Trahisons
Chapitre 19
En ce lundi matin, Roxanne fait un tour à la polyvalente
Jules-Chiasson. Elle a appris qu’elle a été nommée ainsi pour honorer la
mémoire du premier président de la Commission scolaire de la Seigneurie dans
les années cinquante. Qu’est-ce qu’il penserait de toute cette histoire ?
La veille, elle avait retrouvé son père chez lui, juste au moment où il
revenait de sa marche romantique dans les îles de Plaisance avec Juliette;
celle-ci lui avait ouvert les bras tout sourire.
-C’est un des plus beaux coins de la région; tu devrais y amener Fabio
une fois, lui qui est un artiste, je suis sûre qu’il aimerait.
-Oui, peut-être…
-Et puis, quand est-ce que tu me le présentes ? J’ai hâte de le
rencontrer.
Paul ne tarde pas à ramener la conversation sur l’enquête en cours.
-Alors c’était instructif ta visite à l’église… comment
s’appelle-t-elle encore… ah oui, de la Réconciliation ?
-Oui, très.
C’est autour d’une tasse de thé du Labrador servie par Juliette qui lui
relate sa visite, en ce lieu de culte protestant et sa découverte d’un monde de
foi entièrement nouveau. Elle lui fait part de ses impressions et de son léger
malaise, puis conclut par l’invitation qu’elle a faite à Guillaume Brisson, le
jeune guitariste qui semble s’être intéressé à Joannie, de venir au poste cette
semaine.
-Oui, tu as bien fait. Mais cette fois on va faire des interrogatoires
un peu plus sérieux. J’aimerais bien quant à moi rencontrer cet Émile Vadnais.
-Oui, je suis d’accord que ce serait bien que tu ailles le voir;
vérifie bien son téléphone cellulaire. Et, j’ai une autre chose à te demander.
-Quoi donc ?
-De m’excuser pour la réunion d’équipe demain matin; après cette fin de
semaine, surtout après les funérailles de Joannie, j’aimerais bien aller très
tôt demain matin à la polyvalente, histoire de voir comment ça se passe. On ne
sait jamais, certaines langues pourraient se délier.
-Oui, et prends Sébastien avec toi.
-Il faudrait que toi tu le préviennes alors, parce que c’est un
changement d’affectation, et ça c’est ton domaine.
-Bon, le père et la fille, si vous me disiez comment vous trouvez mon thé ?
-Bon, le père et la fille, si vous me disiez comment vous trouvez mon thé ?
-Commet se sentent les jeunes ce
matin ?
Roxanne et Sébastien arpentent
les couloirs avec madame Tessier. Le directeur Raymond Riendeau a trop à faire
pour s’occuper d’eux.
-Il y a encore un peu beaucoup de
nervosité dans l’air… On le sent. Ceux qui sont allés aux funérailles ont de
quoi parler, surtout de l’altercation entre le père et ce pasteur de Ripon. Plusieurs
ont tweetté l’événement en temps réel. De nombreuses photos et des
« j’aime » « j’aime pas » ont circulé sur les réseaux
sociaux. Entre eux, c’est devenu viral. Et tous ceux qui n’étaient pas là ont
téléchargé l’une ou l’autre des photos, surtout celles du cimentière. Alors,
vous voyez tout la population est au courant d’une façon ou d’une autre.
-Je me demande si ça nous
apprendrait quelque chose de nouveau…
-Qu’est-ce qui nous apprendrait
quelque chose de nouveau ?
-Tous ces messages échangés,
tous ces tweets; personne que ça peut provoquer des confidences.
-Je ne sais pas… Ce que je peux
dire c’est que les psychologues sont encore là pour cette semaine; les
étudiants qui sont venus d’eux-mêmes la semaine dernière seront vus une autre
fois, et peut-être encore par la suite si nécessaire, mais dans ce cas en
dehors du cadre scolaire : budgets obligent ! Après ce sera le retour à la
normal, du moins je l’espère.
-Est-ce qu’on pourra leur parler
? Je veux dire aux psychologues.
-Leur parler ? Oui, probablement, ce n’est pas un problème, mais ils
sont tenus par le secret professionnel, vous savez. Ils pourront vous fournir
des statistiques sans doute, comme : combien de jeune sont venus les voir ?
de quoi ils ont parlé ? et aussi peut-être la teneur des propos.
-Et si quelqu’un s’est incriminé…
-Je ne sais pas; vous leur demanderez. Vous ne soupçonnez tout de même
pas un ou des jeunes de notre école ?
-Non bien sûr, personne comme
coupable; mais quelqu’un doit savoir quelque chose, c’est certain. Nous
manquons d’information sur plusieurs points et nous essayons de les éclaircir. Comment
vont Alexandre et Wilfrid ?
-Je n’ai rien remarqué de
particulier.
-Et le trafic de drogue ?
Madame Tessier pousse un léger
rire.
-Ah ! Là-dessus, je dirais que tout le monde se tient tranquille. Ils
ont peur bleue de se faire prendre par la police. L’uniforme, c’est magique :
quand ils en voient un, toute substance illicite disparaît immédiatement !
-Et Mélissa ?
-C’est une bonne question. Je l’ai
regardée la semaine dernière, et elle s’est comme renfermée… Non, ce n’est pas
le bon mot; elle a comme fermé la porte. Elle reste avec ses amies comme « avant »,
mais elle garde une distance protectrice avec ses émotions, et je ne sais pas,
j’ai l’impression que ça joue sur le comportement des autres qui restent elles
aussi un peu sur leur quant-à-soi. Mais sinon, rien de plus. Vous pourriez en
parlé avec Pascal Samson, son professeur titulaire… mais il doit être en classe
maintenant. Il sera libre durant la pause du matin à 10 :15.
-O.K. Pour l’instant allons voir
les psys.
-Oui, elle est venue me voir, mais même si elle venue d’elle-même, c’était
comme un rendez-vous forcé; comme si elle n’avait pas choisie de venir. Un peu
comme on va au dentiste : on ouvre la bouche, on ferme les yeux, et on
attend que ça finisse. Elle a bien répondu à mes questions, mais justement elle
n’aurait pas dû bien répondre. Elle semblait garder un contrôle, probablement
involontaire, ou même inconscient, mais qui n’échappe à qui sait observer comme
il faut.
-Une corvée… vous dites.
-Une visite dont elle devait se débarrasser. Ses réponses, c’était comme
du par cœur, comme si elle voulait avoir une note de passage à un examen.
-Et qu’est-ce que ça veut dire selon vous ?
-On ne fait pas de diagnostic en une seule séance, mais peut-être qu’elle
vit son deuil et qu’elle veut, inconsciemment, le vivre en silence, une
souffrance… Elle veut rester en contrôle, elle en veut pas qu’on aille fouiller
dans ses émotions; c’est probablement normal, après ce qu’elle vécu.
-Elle a quelque chose à cacher.
-Non… Elle cache vraiment quelque chose.
-Ses émotions ? Ce qu’elle sait ? Ce qu’elle a vécu ?
-Oui, c’est bien observé.
-Si vous la revoyez, nous me tiendrez au courant, s’il vous plaît;
voici ma carte avec mes coordonnées.
Pendant ce temps, Paul avait appelé la réunion du lundi matin. L’enquête
sur la mort, ou le meurtre, de la jeune Joannie Lemieux, n’était pas la seule
affaire en cours, mais certainement celle qui nécessitait le plus d’attention.
Il avait résumé les événements de la fin de semaine tant ce qui s’était passé lors
des funérailles que ce que Roxanne lui avait dit de sa visite à l’église de la
Réconciliation. Graduellement, il abandonnait la thèse de l’intervention d’une
personne inconnue qui serait passer sur le pont de la Chute Albert « par
hasard » pour se concentrer sur les personnes de l’entourage de Joannie;
grosso modo, dans l’ordre : un membre de sa famille, quelqu’un de cette
église, une personne de son école.
Il s’était promis d’aller rendre visite à Émile Vadnais mais de chose
et d’autre la journée était passée. Roxanne et Sébastien étaient revenus vers
la fin de l’après-midi. À peu près au même moment, une auto se stationnait à
côté du poste de la SQ. Roxanne est toute étonnée de voir entrer Guillaume,
avec ses parents.
-Bonjour Guillaume, merci d’être venu si vite. Et merci à vous,
monsieur Brisson et madame Maheux. Vous savez ce sera un interrogatoire de
routine; nous cherchons à récolter le plus d’information possible sur le décès
de la jeune Joannie et nous croyons ce que nous dira Guillaume pourra nous être
utile.
-Si ça peut vous aider, nous sommes d’accord; il faut punir les
coupables, répond le père de Guillaume.
-La rencontre sera enregistrée et aura lieu dans un bureau à part. Vous
serez de l’autre côté d’une grande fenêtre…
-Nous ne pourrons pas être avec Guillaume ?
-Non, c’est préférable, mais vous avez le droit de mettre fin à
l’entrevue en tout temps.
-Quel âge as-tu ?
-Dix-sept ans le mois prochain.
-Et où demeures-tu ?
-J’habite dans le domaine de
Boisé à Montebello.
-Parle-moi de Joannie.
-Elle chantait bien, très bien,
elle avait un don, elle avait une oreille extraordinaire, pour un musicien
c’est merveilleux; même quand elle connaissait à peine un chant, elle ne ratait
jamais ses entrées.
-Et comment est-ce que tu la
trouvait, en tant que personne.
-Heu… heu… Elle avait… elle
avait… je ne sais pas. Elle était bien.
-Tu aimais sa compagnie ?
-Oui, bien sûr; on s’entendait
bien. Elle était sympathique. On ne savait pas d’où elle venait; ses parents
n’était pas chrétiens. C’était un problème… À cause de ça, elle ne venait pas
au groupe de jeunes. C’est dommage. Mais elle, elle voulait devenir chrétienne,
elle voulait joindre l’église.
-Pourquoi est-ce que tu dis que c’est dommage.
-Parce que… ça aurait bien qu’elle vienne. Ça lui aurait permis de
mieux nous connaître, de mieux connaître la Bible. Ça l’aurait aidée.
-Quand l’as-tu vue la dernière
fois ?
-Le dimanche d’avant; comme j’ai
dit elle ne pouvait pas venir la semaine.
-Vous êtes-vous téléphonés ?
-Pardon ?
-Oui, durant la semaine.
-Oui…
-Une fois, plusieurs fois ?
-Une ou deux fois, oui on s’appelait
de temps en temps. On n’allait pas à la même école, alors on ne se voyait que
les dimanches à l’église,
-Quel était le sujet de ces
appels ?
-On s’appelait pour réviser les
chants, pour savoir ce qu’elle en pensait, pour faire une évaluation; elle ne
pouvait pas venir aux répétitions alors c’était bien de se parler.
-Alors vous vous téléphoniez
principalement pour parler musique ?
-Oui, c’est ça.
-Mais ça n’aurait pas dû être au
directeur musical, comment s’appelle-t-il David Séguin, qui aurait dû faire ça
?
-Peut-être que David l’appelait
aussi, je ne sais pas; il faudrait lui demander.
De l’autre côté de la vitre,
Paul fronce les sourcils. Il ment. Lui
aussi.
-Es-tu sûr que c’est la raison
vraie raison ?
-Qu’est-ce que vous croyez ?
-Je ne crois rien… Je veux juste
savoir ce que vous vous êtes dit, ce qu’elle t’a dit la dernière fois que vous
vous êtes parlé au téléphone, c’est tout.
-C’est à cause d’Émile !
-Émile ? Émile Vadnais ?
-Oui. C’est à cause de lui; il
est très strict sur nos relations ! Il voulait pas qu’on se voit tant qu’elle n’était
pas chrétienne. II voulait qu’elle quitte ses amis. Et moi, elle m’appelait
pour me demander conseil, pour l’aider; elle trouvait ça dur ! Mais elle voulait
tellement chanter, elle voulait continuer à être dans le groupe, mais ça
c’était un gros sacrifice !
-Alors qu’est-ce que tu lui as
dit ?
-Je ne lui ai pas dit
grand-chose. Qu’est-ce que je pouvais bien lui dire ? Pour moi c’est facile :
tous mes amis vont çà l’église. Mais elle, il fallait qu’elle coupe les ponts.
Émile l’avait bien avertie. Une fois il l’avait gardée après le culte pour lui
parler seul à seule, pour lui mettre les points sur les i. Elle ne savait pas
vers qui se tourner; alors comme, musicalement on s’entendait bien elle m’avait
téléphoné. J’essayais de l’aider.
-Est-ce qu’il demandé de l’aide,
mettons, au pasteur Timothée ?
-Au pasteur ? Non, je suis sûr
que non.
-Est-ce que je peux emprunter
ton téléphone cellulaire pour faire un relevé des appels ?
-Oui, pas de problème.
-Merci beaucoup Guillaume, et
merci à tes parents.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire