lundi 15 août 2016

Trahisons 11

                Sans être lourde, l’atmosphère était tendue dans le bureau de Paul Quesnel, directeur du poste de la Sureté du Québec à Papineauville. Il voulait faire le point sur l’enquête portant sur la mort d’une jeune fille, Joannie Lemieux. Une jeune fille bien et apparemment sans histoire retrouvée noyée dans la Petite rivière Rouge, après être vraisemblablement tombé d’un pont qui l’enjambe, le pont de la Chute Albert, c’était une situation qui, sans trop qu’il sache pourquoi, el mettait mal à l’aise. Habituellement calme, Paul se sentait plus ou moins perplexe face à cette mort, et tout en essayant de le cacher il se doutait bien que sa nervosité influait sur l’état d’esprit de son équipe. Il avait devant lui, assis correctement ou à califourchon, sa fille Roxane, et Daniel Turgeon son coéquipier, qui avaient interrogés plusieurs des amis et professeurs de la jeune fille, les agents Isabelle Dumesnil, Sébastien Casgrin et Paulo Simenez qui avaient participé aux recherches dans la rivière, ainsi que Yannick Fraser-Lapointe, son expert en informatique.
Roxanne aussi sentait l’atmosphère un peu oppressante qui régnait dans le bureau de son père. Personne ne voulait l’admettre ouvertement mais cette mort avait quelque chose d’incongru, d’inconvenant, de déplacé, quelque chose à quoi ni elle ni les autres n’étaient parfaitement préparée. Surtout qu’elle était fatiguée. Elle avait eu une longue journée, difficile et frustrante passée à la polyvalente de Lachute interroger plusieurs des camarades de classe de Joannie. Et elle était restée avec cette mauvaise impression non seulement de ne pas avoir avancer beaucoup, mais de s’être fait raconter des boniments toute la journée. Elle n’en revenait pas des mensonges que pouvait sortir une bande d’ados en mal de sensations fortes qui ne se rendaient pas compte de la situation et qui donnaient plutôt l’impression de jouer avec une jouissance mal contrôlée dans une série policière, ou dans un jeu virtuel, où c’est le plus malin qui l’emportera.
                -Merci de rester pour encore un peu, commence Paul. Il est tard et vous avez tous eu une longue journée, et même deux longues journées, je le sais; ceux qui le veulent pourront rentrer plus tard demain matin, ils n’auront qu’à m’en avertir. Mais je crois que c’est important qu’on fasse le point ensemble dès maintenant, pour qu’on en soit tous au même au même point (excusez la répétition) et aussi pour qu’on puisse se poser les questions que nous avons les uns aux autres. Ce que nous savons c’est que vendredi dernier Joannie a donné rendez-vous à son amie Méissa au Pont de la Chute Albert, et que le surlendemain, dimanche, on l’a retrouvée noyée à peu près un kilomètre en aval.
                Paul donne la parole à Roxane et Turgeon qui résument leur journée en commençant par exposer leur surprise d’avoir découvert qu’il existe un important trafic de drogue à la polyvalente de Lachute.
-Cela ne nous concerne pas comme tel, c’est plutôt l’affaire du poste de police de Lachute, mais est-ce que la mort de Joannie est relié à se trafic ? On sait que l’un des principaux suspects, Alexandre Côté-Lamarre, est copain-copain de celui qui s’occupe du trafic de drogues. Et là encore, ce n’est pas clair, car Alexandre a une importante dette de drogue envers Wilfrid Morneau, celui qui vend la drogue à l’école. Y a-t-il un lien entre cette dette de drogue et la mort de Joannie ? Ce ne serait pas le mobile de la mort, mais on sait par ailleurs, au moins là-dessus tous les témoignages concordent, on sait que Joannie avait radicalement changé depuis quelques mois, depuis son engagement dans une église à caractère sectaire de Saint-André, l’église évangélique de la Sanctification, et qu’elle ne buvait plus depuis ce temps ni ne prenait plus de drogue; elle avait vraiment changer son comportement. Donc Alexandre son petit ami, son ex-petit ami avait contracté une importante dette de drogue envers Wilfrid et qu’il comptait sur Joannie pour l’aider à rembourser comme elle l’avait sans doute déjà fait auparavant. Est-ce l’un ou de l’autre ou les deux auraient fait des menaces Joannie ? Et surtout, est-ce que l’un ou l’autre ou les deux l’auraient rencontrée au pont de la chute Albert après le rendez-vous avec Mélissa ? On ne le sait pas.
Plusieurs murmures se font entendre.
                -Enfin, il est possible qu’il y ait un conflit potentiel avec son père qui, par exemple, acceptait mal de voir sa fille chérie s’acoquinait de ses fanatiques religieux. Y a-t-il un lien avec sas mort ? En tout cas c’est un élément important.
                -Très juste, c’est un élément important, intervient Paul. Yanick va nous en dire un peu là-dessus dans deux minutes. Mais avant écoutons Sébastien.
                -Juste un dernier mot, veut conclure Turgeon, sur un dernier point, un petit fil qui dépasse : une possible histoire de séduction entre elle et un des profs de l’école. Ça nous été dit entre les lignes durant nos investigations. Et ça aurait été bien le genre de la Joannie, première mouture. Peut-être que ce prof en question n’aurait pas ou mal accepté une rupture de la part de la nouvelle Joannie.
                -C’est vrai, poursuit, Roxane; on sait qu’elle venait de rompre avec Alexandre le jour même de sa mort et qu’il l’avait vraiment mal pris.
                -Bon, écoutons Sébastien, maitenant.
                -Comme l’a dit le patron, on a retrouvé le corps de Joannie un kilomètre plus loin dans la rivière; il avait séjourné environ 36 à 40 heures dans l’eau ce qui confirme la thèse d’une chute du pont le vendredi soir. L’autopsie a révélé que la cause la mort est la noyade. Jonnaie est donc tombée vivante dans la rivière ou on l’y a poussée. On n’a rien retrouvé si la scène du crime, ni sac, ni valise, ni aucun autre objet lui appartenant. Ce qui n’exclut pas entièrement la possibilité d’une fugue. Et elle n’avait aucun effet personnel sur elle, ni carte, ni portefeuille, sauf son téléphone cellulaire, mais tout-à-fait inutilisable après son séjour dans l’eau. Enfin, il n’y avait pas de traces de de blessures, sauf d’importantes contusions à la tête qu’elle serait faites en frappant les rochers. Elle avait aussi, détail important, une fracture multiple à un poignet et à avant-bras, probablement survenue lors de la chute, peut-être dans un réflexe ultime de protection. Suicide, accident ou meurtre ?  Nous ne pouvons le dire avec les indices que nous possédons.
                -Je laisse maintenant la parole à Yannick.
                -Comme l’a dit Sébas, on a retrouvé son cellulaire, mais inutilisable, on ne pouvait plus rien en tirer. Pour savoir si elle l’avait utilisé les heures ou la journée avant sa mort, il faudra y aller par recoupements en faisant la revue des téléphones de ses proches et de ses contacts. Alors, j’ai examiné son portable, sa boite courriel, son compte Facebook, compte Twiter, Instagram. Là aussi on remarque un grand changement. Jusqu’en juillet dernier, elle était très active sur tous ces réseaux sociaux et y faisaient toutes sortes de commentaires sur la mode, sur ses vêtements, ses ami-es, ses soirées animées. Il ne « bitchait » pas tellement les autres; elles se mettait elle, surtout, en valeur. Beaucoup de lettres d’amour passionné et même enflammé pour son Alexandre, par exemple. Elle mettait des photos, pas mal des photos, de tous genres, et même parfois assez implicites, sur des partys très arrosés et très embués, mais tout cela change du jour au lendemain. Au milieu de juillet, plus rien; elle a essayé de tout effacé, mais c’est dur de faire disparaître quelque chose sur internet. Il ne restait que des petites nouvelles bien innocentes, bien gentilles sur sa famille, sur sa chambre, sur ses rêves de carrières, de la belle musique. Quand à ses dossiers personnels, il consistait surtout en travaux d’école. J’ai pu découvrir qu’elle avait éliminé beaucoup d’anciens dossiers sur les groupes de musique hard rock, sur les drogues, sur le tatouage. Mais elle n’a pas enlevé un dossier dans lequel elle raconte, dans ses mots son conflit avec son père. Le conflit avec son père virulent, et il datait de bien avant son changement, son implication dans cette église de Saint-André. Il n’aimait pas ses amis, réputé comme étant des drogués, ni son manque de discipline au travail. Et elle, elle se sentait brimée à l’étroit. Elle rêvait de liberté.
-Est-ce que ce serait ne fugue pour fuir ce père oppresseur ?
-Ce n’est pas impossible. Même après juillet le conflit a continué, même si la façon dont elle en parlait a changé. Est-ce qu’elle voulait vraiment quitter la maison ? Je ne sais pas.
                -Aurait-elle voulu fuir avec quelqu’un ? Aurait-il pris rendez-vous avec une autre personne que Mélissa ?
                -Quelqu’un avec qui elle voulait fuir, oui, et à la dernière minute, elle aurait changé d’avis ? Elle aurait reculé. Il y aurait une dispute entre les deux, et l’autre se serait mis en colère; il aurait pu la pousser et par accident elle serait tombée par-dessus le rebord du pont ?
                -Je ne sais pas; je n’ai rien trouvé sur cette personne X. Ce qui est évident c’est qu’il y a eu un changement. Il n’est plus question de partys, et de débauche; elle met des nouvelles positives, comme la » bonne nouvelle » du jour, sur l’environnement, sur des écoles qui ouvrent au Sénégal, sur l’intelligence des dauphins, un lien vers les dix plus belles photos de petits chatons.
                -Il n’y avait rien sur sa nouvelle église ?
                -Non… Sauf quelques échanges avec le pasteur ou deux ou trois membres de la chorale.              
-Aurait-elle voulu fuir avec l’un de membres de l’église ?
                Roxanne était restée longtemps silencieuse.
                -On ne va pas élaborer trop de scénarios. Oui, il y plusieurs pistes et il faut les suivre attentivement l’une après l’autre : suicide, trafic et dette de drogue, une fuite-fugue qui aurait mal tourné. Et parmi les coupables : le couple Alexandre-Wilfrid ? un prof mâle de l’école ? un membre ou un responsable de de l’église ?
                -Tu oublies son père.
-Alors son père aussi.
-Et tu en oublies une autre, aussi Roxane; intentionnellement ?
                -Moi ?
                -Oui, tu oublies Mélissa ?
                -Mélissa ? C’est… c’est vrai.
                -Pour l’instant, c’est la dernière personne à l’avoir vue vivante.
                -J’ai de la difficulté à la croire.

                -Il faut examiner toutes les pistes comme tu as dit. Aussi incroyables puissent-elles nous sembler… Merci à tous et toutes. On se revoit demain.

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