Trahisons
Chapitre 18
Roxanne est restée un long
moment assise à sa place sans oser bouger. Lelong prêche du pasteur
Belleavance vient de se terminer : quarante minutes bien sonnées de
furieuses exhortations, d’intempestifs encouragements; une longue séance de
motivation, d’exaltation dans laquelle il a délivré un message sur les talents
qu’on utilise à bon escient, ceux qu’on enterre ou qu’on fait fructifier. Nombreux
ont été les appels à la purification, à la réconciliation avec Dieu, avec soi,
avec les autres; un appel vibrant à l’édification personnelle, à être de
fervents témoins – les tièdes, je les vomirais de ma bouche – de par le monde,
à agir autour de soi; des appels à la conversion du monde, de porter dans tous
les horizons la croix sanglante du Sauveur ressuscité. Des appels impétueux
éviter les tentations, les ruses, les pièges du Malin, toujours prêt à nous
faire chuter, toujours prêt à nous entraîner sur le chemin qui mène à la ruine.
Il a insisté beaucoup se remémore Roxanne sur l’importance de la méditation et
de l’auto-examen. Le pasteur Bellavance, se dit-elle, est un redoutable
orateur, qui sait user et qui le fait à la perfection gestes, des mimiques, des
ruptures de rythmes, des silences, de tons de voix; parfois il murmurait à
peine et ses auditeurs devaient gravement tendre l’oreille pour écouter son
message; souvent il haussait la voix, pour insister sur tel ou tel point, pour
souligner tel argument, pour amplifier l’effet de telle question. S’il avait choisi de devenir comédien, il
aurait eu du succès, c’est certain. Il a appris les bonnes techniques; il est
capable de capter l’attention son audience et de la garder; il peut la mener où
il veut, la convaincre de tout ce qu’il veut. Sa prédication a sans cesse
été, du début à la fin ponctué par les : Amen, Gloire à Dieu, Le Seigneur est grand ! de ses ouailles. Quand
il posait une question, la foule au complet répondait par de Oui ! ou de Non ! ou des Jamais !
tonitruants. À quatre reprises les gens l’ont applaudis à tout rompre, si fort
qu’il devait interrompre son discours. Jamais Roxanne n’aurait cru que l’homme
courtois qu’elle a rencontré il y quelques jours, pouvait déployer une telle
énergie, pouvait être animé d’une telle force, d’une telle puissance. C’est
presque un miracle. Combien d’années de pratique lui a-t-il fallu pour en
arriver là ?
Le pasteur Bellavance se retire. Il sort de sa prédication en nage, et
même, semble-t-il à Roxanne, mais peut-être est-ce simplement l’effet des
projecteurs, le visage rayonnant lui. Elle se sent à la fois admirative et
inquiète. Elle vient de recevoir de plein fouet ce que produire le pouvoir de
la parole des leaders charismatiques; en l’utilisant de mauvaise façon, le
pasteur et ses semblables pourraient aisément manipuler les foules jusqu’aux pires
dérives. Il a joué avec son audience avec la dextérité d’un artiste de cirque.
Le petit orchestre reprend sa
musique. La célébration se poursuit avec d’autres chants de louanges, puis des
prières d’intercession pour les peuples en guerres et les églises chrétiennes
persécutées dans le monde. Des allusions sont faites aux autres religions pour
qu’elles s’éloignent de leurs idoles et qu’elels reconnaissent enfin qui est le
vrai Dieu. On prie pour les victimes de l’ouragan Matthew en Asie. Une prière est
ajoutée pour la famille de Joannie, pour que Dieu les accompagne dans cette
épreuve, pour qu’ils trouvent la seule véritable consolation dans sa présence,
lui le Père éternel, Créateur de toutes choses compatissant et riche en bonté.
Les gens commencent à se lever
et à quitter leurs sièges. Il est passé midi. La célébration a duré deux
heures. Roxanne la tête lourde de tant de bruit et de tant d’intensité. Elle
essaye de se mettre dans la peau de Joannie et de comprendre ce qui dans ce
groupe religieux a pu l’attirer à ce point. Pour elle, ça demeure un mystère. Oui, certes elle aimait chanter, mais il
devait y avoir quelque chose d’autre.
Elle se tourne vers monsieur
Wheeler et lui demande qui est Guillaume parmi les musiciens, elle voudrait lui
dire quelques mots.
-Venez avec moi.
Il l’accompagne vers l’estrade
où les musiciens sont en train de ranger leurs instruments en se félicitant
mutuellement.
-Guillaume approche ! Il y a
quelqu’un qui veut te parler.
-Oui, qu’est-ce qu’il y a ?
-Je suis Roxanne Quesnel-Ayotte
et je suis officière de la Sureté du Québec, je suis chargée de l’enquête sur
la mort de Joannie Lemieux.
-Oui…
-Il semble que tu… disons que
vous étiez des amis… Est-ce que je me trompe ?
-On se voyait pour répéter les
chants et la musique, c’est vrai.
-J’aurais besoin de ton
témoignage dans le cadre de l’enquête. Est-ce que tu serais prêt à venir au
poste de la SQ de Papineauville la semaine prochaine ?
-Je ne sais pas ce que je
pourrais vous dire…
-Tu sais dans ce genre d’enquête
le moindre détail a son importance, et je suis sûre que ça pourrait nous aider.
Le pasteur Timothée est déjà venu nous parler, et ça nous a été très utile. Tu
pourras lui en parler, il te dira comme ça s’est passé.
-Ouais, mais…
-On veut tous découvrir la vérité, poursuit Roxanne en se tournant vers
monsieur Wheeler, qui approuve d’un hochement du menton. Bien sûr, tu pourras
venir avec tes parents ou avec qui que ce soit en qui tu as confiance.
-Je vais leur en parler.
-Est-ce qu’ils sont ici ?
-Oui, ils doivent être en train
de saluer des gens avant de partir. Ils doivent m’attendre.
-Allons les prévenir, veux-tu ?
Guillaume regarde monsieur Wheeler
qui lui fait signe que ça ira. En se retournant, Roxanne se retrouve subitement
nez à nez avec Émile Vadnais qui n’a sans doute rien manqué de sa conversation.
-Vous êtes encore là, vous ?
Elle ne sait trop quoi répondre
à cette provocation et préfère garde le silence; il n’y a rien d’autre à faire
pour le moment. Menés par monsieur Wheeler, Guillaume et Roxanne se dirigent
vers la sortie.
-Tu ne prends pas ta guitare avec
toi ?
-Non, j’en ai deux autres à la
maison. Celle-là elle reste ici, c’est celle dont je me sers pour les cultes.
Tenez mes parents sont juste là.
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