Trahisons
Chapitre 10
Alexandre reparti, Roxanne reste
silencieuse. Elle semble rester les yeux perdus contemplant sur le mur du petit
bureau une affiche simpliste sur les méfaits de la cigarette sur la santé des
gens et tout spécialement sur la santé des jeunes.
-Avec toutes ces histoires on n’avance pas beaucoup, lui dit Turgeon
d’en arrière.
-C’est vrai; c’est dur de
démêler le vrai du faux dans ce qu’ils disent… et les uns et les autres. Ils
n’ont pas l’air de se rendre compte de la gravité de la situation. C’est comme
si… comme si ça n’existait pas…
-Peut-être parce qu’ils ne l’ont
pas vu passer sur Youtube, ou sur Instagram.
-Je ne sais pas… Je ne savais
pas que ce serait de les aborder.
-Ce qu’il faudrait, c’est de
tous les passer au détecteur de mensonge…
-Je suis d’accord avec toi, mais
tu sais qu’on n’a pas le droit sans mandat, c’est-à-dire de véritable
accusation; mais sans preuves on n’aura jamais de mandat.
-Parles-en à ton père. Il
pourrait le demander.
-Oui, sans doute.
-On appelle ce Wilfrid ?
-Oui, après ça on aura fait
notre journée.
Un autre jeune homme apparaît,
aux avant-bras tatoués, cheveux longs dépeignés, casquette vissée sur la tête,
pantalons bouffants rapiécés de taille basse. Il arrive en traînant les pieds
et les mains dans les poches et entre sans trop se presser, faisant le
désinvolte, regardant à gauche, à droite, en haut, consultant son téléphone
cellulaire. Il ne semble pas du tout impressionné de se trouver en face de deux
policiers.
-Wilfrid Morneau, c’est ça ?
-Ouais.
Il mâche ostensiblement sa gomme.
-Tu sais peut-être pourquoi nous
sommes là ?
-Pffffff !... Tout le monde le
sait ! C’t’en rapport à la mort de Joannie ! Mais j’ai à faire avec cette
histoire ! J’ai rien à faire icitte !
-Peux-tu ranger ton téléphone
pendant notre conversation ?
-Pourquoi tu veux que je range
mon cell ? Ça t’dérange ?
Sans réagir extérieurement au
tutoiement Roxanne poursuit : « Disons qu’il faut éliminer le plus de
distraction possible.
Wilfrid s’exécute de mauvais
gré.
-Tu l’as connaissais Joannie…
-Joannie ! Tout le monde la
connaît à l’école !
-Elle était si populaire que ça
?
-Elle était pas
"populaire" (Wilfrid fait le signe des guillemets avec ses doigts), si
tuveux savoir Joannie !
-Alors pourquoi tu dis que tout
le monde la connaissait dans l’école ?
-Aaah ! J’ai dit ça d’même ! Pis
j’vous dis que j’ai rien à faire avec cette affaire ! Je sais pas ce qu’Alex
vous a raconté, mais si il m’a accusé… Ouais…
-Quoi ?
-Son compte est bon à c’pourri-là !
-Il va te l’payer ! C’est ça ?
-Oui, il va m’l’payer !
-Et pourquoi Joannie devait
"payer" elle aussi ?
-Joannie ?.... J’ai pas parlé de
Joannie, j’ai parlé d’Alex !
-C’est vrai, mais le jour de la
mort de Joannie, on t’a entendu dire qu’elle "devait payer".
Qu’est-ce qu’elle devait payer de si important ?
-J’me souviens pas d’avoir dit
ça !
-Pourquoi est-ce qu’elle devait
payer ? Je sais que tu l’as dit !
-Hey là…
Brusquement Wifrid se lève et se
dirige vers la porte. Turgeon l’empoigne fermement.
-Hey lâchez-moé ! Vous avez pas
l’droit de m’obliger !
-On a le droit de t’obliger à
témoigner; si tu ne le fais pas maintenant on viendra te chercher chez vous et
on t’amène au poste.
-J’ai rien à dire.
-Rassois-toi Wilfrid et dis-nous
la vérité.
-J’ai rien à dire.
-Tu connaissais Joannie et tu
voulais qu’elle paye ? C’est parce qu’elle ne t’achetait plus de drogue c’est
ça ? Ou parce qu’elle payait celle qu’Alex consommait peut-être ? C’est toi qui
fournit la drogue à l’école et puis elle voulait plus entrer dans ton trafic,
c’est ça ?
-C’est même pas vrai.
-Je suis sûre que je pourrais
trouver un bonne douzaine de jeunes qui pourraient dire sous serment que c’est
toi le pusher de l’école; ça pourrait te coûter cher, très cher !
-J’en vends pas dans l’école !...
Pis j’suis pas le seul qu’en vend ! Pis ils ont qu’à pas en acheter !
-Joannie commençait à avoir de
l’influence sur les autres c’est ça ? Tu avais perdu des clients ?
-Laisse-moi tranquille !...
-Peut-être même que t’avais
l’œil dessus ? Tu la trouvais de ton goût c’est ça ? Ça t’enrager de voir que
tu pourrais plus l’avoir, qu’elle avait changée, c’est ça ?
-Joannie, c’était une
agace-pissette ! Elle était bonne pour se montrer, mais après ça, fini, man ! Même
les profs l’a r’gardaient ! T’sais j’veux dire, ce qui est arrivé…
-Oui ?...
-Rien ! J’me comprends.
-C’est bien fait pour elle,
c’est ça ?
-Ce qui est arrivé, est arrivé,
pis j’ai rien a faire avec ça.
-Où t’étais vendredi soir ?
-Chez nous !
-T’es pas sorti ? Un gars comme
toi, ça m’étonne !
-Oui, j’suis sorti, mais plus
tard. Avec des chums, on est dans un pays libre, non ?
-As-tu vu Alex ?
-Je lui avais téléphoné, mais ça
répondait pas. Alors, j’suis sorti à l’Étoile à Saint-André, pis je l’ai
rappelé sur son cell. Il m’a dit qu’il se sentait pas bien. C’est tout.
-Mais il te doit de l’argent.
-Ouais….
-Combien ?
-Je vais finir par le savoir…
-Deux mille.
Après le départ de Wilfrid, Roxanne
et son collègue se regardent.
-Tu as eu du pif avec ton
histoire de drogue.
-Oui, j’ai pris une chance
calculée. Lui, ça se voyait assez que c’est le petit caïd de la place… Mais est-ce
qu’il est impliqué directement dans la mort de Joannie ? Je ne sais pas. Son alibi
et faible.
-Il aurait pu fomenter quelque
chose avec Alexandre; par exemple, l’influencer, ou le manipuler de loin.
Roxanne secoue doucement la
tête.
-Qu’est-ce qu’il y a ?
-Tous ces jeunes qui mentent
comme ils respirent, tous ces jeunes qui vivent comme dans un autre monde….
-Viens, on va saluer ce cher
directeur.
-D’abord, monsieur Riendeau,
merci pour votre collaboration…
-Ça m’a fait plaisir.
-Il nous faudra peut-être
revenir, mais on vous préviendra avant. Ceci dit…
-Qu’est-ce que je peux faire de
plus pour vous ?
Roxanne a décidé de ne pas y
aller par quatre chemins; histoire de passer sa frustration sur quelqu’un.
-Ce que vous pouvez faire de
plus ? Tout d’abord vous occuper du problème de trafic et de consommation de drogue
dans votre école ! En une seule journée, nous en avons appris suffisamment pour
déclencher une bonne demi-douzaine d’enquêtes criminelles !
-Mais je… je ne sais pas…
-Ne me dites pas que vous ne
savez pas de quoi je parle, monsieur Riendeau ! Vous êtes parfaitement au courant
de ce qui se passe, et vous n’agissez pas, et ça c’est une infraction à la loi.
Et si vous n’êtes pas au courant, c’est qu’il faudrait évaluer votre niveau de
compétence !
-Oui, je suis au courant, mais
que voulez-vous que je fasse ? La commission scolaire a coupé tous ses budgets
de presque trente pour cent ? Il n’y a plus d’argent pour aucun programme !
Avant, on avait une psychologue à temps plein, une bibliothécaire, un animateur
de vie spirituelle et communautaire, même une orthophoniste, un spécialiste en
comportements déviants, de l’aide aux devoirs, pis tout ça, ça a disparu à
cause des coupures ! On n’arrive plus maintenant à donner tous les services dont
les jeunes auraient besoin. La psychologue vient une fois par semaine
maintenant ! Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? On a juste le minimum pour
dispenser les cours, et même… Les profs sont surchargés, stressés, démoralisés
! Je passe la majeure partie de mon temps à gérer les demandes de congés de
maladie qui atterrissent sur mon bureau.
-Je comprends ce que vous dites
monsieur Riendeau. Je ne vous demande pas d’en faire plus que ce que vous
pouvez faire; mais pour ce qui est de la drogue, vous devriez avoir le réflexe
d’appeler la police dès que vous soupçonnait un de vos jeunes d’en introduire
dans votre école. C’est un acte criminel après tout.
-Oui, je comprends. Mais dans ce
cas, on va vous appeler chaque semaine !
-Et bien appelez-nous chaque
semaine; on viendra. On n’en serait peut-être pas là où nous en sommes aujourd’hui.
-Vous… vous croyez que la mort
de Joannie est reliée au trafic de drogue ?
-Je ne sais pas encore. Tout ce
que je sais, c’est qu’elle est considérée comme une mort suspecte. Et à mes
yeux, de plus en plus suspecte.
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