Trahisons 11
Sans être lourde, l’atmosphère
était tendue dans le bureau de Paul Quesnel, directeur du poste de la Sureté du
Québec à Papineauville. Il voulait faire le point sur l’enquête portant sur la
mort d’une jeune fille, Joannie Lemieux. Une jeune fille bien et apparemment
sans histoire retrouvée noyée dans la Petite rivière Rouge, après être
vraisemblablement tombé d’un pont qui l’enjambe, le pont de la Chute Albert, c’était
une situation qui, sans trop qu’il sache pourquoi, el mettait mal à l’aise. Habituellement
calme, Paul se sentait plus ou moins perplexe face à cette mort, et tout en
essayant de le cacher il se doutait bien que sa nervosité influait sur l’état d’esprit
de son équipe. Il avait devant lui, assis correctement ou à califourchon, sa
fille Roxane, et Daniel Turgeon son coéquipier, qui avaient interrogés
plusieurs des amis et professeurs de la jeune fille, les agents Isabelle
Dumesnil, Sébastien Casgrin et Paulo Simenez qui avaient participé aux
recherches dans la rivière, ainsi que Yannick Fraser-Lapointe, son expert en
informatique.
Roxanne aussi sentait l’atmosphère un peu oppressante qui régnait dans
le bureau de son père. Personne ne voulait l’admettre ouvertement mais cette
mort avait quelque chose d’incongru, d’inconvenant, de déplacé, quelque chose à
quoi ni elle ni les autres n’étaient parfaitement préparée. Surtout qu’elle
était fatiguée. Elle avait eu une longue journée, difficile et frustrante
passée à la polyvalente de Lachute interroger plusieurs des camarades de classe
de Joannie. Et elle était restée avec cette mauvaise impression non seulement
de ne pas avoir avancer beaucoup, mais de s’être fait raconter des boniments toute
la journée. Elle n’en revenait pas des mensonges que pouvait sortir une bande d’ados
en mal de sensations fortes qui ne se rendaient pas compte de la situation et
qui donnaient plutôt l’impression de jouer avec une jouissance mal contrôlée
dans une série policière, ou dans un jeu virtuel, où c’est le plus malin qui l’emportera.
-Merci de rester pour encore un
peu, commence Paul. Il est tard et vous avez tous eu une longue journée, et
même deux longues journées, je le sais; ceux qui le veulent pourront rentrer
plus tard demain matin, ils n’auront qu’à m’en avertir. Mais je crois que c’est
important qu’on fasse le point ensemble dès maintenant, pour qu’on en soit tous
au même au même point (excusez la répétition) et aussi pour qu’on puisse se
poser les questions que nous avons les uns aux autres. Ce que nous savons c’est
que vendredi dernier Joannie a donné rendez-vous à son amie Méissa au Pont de
la Chute Albert, et que le surlendemain, dimanche, on l’a retrouvée noyée à peu
près un kilomètre en aval.
Paul donne la parole à Roxane et
Turgeon qui résument leur journée en commençant par exposer leur surprise d’avoir
découvert qu’il existe un important trafic de drogue à la polyvalente de
Lachute.
-Cela ne nous concerne pas comme tel, c’est plutôt l’affaire du poste
de police de Lachute, mais est-ce que la mort de Joannie est relié à se trafic
? On sait que l’un des principaux suspects, Alexandre Côté-Lamarre, est copain-copain
de celui qui s’occupe du trafic de drogues. Et là encore, ce n’est pas clair,
car Alexandre a une importante dette de drogue envers Wilfrid Morneau, celui
qui vend la drogue à l’école. Y a-t-il un lien entre cette dette de drogue et
la mort de Joannie ? Ce ne serait pas le mobile de la mort, mais on sait par
ailleurs, au moins là-dessus tous les témoignages concordent, on sait que Joannie
avait radicalement changé depuis quelques mois, depuis son engagement dans une
église à caractère sectaire de Saint-André, l’église évangélique de la Sanctification,
et qu’elle ne buvait plus depuis ce temps ni ne prenait plus de drogue; elle
avait vraiment changer son comportement. Donc Alexandre son petit ami, son
ex-petit ami avait contracté une importante dette de drogue envers Wilfrid et
qu’il comptait sur Joannie pour l’aider à rembourser comme elle l’avait sans
doute déjà fait auparavant. Est-ce l’un ou de l’autre ou les deux auraient fait
des menaces Joannie ? Et surtout, est-ce que l’un ou l’autre ou les deux
l’auraient rencontrée au pont de la chute Albert après le rendez-vous avec
Mélissa ? On ne le sait pas.
Plusieurs murmures se font entendre.
-Enfin, il est possible qu’il y
ait un conflit potentiel avec son père qui, par exemple, acceptait mal de voir
sa fille chérie s’acoquinait de ses fanatiques religieux. Y a-t-il un lien avec
sas mort ? En tout cas c’est un élément important.
-Très juste, c’est un élément
important, intervient Paul. Yanick va nous en dire un peu là-dessus dans deux
minutes. Mais avant écoutons Sébastien.
-Juste un dernier mot, veut
conclure Turgeon, sur un dernier point, un petit fil qui dépasse : une
possible histoire de séduction entre elle et un des profs de l’école. Ça nous
été dit entre les lignes durant nos investigations. Et ça aurait été bien le
genre de la Joannie, première mouture. Peut-être que ce prof en question n’aurait
pas ou mal accepté une rupture de la part de la nouvelle Joannie.
-C’est vrai, poursuit, Roxane;
on sait qu’elle venait de rompre avec Alexandre le jour même de sa mort et qu’il
l’avait vraiment mal pris.
-Bon, écoutons Sébastien,
maitenant.
-Comme l’a dit le patron, on a
retrouvé le corps de Joannie un kilomètre plus loin dans la rivière; il avait
séjourné environ 36 à 40 heures dans l’eau ce qui confirme la thèse d’une chute
du pont le vendredi soir. L’autopsie a révélé que la cause la mort est la
noyade. Jonnaie est donc tombée vivante dans la rivière ou on l’y a poussée. On
n’a rien retrouvé si la scène du crime, ni sac, ni valise, ni aucun autre objet
lui appartenant. Ce qui n’exclut pas entièrement la possibilité d’une fugue. Et
elle n’avait aucun effet personnel sur elle, ni carte, ni portefeuille, sauf
son téléphone cellulaire, mais tout-à-fait inutilisable après son séjour dans l’eau.
Enfin, il n’y avait pas de traces de de blessures, sauf d’importantes contusions
à la tête qu’elle serait faites en frappant les rochers. Elle avait aussi,
détail important, une fracture multiple à un poignet et à avant-bras, probablement
survenue lors de la chute, peut-être dans un réflexe ultime de protection. Suicide,
accident ou meurtre ? Nous ne pouvons le
dire avec les indices que nous possédons.
-Je laisse maintenant la parole
à Yannick.
-Comme l’a dit Sébas, on a
retrouvé son cellulaire, mais inutilisable, on ne pouvait plus rien en tirer. Pour
savoir si elle l’avait utilisé les heures ou la journée avant sa mort, il
faudra y aller par recoupements en faisant la revue des téléphones de ses
proches et de ses contacts. Alors, j’ai examiné son portable, sa boite courriel,
son compte Facebook, compte Twiter, Instagram. Là aussi on remarque un grand
changement. Jusqu’en juillet dernier, elle était très active sur tous ces
réseaux sociaux et y faisaient toutes sortes de commentaires sur la mode, sur
ses vêtements, ses ami-es, ses soirées animées. Il ne « bitchait »
pas tellement les autres; elles se mettait elle, surtout, en valeur. Beaucoup
de lettres d’amour passionné et même enflammé pour son Alexandre, par exemple. Elle
mettait des photos, pas mal des photos, de tous genres, et même parfois assez
implicites, sur des partys très arrosés et très embués, mais tout cela change
du jour au lendemain. Au milieu de juillet, plus rien; elle a essayé de tout
effacé, mais c’est dur de faire disparaître quelque chose sur internet. Il ne
restait que des petites nouvelles bien innocentes, bien gentilles sur sa
famille, sur sa chambre, sur ses rêves de carrières, de la belle musique. Quand
à ses dossiers personnels, il consistait surtout en travaux d’école. J’ai pu
découvrir qu’elle avait éliminé beaucoup d’anciens dossiers sur les groupes de
musique hard rock, sur les drogues, sur le tatouage. Mais elle n’a pas enlevé
un dossier dans lequel elle raconte, dans ses mots son conflit avec son père. Le
conflit avec son père virulent, et il datait de bien avant son changement, son
implication dans cette église de Saint-André. Il n’aimait pas ses amis, réputé
comme étant des drogués, ni son manque de discipline au travail. Et elle, elle
se sentait brimée à l’étroit. Elle rêvait de liberté.
-Est-ce que ce serait ne fugue pour fuir ce père oppresseur ?
-Ce n’est pas impossible. Même après juillet le conflit a continué,
même si la façon dont elle en parlait a changé. Est-ce qu’elle voulait vraiment
quitter la maison ? Je ne sais pas.
-Aurait-elle voulu fuir avec
quelqu’un ? Aurait-il pris rendez-vous avec une autre personne que Mélissa ?
-Quelqu’un
avec qui elle voulait fuir, oui, et à la dernière minute, elle aurait changé d’avis
? Elle aurait reculé. Il y aurait une dispute entre les deux, et l’autre se
serait mis en colère; il aurait pu la pousser et par accident elle serait
tombée par-dessus le rebord du pont ?
-Je ne sais pas; je n’ai rien
trouvé sur cette personne X. Ce qui est évident c’est qu’il y a eu un
changement. Il n’est plus question de partys, et de débauche; elle met des
nouvelles positives, comme la » bonne nouvelle » du jour, sur
l’environnement, sur des écoles qui ouvrent au Sénégal, sur l’intelligence des dauphins,
un lien vers les dix plus belles photos de petits chatons.
-Il n’y avait rien sur sa
nouvelle église ?
-Non… Sauf quelques échanges
avec le pasteur ou deux ou trois membres de la chorale.
-Aurait-elle voulu fuir avec l’un de membres de
l’église ?
Roxanne était restée longtemps
silencieuse.
-On ne va pas élaborer trop de
scénarios. Oui, il y plusieurs pistes et il faut les suivre attentivement l’une
après l’autre : suicide, trafic et dette de drogue, une fuite-fugue qui
aurait mal tourné. Et parmi les coupables : le couple Alexandre-Wilfrid ? un
prof mâle de l’école ? un membre ou un responsable de de l’église ?
-Tu oublies son père.
-Alors son père aussi.
-Et tu en oublies une autre, aussi Roxane; intentionnellement ?
-Moi ?
-Oui, tu oublies Mélissa ?
-Mélissa ? C’est… c’est vrai.
-Pour l’instant, c’est la dernière
personne à l’avoir vue vivante.
-J’ai de la difficulté à la
croire.
-Il faut examiner toutes les
pistes comme tu as dit. Aussi incroyables puissent-elles nous sembler… Merci à
tous et toutes. On se revoit demain.
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