet à Saint-Rémi, de la « Fête en août » (pour toute la famille) à Sainte-Émilie, du Bazar annuel de Noyon lors de l’anniversaire du village en juillet, mais rien à Lac-aux-Sables. Le Conseil municipal en avait discuté mais on trouvait qu’il y avait déjà suffisamment de visiteurs et de vacanciers durant les mois d’été comme ça, et qu’une fin de semaine d’activités supplémentaires n’apporterait rien de plus; et puis, on n’avait pas les commodités nécessaires, ni même l’immense terrain essentiel pour accueillir tout ce beau monde. Tous les festivals offraient un terrain pour les caravanes, ces populations migrantes qui vont, durant toute la belle saison, d’un endroit à l’autre se passant le mot sur les meilleurs lieux de réjouissances. La géographie trop accidentée de Lac-aux-Sables ne permettait pas de les accommoder. Et puis, on voulait préserver le cachet pittoresque presque vieillot du village. On avait plutôt opté pour une série de petites activités comme une galerie d’art en plein air sur la rue principale, un concours de pêche amateur et la fête des ballons dans l’eau pour les enfants. On n’était pas férocement écologiques à Lac-aux Sables, mais on voulait intuitivement préserver la beauté du lieu et de la nature. Seules la construction de nouvelles demeures toujours plus grosses démentait ce principe.
Non vraiment il ne se passait rien d’extraordinaire à Lac-aux-Sables, à part deux ou trois personnes prises en état d’ébriété en été ou une petite invasion de domicile; les commerces n’avaient jamais été cambriolés. Il y avait bien des accidents sur la route trop sinueuse qui menait à Saint-Jovite, mais c’était déjà de la juridiction du poste de Mont-Tremblant. Ainsi Paul Quesnel est-il été assez surpris de s’entendre interpellé par Johanne la réceptionniste.
-Patron c’est sérieux ! Il y a eu un accident sur le chantier de la 323 à Lac-aux-Sables. Il y aurait un mort. J’envoie une patrouille ?
-Oui, envoie Roxanne et Isabelle qui sont déjà sur la route et passe-moi l’appel dans mon bureau.
-Oui, Paul Quesnel, de la Sureté du Québec.
-Allo, inspecteur ! Il faut venir vite !
-Oui, une de nos patrouilles est déjà en route. Qu’est-ce qui se passe ?
-Et bien, je ne sais pas comment vous dire ça… Je n’ai pas été témoin direct de l’accident, mais il semblerait qu’une de nos rétroclaveuse en faisant un trou pour détruire l’ancienne route, ben sous l’ancienne asphalte pis le soutènement, on aurait trouvé des ossements.
-Des ossements ?
-Oui, et il semblerait que ce soit des ossements humains.
-Écoutez, monsieur…
-Bient; Jean-Jacques Binet, je suis superviseur de chantier pour Raymond Valiquette.
-Monsieur Binet, êtes-vous sur place en ce moment ?
-Je suis juste à côté dans mon pick-up.
-Monsieur Binet, écoutez-moi bien. Comme je vous l’ai dit, une patrouille est en route; elle devrait arriver dans une demi-heure. Mais en entendant, retournez sur les lieux mêmes et éloignez tout le monde. Avez-vous entendu : éloignez tout le monde au moins cent pieds. Interdisez à quiconque de s’approcher et même de regarder. Vous comprenez il faut garder la scène le plus intacte possible. Interdiction formelle de descendre pour aller voir. Je le répète faites reculer tout le monde; allez-y tout de suite. Je reste en contact avec vous.
Paul entend des bruits de porte qui se ferme, des bruits de pas, puis : -Raymond ! J’ai la police au téléphone; elle dit de faire reculer tout le monde, personne ne doit descendre en bas, personne ne doit rester proche…. OK, on recule, on recule….
Des bruits, des mouvements, des murmures, des hommes qui maugréent. Une voix : « Est-ce que la police arrive ? » « Oui, une voiture s’en vient; elle sera là dans trente minutes. Allez, reculez, reculez ! »
Jean-Jacques Binet s’adresse à Paul : « Inspecteur ! Qu’est-ce qu’on doit faire de la rétroclaveuse ? Est-ce qu’on doit la faire reculer ? »
-Non, surtout pas. Dites au chauffeur d’éteindre le moteur et de descendre sans rien déranger et de s’éloigner de la scène où ça s’est passé. Dites-lui de tout laisser comme ça. Attendez juste que la patrouille arrive. Ils vous diront quoi faire.
-Inspecteur, Raymond veut vous parler
-Le contracteur ?
-Oui.
Le téléphone toujours à l’oreille, Paul sort de son bureau; il fait signe à Turgeon de l’accompagner; il lui fait comprendre par signes d’aller sortir une voiture.
-Alors passez-le moi.
-C’est vous le chef de police ?
-Oui, je suis Paul Quesnel, chef du poste de la Sureté du Québec à Papineauvville.
Paul fait signe à Johanne qu’il s’en va et qu’il la rappellera. Celle-ci lui dit qu’elle a compris. Il franchit les portes du postes; il descend l’escalier
-Inspecteur, je peux pas croire ce que j’ai vu.
-Vous avez regardez ?

-Ben oui, bien sûr ! Et puis, j’ai vu… j’ai vu un crâne humain et il me souriait !

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